Notes de séminaire et commentaires à partir du texte d’une conférence faite à la Société psychanalytique de Paris, le 17 novembre 1964, publié in la Revue Française de Psychanalyse, 1967, n°1, puis sous le titre de La renonciation à l’identité. Défense contre l’anéantissement, PBP, 2009.
Le texte de l’article est ici : http://www.dundivanlautre.fr/individu-sujet-identite-institution-masse/georges-devereux-la-renonciation-a-lidentite-defense-contre-laneantissement
Le poids de l’expérience princeps : une observation
La clinique et la pensée de Georges Devereux partent de l’observation du fonctionnement psychique humain dans les groupes, c’est-à-dire d’une sensibilité et d’une expérience ethnologique, quand celles de Freud débute avec l’hystérie, Lacan avec la paranoïa, Bion avec la schizophrénie, Winnicott avec le bébé, Klein avec les enfants, etc.
Il s’agit du coup d’un autre point de vue, d’un autre regard clinique (qui reste néanmoins très freudien).
* Quelques définitions
- La normalité représente une différenciation progressive par enrichissement au fil des contacts avec le monde.
- L’anormalité représente une dédifférenciation par appauvrissement, un retrait du monde.
- L’identité est le produit de différenciations d’avec les autres, source d’individuation et donc de créativité.
1- Le point de départ de la pensée de Devereux est le conflit socialisation / individuation ou encore masse / individu (Voir les travaux de Jung[1], Reich[2], etc.) : pour être soi, c’est-à-dire « un », individu (= indivisible), il y a à se détacher, se différencier de la masse anonyme : ne plus en être le sujet, c’est-à-dire sub-jectus, jeté sous, sous mis (nous sommes dans les années soixante, c’est-à-dire : après la deuxième guerre mondiale, pendant la guerre froide et du Viêt-Nam, à l’époque de l’antipsychiatrie anglaise, de Winnicott, des mouvements hippies et beatniks, etc., autant de luttes contre les massifications). L’échec d’individuation s’entend dans des formulations fréquentes telles que « se faire un nom, une place au soleil, devenir quelqu’un, etc. » Voir la formule de Winnicott : « vivre simplement ou réellement exister ? »
Mais de quelle identité parle Devereux ? Du fantasme inconscient ? Du caractère (Freud) ? etc.
À partir de là, Devereux opère un renversement de la différenciation classique entre symptôme et résistance et de leur rapport conflictuel :
- La résistance serait, non plus une simple opposition à la cure, mais ce qui masque l’identité vraie pour la protéger en tant que part la plus authentique d’un individu. Ce qui peut s’entendre dans la demande classique : « je ne veux plus souffrir de mes symptômes, mais je ne veux pas changer » ; ou encore « je n’ai rien à (vous) dire », « j’avais plein de choses à dire en venant, mais là, plus rien et je ne m’en souviens même pas ! », etc. Soit des manifestations d’opposition entre moi et je[3], ce qui fit dire à Paul Valéry : « L’ego est un phénomène d’écho ». Cela souligne par exemple ce qui est éprouvé lorsqu’une instance psychique projetée à l’extérieur en regarde une autre ou ce que relevait Winnicott quand dans un état paranoïde, le sujet est regardé par une projection de son vrai self (D.W. Winnicott, lettre du 18/07/1958 à RD Laing, in Lettres vives, Gallimard, 1989, p. 169) et toutes les représentations des instances sur la scène psychique, celle de la voix du surmoi tutoyant est la plus connue. Car n’oublions pas que chaque instance a son mode de résistance ;
- Les symptômes seraient alors de « fausses pistes », de vraies résistances à l’analyse ; des masques, c’est-à-dire quelque chose tourné vers l’extérieur, entre moi et monde, tels des boucliers (ou pare-excitations) lié à mon rapport à l’altérité. Soit une autre fonction du symptôme telle que Freud le définissait en tant que formation de compromis (entre un désir et son interdit) et que l’ensemble des symptômes créé une forme d’histoire du sujet.
Cela ferait de la psychopathologie un déguisement, et du diagnostic quelque chose qui offrirait un nouveau masque[4] au patient afin de protéger son identité. Sans cela il se sentirait menacé de non-existence. En cure par exemple, la peur d’être cannibalisé par le psy ou les autres : ce qui serait une peur fondamentale, archaïque signalant un défaut de contenant.
Winnicott faisait de la psychopathologie un listing de défenses et non celui des maux[5], ce qui dénonce la confusion permanente quant au mal : les défenses sont prises pour le mal…
Carl Gustav Jung a repris le terme de persona (masque) pour désigner la part de la personnalité qui organise le rapport de l’individu à la société, la façon dont chacun doit plus ou moins se couler dans un personnage socialement prédéfini afin de tenir son rôle social. Le moi peut facilement s’identifier à la persona, conduisant l’individu à se prendre pour celui qu’il est aux yeux des autres et à ne plus savoir qui il est réellement. Dans ce cas, la persona de Jung est proche du concept de faux self de Donald W. Winnicott. Il faut donc comprendre la persona comme un « masque social », une image, créée par le moi, qui peut finir par usurper l’identité réelle de l’individu. Alfred de Musset a quelque peu exploré ceci dans Lorenzaccio. Le film Persona d’Ingmar Bergman est largement inspiré du travail de Carl Gustav Jung.
Derrière tout cela, il y a le fantasme qu’avoir une identité ne serait pas accepté par les autres qui vont alors chercher à l’anéantir, ce qui anéantirait l’individu lui-même : ce dernier se doit donc de rester caché, masqué (d’où la crainte de se retrouver à nu si l’on prend la parole, le sentiment d’être usurpateur, non légitime, etc.) qui prend appui sur le fait qu’enfant nos parents ont pu deviner nos pensées (« je lis en toi, c’est écrit sur ton front, c’est mon petit doigt ou le petit Jésus qui me l’a dit », etc.), relayé ensuite par la religion (Dieu voit tout, sait tout) puis le surmoi.
Cette crainte du refus d’identité en propre passe donc par l’éducation qui impose un modèle d’être (mais « être comme », pas « être soi »), par les parents et ce qu’ils projettent comme attentes sur leur enfant comme celles de l’éducation, la société, qui visent à normer les individus, en faire des sujets, c’est-à-dire les aliéner, en se substituant à leur pulsionnel. Cela relève de l’observation et des travaux d’ethnologie de Devereux.
Alors, la résistance devient une défense normale de protection de l’identité, ce qui se repère avec le rapport d’insistance / résistance en cure (plus j’insiste et plus le patient résiste, et vice versa bien sûr !), ou encore les réactions thérapeutiques négatives et les phobies (parfois transitoires en cure) : « si le psy me comprend, je n’existe plus, il a pénétré mon identité, il a alors une emprise ». C’est la question du xenos (l’étranger ou l’autre en moi), ou de la machine à influencer de Tausk : une patiente se représentait ma parole comme une sorte de termite qui lui rongeait le cerveau, etc. L’Exemple remarquable est donné par le cas de la phobie du petit Hans : ses phobies augmentent face à l’insistance interprétative des adultes et disparaissent quant Freud lui accorde le droit d’avoir sa pensée[6]…
Il s’agit aussi de s’intéresser aussi au contexte dans lequel surgissent les troubles (comme le fit l’Anti-psychiatrie anglaise et l’école de Palo Alto[7]), pour différencier par exemple :
- La dominance de la réalité psychique: le névrosé qui fait son propre malheur quel que soit le contexte et pour cette raison les névroses se ressemblent quelles que soient les cultures (réalité psychique et retrait de la réalité) : ainsi le symptôme manifeste un négativisme social et s’oppose aux mœurs et coutumes. La psychopathologie est le signe d’une inadaptation (par voie de conséquence) puisqu’il y a un refus de l’environnement en lieu et place d’une souplesse d’adaptation ;
- La dominance de la réalité externe: les névrosés qui sont inadaptés à un contexte anormal et qui réagissent « normalement mal » à un dysfonctionnement social et qui cesseraient de l’être dans un autre contexte.
Soit une clinique différentielle entre ce qui est auto (relevant de la seule réalité psychique) et une clinique du lien, d’un système relationnel, de l’environnement.
Toute société (et chaque époque) a son lexique et ses codes d’expression de la souffrance (pour pouvoir la dire et donner forme aux symptômes) ce qui prévient donc du risque de se dévoiler : un bel exemple nous est donné avec la symptomatologie hystérique d’hier (du temps de Charcot par exemple) et d’aujourd’hui.
Chez les patients moins gravement atteints, on note une tendance à déguiser leur identité (« faire comme », « être comme », identification hystérique), tandis que chez ceux qui sont gravement atteints, on observe une renonciation à l’identité, afin de protéger leur simple existence.
Ce que relevait Freud en donnant cet exemple : pendant la période de latence, l’enfant se détourne des intérêts sexuels, et cherche à protéger son organe, en renonçant à son fonctionnement.
La crainte d’être dévoré en représailles est l’une des préoccupations les plus caractéristiques de ceux qui craignent de posséder une identité : « si je me montre réellement, je me vais me faire bouffer / détruire, etc. » Évidemment, c’est une angoisse infantile et on comprend donc fort bien pourquoi la langue populaire appelle « dévorante » une mère, qui cherche à oblitérer l’identité de ses enfants (on peut comparer cela avec la mère crocodile de Lacan).
Perte d’identité et résistances
Les rapports du psychanalyste avec son patient sont donc comparables à ceux de Ménélas avec Protée. Nos patients adoptent des déguisements protecteurs l’un après l’autre, pour éviter la confrontation suprême, qui les forcerait à s’avouer leur propre identité réelle, et à nous permettre de les connaître, de les définir, à se déclarer prêts à accepter à la fois les joies et les risques de la possession de leur propre identité, et, à travers cette auto-compréhension, à reconnaître l’identité des autres (l’angoisse d’avenir comme cause de séparation).
Cela vient répéter la scène d’aliénation ainsi que Tausk puis Aulagnier l’ont décrite. Apparemment Devereux ne le repère pas ?
Ces patients arrivés à ce point se déclarent implicitement prêts à s’engager dans des rapports personnels plutôt qu’objectaux, c’est-à-dire, dans des rapports conformes aux critères fondamentaux du caractère génital, plutôt que prégénital.
En effet, dès que le psychanalyste comprend, le patient se sent vulnérable : le psychanalyste sait-il qu’il est homme ? Il le châtrera. Sait-il que le patient est femme ? Il la violera. Sait-il qu’il est vivant ? Il le tuera. Par surcroît, le patient comprend fort bien que la compréhension du psychanalyste est « contagieuse ». Dès qu’il comprend le patient, il le forcera à se comprendre, et aussi à comprendre le monde (= à l’individuer = le séparer = mise à mort = détresse première)
Par conséquent, chaque patient résiste à toutes nos interprétations puisque la non-compréhension défensive (et aussi agressive) est le noyau même de sa maladie. Ce point de vue nous permet d’établir une équivalence parfaite entre la maladie et la résistance. Il en découle même que, dans le cadre de l’analyse, la résistance est un symptôme plus authentique de la maladie que ne le sont les symptômes pré-analytiques, que le patient prétend vouloir faire guérir.
En somme, toute résistance, comme tout symptôme, sert :
- À empêcher les autres de découvrir l’identité réelle du patient ;
- À empêcher le patient de comprendre sa propre identité, puisque, s’il la connaît, il risque de se trahir, et de communiquer la nature de son identité (= vulnérabilité) aux autres ;
- À empêcher le patient de comprendre l’identité des autres – y compris celle de son psychanalyste ; ce fait est l’une des bases et l’un des principaux ressorts du transfert.
La crainte de connaître l’identité d’autrui a un fondement assez compliqué. D’une part, dès qu’on reconnaît qu’untel possède une identité, on admet d’une part la possibilité qu’on peut avoir une identité, et d’autre part, on réduit d’une unité le nombre de ceux avec qui on peut se confondre, et être confondu. On diminue d’une unité la grandeur de la foule anonyme dans laquelle on peut se cacher, se fondre, disparaître. De plus, en se permettant de reconnaître la nature réelle, l’identité, d’une personne ou d’une chose, en comprenant même un secteur restreint du monde extérieur, on permet à ce secteur (compris) de faire une impression sur soi-même. Enfin, puisque tous les êtres humains se ressemblent, en reconnaissant l’identité d’un autre, on se reconnaît soi-même. La volonté de ne pas comprendre devient donc le plus urgent des programmes de la vie.
« Vous avez tellement peur de mourir, vous prenez tant de précautions contre le danger de mort, qu’en fuyant le cercueil vous vous réfugiez dans un tombeau. Vous refusez de vivre, de peur de mourir ! »
Quelques exemples de résistances comme masque de l’identité
« Je n’ai pas de rêves, pas d’imaginaire, pas de fantasmes[8], etc. » : sorte de « pas touche », d’interdit du contact (phobique) et de préservation narcissique ;
Rêves transférentiels de cambriolage, de mise à nu angoissante, ou négociation classique dans les relations sexuelles : « tu peux prendre mon corps, mais tu n’auras pas ma tête » ;
Tout est en fait projeté et agi dans la relation de façon inconsciente, ce qui organise les relations et le rapport au monde et est pris pour de vrai (réalité psychique)
Si le danger d’ « être dévoilé » est trop grand, on observe une sorte de rémission des symptômes qui vient justifier une terminaison de la cure, bien trop tôt et contre l’avis du psy, ou alors de violents transferts négatifs (attaques du psy, croire liquider le transfert alors qu’on ne liquide que le psy – ce que l’on croit du moins – ce qui en fait dévoile et répète l’identité fantasmatique : il s’agit de tuer / liquider celui qui a failli me deviner, me connaître sans accepter ce que je lui donnais à voir). Certains rêves mettent en scène le plaisir comme secret : le sujet se réfugie dans la salle de bain afin d’éprouver son plaisir mais surtout pas devant les autres qui en furent la source ;
Soit l’anéantissement de l’autre pour hallucinatoirement croire que l’on échappe à son propre anéantissement (ce qui en fait se réalise peu à peu), tel que l’on peut le voir dans certains fonctionnements pervers ;
Dans le fonctionnement hystérique :
- 1°) présentation séductrice d’une belle surface, fragile etc., avec appel à l’aide et demande d’amour ou de reconnaissance, et instauration de l’autre en position de puissant ;
- 2°) quand l’autre est séduit, c’est-à-dire aveuglé, il est mis à mort, détruit, rendu impuissant (centralité de la fantasmatique du meurtre). (On retrouve cela dans la description de la relation perverse narcissique selon Racamier)
Etc.
Dialectique du serment / enclos (horkos) et de la loi (nomos)
Le souhait de contrôler les humains et leurs comportements passe plus par ce que Devereux dénomme l’enclos (le surmoi[9]) que par la loi (idéal du moi[10]), ce qui fait qu’un ordre (la loi) devient un interdit névrotique (surmoïque). La société et l’éducation contrôlent les humains plus par le horkos que par le nomos (c’est le refoulement social et civilisateur de Freud).
= Du contenant anxiolytique à l’enclos surmoïque.
L’ordre, d’origine hétéropsychique, s’intercale d’une façon violemment intrusive et soudaine dans le déroulement normal des opérations tant physiologiques que psychologiques déjà en cours au moment où l’ordre fait irruption dans le psychisme de l’enfant – ou de l’esclave. Afin de pouvoir exécuter cet ordre, l’enfant doit violemment interrompre et même faire dérailler certains de ses processus psychophysiologiques, déjà en cours.
« Dès que nous comprenons une chose ou un être, dès que nous en établissons l’identité, dès que nous pouvons prévoir son comportement, nous avons une emprise sur lui, nous sommes en mesure d’intervenir dans sa vie, tant pour le bien que pour le mal. »
L’espèce humaine a tendance à vouloir « contrôler » l’incompréhensible et l’imprévisible en le détruisant. Les patients se soumettent à une analyse dans l’espoir d’apprendre à paraître compréhensibles, sans cependant l’être. Ils veulent emprunter à l’analyste une façade de normalité. Ce désir se rattache à la névrose de vouloir paraître normal. C’est un désir de masque.
La société représenterait une absence de position dépressive (sauf pour l’enfance ?) et resterait schizo-paranoïde. C’est-à-dire : antidépressive (voir Freud : société et culture comme relais des aliénations infantiles).
En résumé :
* La renonciation à l’identité a une double fonction :
- protéger la véritable identité,
- en la masquant à l’aide de symptômes.
Dès lors :
- chercher le sens des symptômes nous mène sur des fausses-pistes (et nous sommes formés et déformés à nous intéresser aux contenus de représentations, c’est-à-dire à la quête du sens) :
- or ici le contenu des significations des symptômes est secondaire,
- voir leurs formes, leurs enveloppes, sont souvent des représentations prises dans un contexte socioculturel ;
- ce qui nous détourne de la saisie de leurs fonctions de résistance ;
- soit un symptôme plus authentique que ceux que le patient met en avant (consciemment) et demande à guérir ;
- ce fonctionnement est donc une défense.
Un exemple fréquent : la demande de diagnostic, d’étiquette, soit une demande de masque afin de protéger une identité de fond (en adhérant à une appartenance clinique qui se fait passer pour identité : « je suis dépressif » !)
Autre exemple, celui de la demande classique : « je ne veux plus souffrir, mais je ne veux pas changer ! » Car si le psy me comprend, je risque de ne plus exister (« qu’est-ce que je vais devenir ? fou, pervers, débile, divorcé.e ? ». Outre perdre le sol de ma construction, le risque est qu’il aura pénétré mon identité et aura dès lors une emprise sur moi : ce qui répète l’état de dépendance et de détresse du bébé impuissant.
Alors parfois : « je souffre, donc je suis » et sa variante : « je suis ma plainte », sont des façons d’être au monde.
Ce masquage d’une véritable identité n’est pas premier, mais est lié au sentiment et à la pensée que la possession d’une identité :
- serait présomptueuse selon un jugement moral : péché d’orgueil, vanité, illégitimité, prétention, etc. ;
- et donc attaqué, puni, par les autres qui attaqueraient cette identité et l’existence qu’elle porte. Ces autres sont, entre autres, les parents de l’éducation, puis l’aspect aliénant de la société produisant des sujets normés, programmés (voir le Malaise dans la civilisation et L’avenir d’une illusion de Freud, le processus d’individuation de Jung, l’antipsychiatrie anglaise, etc.)
Devereux s’inscrit dans le projet pindarique (Freud, Winnicott) : l’identité passe par un processus de séparation et de différenciation, le tout étant source de créativité (Voir l’enfant dans le Zarathoustra de Nietzsche : « je crée donc je suis. Je suis donc je crée[11]. ») Cela serait pour Devereux un idéal de socialisation, voire un idéal démocratique.
* Clinique : la psychiatrie a transformé les émotions en psychopathologie en servant l’idéal de la Raison. Le terme même de pathologie en témoigne : étymologiquement discours (logos) sur les affects (pathos) qui finit par prendre le sens de : maladie ! … (Héritage grec : Socrate & Platon et leur projet de « se débarrasser de la folie du corps » et privilégier l’hyperdoxa). Ainsi les affects peuvent devenir d’abord des maladies puis des maladies organiques (troubles de l’humeur) … alors la tristesse d’un être devient dépression. Cette psychiatrie a ainsi produit un carcan.
Sur un autre plan, Devereux introduit une forme d’ethnopsychologie avec l’exemple des névrosés qui sont inadaptés (voir les distinguos de Freud : l’hystérique est un poète mais sans adresse, l’obsessionnel créé une religion privée, et le paranoïaque un système philosophique) :
- il y a ceux qui font leur propre malheur dans n’importe quelle situation : ils sont inadaptés quel que soit leur monde ;
- et ceux qui sont inadaptés dans un contexte anormal, c’est-à-dire qu’ils réagissent anormalement mal à un contexte anormal.
Donc l’être normal est inadapté dans une société anormale mais adapté dans une société normale (voir les travaux fondateurs de Margaret Mead et Gregory Bateson).
Les symptômes prennent une forme culturelle, environnementale, (voir les hystériques « à la Charcot » et l’affaire du pavillon des épileptiques), une forme culturelle (voir les modes cliniques au fil des époques : neurasthénie, hystérie, jambes agitées, bipolarités, dépression, etc.) Soit des modèles de forme de souffrance, ou plutôt d’expression d’un mal-être (le symptôme parle la langue de son temps et de son lieu) ce qui permet d’être en communication avec le socius en parlant la langue de son temps et d’ainsi masquer et protéger leur être profond.
Notes
[1] http://www.dundivanlautre.fr/individu-sujet-identite-institution-masse/joel-bernat-mysticisme-contre-pessimisme-le-cas-jung
[2] http://www.dundivanlautre.fr/individu-sujet-identite-institution-masse/joel-bernat-wilhelm-reich-sa-vision-du-monde-de-letre-et-de-la-civilisation
[3] http://www.dundivanlautre.fr/individu-sujet-identite-institution-masse/joel-bernat-je-et-moi-preface-a-bernard-andrieu-la-carte-du-pere-systeme-de-reflexion-concave
[4] En latin, le masque se disait persona (qui est féminin) du verbe personare, per-sonare : parler à travers (Michel Bréal et Anatole Bailly, Dictionnaire étymologique latin, Hachette, Paris, 1885) car il désignait en son origine le masque que portaient les acteurs de théâtre romains, masque utilisé auparavant dans le théâtre grec, où il était désigné comme prosopon. Probablement de l’étrusque φersu « personnage masqué », via le latin perso, -ōnis et persōnare (« se masquer ») (A. Walde et J.-B. Hoffmann, Lateinisches Etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, 1938, s.v. persōna ; Eugeen Roegiest, Vers les sources des langues romanes. Un Itinéraire linguistique et travers la Romania, Acco, 2006, p. 43.) Comme la plupart des objets se rapportant au théâtre portent des noms grecs, on pourrait aussi y voir une déformation du grec ancien πρόσωπον, prosopon influencée par l’étymologie populaire. Ce masque avait pour fonction à la fois de donner à l’acteur l’apparence du personnage qu’il interprétait, mais aussi de permettre à sa voix de porter suffisamment loin pour être audible des spectateurs. « Ôter son masque de la tête » : « persona adicitur capiti ». (Pline. 12, 14, 32)
[5] http://www.dundivanlautre.fr/questions-cliniques/joel-bernat-notes-de-seminaire-sur-la-crainte-de-leffondrement-de-donald-woods-winnicott
[6] http://www.dundivanlautre.fr/excitation-exces-pulsion-de-mort-feminin-contre-transfert/joel-bernat-hans-un-garcon-face-a-la-feminite-de-sa-mere
[7] http://www.dundivanlautre.fr/questions-cliniques/joel-bernat-la-lutte-pour-letre-contre-lalienation-mentale-1ere-partie-lautre-regard-sur-la-folie
[8] http://www.dundivanlautre.fr/questions-cliniques/joel-bernat-je-nai-pas-de-fantasmes-ou-la-defense-perverse-narcissique
[9] Le Surmoi tend à conserver les attributs d’un matériel nettement hétéropsychique, et pourquoi il représente un conglomérat fortuit, plutôt qu’une véritable structure ; bref, pourquoi le Surmoi est essentiellement composé de tout ce qui n’a pu être ni compris, ni maîtrisé, ni transformé en matériel auto-psychique au moment où les événements, dont le précipité constitue le Surmoi, se sont produits.
[10] L’Idéal du Moi est, par contre, composé du résidu des directives qui, avant d’être exécutées, ont été comprises et maîtrisées et ont donc eu la possibilité de se transformer en matériel autopsychique.
[11] http://www.dundivanlautre.fr/divers/nietzsche-les-trois-metamorphoses
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