Une loi énoncée par ce sociologue allemand et qui est toujours valable….
1 : La « loi d’airain de l’oligarchie » selon Robert Michels
Roberto Michels (né le 09/01/1876 à Cologne, décédé le 03/05/1936 à Rome) était un sociologue germano-italien membre de l’école italienne de sociologie des élites avec Vilfredo Pareto et Gaetano Mosca, et connu pour avoir formulé une loi d’airain de l’oligarchie, dans son livre Sociologie du parti dans la démocratie moderne, selon laquelle :
« Aussi bien en autocratie qu’en démocratie, c’est toujours une minorité qui gouverne ».
Soit la définition même du terme oligarchie et qui concerne aussi bien un individu (leader), un petit groupe ou une famille.
L’idée fondamentale est que toute organisation devient progressivement oligarchique. Il y a donc un processus à l’œuvre.
Les leaders, même lorsqu’ils se disent démocrates ou révolutionnaires, sont guidés par les masses, puis s’en émancipent et deviennent peu à peu conservateurs (en vieillissant dans leur pouvoir). Un bel exemple est donné par André Malraux.
Le leader cherchera toujours à augmenter son pouvoir ou à le maintenir à n’importe quel prix, oubliant au passage ses anciens idéaux, car son nouvel idéal devient la conservation de son statut de leader (illustré par bien des cas comme ceux de Lénine, Staline, Robespierre, etc.) Cela est valable pour un individu comme pour une institution : le processus est le même.
C’est pourquoi les organisations politiques cessent vite d’être un moyen pour atteindre certains objectifs socio-économiques et deviennent une fin en soi, c’est-à-dire qu’elles deviennent au service d’elles-mêmes et non plus du peuple. C’est un déplacement des objectifs (illustré par la Révolution française, le soviétisme, les religions, etc.)
Et ceci que le leader soit celui d’un parti, d’un pays, d’un groupe intellectuel ou même leader d’un quartier ou d’une famille.
La « loi d’airain » se fonde sur trois aspects fondamentaux :
- Plus une organisation s’agrandit, plus elle doit se bureaucratiser (nous pourrions dire que le processus crée ou réclame une obsessionnalisation progressive, ou de façon plus douce, le processus est celui d’une nécessité croissante de gestion), car :
- d’une part elle se spécialise de plus en plus afin de marquer sa place en se différenciant des autres associations, afin de se singulariser et s’identifier ;
- d’autre part, elle doit prendre rapidement des décisions de plus en plus complexes du fait de l’augmentation de ses effectifs et dès lors produire des règlements de plus en plus nombreux afin de maintenir une cohésion des membres.
Les individus qui savent comment traiter les thèmes complexes que doit affronter l’organisation, c’est-à-dire qu’ils ont l’esprit de gestion, deviennent indispensables, et c’est cette qualité et cette place administrative qui en fait une élite nécessaire, mais qui se fera au toujours au détriment de ceux qui pensent et qui servent le but premier et fondateur de ce groupe ;
- cela développe une dichotomie entre efficience gestionnaire et démocratie interne ; pour que l’organisation soit efficiente, elle a besoin d’un leadership fort au détriment de la démocratie interne (et donc la liberté et des différences de penser et de parole) ;
- la propre psychologie des masses rend désirable le leadership car elles sont inertes ou passives et donc inaptes à résoudre les problèmes par elles-mêmes. Elles sont reconnaissantes au leader et tendent au culte de la personnalité. Leur seule fonction serait donc de choisir de temps à autre un leader.
Le leadership annule la démocratie car celle-ci est comprise par Michels à la manière rousseauiste comme gouvernement du peuple. Le parlementarisme participe au processus d’oligarchisation (spécialisation des tâches, commissions fermées, etc.) ; cela rend le leader indispensable, et pérennise sa place (en rendant son travail routinier) : le leader peut mettre en avant ses compétences techniques acquises (pour conserver sa place). Le parlementarisme donne plus d’opportunités au leader pour s’automatiser. La caste des leaders (oligarchie) se clôt sur elle-même afin d’éviter l’apparition de nouveaux leaders issus de la masse (trust oligarchique).
La seule chose que peuvent faire les masses c’est de remplacer un leader par un autre. C’est pourquoi les leaders maintiennent un lien avec les masses. Les vieux leaders font toujours appel à la discipline, ce qui réduit la liberté d’expression des masses. Mais aussi, afin d’attaquer les idées qui pourraient produire un nouveau leader ; ce qui se perd et est attaqué ici, c’est la pensée (sur la base, pour eux, de : une pensée = un pouvoir = une menace). D’où la rigidification et la stérilisation progressive des groupes qui n’ont plus de fondements et d’union autre que des règlements.
« L’organisation est ce qui donne lieu à la domination des élus sur les électeurs, des mandataires sur les mandants, des délégués sur les délégants. Qui dit organisation, dit oligarchie. »
(On retrouve là ce qui est dénoncé par Kant dans son texte « Qu’est-ce que les Lumières » – voir sur ce site )
Enfin, cette oligarchie au service d’elle-même, et son pendant administratif (voire de dictature administrative paralysante : Kafka ou Courteline ont bien dépeint cet aspect) finit par disparaître, soit par une Révolution, soit par un effondrement de l’intérieur du système sur lui-même (pensons au bel exemple de la chute de l’Empire romain, non pas sous les coups d’invasions barbares, mais sous la masse de son administration et de son auto-étouffement…)
Donc :
- Le pouvoir sa maintient contre la pensée: l’efficience du groupe n’est plus celle de sa pensée fondatrice mais celle de son pouvoir bureaucratique : dit autrement, c’est la lutte de l’établissement par immobilisation ou fixation, implantation, contre le mouvement, celui de la pensée ;
- Le pouvoir ne sert qu’un seul but : lui-même, afin de se maintenir, se perpétuer – et non plus servir la cause fondatrice puisque la fondation est réalisée ;
- Ainsi l’expansion (pétrifiante et rigidifiée) de ce pouvoir mène à sa propre fin, en un auto-effondrement ou auto-étouffement sous son propre poids ;
- Les outils du pouvoir peuvent se transmettre, pas ceux de la pensée.
Bibliographie :
- Sociologie du parti dans la démocratie moderne. Enquête sur les tendances oligarchiques de la vie des groupes, Édition et trad. de l’allemand par Jean-Christophe Angaut, Première édition Collection Folio essais (n°606), Gallimard, 2015.
- Les partis politiques, essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, trad. Samuel Jankélévitch, Flammarion, Bibliothèque de philosophie scientifique (1914).
Lumineux et, oui, toujours d’actualité, et pour cause !
Voilà qui éclaire les mouvements spontanés qui ont, dans leurs débuts, tellement de force, de fraîcheur,d’enthousiasme …enthousiasmant (combien de fois on se laisse entraîner) et qui se rigidifient, s’arrêtent ou s’épuisent.
On peut se demander alors quelle structure humaine serait la mieux adaptée pour soutenir et faire vivre une pensée …(à part ce Blog bien sûr … je plaisante ! quoique …)
Dans l’histoire je ne vois que les révolutions pour remettre au travail un mouvement de pensée, je n’arrive pas à imaginer en ce moment autre chose dans notre société oligarchique et sclérosée, mais je n’ai sans doute pas assez d’imagination …
Marie B
Bonjour Marie !
l’idée serait de refonder sans cesse, et de se déprendre de la scène biblique : « tu es Pierre, et sur cette pierre je fonderai mon église ». Cela donne à croire que l’acte de fondation est unique, et que tout est réglé. On voit bien que non. C’est comme dans un couple, ceux qui croient que parce qu’ils s’aiment, tout est dit et fait. A l’image des contes de fées : ce serait intéressant de connaître la suite…
La fondation comme acte unique est une pensée magique.
JB