Joël Bernat : « L’amour « expérimental » dans la cure psychanalytique, ou du divan au canapé : collusions fantasmatiques et contre-transferts » 1ère partie

Séminaire année 2000, Bordeaux & Nancy

I : furie des corps, fureur des voix

« Au lieu d’examiner comment la guérison advient par l’analyse,

ce que je tiens pour suffisamment élucidé,

la question à poser devrait être :

quels obstacles se trouvent

sur le chemin de la guérison analytique ? »

Freud[1]

La peste, donc. Sexuelle, bien sûr…

Le 29 août 1909, le vapeur allemand Georges Washington aborde les États-Unis, croisant le symbole de la Statue de la Liberté. À bord, trois hommes unis par des liens d’amour et de haine, sans doute amplifiés par le huis-clos d’une longue navigation : huit jours de traversée de l’Atlantique, et peut-être que l’un d’eux a pensé, non pas à la lumière que porte le flambeau de la Liberté de pensée, mais aux rats, si présents en toutes cales, ces voies qui propagèrent la peste de par le monde, pour ensuite s’identifier à ce mouvement : nous, psychanalystes, nous voici voix propageant la jeune science ! Rats que Freud pouvait associer à l’un de ses patients depuis deux ans, Ernst Lanzer, dit Homme aux Rats.

« Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste ! »[2]

Bien évidemment, ceci est pure spéculation de ma part, fondée sur ce que Freud aurait dit en arrivant au port, et que Jung aurait rapporté et dit, au seul Lacan qui l’a rapporté… alors que les fidèles, Jones ou Ferenczi, ne le rapportent nulle part… En revanche, nous pouvons rapprocher cette assertion de ce qu’écrivit Freud à Ferenczi peu avant :

« Nous devrions être très vite mis à l’index là-bas, dès qu’ils tomberont sur les soubassements sexuels de notre psychologie. »[3]

Peu importe. S’il fut un temps où il y eut de la peste entre psychanalyse et monde[4], cela ne devrait pas occulter le fait qu’il y a aussi de la peste dans la psychanalyse elle-même puisque le sexuel ignore les frontières. Et cela peut prendre plusieurs formes, dont l’une va nous occuper ici. Mais, pour le dire de suite, s’il y a de la peste dans certains secteurs de la pratique psychanalytique, cela est lié au seul fait, me semble-t-il, d’un inanalysé (un point aveugle) qui en serait le signe et qui ferait retour.

L’élément inanalysé que nous souhaitons aborder est le suivant : qu’est-ce qui est occulté par le passage à l’acte sexuel – ou amoureux, si l’on préfère – entre analyste et patient, quel que soit le sexe des protagonistes ? Car nous ne pouvons nous satisfaire d’explications fondées sur les « beaux yeux », le transfert amoureux, le désir incestueux, etc., qui ne sont que des : explications.

Passage à l’acte parfois classé en « histoires de divan », c’est-à-dire quand le sexuel l’emporte sur l’analyse. Ou, en d’autres termes : quand le divan devient canapé, ce qui est aussi un lapsus fréquent de nos patients…

Divan ou canapé…

Il est par ailleurs remarquable que cet événement, ou cet avènement du sexuel en acte – c’est-à-dire l’agir de quelque chose de non mentalisé qui fait irruption en acte dans un transfert pour être élaboré – a donné naissance :

  • d’abord au mot de « contre-transfert »,
  • puis, après une phase que l’on pourrait qualifier de latence, au concept de contre-transfert.

Dans l’histoire même de ce mouvement, de l’acte au concept, en passant par la nomination, nous avons donc aussi une extraordinaire possibilité d’observation de la constitution des concepts, de ce qu’ils indiquent et dévoilent, mais aussi et surtout de ce qu’ils voilent, en une sorte d’amnésie infantile qui constitue la préhistoire libidinale de tout concept.

Pour indication, entre le moment où Freud invente le terme de contre-transfert en 1909 pour désigner l’énamoration réciproque de Carl-Gustav Jung et de sa première patiente, Sabina Spielrein, puis sa réapparition dans les travaux analytiques dans les années cinquante, presque quarante ans plus tard – ce qui constitue une longue phase de latence ! – sous forme de concept, ce qui a disparu est son sens premier, sa désignation première, qui devient ainsi sa préhistoire : apparemment, plus de trace de son origine, de sa source, de l’acte qui l’a fondé. Ce qui serait un bel exemple de ce que chaque concept refoulerait de son origine, ou peut-être bien : pour qu’il y ait concept, serait-il requis le refoulement de son acte d’origine ? Ceci montre bien que l’inouï n’est pas si désiré que cela à se laisser ouïr, et que le concept n’est pas un véhicule si neutre ou parfait qu’on veut bien le croire… De là l’importance de parcourir histoire et préhistoire d’un concept pour en retrouver le vif de sa naissance.

Collisions !

Ce travail est né, en fait, d’une collision, c’est-à-dire de la rencontre – que l’on peut penser « fortuite », due au seul « hasard » – d’un événement « externe » et d’une préoccupation « de fond ». Comme dans toute collision, il y a un choc, et il y a aussi des étincelles qui vinrent donner quelques clartés à une scène qui serait, sinon, restée dans l’ombre : la représentation de la rencontre d’une comète avec une planète tournant paisiblement sur elle-même, me semble tout à fait indiquée ici.

La planète, ou préoccupation de fond, est celle du transfert et de sa circulation, particulièrement chez l’analyste, et non du seul côté du patient.

La comète est un événement, incident, qui saisit et dessaisit dans le même temps : la rencontre d’une jeune femme venant demander une seconde analyse, la première s’étant mutée en relation, amoureuse peut-être, sexuelle certainement. Et le hasard externe étant chose bien mystérieuse, peu de temps après, une seconde jeune femme venait énoncer la même demande…

L’Incident, selon Littré, est un événement qui survient dans le cours de l’action principale d’un roman ou d’une pièce de théâtre, ou, mieux encore, en physique, un rayon qui tombe sur un plan en un angle plus ou moins ouvert. Soit une forme d’oblique. Mais pensons aussi à Dionysos, dieu masqué pouvant prendre toutes les formes, et n’en ayant aucune en propre, surgissant à l’improviste, à l’insu de tous : il est l’Incident ; dieu épiphanique de la surprise telle que le transfert peut en produire, à l’improviste et sous toutes formes. Et quand Dionysos paraît, il suscite la panique, ce qui au sens ancien voulait dire la dissolution de toutes les règles… pour disparaître (apophanie) tout aussi soudainement.

L’incident représente une forme de rencontre des scènes psychiques du patient et de l’analyste, dont la force d’impact est dérivée en agir si le travail de perlaboration de l’analyste fait défaut. Cet incident est ce qui définissait l’Einfal chez Freud.

« Histoires de divan », dit-on…

La difficulté de rendre compte et d’étudier ce qu’il est devenu usuel de nommer « histoires de divans » est immédiate : en effet, comment aborder cette affaire :

  • sans occuper une place de juge, de censeur, qui ne fait que produire de nouveaux interdits (d’agir comme de penser), ce qui ne traite rien et entretient la répétition, c’est-à-dire sans se faire donneur de leçons ou dénonciateur ;
  • sans entrer dans une sorte de communauté d’épais silence (quelle qu’en soit la forme, par exemple, « les risques du métier ! »), c’est-à-dire refouler ;
  • sans se faire presse à scandales, clinquant de bruits et fureurs toujours éphémères – ce qui est d’ailleurs à remarquer.

Entre Charybde et Scylla, la navigation sera délicate pour préserver, contre les sirènes de la facilité, le cap de l’analytique et sa question : celle de l’impensé, l’inouï, c’est-à-dire ce que ce passage à l’acte est sensé masquer, économiser, et dévoiler malgré tout : quel fragment inanalysé, chez les deux protagonistes, vient se mettre en acte en lieu et place du travail analytique ? Ce que nous allons tenter de montrer, en précisant que ce fragment inanalysé serait en quelque sorte commun aux deux protagonistes, produisant une collision, puis une collusion fantasmatique.

L’autre difficulté est la suivante : si dans les analyses des deux jeunes femmes l’événement « histoire de divan » a tenu une grande place, du moins au début, il se trouvait que, par ailleurs, je connaissais les analystes en question, ce qui venait compliquer quelque peu mon travail et sa « neutralité ». Mais il n’est bien sûr pas question que je rapporte et développe ici ces « affaires », afin de ne pas tomber dans ce que je dénonce comme stérile : le scandaleux et le jugement moral, et, par-dessus tout, il s’agit de préserver ces patientes. Je me suis donc efforcé d’aborder cette question avec des « affaires » déjà connues et publiées (et donc communes, partageables et vérifiables par nous tous), que je proposerais de relire ou d’entendre autrement afin de saisir le pourquoi et le comment de ces événements, ainsi que leurs destins cliniques, techniques et théoriques.

Pour cela, nous reprendrons, non pas des témoignages de « victimes[5] », mais l’affaire Jung et Sabina Spielrein, non pas dans le but d’ « exécuter » un peu plus Carl-Gustav Jung ou Emma Eckstein, la première psychanalyste, de surcroît analysée, bien que, dans son cas, il n’y ait pas eu d’histoire de divan en actes – ou du moins, l’agir a pris d’autres formes. Reprises que nous essaierons de dégager des lectures habituelles. Mais il y a d’autres nécessités d’aborder cette question.

Quand les rats s’en reviennent des Amériques…

Car la peste nous revient. Si le virus a muté, il y a néanmoins quelque urgence à s’intéresser à l’affaire si l’on ne veut pas en arriver à l’intervention de tiers dans la cure, tel que cela se passe aux États-Unis par exemple : en effet, quatorze États ont institué que le sexe entre thérapeute et patient est un crime.

En Californie, « faire l’amour avec un ancien patient est un crime ». Si les patients peuvent se penser mieux protégés par une loi, la peur de se voir assigner en justice bâillonne le praticien : comment dès lors parler du sexuel ? À moins que ce type de loi ne soit au service d’un puritanisme caché qui, par ce biais efficace, viendrait ôter toute peste psychanalytique, c’est-à-dire, enfin désexualiser la psychanalyse et, au-delà, les êtres humains. Et, qui plus est, une loi fixerait qu’il n’existe qu’un seul modèle, les patients comme victimes, et évacue la notion même de transfert (autre vieux projet puritain, au service d’un vœu tout névrosé : guérir, oui, mais à l’économie, sans transfert ni sexuel !). La prédiction de Freud est réalisée.

Mais, l’individu existe et résiste : puisqu’une autre loi, non officielle celle-ci, énonce, toujours en cette apparemment si stricte Californie, que deux ans après sa cure, on peut, « sans risques », coucher avec son thérapeute… Ou encore, dans le Minnesota, cinq minutes après la séance…[6]

Bref, cela montre simplement que chaque loi maintient de l’inanalysé, de l’interdit de penser. Mais ce n’est pas la loi ou le législateur qu’il s’agit d’incriminer, puisqu’ils prennent une place laissée vacante. Le fait qu’une loi soit produite est digne d’intérêt : lorsqu’un agir fait irruption dans la cure sans y être analysé, ce défaut d’analyse fera finalement retour, comme le refoulé, de l’extérieur, sous forme d’une élaboration externe qui répète la résistance à l’analyse (en un assourdissement qu’opèrent ces lois et interdits), et donc celle de l’analyste (il en va de même avec l’intrusion des tiers payants dans la cure, tiers « invités » par les collusions de l’analyste avec les remboursements, ou les collisions fantasmatiques de l’analyste avec son rapport interne à l’argent ou au titre de médecin).

La clinique ou le surmoi ?

Les lois ne tombent pas du ciel, elles sont le résultat d’étapes successives, progressives. En effet, dans un souci « scientifique » ou d’« efficacité » sans doute louable, en 1973, Menninger et Holzman ont établi un inventaire pour « aider » les thérapeutes à détecter les impulsions contre-transférentielles, cognitives, affectives et comportementales qui se trouvent alimentées par leurs besoins infantiles. Il en ressort évidemment une « grille d’évaluation du risque d’exploitation » basée sur trente-deux questions groupées sous sept rubriques différentes… :

  • Transgressions générales : rechercher les contacts sociaux auprès d’un patient, échanger des propos personnels avec un patient pour l’impressionner ;
  • Transgressions érotiques : se complaire dans des fantaisies érotiques par rapport à un patient ou à une patiente, avoir un sentiment subjectif de gratification des attitudes séductrices d’une patiente ;
  • Exhibitionnisme : ressentir un sentiment de satisfaction qu’un patient si intelligent, si riche, si connu, me consulte… ;
  • Dépendance : parler de ses problèmes à un patient et en attendre un support ;
  • Recherche du pouvoir : exiger et obtenir des services d’un patient, ressentir un sentiment de puissance dans le contrôle obtenu sur un patient par la médication ou par la contrainte ;
  • Utilitarisme : obtenir des informations, des avantages financiers ou politiques d’une relation thérapeutique ;
  • Permissivité : faire bénéficier un patient particulier d’exceptions par rapport à l’horaire, à des communications téléphoniques privilégiées, etc.

Malgré cela, Epstein et Simon[7], en 1990, remarquent que l’inconduite sexuelle en psychothérapie est « très à la mode » aux États-Unis depuis plus de 10 ans, et témoigne le plus souvent de brèches narcissiques chez le soignant et non pas d’un aspect libéral, amoral ou antisocial. Alors, ils ont élaboré une nouvelle grille, un auto-test, qui peut servir d’indicateur de risque, « an early warning indicator of boundary violations in psychotherapy ». Cette grille, disent-ils, est surtout un outil de réflexion et de sensibilisation à des « réalités insidieuses ». Une sorte de petit « livre rouge », de guide pour le thérapeute technicien, dès lors dispensé de toute analyse de lui-même, cet aspect étant refoulé par un corpus de règles techniques : la technique est souvent le moyen d’échapper à sa vie intérieure…

Ce qui est ici à relever, c’est le maintien de l’inanalysé par des productions qui se veulent « techniques et scientifiques », maintien par, soit un impératif externe (la grille d’auto-observation: avant chaque séance, où le pilote-analyste fait un check-up…), soit l’outil diagnostique (les brèches narcissiques, ce qui est assez flou) : l’histoire de divan n’est plus le signe de quelque chose qui circule dans le transfert, mais celui d’une pathologie du thérapeute, ou d’un défaut technique et de formation…

Exit, encore, le transfert, le sexuel et l’analyse. Une telle position ne va pas sans rappeler la rigidité surmoïque et sa visée aveuglante et assourdissante.

The/rapist

Soit un jeu de mot possible en anglais, entre therapist, le thérapeute, et the rapist, le violeur, qui pourrait résumer une certaine position dans ces affaires. Un cas de « complaisance de la langue » ?

Toutes les études américaines de cette question du sexuel entre thérapeute et patient dans les années soixante (l’époque du « sex and drug ») furent jetées aux oubliettes dans les années soixante-dix, et donc remplacées par l’élaboration de lois, d’abord dans les associations de thérapeutes, puis, celles-ci ne réglant rien, par des lois d’États[8]. Comme toujours, le surmoïque remplace la perlaboration, ou en permet l’économie. Une loi refoule et dispense de la question clinique pour une simple affaire de technique. Une preuve en serait le fait suivant : à partir du moment où les lois migrèrent des Instituts de formation des thérapeutes, du fait de leur échec, vers les États, les Instituts se replièrent sur la question clinique, via un diagnostic qui clôt le débat mais qui, suite à une nouvelle déformation, renverse quelque chose : à partir du moment où les lois défendent les victimes, les nouvelles élaborations vont en faire des cas pathologiques comme pour amortir la responsabilité de l’analyste et l’ingérence des Lois d’États : c’est-à-dire que la question passe du côté du patient et non plus du thérapeute, ce qui renforce, sous couvert de technique et de clinique, le non questionnement du thérapeute. Par exemple, les études de la clinique Menninger :

  • les patientes abusées sont toutes « borderline », état caractérisé par la propension à l’abus sexuel et au vide frustrant ; et dans les années quatre-vingt-dix, cela fut nommé « maladie des femmes »… comme l’hystérie l’était soi-disant, avant Freud… ;
  • mais si l’histoire dure, et qu’il y ait mariage, alors, c’est qu’elles sont des « névrotiques fiables »… ;
  • quant aux thérapeutes abuseurs, ils sont psychotiques.

Voici un bel exemple de l’interdit de penser sous couvert de diagnostic et de science ! Mais aussi une étonnante représentation de la cure d’où est évacuée la rencontre – et ses effets – entre deux personnes, ainsi qu’est effacé ce qui fut conquis, comme nous le verrons, à partir des années 1909. C’est une belle régression.

« L’amour expérimental » ?

Les « histoires de divan » n’apparurent pas avec le divan. En effet, l’Histoire nous enseigne que cet agir est très ancien, aussi ancien que toute relation thérapeutique.

En 1887, Alfred Binet publie un article dans la Revue Philosophique, intitulé « L’intensité des images mentales », où il crée ce concept d’« amour expérimental »[9], que nous avons choisi de retenir à la place de celui d’« histoires de divan ». Binet étudie la relation entre le magnétiseur et le magnétisé et les phénomènes d’électivité qui a :

« (…) un caractère sexuel, prouvé, dans certains cas, par le manège du sujet, par la façon dont il cherche son magnétiseur pour se presser contre lui. (…) chez tous ceux que j’ai observés j’ai pu constater très nettement l’existence d’une attraction sexuelle pour le magnétiseur. »

D’ailleurs, ce fait n’est pas nouveau : il était déjà signalé en 1784 par les commissaires de l’Académie des sciences, dans leur rapport secret sur les dangers de l’hypnotisme relativement aux mœurs.

« (…) Le caractère sexuel du somnambulisme électif nous paraît devoir expliquer, dans une certaine mesure, la plupart des effets de ce somnambulisme. (…) Le magnétisé est comme un amant exalté pour qui rien d’autre n’existe au monde que la personne aimée. (…) Rien n’est plus instructif, à mon avis, que de considérer le somnambulisme électif comme une sorte d’amour expérimental, développé sous l’influence du contact animal. »

Et Binet ajoute en note :

« On a même des exemples de femmes qui se sont éprises, à l’état de veille, de leur magnétiseur. »

Avec Charles Féré, Binet a remarqué que :

« Lorsque des hystériques hypnotisables ont servi de sujet au même expérimentateur pendant plusieurs jours, elles finissent souvent par rester dans un état d’obsession permanente ; elles sont possédées, pour ainsi dire, aussi bien le jour, pendant la veille, que la nuit dans leurs rêves. » [10]

Si nous remontons un peu plus l’échelle du temps, on rencontre, au XVIe siècle, le médecin Livavius[11] et la notion de Consensio qui indique l’accord, la conformité et la réciprocité dans les sentiments[12], ce qui traduit bien le terme grec sumpatheia, sympathie (mais au sens d’alors) ou, encore, l’Antéros.

Puis J.B. van Helmont a écrit en 1621 que :

« Ce sont donc les idées de celui qui applique le remède sympathétique qui s’unissent dans ce milieu et deviennent les directrices de ce baume qu’elles portent à l’objet de leur désir. ( …. ) Car c’est de là qu’il arrive que cette poudre sympathétique opère bien plus heureusement quand elle est appliquée par la main d’un homme que par la main d’un autre ; et j’ai toujours remarqué que le remède était bien plus efficace lorsqu’il était accompagné d’un amoureux désir et d’un soin charitable de faire le bien. » [13]

Déjà, Hippocrate !

Pour terminer sur l’ancienneté de l’affaire, remontons jusqu’à l’Antiquité, pourtant toujours présente pour les analystes de formation médicale. Car il est intéressant de relever l’injonction d’une règle d’abstinence dans le Serment (Horkos) d’Hippocrate :

« Je jure par Apollon médecin, par Esculape, Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, et je les prends à témoin que, dans la mesure de mes forces et de mes connaissances, je respecterai le serment et l’engagement écrit suivant : (…) Je m’interdirai d’être volontairement une cause de tort ou de corruption, ainsi que toute entreprise voluptueuse à l’égard des femmes ou des hommes, libres ou esclaves (…) »[14].

Mais, disons qu’un tel serment ne peut avoir pour destins que ceux d’être un rite, un folklore ou une injonction surmoïque. Certainement pas, ou rarement, un éclaircissement[15], point de départ d’une perlaboration.

Comme on le voit, le transfert et la sexualité, toujours mêlés, non seulement préexistent à la psychanalyse, mais aussi, et surtout, que les lois ou des tentatives d’explications scientifiques n’y changèrent jamais rien. Les lois ne portent pas d’éclaircissements, peut-être bien même l’inverse…

Nous ne nous intéresserons donc ici qu’à un aspect de la question : qu’est-ce qui, dans un transfert, vient faire « histoire de divan » ? Question qui n’est, en fait, qu’une façon d’aborder un aspect obscur du transfert entre patient et analyste. Ce sera aussi l’occasion d’étudier plus avant ce qui se joue sur ce plan dans la relation analytique. Relevons, en passant, que pour Freud le terme allemand désignant le transfert, Übertragung, indique aussi dans la langue courante, les contaminations sexuelles. Ainsi, le terme de contre-transfert, Gegenübertragung, pourrait très bien être entendu, par des oreilles allemandes, comme contamination sexuelle réciproque…

Enfin, dernière question : quel est le devenir clinique du passage à l’acte, notamment dans la pratique et les théorisations futures de l’analyste ?

Il s’agit donc de tenter une « troisième voie » [16], une issue médiane et analytique à cette affaire. Sinon, le risque serait, répétons-le, qu’un tiers vienne, comme troisième voie « par défaut », s’immiscer – tel un rat – et légiférer la question faute de sa perlaboration, tiers externe qui ne pourrait que pervertir définitivement la relation analytique, rongerait un peu plus le vif de la psychanalyse en supprimant sexualité et transfert, pour enfin la réduire à une technique, parmi d’autres : ce que Freud redoutait…

« Les psychiatres et les neurologues se servent souvent de la psychanalyse comme d’une méthode thérapeutique, mais ils montrent en règle générale peu d’intérêts pour ses problèmes scientifiques et sa significativité culturelle (…) ils se créent un méli-mélo de psychanalyse et d’autres éléments et donnent cette démarche pour preuve de leur largeur d’esprit, alors qu’elle prouve seulement leur manque de Jugement. »[17]

Et comme nous l’avons entrevu, lois, grilles et questionnaires en sont les préliminaires.

[1] Freud, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », in Résultats, idées, problèmes, II, P.U.F., 1985, p. 236.

[2] Voir J. Lacan, « La chose freudienne », in Écrits, Seuil 1966, p. 403.

[3] Freud à Ferenczi, lettre du 10 01 1909, tome 1, p. 40 ; in Correspondance Freud-Ferenczi, I, II, III, 1908-1933, Calmann-Lévy.

[4] Voir Gribinski Michel, Préface à Freud S., Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1987.

[5] Par exemple : Séduction sur le divan ou le malentendu amoureux, 1989, Éditions de la Découverte ; Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Seuil 1985, etc.

[6] Voir Susan Baur, Relations intimes, Payot 2000.

[7] Epstein R. S. & Simon R., « Exploitation index : an early warning indicator of boundary violations in psychotherapy », Bulletin of the Menninger Clinic, 54, 450-465, 1990.

[8] Voir Susan Baur, op. cit.

[9] Article repris dans Recherches de psychologie expérimentale, Paris, 1888; nous nous référons aussi à « L’amour expérimental chez Alfred Binet. Généalogie d’un concept », Paul Mengal, in Éduquer, Cahiers de la Société Binet-Simon, n°. 3, « Aider », L’Harmattan 2002. Pour rappel, « expérimental » désigne, selon Littré, ce qui est éprouvé, fondé sur l’expérience ainsi que la tentative pour reconnaître comment une chose se pose.

[10] Binet et Féré, Magnétisme animal, p. 164.

[11] Voir Paul Mengal, op. cit.

[12] Voir Augustin, Les Confessions, X, 30, pp. 41-42 : consentir (consensio) aux images vivantes dans la mémoire pour que s’accomplisse un plaisir (delectatio), presque un fait (factum simil umum) : l’âme parachève (perpétrât) les turpitudes de la chair jusqu’aux écoulements, elle consent, complice.

[13] Paul Mengal, op. cit.

[14] Traduction de Littré.

[15] Remarquons que le terme d’éclaircissement en allemand, Aufklerung, désigne aussi bien le mouvement des Lumières allemandes, les éclaircissements de la pensée, que ceux quant aux questions sexuelles.

[16] A l’instar du triton genos de Platon dans le Timée, ou encore dans Le Banquet où il propose d’inventer un lieu, Khôra qui serait un troisième genre, notion tierce, condition nécessaire pour rendre compte d’une genèse.

[17] Freud S., (1930) « Préface à la Médical Review of Reviews », OCF-P XIII, PUF, 1994, pp. 337-338.

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