Joël bernat : notes de séminaire sur « La crainte de l’effondrement » de Donald Woods Winnicott

J’ai choisi ce texte pour son apport clinique et technique bien plus que théorique (on a trop tendance à réduire DWW à un théoricien, celui du jeu par exemple : réduction qui est le fait d’une résistance).

Le texte de Donald Woods Winnicott (= DWW) fut écrit en 1971, peu de temps avant son décès. Il fut publié sous le titre de : « Fear of Breakdown », in l’International Review of Psycho-Analysis, 1974, n°. I. en français, il est paru dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 11, Les figures du vide, Gallimard 1975, puis repris dans La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, Gallimard, 2000.

Ce texte est divisible en trois parties :

  • I : introductions et cadres de pensées, § 1-8 (cela peut paraître beaucoup mais il y a une sérieuse raison !) ;
  • II : technique et cure, § 9-10 ;
  • III : prolongements cliniques et théoriques.

Ce plan traduit, l’air de rien, la méthode de Freud et de Winnicott :

  • I : Tenter d’être conscient de nos cadres de penser, le « d’où je pense » : une question qui devrait être centrale et systématique… ;
  • II : car ces cadres de pensée accueillent, déterminent et donc interprètent ce que nous percevons et ressentons en séance ;
  • III : pour ensuite construire une représentation théorique de ces cadres en l’étendant vers l’extérieur afin d’en augmenter la conscience et l’exactitude sur le mode d’une épreuve de réalité.

Cela définirait ce qu’est supposé être un travail psychanalytique (selon la méthode de Freud), c’est-à-dire un travail qui a été psychanalysé par son auteur afin de répondre à une première question : est-ce que ce que je pense l’est :

  • Pour rendre compte d’une réalité partageable par tous selon un jugement d’existence (voir sur ce site[i]) et donc une vraie représentation (Vorstellung, voir sur ce site[ii]) et produit une affirmation selon la réalité réelle (Bejahung, voir sur ce site[iii]) ;
  • Est-ce que cette pensée ou théorie est au service de ma problématique, de mes préférences pulsionnelles ou autres visions-du-monde, c’est-à-dire ma réalité psychique et produit une fausse représentation (vertreten, voir sur ce site[iv]) qui produit une affirmation contre la réalité (Behauptung, voir sur ce site[v]) ;
  • Est-ce que cette pensée ou théorie est un système de défense pour ne pas être touché par quelque chose ?

Etc.

  1. Introductions et cadres de pensées

Entre guillemets, le texte de Winnicott ; les soulignements sont les miens. Les chiffres renvoient aux commentaires sous le texte.

  1. Énoncé préliminaire

Texte :

« Mes expériences cliniques m’ont amené récemment à une compréhension nouvelle, je crois, de ce que signifie la crainte de l’effondrement.1

« Je me propose ici d’exposer, aussi simplement que possible, cette compréhension nouvelle pour moi et peut-être nouvelle aussi pour d’autres personnes qui pratiquent la psychothérapie. Naturellement, si ce que je dis comporte une parcelle de vérité, les poètes en auront déjà traité2 ; pourtant les éclairs d’intuition qui traversent la poésie ne peuvent nous dispenser de cette tâche pénible qui est la nôtre : s’éloigner pas à pas de l’ignorance sans qu’un but nous oriente3. À mon avis, l’étude du domaine limité dont il va être question conduit à une nouvelle formulation de plusieurs autres problèmes qui nous embarrassent lorsque nous ne parvenons pas à faire aussi bien sur le plan clinique que nous le souhaiterions ; c’est pourquoi j’indiquerai en terminant les prolongements de la théorie que je soumets ici à la discussion. »

Commentaires :

  • 1 Winnicott a choisi le terme de breakdown qui, de façon générale, évoque la « cassure » : par exemple : la panne de voiture, la santé qui décline, la raison qui sombre, la personne dont le discours s’arrête court ou qui fond en larmes ou bien tombe malade de fatigue, autant de choses qui mènent à un arrêt complet. Enfin, nervous breakdown signifie « dépression nerveuse ».
  • 2 Winnicott fait ici un rappel de ce que Freud a souvent écrit : les poètes en savent bien plus que nous sur l’âme humaine, et c’est en cela qu’il conseillait aux psychanalystes de s’intéresser aux poètes, à la littérature, aux mythologies, religions, folklore, etc., c’est-à-dire cet ensemble varié de représentations de la vie psychique, ensemble qui permet de faire jouer les points de vue[vi];
  • 3 le but ou la représentation-but comme manifestation d’un contre-transfert : donc il s’agit d’y aller en acceptant l’absence de maîtrise[vii], ou encore, comme l’écrivait Freud, en acceptant de redécouvrir la psychanalyse à chaque fois ;
  • Winnicott ne cite que très rarement ses références, mais il est en fait très freudien dans sa pensée !

  1. Les variations selon les individus

Texte :

« La crainte de craquer, de s’effondrer est un trait remarquable chez certains de nos patients, mais pas chez d’autres. De cette observation, si toutefois elle est correcte, on peut conclure que la crainte de l’effondrement est liée à l’expérience antérieure de l’individu et à l’inconstance de son environnement.1 Mais, en même temps, il faut s’attendre à découvrir dans cette crainte un dénominateur commun 2 qui dénoterait l’existence de phénomènes universels – phénomènes qui mettent donc chacun à même de savoir par empathie ce qui est ressenti lorsque l’un de nos patients manifeste très vivement une telle crainte. (En fait, on peut dire la même chose de chaque détail de la folie du malade mental. Nous savons tous ce qu’il en est, quoique nous ne soyons pas gênés à ce moment par ce détail particulier.) »

Commentaires :

  • 1 Deux facteurs donc : un interne et un externe (ceci est un des apports majeurs de DWW que de s’intéresser à l’environnement et sa fonction, suite aux travaux par exemple de René Spitz sur l’hospitalisme – la dépression anaclitique).
  • Il y a donc une crainte de répétition: quelque chose qui n’est pas mentalisé, élaboré, et par qui, selon une compulsion de répétition, est rejoué ou tend à l’être afin d’être élaboré, perlaboré. Soit une forme de mécanisme d’auto-guérison – en fait la psyché cherche à réduire ses tensions. La compulsion de répétition, quand elle n’est pas fixée, a cette fonction de pousser à perlaborer, à traiter le problème. Voir les phobies, délires, etc., autant de formes de tentatives d’élaborations par l’imaginaire.
  • Donc quelque chose cherche à être (re)vécu en séance, sur cette autre scène (la scène B ainsi que Freud l’indique dans sa Neurotica).
  • Cela se répète hic et nunc dans le transfert – ce qui produit la névrose de transfert par exemple. Mais ici DWW ne nous parle pas de névrosés mais de problématiques plus anciennes ou psychotiques. Donc quelque chose vient sur la scène analytique, non pas comme Einfall selon le fil des association libres avec les névrosés, mais quelque chose qui est produit par un élément qui vient de l’extérieur : quand la situation présente un défaut de holding, cela répète en actes une faillite de l’environnement premier, faillite qui fait partie de l’histoire du patient, et qui fut en lien, elle aussi, à un événement externe.
  • 2 Quelque chose que nous savons tous plus ou moins inconsciemment dans la mesure où nous avons tous vécu des situations de détresse (la Hilflossigkeit de Freud) ou de faillite de notre environnement (voir le défaut fondamental de Balint ou la blessure précoce dont on ne se remet jamais pour DWW, celle du constat que : nous ne sommes pas tout-puissants.)
  • Nous tous : cela veut aussi dire qu’il y a là une source de défense et de contre-transfert.

  1. L’émergence du symptôme

Texte :

« Ceux de nos patients qui souffrent de cette crainte ne s’en plaignent pas tous au début d’un traitement. Certains oui, mais chez d’autres, les défenses sont si bien organisées que la crainte de s’effondrer apparaît au premier plan comme facteur dominant seulement lorsque le traitement a fait des progrès importants.1

« Il se peut, par exemple, qu’un patient ait diverses phobies et une organisation complexe pour y faire face, de sorte que la dépendance2 n’entre pas rapidement dans le transfert. À la longue, la dépendance deviendra un trait capital et c’est alors que les erreurs et les failles de l’analyste3 deviendront des causes directes de phobies localisées, et ainsi de l’éruption de la crainte de l’effondrement. »

Commentaires :

  • 1 il ne s’agit donc pas d’un échec ou d’une faillite de la cure, ou encore d’une réaction thérapeutique négative du patient dans ce cas précis, tout au contraire : c’est le signe que le setting est éprouvé comme stable, contenant, fiable, et donc rassurant, et que ce contenant permet de laisser (s’)exprimer le mal en soi.
  • 2 La dépendance comme protection recherchée en ce qu’elle peut être un substitut de holding contre la crainte de l’effondrement (ce qui répète donc des processus premiers tels que l’accrochage, l’agrippement, etc., envers cette figure que Freud nommât : Nebenmensch) ;
  • 3 Les erreurs de l’analyste, non analysées (au même titre que des erreurs parentales non mentalisées ni reprises), car elles ne sont souvent pas conscientes (les points aveugles par exemple), (re)produisent des failles de l’environnement, du cadre, et donc répètent en partie les failles originaires, ce qui suscite l’effondrement du patient (ce serait une bonne chose si on repère ce phénomène en ce sens !), mais cet effondrement (second) est vécu dans un transfert et un cadre par ailleurs sécurisant (peut-être pas toujours quand même…) ;
  • Ainsi et sinon, une phobie peut apparaître comme tentative de se séparer et d’élaborer ces faillites de l’environnement analytique, la phobie étant un moyen de mettre à distance puisqu’elle se situe entre le sujet et l’autre ;
  • Notons que la dépendance (comme mode de relation) peut créer une illusion substitutive de continuité ou de permanence de l’objet, et c’est pour cela qu’elle peut être puissante et tenace : elle donne un substitut de contenant.

  1. Ce que signifie « s’effondrer » (breakdown)

Texte :

« C’est avec intention que j’ai utilisé le terme breakdown parce qu’il est plutôt vague1 et qu’il peut avoir des significations diverses. Tout bien considéré, on peut, dans ce contexte, prendre ce mot comme signifiant la défaillance d’une organisation défensive.2 Mais une question se pose immédiatement : une défense contre quoi ? Et cela nous conduit à la signification plus profonde du terme, puisqu’il nous faut utiliser ce mot de breakdown pour décrire l’état de choses impensable qui sous-tend l’organisation défensive.3

« On remarquera à ce propos qu’il est légitime de penser que, 4 dans le champ de la psychonévrose, c’est l’angoisse de castration qui se trouve derrière les défenses. En revanche, dans les phénomènes plus psychotiques que nous sommes en train d’examiner, c’est d’un effondrement de l’édification du self unitaire [unit self] qu’il est question. Le moi organise des défenses contre l’effondrement de sa propre organisation, c’est l’organisation du moi qui est menacée. Mais le moi ne peut s’organiser contre la faillite de l’environnement dans la mesure où la dépendance est un fait de l’existence.5

« En d’autres termes, nous sommes en train d’examiner un renversement du processus de maturation de l’individu. Il s’ensuit qu’il est nécessaire que je formule à nouveau les premiers stades du développement affectif. »

Commentaires :

  • 1 un terme exprès vague plutôt qu’un concept afin de maintenir ouverte la possibilité d’accueil et d’élaboration, c’est-à-dire que cela permet d’en faire une scène avec en fait un mot transitionnel que l’on peut faire jouer et dont on peut donc s’emparer, se saisir ;
  • 2 Défaillance précisément du moi: pour rappel, c’est, selon Freud, le lieu psychique des éprouvés et des défenses ;
  • 3 Là aussi par rapport à quelque chose qui est avant (il y a à différencier le mal et la défense) et qui n’a pas été mentalisé, pensé ;
  • 4 Une défense contre du non élaboré (qui est une menace car non élaboré, non lié, c’est-à-dire trop chargé d’excitations débordantes et donc non contrôlées, ce qui est une situation traumatique) : ce non élaboré menace d’effraction – et de la répéter – ce qui est source d’effroi ;
    • Si dans la névrose, l’angoisse de castration offre déjà une élaboration, une représentation de l’effroi, mais un effroi réduit, cantonné dans la mesure où le risque n’est plus que de perdre un petit bout de soi (qui me représente),
    • Dans la psychose, cela produit une attaque globale et une perte générale pour tout l’être ;
  • Le névrosé souffre de réminiscences parce qu’il y a eu une mentalisation, une mise en représentations, ce qui n’est pas le cas dans la psychose (ou du moins les représentations ne sont pas refoulées mais rejetées – selon le mécanisme désigné par Freud de Verwerfung.[viii];
  • Le moi du bébé étant trop immature pour pouvoir produire ces élaborations, le bébé dépend de son environnement et de sa qualité[ix]: et la faillite de cet environnement est subie et peut être totale (détresse de nourrisson) ;
  • 5 le moi peut donc élaborer ses protections et défenses mais du fait de son immaturité et de sa dépendance, il est sans moyens face au monde externe, c’est-à-dire l’environnement (c’est une dépendance totale) d’autant que cet extériorité n’est pas nettement différenciée dans le sens d’une séparation moi / non-moi (une trace en est repérable lorsque quelque chose surgit en nous et est vécu comme externe, par exemple les fantasmes éprouvés comme si ils nous assaillent : ce vécu témoigne parfois des temps premiers d’élaboration) ;
  • Voir le schéma de Freud : effroi -> peur -> angoisse -> castration -> mort, etc. dans Inhibition, symptôme et angoisse.[x]

  1. Le développement affectif : les premiers stades

Texte :

« L’individu hérite d’un processus de maturation,1 processus qui le fait avancer dans la mesure où un environnement facilitant2 existe et seulement dans la mesure où il existe. L’environnement facilitant est lui-même un phénomène complexe et nécessite à lui seul une étude spéciale ; il a pour caractère essentiel un type de développement qui lui est propre, étant adapté aux besoins changeants de l’individu en cours de développement.

« L’individu passe de la dépendance absolue à l’indépendance relative et va vers l’indépendance.3 Dans la santé, le développement a lieu à une allure qui ne dépasse pas celle du développement de la complexité dans les mécanismes mentaux, ce développement étant lui-même lié au développement neurophysiologique.

« L’environnement facilitant4  peut être décrit comme assurant le maintien [holding], le maniement [handling] auquel s’ajoute la présentation d’objet [object-presenting].

Dans un tel environnement, l’individu passe par un développement que l’on peut classer en catégories : l’intégration, à laquelle s’ajoute la résidence[xi] (ou collusion psychosomatique) et ensuite la relation d’objet.

« C’est la une simplification très grossière et exagérée mais qui peut suffire dans ce contexte.

« On observera que, dans une telle description, à un mouvement en avant dans le cours du développement correspond étroitement la menace (et les défenses contre cette menace) d’un mouvement rétrograde dans la maladie schizophrénique. »

Commentaires :

  • 1 Winnicott s’inscrit ici dans un mouvement constructiviste, c’est-à-dire une troisième voie entre l’inné et l’acquis, position qui fut, par exemple, centrale chez Piaget[xii]: des structures mentales préexistantes vont se développer et se perfectionner sous l’effet d’interactions avec l’environnement, et réciproquement : cette stimulation développe en retour ces structures mentales, qui deviennent alors plus aptes à intégrer plus de simulations externes qui viennent l’enrichir, et ainsi de suite. Cette position tierce est essentielle chez Winnicott ;
  • 2 Pensons aussi à ce que Freud a développé en termes d’identifications primaires ou encore de l’importance fondamentale du Nebermensch;
  • 3 Le processus individuation – séparation composée d’élaborations successives (qui s’opèrent toute la vie) : « plus je me singularise, individualise, plus je suis indépendant – mais séparé et seul ? » … ; les angoisses de perte, d’abandon, de séparation, s’opposent à ce mouvement de singularisation (être singulier, c’est être « un » : ce qui peut être aussi bien vécu comme « être libre » que comme « être seul » !) ;
  • 4 Holding -> intégration et continuité (notre sol de construction, notre fondation d’origine par importation de mon monde externe – voir les exemples de mal du pays, nostalgie[xiii]: ;
  • handling -> installation en moi (voir le mécanisme d’assimilation – accommodation de Piaget) que l’on observe dans les répétitions du jeu de l’enfant ; ce terme souligne l’importance alors de la main (hand) et de la manipulation (handle) ; nous trouvons un exemple clinique de cette importance de la main chez le psychotique : il ne peut envisager qu’elle se donne ;
  • présentation de l’objet -> prise dans une relation d’objet (qui en garde la trace. Cet aspect fut bien décrié en France avec Lacan entre autres) : par exemple, c’est la mère ou le père, ou encore la fratrie, qui présentent au bébé le jeu, les jouets, le langage, etc., et ce mode de présentation fait destin, fait inscription.

  1. La dépendance absolue

Texte :

« À l’époque de la dépendance absolue, quand la mère assure une fonction de moi auxiliaire, 1 il ne faut pas oublier que le nourrisson n’a pas encore fait la distinction entre le « non-moi » et le « moi » – ce qui ne peut se produire sans l’édification du « moi » [me]. »2

Commentaires :

  • 1 Situation qui se répète dans le transfert. Voir aussi Bion et la mère qui élabore pour l’enfant ;
  • 2 Il y a là une difficulté de traduction vers le français. Dans sa topique, Freud désigne le moi avec le terme de Ich, (et non mich) ce qui veut parfois dire moi mais le plus souvent je. Ce que l’on retrouve en espagnol (yo). Ici DWW écrit me, ce qui n’est pas le moi qui est traduit en anglais par ego et qui signifie soit le je, soit le soi… Les traductions françaises ont supprimé le je sauf dans une formule de Freud : là où ça était, je dois advenir… ce n’est peut-être pas un hasard.

  1. Les agonies primitives[xiv]

Texte :

« À partir de ce tableau, il est possible de faire la liste des agonies primitives (l’angoisse ne serait pas ici un mot assez fort).1

« En voici quelques-unes :2

  • 1 : Le retour à un état non intégré (Défense : la désintégration).3
  • 2 : Ne pas cesser de tomber (Défense : l’auto-maintien[xv]).4
  • 3 : La perte de la collusion psychosomatique, la faillite de la résidence dans le corps (Défense ; la dépersonnalisation).5
  • 4 : La perte du sens du réel (Défense : l’exploitation du narcissisme primaire, etc.).6
  • 5 : La perte de la capacité d’établir une relation aux objets (Défense : les états autistiques, l’établissement de relations uniquement avec des phénomènes issus de soi).7

« Et ainsi de suite. »

Commentaires :

  • 1 Le travail psychique, et le refoulement en particulier, part du plus près, du plus interne, du plus intime, et donc du plus chargé en affects pour aller au plus loin, au plus externe et au plus rationnel, c’est-à-dire au moins chargé en affects, ce qui est illustré avec l’élaboration successive de l’effroi vers l’angoisse[xvi];
  • 2 Ces agonies illustrent bien la question du : « quel est le mal ? » : on entend bien ici que ce que décrit la psychopathologie : dépersonnalisation, désintégration, autisme, etc., ne sont en fait qu’une description de systèmes défensifs et non le mal en lui-même. Ainsi que l’indiquait Freud, on se doit de regarder par-dessus le mur ! Car sinon, le traitement va attaquer les défenses, ce qui produit soit une augmentation de celles-ci, soit un effondrement du sujet… Névrose, psychose, perversion, sont des descriptions d’ensembles défensifs et non le mal.
  • 3 désintégration ou angoisse de morcellement ; c’est la retrouvaille de l’état d’avant la séparation moi – non moi ;
  • 4 Auto-maintien : voir la rigidité du psychotique, presque mécanique, le maniérisme, ou celle moindre de l’obsessionnel ; « je peux me tenir » (assis, debout, etc.)
  • 5 Perte du continuum psyché – soma : elle s’exprime le plus souvent, névrotiquement, par le clivage corps – esprit (« mon genou me joue des tours » …) ;
  • 6 soit la perte du distinguo réalité externe – réalité psychique (important dans la psychose où représentation de mot = représentation de chose).
  • 7 rupture des liens à l’autre suite à trop de souffrances, etc.

  1. La maladie psychotique en tant que défense

Texte :

« Mon intention est de montrer maintenant que ce que nous voyons cliniquement est toujours une organisation défensive,1 même dans l’autisme de la schizophrénie infantile. Les agonies qui le sous-tendent sont impensables.2

« C’est une erreur de considérer l’affection psychotique comme un effondrement. C’est une organisation défensive liée à une agonie primitive ; elle est ordinairement couronnée de succès 3 (sauf si l’environnement facilitant le développement a été non pas déficient mais a suscité un espoir toujours déçu, ce qui est peut-être la pire des choses qui puisse arriver à un petit d’homme). »

Commentaires :

  • 1 un manuel de psychopathologie est un catalogue de défenses qui ne dit rien du mal originel, et l’on oublie aussi les dimensions socio-culturelles et contextuelles de ces défenses (par exemple, les crises d’hystérie à la Charcot) : voir l’homosexualité qui fut classifiée comme perversion, les évolutions du QI, les études de Margareth Mead et Gregory Bateson, etc.
  • 2 le mal ici est le non pensé, l’impensé, c’est-à-dire ce qui n’a pas pu être mentalisé ;
  • 3 Par exemple le délire – comme la phobie – est une tentative d’auto-guérison, une tentative d’élaboration sur une scène psychique autre, seconde : le délire comme la phobie ne sont pas le mal. Les attaquer c’est attaquer ces tentatives d’élaborations, ce qui augmente le mal, et peut rendre encore plus délirant (façon de défendre aussi cette tentative d’élaboration : voir l’exemple du Petit Hans ou les moments dits de réaction thérapeutique négative). C’est la une position contre-transférentielle fondamentale et là aussi l’erreur de la psychiatrie pour Freud.

  1. Technique et cure

  1. Énoncé du thème principal

Texte :

« Il m’est possible maintenant d’exposer le point principal de ce que j’affirme, et il se révèle être très simple. Je soutiens que la crainte clinique de l’effondrement est la crainte d’un effondrement qui a déjà été éprouvé. 1 C’est la crainte de cette agonie originelle qui a causé l’organisation défensive que le patient manifeste sous la forme d’un syndrome de maladie.

« Cette idée peut ou non s’avérer utile immédiatement pour le clinicien. Nous ne pouvons presser nos patients. Néanmoins, nous pouvons freiner leur progrès par ce que nous ne savons authentiquement pas ; tout fragment, si minime soit-il, de notre compréhension peut nous aider à rester proches des besoins d’un patient.

« D’après mon expérience, il y a des moments où un patient a besoin qu’on lui dise que l’effondrement, dont la crainte mine sa vie, a déjà eu lieu.2  C’est un fait qu’il porte caché dans l’inconscient. L’inconscient dont il est ici question n’est pas exactement l’inconscient refoulé de la psychonévrose ; ce n’est pas non plus l’inconscient de la formulation freudienne, cette partie de la psyché qui est très proche du fonctionnement neurophysiologique. Ce n’est pas non plus l’inconscient de Jung que je définirai ainsi : toutes les choses qui se passent dans des grottes souterraines ou (en d’autres termes) la mythologie de l’univers dans laquelle il y a collusion entre l’individu et les réalités psychiques maternelles intérieures. Dans le contexte particulier dont je parle, l’inconscient signifie que l’intégration du moi n’est pas en mesure d’englober quelque chose. Le moi est trop immature pour rassembler tous les phénomènes dans le champ de la toute-puissance personnelle.3

« Il faut se demander maintenant : pourquoi le patient continue-t-il à être tourmenté par cela, qui appartient au passé ? La réponse doit être que l’expérience originelle de l’agonie primitive ne peut être mise au passé que si le moi peut d’abord la faire entrer dans sa propre expérience du temps présent et dans la maîtrise toute-puissante actuelle (assumant la fonction de soutien du moi auxiliaire de la mère (l’analyste).4

« En d’autres termes, le patient doit continuer à rechercher le détail passé qui n’a pas encore été éprouvé. Cette quête prend la forme d’une recherche de ce détail dans l’avenir.

« Tant que le thérapeute ne sera pas à même de travailler avec succès en se fondant sur l’hypothèse que ce détail est déjà un fait, le patient continuera à craindre de trouver ce qui est recherché sur un mode compulsif dans l’avenir.

« Par ailleurs, si le patient est prêt à accepter quelque peu cette vérité d’un type bizarre – que ce qui ce qui n’est pas encore éprouvé s’est néanmoins déjà produit dans le passé -, alors la voie se trouve ouverte pour que cette agonie soit éprouvée dans le transfert, en réactions aux défaillances et erreurs de l’analyste. Le patient peut faire face à celles-ci lorsque les doses ne sont pas excessives et il peut justifier chaque faille technique de l’analyste par le contre-transfert. En d’autres termes, peu à peu le patient rassemble la défaillance originelle de l’environnement facilitant dans le champ de sa toute-puissance à lui et de l’expérience de la toute-puissance qui relève de l’état de dépendance (fait transférentiel).5

« Tout cela est très difficile, prend du temps et est pénible, mais au moins ce n’est pas futile. Ce qui est futile, c’est l’autre possibilité et c’est ce qu’il nous faut examiner maintenant. »

Commentaires :

  • 1: l’exemple de Béa (et la chute au 1er rdv) ; absence du Nebenmensch, Hilflosigkeit, etc. ; donc pas une crainte de quelque chose à venir mais celle d’un déjà là mais pas mentalisée ;
  • Et quelque chose de perçu, d’éprouvé mais pas représenté : donc on ne peut rien en dire, on ne peut que le revivre dans un transfert (déplacement) ; dans ce cas, ce n’est pas un échec de la cure ! au contraire ;
  • 2: c’est donner au patient un repère, c’est-à-dire fortifier son moi en lui donnant une représentation auxiliaire transférentielle. Nous sommes tous aux prises avec des répétitions ou des angoisses de répétition (par exemple la crise convulsive) afin d’éviter des fixations. Cela vise à faire produire une Bejahung et non plus une Behauptung : oui, cela a eu lieu ;
  • : cette toute-puissance est celle de la pensée, de la réalité psychique, etc., c’est-à-dire de l’illusion de toute-puissance magique de la pensée et du langage (Freud). Ici, le moi est incapable de produire un jugement d’existence et d’attribution qui produirait un : « oui, cela m’est bien arrivé ».
  • 4: s’il peut le faire, cette expérience est intégrée dans son histoire.
  • 5: on voit ici que « être soigné » peut équivaloir à « être persécuté », en une dialectique d’omnipotence / dépendance.

  1. La futilité dans l’analyse

Texte :

« Il me faut considérer comme acquis que l’analyse de la psychonévrose est comprise et admise. Partant de ce postulat, je dis que, dans les cas que j’examine ici, l’analyse débute bien, l’analyse marche bien ; ce qui se passe, cependant, c’est que l’analyste et le patient prennent plaisir à une collusion au sein d’une analyse psychonévrotique alors qu’en fait la maladie est ordre psychotique.1

« Le couple analysant est content de ce qu’il a fait : on n’a pas cessé de faire ensemble du bon travail, du travail intelligent ; on se sentait bien, à cause de la collusion2. Mais chaque soi-disant progrès se termine dans la destruction.3 Le patient l’interrompt et dit : Et alors ? En fait, le progrès n’en était pas un ; c’était un exemple de plus où l’analyste jouait le jeu du patient qui consiste à remettre la question capitale à plus tard. Et qui peut blâmer soit le patient, soit l’analyste ? (À moins naturellement qu’il puisse exister un analyste qui taquine le poisson psychotique au bout d’une très longue ligne psychonévrotique et espère de la sorte éviter la prise finale grâce à quelque tour que lui jouerait le sort, tel que la mort de l’un ou l’autre membre du couple ou le manque de ressources financières.)

« Supposons donc que patient et analyste désirent réellement l’un et l’autre terminer l’analyse ; mais hélas il n’y a pas de fin si le calice n’est pas vidé jusqu’à la lie, si la chose qu’on craignait n’a pas été éprouvée.4 Et, en fait, une façon de s’en sortir, c’est que le patient s’effondre (physiquement ou mentalement), et cela peut très bien marcher. Pourtant, cette solution n’est pas suffisamment bonne si elle n’inclut pas une compréhension de la part de l’analyste et une compréhension profonde (insight)5 de la part du patient, et, en fait, bien des patients auxquels je pense sont des personnes estimables qui ne peuvent pas se permettre de s’effondrer au sens d’aller dans un hôpital psychiatrique.

« Cet article se propose d’attirer l’attention sur le fait qu’il est possible que cet effondrement ait déjà eu lieu et se soit situé peu après le début de la vie de l’individu. Il faut que le patient « se le rappelle », mais il n’est pas possible de se rappeler quelque chose qui n’est pas encore arrivé,6 et cette chose du passé ne s’est pas encore produite parce que le patient n’était pas là pour que cela lui arrive. La seule façon de « se le rappeler » dans ce cas, c’est que le patient ait pour la première fois l’expérience de cette chose passée dans le présent, c’est-à-dire dans le transfert Cette chose passé et future devient alors une question d’« ici et maintenant », et est ressentie par le patient pour la première fois.7 C’est l’équivalent de la remémoration et cet aboutissement équivaut à la levée du refoulement qui se produit dans l’analyse du psychonévrosé (dans l’analyse freudienne classique). »

Commentaires :

  • 1 cas d’éléments névrotiques comme défense contre des éléments psychotiques (ou certaines addictions par exemple) ;
  • 2 rigidité du contre-transfert du psy dans une collusion avec le patient = « pas touche ! » ou « pas de ça entre nous ! »
  • 3 défusion de la collusion, pour sortir de la dépendance revécue (voir la réaction thérapeutique négative qui est une interprétation contre-transférentielle : « il me résiste ! ») : cela signe une fin de dépendance, soumission, aliénation et un retour du sujet sur le mode de la crise (psychotique) qui indique et répète le mode de réponse qu’il avait trouvé auparavant dans son histoire. En faire une résistance est encore contre-transférentiel puisque c’est la mise en acte d’un fragment d’histoire. C’est cela qui est à entendre.
  • 4 Crainte des deux protagonistes ! (voir les théories contre-transférentielles sur la psychose : morcellement, pas de transfert, il n’y a pas d’autre, on est fou à 100% et 24/24 heures, les débats sur le noyau psychotique, etc.) ;
  • 5 Éprouvé, pas mentalisé, dans son histoire ;
  • 6 Voir Freud : « remémoration, répétition, perlaboration » ;
  • 7 c’est-à-dire qu’il n’y a pas de négation, qui est une reconnaissance intellectuelle sans affects. Ici, c’est éprouvé sur le mode de l’agir puisque ce n’est pas mentalisé.

  1. Prolongements cliniques et théoriques

 

  1. Autres applications de cette théorie

  1. La crainte de la mort.1

Texte :

« Il n’y a pas grand-chose à modifier pour transférer la thèse générale de crainte de l’effondrement à une crainte spécifique de la mort. C’est là d’ailleurs peut-être une crainte plus courante et une crainte qui se trouve absorbée dans les enseignements religieux sur la vie future, comme pour nier le fait de la mort.

« Lorsque la crainte de la mort est un symptôme majeur, la promesse d’une vie de l’au-delà ne parvient pas à apporter un soulagement ; la raison en est que, chez un tel patient, la quête de la mort est une compulsion. Là encore, c’est la mort, qui a eu lieu mais n’a été éprouvée, qu’il cherche ainsi.2

« Keats, alors « qu’il était à demi épris de la mort apaisante[xvii] », souhaitait ardemment, selon la conception que j’avance, l’apaisement qui suivrait s’il parvenait à « se rappeler » que sa mort était passée ; mais pour ce faire, il fallait qu’il ressente l’expérience de la mort maintenant.

« La plus grande partie de mes concepts m’a été inspirée par mes patients, envers lesquels je reconnais ma dette. C’est à l’un d’eux que je dois l’expression « la mort phénoménale ». Ce qui s’était produit dans le passé était la mort en tant que phénomène mais non en tant que fait du type que nous observons. Nombreux sont les hommes ou les femmes qui passent leur vie à se demander si la solution est le suicide, c’est-à-dire envoyer le corps à la mort qui s’est déjà produite pour la psyché. Le suicide n’est toutefois pas une réponse ; c’est un geste de désespoir. Je comprends maintenant pour la première fois ce que voulait dire ma malade schizophrène (qui s’est tuée) lorsqu’elle disait : « Tout ce que je vous demande de faire est de m’aider pour que je me suicide pour la vraie raison et pas pour la fausse. » Je n’y ai pas réussi et elle s’est tuée en désespoir de cause. Son but (tel que je le vois maintenant) était de parvenir à ce que je lui dise qu’elle était morte dans sa petite enfance.3 Sur cette base je pense qu’elle et moi aurions pu la mettre en mesure de retarder la mort du corps jusqu’à ce que la vieillesse réclame ses droits.

« La mort, vue de cette façon comme étant quelque chose qui est arrivé au patient mais que le patient n’était pas assez mûr pour éprouver, a le sens de l’anéantissement. Voici ce qui en est : un schéma [pattern] s’est élaboré où la continuité d’être a été interrompue par les réactions infantiles du patient à l’empiètement, c’est-à-dire aux facteurs de l’environnement que celui-ci a, en raison de défaillances, laissé empiéter sur le développement.5 (Dans le cas de cette patiente, les troubles ont commencé très tôt car il y a eu une conscience prématurée éveillée avant la naissance à cause d’une panique de la mère et, en plus de cela, la naissance a été compliquée par un placenta praevia non diagnostiqué.) »

Commentaires :

  • 1 la mort comme représentation de l’effondrement (du sol par exemple). Freud disait que l’on n’en a pas de représentation puisque l’on n’en a pas d’expérience vécue ;
  • 2 l’angoisse de la mort masque souvent une peur devant la vie (voir le manque à jouir de Lacan, etc.) Soit une angoisse non névrotique disait Freud ;
  • 3 mort de l’infantile, c’est-à-dire de l’auto-érotisme et de la sexualité infantile face aux faillites de l’environnement non contenant ? Que veut tuer le suicide ?

  1. Le vide

Texte :

« Là encore, ce sont mes patients qui m’ont montré que le concept de vide peut lui aussi être vu sous la même optique.1

« Chez certains patients, il est nécessaire que le vide soit éprouvé ; et ce vide appartient au passé,2 à l’époque où le degré de maturité n’avait pas encore permis l’expérience du vide.

« Pour le comprendre, il est nécessaire de penser non pas au trauma mais plutôt que rien ne se passe alors que quelque chose aurait bien pu utilement se passer.3

« Pour un patient, il est plus facile de se rappeler un trauma que de se souvenir que rien ne s’est passé quand cela aurait pu se passer. À l’époque, le patient ne savait pas ce qui aurait pu se passer et il ne pouvait donc pas ressentir quelque chose si ce n’est noter que quelque chose aurait pu être. «

Commentaires :

  • : ce vide est à différencier des élaborations plus tardives (vide oral, anal ou génital) ;
  • : même technique : voir Œdipe à Colone: « maintenant que je ne suis plus rien, j’existe » …
  • : voir le défaut fondamental de Balint, la mère morte de Green, etc. « Quelque chose a manqué – dans mon environnement et donc dans ma relation à lui, et je me suis construit sur ce manque. » Voir aussi l’attente, cette position vidante. Ou encore le ne rien faire qui est actif et épuisant puisqu’il est résistance.

  1. Exemple

Texte :

« Voici, pour illustrer ce point, l’exemple d’un stade du traitement d’une patiente. Cette jeune femme était étendue inutilement sur le divan et tout ce qu’elle pouvait faire, c’était dire : « Rien ne se passe dans cette analyse ! ».

« Au stade que je décris, la patiente avait fourni du matériel d’ordre indirect de sorte que j’étais en mesure de savoir qu’elle sentait probablement quelque chose. Cela m’a permis de dire qu’elle avait éprouvé des sentiments et qu’elle les avait ressentis comme s’évanouissant progressivement, cela selon son mode habituel – mode qui faisait son désespoir. Les sentiments étaient sexuels et féminins. Ils ne se manifestaient pas sur le plan clinique.

« Là, dans le transfert, il y avait moi qui étais (presque) la cause, dans le présent, du fiasco de sa sexualité féminine1 ; lorsque ceci fut énoncé correctement, nous eûmes un exemple dans le présent de ce qui lui était arrivé un nombre incalculable de fois. Dans son cas (pour en simplifier la description), il y avait un père qui, tout d’abord, était rarement présent, puis, lorsqu’il venait chez elle quand elle était petite, ne voulait pas du self féminin de sa fille et n’avait rien à donner à titre de stimulus masculin.

« Or le vide est une condition préalable au désir de recueillir.2 Le sens du vide primaire est simple : avant de commencer à s’emplir. Il faut un degré de maturité notable pour que cet état prenne un sens.

« Le vide qui se produit dans un traitement est un état que le patient essaye d’éprouver,3 un état passé qui ne peut être remémoré sauf s’il est éprouvé pour la première fois maintenant.

« En pratique, la difficulté réside dans ce que le patient redoute le caractère effrayant du vide et qu’il organisera, pour s’en défendre, un vide contrôlé par exemple, en ne mangeant pas ou en n’apprenant pas4 ; ou encore il se remplira sans merci par une gloutonnerie compulsive et ressentie comme folle. Lorsque le patient peut aller jusqu’au vide même et supporter cet état, grâce à la dépendance à l’égard du moi auxiliaire de l’analyste, absorber peut alors apparaître soudain comme une fonction qui donne du plaisir ; c’est à ce moment-là que manger peut commencer à être autre chose qu’une fonction dissociée (ou issue par clivage) en tant que partie de la personnalité ; de la même manière, quelques-uns de nos patients, jusque-là dans l’impossibilité d’apprendre, peuvent commencer à apprendre avec plaisir.

« Le vide est à la base d’apprendre aussi bien que de manger. Mais si l’expérience du vide n’a pas été éprouvée5 comme telle au début, cela devient un état qui est redouté et pourtant compulsivement recherché6. »

Commentaires :

  • 1 le symptôme organise la relation, et il est transféré (névrose ou psychose de transfert), mais il peut aussi révéler un échec de l’attitude de séduction ?
  • 2 Lacan formulait cela en termes de manque. Le vide dépend donc de l’interprétation que l’on en fait selon notre histoire : cela peut être une façon de faire exister le désir ou la présence de l’absent, etc. Du côté du psy, se faire vide pour accueillir (position idéale que certains ont représenté en termes d’utérus) ou le genre neutre. En tous cas le désir du psy est de recueillir, accueillir et non de combler…
  • 3 Voir le poème de Rilke : la Rose ;
  • 4 position active : « je fais le vide //je subis », ou idem à l’inverse : « je fais le plein// je ne le subis pas ». Voir la série : anorexie / boulimie / troubles alimentaires, pour les organisations orales. Idem avec la parole ! Peut organiser des scenarii de vie comme la quête du Graal à condition de ne pas le trouver…
  • 5 Voir la thèse de Masud Kahn et l’Éros qui remplit la nuit vécue comme vide ou absence ;
  • 6 voir les enfants comblés…

  1. La non-existence

Texte :

« La quête d’une non-existence1 personnelle peut aussi être étudiée de la même façon. On découvrira qu’ici la non-existence fait partie d’une défense. L’existence personnelle est représentée par les éléments de projection et la personne s’efforce de projeter tout ce qui pourrait être personnel. Cela peut être une défense relativement complexe ; elle vise à éviter la responsabilité (au moment de la position dépressive) ou éviter la persécution (à ce que j’appellerai le stade de l’affirmation de soi, c’est-à-dire Je suis avec son implication inhérente : je répudie tout ce qui n’est pas moi). On retrouve une bonne illustration dans le jeu d’enfant : « Moi, je suis le roi du château et Toi, tu es le vilain gredin. »

« Dans les religions, cette idée peut apparaître dans le concept de ne faire qu’un avec Dieu2 ou avec l’univers. On peut voir cette défense niée dans les écrits et la doctrine existentialistes, où exister donne lieu à un culte, en tentant par-là de contre-balancer la tendance personnelle à la non-existence qui fait partie d’une défense organisée.

« Il peut y avoir un élément positif dans tout cela, c’est-à-dire un élément qui n’est pas une défense. L’on peut Dire que ce n’est que de la non-existence que l’existence peut commencer.3 Il est surprenant de constater à quelle période précoce une conscience d’un moi prémature peut être mobilisée (même avant la naissance, certainement au cours du processus de la naissance). Mais l’individu ne peut pas se développer à partir d’une racine du moi si celle-ci est séparée de l’expérience psychosomatique et du narcissisme primaire. C’est exactement là que commence l’intellectualisation des fonctions du moi4. On notera à ce propos que tout cela se situe temporellement bien avant que se soit édifié ce quelque chose qu’on pourrait à bon droit appeler le self. »

Commentaires :

  • 1 « bof, à quoi bon, on verra plus tard », etc. Vivre simplement (passivement) ou exister réellement ? C’est la question de DWW qui définit schématiquement le fait de vivre selon un faux-self ou selon son vrai-self. Cela rejoint le projet pindarique de Freud.
  • 2 Pas seulement dans les religions, qui est un déplacement tardif. Il y a les fusions et dépendances infantiles sans cesse déplacées, par exemple sur Lacan ou Freud, et plus fréquemment avec le fantasme du maître) ; dans les situations amoureuses avec le fantasme du « nous ne ferons plus qu’un » et son illustration par Lamartine (« un seul être vous manque et tout est dépeuplé ! »), etc. Soit autant d’aliénations. Voir la théorie du désêtre, du Tao, etc.
  • 3 formulation du vide ici mentalisée en non existence.
  • 4 nous retrouvons ici quelque chose que bien des auteurs ont du mal à accepter chez Freud entre autres, c’est-à-dire le soubassement biologique et neurologique des processus mentaux – ce qu’il a si souvent affirmé – , ce qui du coup leur fait produire le fameux clivage artificiel créé par Platon entre le corps et l’esprit, repris et renforcé par les croyances monothéismes : l’esprit ou l’âme comme autre chose que prolongement biologique, voire, l’humain comme déjà au-delà de l’animal.

Résumé

« J’ai tenté de montrer que la crainte de l’effondrement peut être une crainte d’un événement passé dont l’expérience n’a pas encore été éprouvée. La nécessité d’éprouver cette expérience est équivalente à ce que peut être le besoin de se remémorer dans l’analyse des psychonévrosés. On peut appliquer cette hypothèse à d’autres craintes apparentées ; j’ai mentionné la crainte de la mort et la quête du vide. »

Donc : quelque chose est agi car non mentalisé et répété dans le transfert pour que l’interlocuteur l’élabore et en restitue une représentation au patient.

 

 

 

Notes:

[i] http://www.dundivanlautre.fr/lexique-freudien/deux-affirmations-behauptung-bejahung-joel-bernat

[ii] http://www.dundivanlautre.fr/lexique-freudien/representation-vorstellung-vertreten-joel-bernat

[iii] http://www.dundivanlautre.fr/lexique-freudien/deux-affirmations-behauptung-bejahung-joel-bernat

[iv] http://www.dundivanlautre.fr/lexique-freudien/joel-bernat-les-actes-psychiques-de-negation

[v] http://www.dundivanlautre.fr/lexique-freudien/deux-affirmations-behauptung-bejahung-joel-bernat

[vi] Voir par exemple : http://www.dundivanlautre.fr/sur-freud/joel-bernat-freud-entre-litterature-et-psychanalyse

[vii] C’est le conseil de Freud illustré par le Faust de Goethe. Cf. Faust et le monde des mères in Joël Bernat: «Freud et la ‘fonction Goethe’ » (Comment, et pourquoi, être faustien et goethéen?)

[viii] Voir Joël Bernat: Les actes psychiques de négation

[ix] Voir par exemple : Louis Bolk, « Le problème de la genèse humaine », Rev. fr. de Psychanal., 1961, 25, 243-279.

[x] Voir « Effroi, peur, angoisse » (Schreck, Furcht & Angst) chez Freud (Joël Bernat)

[xi] En anglais : indwelling. Il s’agit ici de la psyché habitant le corps. (N. d. T.)

[xii] Piaget se différencie des deux théories dominantes de son temps :

  • d’une part, l’innéisme qui avance que les structures mentales et idées sont présentes dès la naissance ;
  • d’autre part, l’empirisme selon lequel les connaissances proviennent de l’observation et des expériences sensibles pour s’inscrire dans le cerveau.

Piaget invente une troisième voie, le constructivisme. Selon lui, la pensée se construit à partir de structures mentales existantes qui vont se perfectionner au fil des interactions avec l’environnement. « L’intelligence ne débute ni par la connaissance du moi, ni par celle des choses, mais par celle de leur interaction », écrit-il (Jacques Montangero et Danielle Maurice-Naville, Piaget ou l’intelligence en marche. Les fondements de la psychologie du développement, 3e éd., Mardaga, 2019.) Il pense qu’il y a une similitude entre l’adaptation biologique (l’organisme se transforme sous l’influence du milieu) et l’adaptation psychologique (l’esprit se construit par les échanges avec l’environnement) : « Le développement intellectuel consiste en une adaptation qui prolonge l’adaptation biologique tout en la dépassant (ibid.). »

[xiii] Voir par exemple Joël Bernat: Cheminant, d’appartenances à identité (Appartenances, environnement, identité & migrations)

[xiv] En anglais : Primitive Agonies. Comme il n’existe pas d’équivalent réellement satisfaisant pour agony qui désigne généralement une angoisse extrême, proche du supplice (mais on peut aussi parler d’agony of joy), nous nous en sommes tenus au terme d’agonie. On pensera ici au sens originel du mot : lutte, d’où dérive une angoisse, une agitation de l’âme, une profonde détresse, qui ne sont pas nécessairement liées, comme dans le sens actuel courant, à la mort. (N. d. T.) La jouissance de Lacan ?

[xv] En anglais : self-holding.

[xvi] Voir sur ce site : « Effroi, peur, angoisse » (Schreck, Furcht & Angst) chez Freud (Joël Bernat) & « Effroi, peur, angoisse » (Schreck, Furcht & Angst) chez Freud (Joël Bernat)

[xvii] Half in love with easeful death.

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