Joël Bernat : « Quelques conséquences cliniques du clivage dans le moi » (et les différents courants psychiques coexistant qui en découlent selon Sigmund Freud)

Une illustration clinique du système Perception-Conscience de Freud[i] et les conséquences cliniques du clivage du moi dans la pensée et les théories, tant en général que psychanalytiques [i] Voir : http://www.dundivanlautre.fr/sur-freud/549

« Il y a dans la vie de tout homme, une ‘minute de trop’,

qu’il cherche à racheter à la réalité, quel que soit le prix à payer.

Et ainsi, ce ‘surplus’ de réel se transforme en cauchemar. »

Paul Valéry, Analecta.

 

 

Cette pensée de Valéry, ici mise en exergue, illustre parfaitement ce qui est arrivé à certaines personnes dans une situation particulière : la découverte qu’il y a de l’altérité, de la différence, de l’écart, du « pas comme moi », en tant que source d’une grande angoisse, et donc, à partir de ce moment-là, tous les mécanismes psychiques qui se produisent à fin défensive, et la destinée que cela implique.

L’incurable effroi de Sergueï Pankeïev, l’Homme aux loups

Freud n’a pas publié son texte sur « Le clivage du moi »[1]. La première phrase de cet article en donnait sans doute la raison :

« Pour un moment je me trouve dans cette position intéressante de ne pas savoir si ce que je veux communiquer doit être considéré comme connu depuis longtemps et allant de soi, ou comme tout à fait nouveau et déconcertant. »

Soit une façon de respecter la méthode de Schiller[2] – ou d’Horace – que Freud pratiquait : face à du nouveau et du déconcertant, laisser le temps et l’expérience faire son œuvre de perlaboration et faire l’épreuve de la réalité.

Mais deux faits sont à relever :

  1. D’une part, le contenu de ce court article se retrouve intégré dans l’Abrégé de psychanalyse, écrit la même année[3]:
  2. Et d’autre part, le contenu clinique du texte mérite d’être qualifié, selon les termes de Freud, de : « connu depuis longtemps ». En effet, le cas clinique présenté nous est bien familier puisqu’il s’agit – encore et toujours – de Sergueï Pankeïev, l’Homme aux Loups[4].

Cette constante présence de Sergueï Pankeïev est d’ailleurs remarquable dans les écrits de Freud, qu’il s’agisse de questions techniques, de névrose obsessionnelle, de traits de perversion, d’hallucinations et d’épisodes psychotiques, ou enfin, de télépathie[5]. Qu’un patient puisse, à lui tout seul, présenter autant de manifestations diverses, amène plusieurs considérations :

  1. La clinique de Freud n’est pas aussi rigide qu’une certaine clinique actuelle, par exemple structuraliste[6]; Sergueï souffre, outre de sa névrose obsessionnelle, des conséquences de mécanismes psychiques de négation aussi différents – mais coexistant – tels que refoulements, dénis et rejets, ce qui produit des traits et des processus névrotiques, psychotiques et perverses ;
  2. Sergueï est un exemple fort parlant de toutes les conséquences psychiques de l’effroi de castration. Hanté par ses visions, il a à son tour hanté les divans, notamment deux fois celui de Freud, et hante les textes psychanalytiques. Et s’il fut « incurable », il reste néanmoins une source unique pour la connaissance du fonctionnement de la psyché.

Cette notion d’effroi, qui insiste dans le texte sur « le clivage du moi », mérite d’être définie, du moins, de rappeler sa place, pour Freud, selon sa dernière conception de l’angoisse, à partir de 1920[7] :

– L’effroi[8] (Schreck) est la réaction de détresse psychique du moi face à une situation de danger à laquelle il n’était pas préparé : c’est un état de surprise débordant le pare-excitation, état que le moi, étant sans défenses, subit passivement et donc traumatiquement. Freud a relié cet état à celui de la période d’immaturité du moi, c’est-à-dire le temps de la détresse psychique (Hilflosigkeit) que l’effroi répète et fait revivre ;

– La peur (Furcht) est une première élaboration psychique de l’effroi car elle attribue un objet défini au danger, le figurant ou le représentant : l’effroi est ainsi mis à distance. L’éprouvé est celui du danger lié cet objet et sa proximité, ou bien du danger de la perte de cet objet et donc de sa protection (ce qui est une élaboration plus tardive de l’objet comme bouclier). Avec la peur, le moi est ainsi préparé à la situation de danger. Freud a relié la peur à la phase de dépendance (à l’objet) de la première année, puis à la phase phallique lorsque cet objet est le pénis (et c’est alors le danger de castration). L’objet pénis de même que l’objet loup sont des exemples d’un objet qui a la particularité de regrouper toutes les angoisses et menaces, en une forme de synthèse : le gain est qu’il n’y a plus qu’une seule menace. L’objet a une fonction écran, défensive de par sa place entre moi et le monde externe.

La situation de peur est ainsi une situation où la détresse et le danger sont reconnus, remémorés ou attendus mais sans déborder le moi puisque contenus dans, ou cadrés par, un objet contenant ;

– L’angoisse (Angst) est une nouvelle élaboration qui concerne la peur et donc la préparation au danger : le moi est ici dans une position active, c’est lui qui a la fonction de provoquer l’affect d’angoisse qui est ainsi une alerte et une anticipation du danger, une prévention de la menace que l’objet désormais figure. À ce niveau d’élaboration, la situation de détresse psychique est évitée, ainsi que la menace de perte de l’objet, même si l’affect d’angoisse en porte la trace mnésique. De plus, cette détresse originaire est ici reproduite activement par le moi : il n’est plus débordé et traumatisé (disons, en passant, que l’angoisse n’est pas un mal, une maladie, ainsi qu’une tendance actuelle l’impose, mais un signal d’alarme interne).

Rappelons avec Freud que la première condition introduite par le moi pour déterminer l’angoisse est le danger de la perte de la perception de l’objet (observable dans l’angoisse dite du huitième mois) : c’est cette dimension, pour le garçon, qui opère dans la perception de la différence des sexes : il ne retrouve pas la perception de son pénis (devenu l’objet symbole qui  rassemble toutes les menaces) : c’est alors la condition de l’effroi. Cette perte de la perception sera par la suite assimilée à la perte de l’objet ou sa peur (perte du pénis sous l’effet de la menace de castration) ; l’angoisse est, quant à elle, la réaction au danger que comporterait cette perte, puis à la perte même de l’objet. Ce qui nous donne une série de déplacements :

  • 1°) peur de perdre la perception de l’objet (par exemple l’angoisse dite du huitième mois) ;
  • 2°) peur de perdre l’objet (la perception a été élaborée en représentation) ;
  • 3°) menace de la perte.

Avec ces trois affects (effroi, peur, angoisse), nous avons une illustration du travail d’élaboration de la psyché en organisations successives du système de défense du moi, mettant de plus en plus à distance le danger, le premier pas étant la création de l’objet, entre moi et monde, dans une fonction de frontière, et le second pas étant le déplacement du danger vers la menace. Ce qui illustre le travail progressif et permanent du refoulement (Verdrängung).

Chez Sergueï Pankeïev, dit l’Homme aux Loups, l’effroi de la castration est le résultat d’un lien entre :

  • d’une part le dire de la menace d’une castration énoncée par sa nurse anglaise, menace dont elle inscrit l’opération du côté du père ;
  • et d’autre part, la perception visuelle de la différence des sexes, d’abord chez sa sœur puis chez la bonne.

C’est la menace qui vient, après-coup, produire l’effroi lié à ces perceptions de l’autre sexe. C’est ce qui a été entendu qui donne un poids à ce qui a été vu et cet entendu vient interpréter ce vu. Avant cela, ces perceptions n’étaient que source de constat, d’excitations et de satisfactions.

A partir de cette conjonction du dit et du vu, conjonction nécessaire pour produire l’angoisse de castration, différents courants apparaissent et co-existent dans la vie psychique de Sergueï :

1 : La première réaction psychique de Sergueï à la menace de castration fut le rejet (Verwerfung[9]) de cette menace : mais la perception rejetée (le vu de la différence anatomique des sexes) fera retour sur une autre scène, celle de l’hallucination : hallucination de son doigt coupé, dans une scène où il est avec sa nurse, scène qui répète et reproduit son l’effroi et l’immaturité de son moi d’alors : le sujet est sidéré, pétrifié, sans défenses ; cet aspect a pu donner à penser à certains auteurs que Sergueï était psychotique, mais cela ne peut se soutenir qu’en ignorant les autres courants psychiques que Freud prend soin de nous indiquer[10] ;

2 : La seconde réaction psychique est celle du déni (Verleurnung) : négation portant après-coup sur la perception (celle d’une différence anatomique des sexes) comme si cette perception n’avait jamais existé ; le déni porte donc sur la réalité externe, ce qui permet de maintenir l’affirmation que la femme a, elle aussi, un pénis (ce qui est une autre hallucination qui rend la menace de castration non crédible). Le déni est renforcé par la création d’un objet, le fétiche, créé par déplacement, le transfert de la perception : celle-ci n’est plus centrée sur les organes génitaux féminins mais sur une perception précédente, avant la scène traumatique : par exemple, les fesses proéminentes de la bonne, perception renforcée par surinvestissement grâce à la régression à une élaboration de la période anale (et donc une conception anale du coït). Cette fétichisation permet d’échapper à la peur de la castration puisqu’il n’y a plus de différence anatomique des sexes.

Mais ce qui est dénié fait aussi retour dans une élaboration de forme orale par régression : alors le père n’est plus un agent potentiel de la castration que brandit la nurse si l’enfant continue à satisfaire ses pulsions, le père redevient le dévorateur : Sergueï retrouve son ancienne angoisse d’être dévoré par le père (qui fut élaborée et représentée par le loup au moyen d’un conte, Le loup et les sept chevreaux, et un rêve). Cela produit un symptôme qui reconnaît le danger : être dévoré (castré, coïté) par le père. Un autre symptôme reconnaît aussi la menace : l’hypersensibilité des petits orteils, sur la base des petits bouts de corps détachables (selles, pénis, etc.)

3 : une troisième organisation psychique apparaît, pour le protéger de ces menaces, et grâce à l’identification au précepteur allemand qui remplaça la nurse anglaise, Sergueï développa une position masculine renforcée qui trouva ses objets protecteurs dans le militaire (uniformes, armes, etc.) Ici, la source de la masculinité est une position active de protestation masculine narcissique, par le surinvestissement de l’objet pénis, surinvestissement basé sur la seule opposition fantasmatique : actif et masculin – passif et féminin, opposition symétrique résultant d’un clivage et donc opposition pathologique.

Cet ensemble d’opérations psychiques produit de fait trois courants psychiques coexistants par rapport à la menace de castration :

  • l’un, le plus ancien, rejette la castration (le rejeté fera donc retour dans l’hallucination du doigt coupé) : il n’y a pas de jugement de réalité et Sergueï en reste à une représentation anale du coït. Avec ce courant, il n’y a pas de jugement d’admission de la perception de la différence anatomique des sexes, et ce courant restera le plus profond, inconscient, et déterminera sa position homosexuelle (il n’y a qu’un sexe, le sien). Ce courant produit un clivage, mais entre le moi et le ça.

Les deux autres courants apparaissent suite à un clivage dans le seul moi mais plus tardif :

  • l’un tient la castration reconnue comme fait ; si Sergueï se rebelle en un premier temps, il finit par l’admettre et cela l’amènera à compenser et se consoler avec une fantasmatique masculine de la féminité comme substitut, inscrite par exemple en ses intestins, ou dans le fait d’être touché, équivalent – selon une régression sadique anale – à être châtié, puni, battu sur le pénis, ceci étant fantasmé comme but féminin.
  • l’autre, coexistant par clivage avec le précédent, n’a opéré aucun jugement sur l’existence de la castration : donc, comme si elle n’existait pas.

Sur le clivage dans le moi

Que ce clivage du moi puisse paraître connu depuis longtemps pour Freud est exact, du moins quant au mécanisme. Si nous reprenons quelques écrits antérieurs, par exemple, « Les Psychonévroses de défense[11] » de 1894, Freud remarquait déjà que :

« Le clivage du contenu de conscience était la conséquence d’un acte de volonté du malade, c’est-à-dire introduit par un effort de volonté dont on peut indiquer le motif ».

Et plus loin :

« Chez les patients que j’ai analysés, la santé psychique s’était maintenue jusqu’au moment où se produisit un cas d’inconciliabilité dans leur vie représentative ».

Ainsi, jusqu’en 1938, Freud considérait la névrose comme signe que le moi n’avait pas réussi une synthèse et perdu son unité[12].

Puis, autre exemple dans l’article sur « Le fétichisme[13] » de 1927, où nous lisons ceci :

« Le clivage, dans un de mes deux cas, était la base d’une névrose obsessionnelle moyennement sévère ; dans toutes les situations, le sujet oscillait entre deux hypothèses l’une selon laquelle son père vivait encore et empêchait son activité et l’autre, au contraire, selon laquelle son père étant mort, il pouvait à juste titre se considérer comme son successeur ».

Ce qui convoque un autre obsessionnel, « l’Homme aux Rats[14] » (1908) et :

« (…) l’impression qu’il faisait d’être scindé en trois personnalités : une personnalité inconsciente et deux personnalités préconscientes, entre lesquelles oscille son conscient. Son inconscient englobait des tendances précocement refoulées, qu’on pourrait appeler ses passions et ses mauvais penchants ; à l’état normal, il était bon, aimait la vie, était intelligent, fin et cultivé ; mais, dans une troisième organisation psychique, il se révélait superstitieux et ascétique, de sorte qu’il pouvait avoir deux opinions sur le même sujet et deux conceptions de la vie différente. Cette dernière personnalité préconsciente contenant en majeure partie des formations réactionnelles à ses désirs inconscients, et il était facile de prévoir que, si sa maladie avait duré plus longtemps, cette personnalité là aurait absorbé la personnalité normale »[15].

Donc, dans ces deux exemples, face à la menace de castration Freud relève trois réactions possibles produisant trois courants psychiques :

  1. le renoncement à la satisfaction des pulsions par soumission à la menace ;
  2. la rébellion contre ce renoncement en maintenant les satisfactions pulsionnelles ;
  3. le déni de la réalité qui produit un clivage du moi.

Strachey, à propos du fétichisme, faisait la remarque suivante :

« En fait dans l’Abrégé de psychanalyse, Freud fait une différence entre l’usage de deux termes : le refoulement s’applique à la défense contre les demandes internes pulsionnelles. Le déni s’applique à la défense contre les demandes de la réalité extérieure.[16] »

La défense par le clivage du moi produit deux courants psychiques différents dans le moi (un troisième restant dans l’inconscient suite au clivage entre moi et ça) et coexistant en une sorte de compromis qui, comme le symptôme, va répondre à l’exigence de la réalité externe et à l’exigence interne de la revendication pulsionnelle, en tentant de mettre fin à ce conflit d’exigences :

  • un courant psychique tient compte de la réalité externe et soumet le sujet à cette exigence par la menace, ce qui entraîne le refoulement des exigences internes (pulsionnelles) de satisfaction ;
  • l’autre courant psychique détache le moi de cette réalité externe pénible en refusant après-coup la perception de la différence anatomique des sexes grâce au déni, ce qui permet de libérer le moi du poids de la menace de castration, et la perception déniée est alors inscrite en un autre lieu.

Si le mécanisme du clivage est donc connu depuis longtemps, la nouveauté de cet article, outre la définition du mécanisme de défense, réside en un autre point : jusqu’alors, Freud tenait pour certaine la fonction de synthèse du moi. Mais en 1938, il est amené à énoncer ceci :

« Nous considérons la synthèse des processus du moi comme allant de soi. Mais là, nous avons manifestement tort ».

Ce que Freud avance avec prudence tient en ce que le clivage semble général et non pas exclusif des pathologies connues : il ne faudrait plus le réserver aux seuls psychotiques ou pervers. Dans l’Abrégé, le clivage du moi est généralisé aux névroses, définitivement puisque jusqu’ici, il n’était reconnu que pour l’Homme aux Loups et l’Homme aux Rats. La différence clinique est que tantôt il existe un clivage du moi avec création d’un objet fétiche, et tantôt clivage sans fétiche.

Cette conception du clivage du moi préfigure peut-être ce que, plus tard, Winnicott élaborera en partie en termes de faux et de vrai self.

Face au clivage : le narcissisme et la croyance au « Un » de la synthèse

Face au clivage du moi, il y a des recours pour rétablir l’unité perdue du moi clivé, du moins une illusion réparatrice d’unité.

  1. Une de ces possibilités est liée au narcissisme et sa tendance, sinon son vœu de produire du Un, symbole d’unité face à la menace anxiogène de la division interne et de l’altérité. Et c’est cela qui est connu depuis bien longtemps par Freud, depuis 1914 avec son écrit « Pour introduire le narcissisme[17]». Texte où Freud place, à côté d’une sexualité auto-érotique non liée et partielle, un Éros dont la tendance est à l’unification, à la synthèse dans et par un objet d’amour. Et le premier objet d’amour, ainsi que Jean Laplanche le fait remarquer[18], c’est le moi lui-même, instance qui a ainsi en charge l’unification des pulsions sexuelles (par leur liaison à un objet). Un des prolongements, par déplacement, de cet objet premier sera l’objet pénis pour le garçon.
  2. Il y a des formations psychiques qui suscitent des représentations qui s’opposent au clivage du moi en promulguant des unités de remplacement qui viennent recouvrir l’effet clivant du déni.
  3. Ces formations sont, entre autres, des formations narcissiques, et ce, sous un double aspect : les représentations du moi idéal et celles de l’idéal du moi. Leur point commun est qu’elles énoncent du Un contre le deux du clivage dans le moi.
  4. Nous verrons qu’il y a aussi une pathologie qui le montre clairement, celle de la mélancolie.
  5. Mais, de façon plus « fine », c’est-à-dire plus masquée, il y a toute une clinique du « un contre le deux » du clivage, plus fine dans le sens où elle n’est pas manifestement pathologique selon les critères psychopathologiques habituels, mais qui est pourtant une manifestation pathologique, que Freud estampillait de « dissidence » lorsqu’il la repérait chez ses disciples, et qui se manifeste entre autres dans les « modes de penser ».

Nebenmensch

Du fait de la longue prématuration de l’être humain, une dépendance compose sa préhistoire. Dépendance dont un des aspects est l’instauration de la fonction maternelle (le Nebenmensch[19]) comme moi auxiliaire, c’est-à-dire comme appareil à penser, à contenir et à élaborer les détresses du bébé, comme celles de la mère. Le bébé intériorise peu à peu ces expériences de la fonction maternelle jusqu’à la différenciation de son moi. Mais elles ont composé son sol, son environnement premier. Avant cette différenciation moi / non-moi, le moi du bébé est sans limite par rapport au monde, et c’est peu à peu qu’il se sépare d’une partie de lui, part qui constituera le monde extérieur, de même qu’il se sépare d’une autre part qui, elle, constituera le ça. Notons ce premier constituant narcissique, la fusion avec et dans le maternel, le seconde constituant aura à voir, plus tard, avec la question du tiers séparateur figuré le plus souvent par le père.

Avant cela, du côté du bébé comme du côté maternel, chacun est dans l’illusion nécessaire d’une unité mère – nourrisson. Avec la différenciation, s’inscrit dans la psyché une double direction[20] :

  • celle de la nostalgie (Sehnsucht) et sa tendance à re-fusionner avec la Mère-Univers comme illusion d’Unité moi-monde et corporelle (tendance avivée par exemple avec la souffrance, ou hallucinée comme réalisée dans la jouissance : une retrouvaille du Nebenmensch ?) ;
  • ou bien maintenir la différence, l’altérité, en lien avec l’angoisse de fin du monde, de l’effondrement, ce qui se réaliserait avec l’indifférenciation moi – monde, angoisse au service du maintien d’un moi différencié.

Moi-idéal, Idéal du moi et surmoi

D’où un « jeu » de représentations :

  • la mère imaginaire de l’union qu’elle soit une figure érotique ou théorique (la mère du savoir), ou encore mystique (Grande Déesse ou âme-sœur) ; la Mère Univers est un désir de non-désir (Nirvana), opératrice de fading ou d’aphanisis, c’est-à-dire la dissolution du sujet et des frontières moi / monde dans un but de retrouvaille d’unité, en tout cas d’un état ressenti sans division ;
  • la mère mortifère qui pousse à la séparation donc à l’individuation, mais qui peut être vécue comme perte corporelle et identitaire, c’est-à-dire comme source de division.

C’est le moi idéal qui représente la condition du moi inorganisé d’avant sa différenciation ; cette différenciation produit des frontières mais aussi une séparation, une perte, et nous laissons derrière nous cet état idéal narcissique, tout en aspirant à le retrouver ou y retourner, ce que servent certaines pathologies névrotiques, perverses et psychotiques. Le moi idéal est le lieu du sentiment de toute-puissance et des pouvoirs magiques, en lien avec le ça (le moi est érotisé en tant qu’objet du ça, d’où son éprouvé de toute-puissance et de magie), et représente le narcissisme primaire. Il est la source de fantasmes comme le « retour dans le ventre maternel », « Être-Un-dans-le-Tout », qui figurent une réalisation hallucinée de cet état antérieur et perdu, cet état de Un de la fusion mère – enfant.

L’idéal du moi : si le moi obéit au surmoi par peur de punition, le moi se soumet à l’idéal du moi par amour. Le sujet renonce à une satisfaction pulsionnelle par peur de perdre l’objet aimé et cet objet est absorbé dans le moi et investi de libido, devenant une partie du moi. Le sujet s’y attache et se soumet à ses exigences. Le narcissisme de cet idéal est un narcissisme secondaire[21] :

« La satisfaction que l’Idéal offre aux participants à la culture est donc de nature narcissique, elle repose sur la fierté d’une réalisation déjà réussie[22] ».

Avant la reconnaissance du surmoi par Freud (en 1923), les conflits du moi et de l’idéal étaient considérés comme reflétant l’opposition entre l’extérieur et l’intérieur, entre le réel et le psychique. Cet Idéal du moi « transite » par le complexe paternel et devient le substitut du désir pour le père. Ce qui est le germe de toute religion d’une part, et l’origine d’une conscience de culpabilité d’autre part, en ce qu’il y a une tension, un conflit entre les exigences de la conscience et les performances du moi.

L’idéal n’est pas (du) refoulé, nous sommes sur deux registres radicalement différents : si le refoulé s’inscrit dans le conflit et le clivage entre le moi et le ça pour ce qui est des motions internes, l’idéal est sur une ligne directe idéal du moi – surmoi. L’idéal est pré-censuré, ne relève pas d’une élaboration du sujet, il est étranger à sa vie psychique : il tombe sur le moi. Ce qui convoque, par exemple, la mélancolie.

Le Un de la mélancolie

Dans le manuscrit G du 7 janvier 1895, « La mélancolie[23] », Freud remarque que :

« L’affect qui correspond à la mélancolie est celui du deuil, c’est-à-dire le regret de l’objet perdu. Il pourrait donc s’agir, dans la mélancolie, d’une perte dans le domaine des besoins pulsionnels ».

Bien des années après, dans « Deuil et mélancolie[24] », Freud a constaté :

« que les reproches impitoyables, dont les mélancoliques s’accablent eux-mêmes, s’appliquent en réalité à une autre personne, à l’objet sexuel qu’ils ont perdu ou qui, par sa propre faute, est tombé dans leur estime. Nous avons pu en conclure que si le mélancolique a retiré de l’objet sa libido, cet objet se trouve reporté dans le moi, comme projeté sur lui, à la suite d’un processus auquel on peut donner le nom d’identification narcissique. Le moi est alors traité comme l’objet abandonné, et il supporte toutes les agressions et manifestations de vengeance qu’il attribue à l’objet ».

L’objet perdu de la mélancolie est un objet premier auquel le mélancolique s’unit et se réunit par la culpabilité (« c’est ma faute »), culpabilité qui répète et masque la toute-puissance et l’hallucination du Un ainsi reconstitué. Le mélancolique hallucine la présence de cet objet, en maintient la perception contre la perte, jusqu’à la mort ou le suicide qui se pose comme re-fusion, réunion.

À la mélancolie psychotique, nous pouvons associer des théorisations anti-mélancoliques comme défenses, produisant des utopies, c’est-à-dire recréant cette unité perdue sur une scène imaginaire.

Freud, Victor Tausk et Adolf Häutler, ou le clivage dans les théories

À lire les Minutes de la Société Psychanalytique de Vienne, l’on remarque bien vite la traque permanente de Freud quant à ce qui produirait du Un : que ce soient des théories monistes du fait de ne reposer que sur un seul principe, que ce soient les dérives mystiques, métaphysiques, les visions-du-monde ou l’émergence de principes universels ou de primats.

Pour Freud et certains de ses disciples, il ne pouvait y avoir, dans ces cas, que dissidence par rapport à la démarche psychanalytique (Reitler, par exemple, rappelle que les recherches de Freud n’ont rien à voir avec la métaphysique et qu’Adler développe une conception mystique) et non plus de simples écarts de conceptions théoriques, ce que Freud acceptait ; ses diagnostics étaient, dans ces cas, assez tranchés : problématique narcissique évoluant en paranoïa ou épisodes paranoïaques (Adler, Jung, Rank, etc.). L’on retrouve cette position freudienne face au « sentiment océanique » de Romain Roland, ou face au sentiment religieux, comme résultats de manifestations du moi idéal ou d’idéal du moi dans les conceptions de ces auteurs, selon l’illusion de la toute-puissance de la pensée magique créant du Un.

En 1909, dans le débat qui suit un exposé de Tausk, Freud pointe l’erreur de bien des philosophes, celle d’être dans une logique harmonieuse (il y aurait du Un) ; pur produit de la pensée, cette logique vient nier l’ambivalence fondamentale des êtres vivants, leurs états de conflits. Et Freud de rappeler que cela a son origine dans les tentatives de l’enfant d’établir des liens de causalité dans ce qu’il vit, ce qui est la source des théories sexuelles infantiles, du coup unifiantes[25]. De même, la remarque est faite que les fantasmes paranoïaques ont la particularité de tendre vers une unification, ce qui n’est pas le cas des fantasmes hystériques.

C’est ainsi que le délire est un système (unifiant), comme les grands systèmes philosophiques ou religieux, proposant un principe universel. Et c’est pour cela que la science ne peut qu’être fragmentaire et renoncer à toute synthèse, ce qui est une garantie contre la paranoïa scientifica..

Freud donne l’exemple de Möbius : il remarque que ce dernier décide que ce qui vient en premier c’est l’idée et non la matière, ce qui répond à l’exigence, en Möbius, d’une logique visant la totalité. Dès lors le monde décrit est un cosmos formé selon un plan intelligible, selon un anthropomorphisme, une Weltanschauung (vision-du-monde). La métaphysique est une projection des perceptions endopsychiques, qui donne l’illusion de tout expliquer selon un principe unique.

Cet aspect est développé Adolf Häutler[26] dans sa conférence « Mysticisme et connaissance de la nature », il définit les éléments composants du mysticisme, c’est-à-dire des systèmes créateurs de Un :

  • une tendance à former une unité (monisme, Un, etc.) par refus d’admettre une réalité multiple et variée, fragmentaire. L’unification s’établit par une représentation visuelle (Anschauung) comme dans le rêve et la névrose, ce qui donne un sentiment d’unité, représentation qui est ensuite projetée sur le monde. Le principe « Tout est Un », qui est toujours dans la science européenne, n’a pas été découvert empiriquement ni prouvé par la logique mais hérité de la prédilection grecque pour le logos qui a toujours des influences désastreuses sur la science : par la parole, les Grecs harmonisaient, anthropomorphisaient le monde nature.
  • le concept d’infini est un sentiment religieux du sublime : dieu n’a pas de limites. De là l’essor du mysticisme impliquant un élargissement de la conscience. C’est une vie émotionnelle intensifiée entraînant l’essor de l’intelligence comme symptôme pathologique (le cas Jung par exemple).
  • quand le mystique s’éveille de sa béatitude et revient à la sobre réalité, il est contraint, par un sentiment des contraires (l’éprouvé de la fusion et celui de la réalité), à construire, par la cogitation, le monde sur deux sensations opposées, par exemple le chaud et le froid : puis ce principe est théorisé, systématisé, projeté de la vie émotionnelle sur le monde. À cela s’oppose le concept d’harmonie qui vise l’abolition de tous les contraires.
  • le concept de causalité vient des compulsions religieuses, des rites : toute faute entraîne une conséquence, selon un principe non empirique mais analogique, appliqué au monde.

Nous avons là les ingrédients qui sont la source de conceptions mystiques ou de croyances religieuses, de visions-du-monde, c’est-à-dire de systèmes créant du Un contre le clivage du moi ; mais ce sont les mêmes ingrédients qui composent les délires paranoïaques, ce qui fera dire à Freud qu’il y a un fond commun entre paranoïa et métaphysique, c’est-à-dire les systèmes philosophiques spéculatifs. Un autre aspect est celui de la pensée comme symptôme qui peut, exactement comme un fétiche, créer du Un contre le clivage, et se développer en système, s’embellir sans cesse et refuser toute mise en question de même que tout effet de la réalité. Nous sommes dans le champ des pathologies narcissiques, de l’exigence narcissique d’unité alliée au souhait de synthèse du moi. Ce mode de penser recourt à l’animisme, et l’illusion de la toute-puissance magique de la pensée.[27]

Quelques conséquences du clivage dans certaines théorisations de la psychanalyse

Le fantasme du Un, est un fantasme narcissique qui vise à un impossible, en s’opposant au clivage du moi et à tout jugement d’existence de l’altérité ou de la différence. Ce n’est pas un hasard si, avec la dérive jungienne dans ce fantasme à partir de 1912, Freud écrit en 1914 « Pour introduire le narcissisme », et sa suite un an après, « Pulsions et destin des pulsions[28] » où il montre l’arrimage narcissique de ce fantasme du Un ; fantasme qui fit retour avec le « sentiment océanique » de son ami Romain Roland, ce qui entraîna une nouvelle suite élaborative dans les premiers paragraphes du Malaise dans la civilisation.

L’élaboration secondaire du fantasme, produit peu à peu une théorie (qui promeut du Un ou du Tout) et donc une vision-du-monde, un principe universel ou une métaphysique. Ainsi ce qui fut le fantasme narcissique d’une personne peut devenir un idéal collectif, imposant sa forme aux participants de cet idéal. Les idéaux sont des valeurs magnifiées par investissements narcissiques imaginaires, par identification narcissique : on est dans l’allégeance, la soumission. Cette allégeance s’assortit d’une identité de pensée, source de fanatismes.[29]

Présence de ce fantasme, et donc du déni qui l’initie, dans certaines théorisations psychanalytiques « prises » dans les formes de pensée qui amènent des primats[30], qu’ils soient clairement énoncés ou cryptomnésiques ; ainsi rencontre-t-on des « tout est » au sens où ce Tout produit du Un : tout serait sens, ou langage, ou sexuel, ou fantasme, etc. Ces formes défendent la croyance en un primat, l’existence du Un comme principe universel, qui réaliserait un idéal narcissique ou la nostalgie de la fusion ou plus précisément du temps de la non-séparation : un objet-mot qui aurait pouvoir de refouler la composition polymorphe de notre psyché et son clivage. Par exemple :

  • Tout est fantasme, base théorique de Jones et surtout de Mélanie Klein ; l’on voit bien qu’une telle préconception, au-delà d’un déni de l’altérité, dénie les autres formations inscrites dans le système Perception-Conscience.
  • Tout est langage, affirmation de Lacan qui vient dénier l’acte perceptif inconscient, les voies d’élaboration de l’imaginaire comme porteuses de l’élément rejeté, le jugement d’attribution et la dimension d’acte psychique, de perception ou de négation. Le dénié fait retour en théorie sous des formes telles que celle de l’objet a. comme reste énigmatique, etc.
  • Tout est sexuel dénie les formules de négation de Thanatos et l’on peut relire la lettre de Freud à Claparède[31] quant à cet énoncé qu’il accorde à Jung. La libido devient une force universelle, et disparaissent les formules de négation du fantasme, négation qui fait retour sous la forme d’une désexualisation progressive de la libido.
  • Tout est transfert ainsi que certains le postulent mais cela n’est valable que pour l’autre… ce qui donne au psy un sentiment de toute-puissance de sujet supposé savoir en transformant toute expression en névrose de transfert par exemple et d’être bien abrité dans cette certitude qui lui fait omettre ses propres transferts ! Ce qui créé un clivage. C’est oublier les travaux, entre autres, de Rosenfeld[32].
  • Le monisme de certaines théories prônant ainsi qu’il y a du Un, un principe premier et de base, en opposition, justement, au dualisme freudien Éros-Thanatos, aux fondements physiologiques. Pensons au Un de la psyché sous les formes d’un primat, par exemple celui du moi dans l’egopsychology ou du ça dans la théorie de Groddeck, du traumatisme de la naissance pour Rank ou l’infériorité d’organe pour Adler, autant d’hypothèses a priori « qui commanderait le tout » selon l’expression de Freud, soit des généralisations.

Freud n’a cessé de dénoncer cela comme étant incompatible avec la démarche analytique, et pour en donner encore un exemple, nous reprenons la mise en garde qu’il inscrit dans « Pour introduire le Narcissisme » (mais est-ce là un hasard ?) : « une théorie spéculative des relations en cause se proposerait avant tout de se fonder sur un concept défini avec vigueur. Pourtant voilà précisément, à mon avis, la différence entre une théorie spéculative et une science bâtie sur l’interprétation de l’empirie. La dernière n’enviera pas à la spéculation le privilège d’un fondement tiré au cordeau, logiquement irréprochable, mais se contentera volontiers de conceptions fondamentales nébuleuses, évanescentes, à peine représentables, qu’elle espère pouvoir saisir plus clairement au cours de son développement, et qu’elle est prête aussi à échanger éventuellement contre d’autres. C’est que ces idées ne sont pas le fondement de la science, sur lequel tout repose : ce fondement, au contraire, c’est l’observation seule. Ces idées ne constituent pas les fondations mais le faîte de tout l’édifice, et elles peuvent sans dommage être remplacées et enlevées[33]. »

L’animisme et la toute-puissance magique de la pensée, servent donc au moins deux intérêts :

  • la nostalgie du narcissisme primaire représentée par le moi idéal, ou bien les idéaux du moi qui en sont une forme plus élaborée, en supprimant l’écart moi – monde, pour une fusion comme fin utopique des angoisses et des énigmes du monde externe de la réalité.
  • le vœu de maîtrise par la synthèse du moi qui se manifeste par la tendance à l’unification (supprimant la différence, l’altérité radicale de l’autre), échappant ainsi à tout éprouvé de castration et de clivage internes.

Mais la réalisation – toujours hallucinatoire – de ces vœux équivaudrait en même temps, de façon ambivalente, à une dissolution du moi, ce à quoi il résiste : d’où les éprouvés d’angoisse et d’inquiétante étrangeté par exemple.

En conclusions

Le clivage du moi (qui s’ajoute au clivage entre moi et ça) inflige une blessure au Narcissisme que celui-ci ne cesse de tenter de combler, entre autres, avec le fantasme du Un, du retour dans le ventre maternel : être un dans le regard (de Dieu ou de l’autre), au sein de la vérité, de la théorie, etc. Un autre destin de cela, ainsi que Freud l’indique, est la religion, qui promet la réalisation de ce fantasme, et la métaphysique : s’élever à un principe universel et invisible. Faire Un permet de croire éviter la fameuse blessure narcissique, celle qu’après Copernic et Darwin, la psychanalyse inflige à l’être humain : il n’est pas Un, il n’y a pas de Un, nous sommes multiples et en une forme de mosaïque.

Un autre aspect sur lequel insiste Freud a des conséquences cliniques importantes : dans la clinique freudienne, il n’existe pas, évidemment, de pensée structuraliste, ce qui signifie qu’il ne peut pas exister de noyau névrotique, psychotique ou pervers. D’autant plus que la notion de noyau est au service de la pensée qui produit du Un. Freud a assez insisté pour défendre le fragmentaire.

S’il n’existe pas de noyau unifiant la vie psychique, en revanche, comme le montrent les cas cliniques que Freud convoque, et au-delà de la seule organisation obsessionnelle, la vie psychique est composée de multiples courants défensifs et représentatifs, courants qui relèvent d’élaboration à des âges différents et donc résultant de mécanismes défensifs différents. Mais ces courants co-existent et composent donc la multiplicité psychique.

C’est le regard clinique qui peut donner à croire qu’il n’existe qu’un courant, et donc qu’il y aurait du noyau ou de la structure Une, et cela en scotomisant les autres aspects de la vie psychique (c’est un clivage mais projeté sur l’autre). Au même titre qu’une pathologie, fut-elle celle de la psychose, ne fonctionne pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ni n’envahit la vie psychique à cent pour cent. Ce sont des croyances, des visions-du-monde que le clinicien plaque sur la réalité psychique de l’autre, oubliant la sienne propre.

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En résumé :

La situation « originaire » (il peut y en avoir plusieurs, qui se cumulent) : un événement se produit que le moi infantile, donc inachevé, ne peut traiter : il éprouve un débordement, une effraction : cela définit la situation traumatique comme résultat d’un effet quantitatif d’excitations non liées, c’est-à-dire non élaborées.

A partir de là, on relève deux approches théoriques :

  1. certains regardent l’objet qui est pensé supposé contenir en lui-même les ingrédients traumatogènes et anxiogènes (c’est une position actuelle, par exemple dans les DSM) ;
  2. d’autres pensent la situation en termes de lien, de relation à l’objet : l’objet n’est plus qu’un miroir ou un écran des projections de la réalité psychique et donc une surface où vient se répéter, secondairement, quelque chose d’autre et d’ancien, non traité, et donc l’accent est porté sur cette réalité psychique qui ainsi s’exprime. Cela est illustré par les études sur les névroses de guerre.

L’approche 1 est une approche défensive qui permet aussi de dénier toute réalité psychique en argumentant une réalité réelle…

Et il y a donc à dissocier un danger réel et un danger névrotique (dans l’exemple d’une catastrophe, on peut observer cette double dimension : il y aura l’effet réel, immédiat, en lien avec l’externe, et les effets psychiques, donc internes, peuvent apparaître bien plus tard).

Le clivage comme défense se produit lorsque :

  1. il existe une situation de satisfaction habituelle de la pulsion par le moi ;
  2. puis qu’il arrive une expérience nouvelle, externe et donc perçue ;
  3. cette nouvelle situation figure une menace par rapport à la satisfaction pulsionnelle, ce qui amène le moi à produire un choix, sur le mode du conflit (« ou l’un, ou l’autre ») :
    • ou bien se soumettre au danger « réel » (qui en fait n’est qu’une interprétation) et renoncer à la satisfaction pulsionnelle ;
    • ou dénier la réalité pour préserver la satisfaction.

(La problématique de la castration[34] est exemplaire : malgré le vu de la différence anatomique qui n’a pas d’effet sur une différence psychique, il faut un dit qui vient interpréter le vu pour que se produise une menace de castration, du coup tenue comme réelle ; voir aussi Tausk (puis Aulagnier) et le destin, par exemple, dans l’aliénation, de ce jeu du vu et du dit, sous la forme de cette alternative fondamentale : « ou je crois ce que je vois, ou je crois ce que l’on me dit »).

L’enfant a tendance à choisir « l’un et l’autre », c’est-à-dire en cherchant un symptôme de compromis entre :

  • continuer à satisfaire l’Anspruch[35] pulsionnelle (l’exigence interne),
  • et obéir à la Forderunf[36] de la réalité externe ou du surmoi.

Ces deux réactions persistent et créent un clivage dans le moi, définitif, ce qui met fin à la croyance théorique en une fonction synthétique du moi.

Un exemple clinique : la menace verbale par la mère (voir les c’est-à-dire du petit Hans ou l’Homme aux Loups) est traitée, comme une interprétation (qui donne donc sens, et donc ce qui donne ce poids de « réel » mais en termes de réalité psychique), une interprétation de la différence des sexes mais qui du coup n’est plus anatomique mais psychique. Et que la mère en attribue la mise en acte au père, « érige » celui-ci en puissance castratrice (puis donc phallique, surmoïque) – sauf que l’on ne sait pas de quel père elle parle, si c’est celui de l’enfant ou le sien, ce qui est le plus fréquent : elle transmet donc sa menace de castration.

Le danger est dans la réalité psychique, il prend poids de vérité : psychique[37].

La production de ce clivage va créer, de façon schématique, deux courants :

  1. soit la soumission, l’obéissance, à la menace (c’est-à-dire prédominance du dit), et une obéissance par peur ;
  2. soit la production d’un symptôme compromis, la création d’un objet fétiche :
    • grâce au déni de la réalité de la castration (par exemple, pour le garçon, maintenir la croyance que la mère/femme a un pénis – halluciné) ;
    • ce qui sauve et préserve son propre pénis – puisque tout le monde en a un ;
    • le fétiche est créé par le déplacement de l’investissement sur une autre partie du corps (par contiguïté le plus souvent : la scène juste avant le vu de la différence – culotte, chaussure, etc.) ;

Cela traite le perceptif, celui du dit et du vu ; reste à traiter l’angoisse :

  • en créant un symptôme: l’angoisse devient, représente, la menace de  la punition par le père ;
  • et en opérant une régression (pour renforcer le tout) : de la castration à l’angoisse orale de dévoration par le père (puis, comme dans la phobie de Hans, un autre déplacement encore, du père au cheval).

Cela produit donc la coexistence de plusieurs courants psychiques (voir supra chez Sergueï). Pas seulement dans ce cas puisque nous dit Freud, le clivage du moi ne concerne pas seulement les psychoses mais aussi les toutes névroses[38]. Ce qui est un ancien constat chez Freud, comme il le rappelle dans le même T. XX, à la p. 15 par référence à sa lettre à Fliess du 16-IV-1900 : « il y a un compromis entre la maladie et la santé que les malades eux-mêmes souhaitent, et que pour cette raison le médecin ne doit pas accepter. » Ce que l’on voit en tension dans le cas de l’Homme aux Loups par exemple p. 18, ou chez l’analyste, p. 20.

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[1] Freud S., (1938) « Le clivage du moi dans les processus de défense », Résultats, Idées, Problèmes, Tome II, P.U.F. 1985.

[2] Dans son article sur « Quelques différences psychiques de la différence anatomique des sexes », Freud indique qu’il serait bien de suspendre une publication neuf ans selon le conseil d’Horace, le temps de la perlaboration et de l’épreuve de réalité, c’est-à-dire le temps de psychanalyser une pensée, ce qui est franchement bien rare… : « Il fut un temps où je n’étais pas de ces gens qui ne peuvent conserver par-devers eux ce qu’ils supposent être une nouveauté, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé confirmation ou justification. L’interprétation des rêves et le Fragment de l’analyse d’une hystérique (le cas Dora) je les ai réprimées, si ce n’est neuf ans selon la recette d’Horace, au moins quatre ou cinq ans, avant de les livrer à la publication. »

Voir aussi, sur la méthode de travail et de pensée de Freud : Joël Bernat, Transfert et pensée (La transmission de pensées en psychanalyse), collection « Perspectives Psychanalytiques », Bordeaux, L’esprit du temps – P.U.F., octobre 2001, 313 p.

[3] Freud S., Abrégé de psychanalyse, P.U.F. 1967, pp. 78-82.

[4] Voir l’analyse de Henri Rey-Flaud, in Comment Freud inventa le fétichisme… et réinventa la psychanalyse, Payot 1994, aux pages 336-338.

[5] Voir, entre autres textes de Freud :

(1913) « De la fausse reconnaissance (« déjà-raconté ») pendant le travail analytique », La technique psychanalytique, P.U.F. 1972 ; (1914),

« Extrait de l’histoire d’une névrose infantile : l’homme aux loups », L’Homme aux Loups, P.U.F. Quadrige, 1990 ;

(1927) « Le fétichisme » in La vie sexuelle, P.U.F. 1969, 133-138 ;

Pour la télépathie et le cas Forsyth, voir

Maria Torok in « L’occulté de l’occultisme. Entre Sigmund Freud et Sergueï Pankeïev-Wolfman », Confrontation, Télépathie, n° 10, Aubier 1983,

et le texte de Freud, (1932) « Le rêve et l’occultisme », in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard 1984.

[6] Clinique qui, après avoir clivé névrose, psychose et perversion, s’est vue forcée, pour pouvoir toujours penser, de « trouver » de nouvelles formes : psychose hystérique, phobo-obsessions, etc.

[7] Voir « Effroi, peur, angoisse » (Schreck, Furcht & Angst) chez Freud (Joël Bernat)

[8] Voir « Au-delà du principe de plaisir », in Essais de psychanalyse, Payot 1981, p. 50, et Inhibition, symptôme et angoisse, P.U.F. 1971.

[9] http://www.dundivanlautre.fr/lexique-freudien/joel-bernat-les-actes-psychiques-de-negation

[10] Il y eut en effet, dans les années quatre-vingt, des querelles d’écoles psychanalytiques qui s’opposaient et se différenciaient en argumentant que l’Homme aux Loups était névrosé, ou psychotique, ou pervers, ou même état-limite. Pour de telles affirmations et se justifier, chaque école isolait un fragment du texte…

[11] Freud S., « Les psychonévroses de défense : essai d’une théorie psychologique de l’hystérie acquise de nombreuses phobies et obsessions et de certaines psychoses hallucinatoires », Névrose, psychose et perversion, trad. fr. J. Laplanche, Paris, PUF, 1973 ; OCF.P, III, 1989.

[12] Freud S., (1925) « Dostoïevski et la mise à mort du père », Résultats, idées et problèmes, II, trad. fr. J.-B. Pontalis, Paris, PUF, 1985, pp 163 sq. ; OCF.P, XVIII, 1994.

[13] Freud S., « Le fétichisme », in La vie sexuelle, trad. fr. D. Berger, Paris, PUF, 1969 ; OCF.P, XVIII, 1994.

[14] Freud S., « Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle (l’Homme aux rats) », in Cinq psychanalyses, trad. fr. M. Bonaparte, R. M. Loewenstein, Paris, PUF, 1966 ; OCF.P, IX, 1998 ; Freud S., L’homme aux rats : journal d’une analyse, trad. fr. E. Ribeiro Hawelka, Paris, PUF, 1974.

[15] Mes italiques.

[16] Strachey, James (1989). “Editor’s Note” in Sigmund Freud: An Outline of Psycho-analysis, London, UK, W. W. Norton & Company, pp. 3–8.

[17] Freud S., « Pour introduire le narcissisme », in La vie sexuelle, trad. fr. J. Laplanche, Paris, PUF, 1969 ; OCF.P, XII, 2005.

[18] Laplanche Jean, Entre séduction et inspiration : l’homme, P.U.F. 1999.

[19] S. Freud (1895), Projet d’une psychologie, Lettres à W. Fliess 1887-1904, Paris, puf, 2006, p. 626sq.

[20] Voir Lou Andreas-Salomé, « La double direction du narcissisme » in L’amour du narcissisme, Gallimard 1988.

[21] Voir Herman Nunberg, Principes de psychanalyse, P.U.F 1957, pp. 135 & 155.

[22] Freud S., « Avenir d’une illusion », op. cit., p. 153.

[23] Freud S., La naissance de la psychanalyse : lettres à Wilhelm Fliess : notes et plans, trad. Fr. A. Bermann, Paris, PUF, 1991.

[24] Freud S., « Deuil et mélancolie », in Métapsychologie, trad. fr. J. Laplanche, J.-B. Pontalis, J.-P Briand, J.-P. Grossein, M. Tort, Paris, Gallimard, 1968 ; OCF.P, XIII, 1988.

[25] Les premiers psychanalystes, Minutes de la société psychanalytique de Vienne, T. II, Gallimard 1978, séance du 24. XI. 1909, pp. 323-332.

[26] Les premiers psychanalystes, Minutes de la société psychanalytique de Vienne, T. I, Gallimard 1976, Séance du 20.III.1907,  p. 166 sq.

[27] Freud S., Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, trad. fr. M. R. Zeitlin, Paris, Gallimard, 1984 ; OCF.P, XIX, 1995.

[28] Freud S., « Pulsion et destin des pulsions », inMétapsychologie, trad. fr. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Paris, Gallimard, 1968 ; OCF.P, XIII, 1988.

[29] Voir Freud S., « Psychologie collective et analyse du Moi », Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1972 ; OCF.P, XVI, 1991 ; Margueritat D., « Le phallus a-t-il un sexe ? », Le fait de l’analyse n°2, Moi, Ed. Autrement 1997.

[30] Voir Jean Laplanche, Problématiques V, P.U.F. 1987. Indiquons aussi le dernier ouvrage de Rosolato Guy, Les cinq axes de la psychanalyse, P.U.F 1999.

[31] Freud S., « Lettre à Édouard Claparède », in Le Bloc-Notes de la psychanalyse, trad. fr. J. Moll, n° 1, 1983 ; OCF.P, XV, 1996. http://www.dundivanlautre.fr/sur-freud/freud-lettre-a-edouard-claparede-1920

[32] Voir Herbert A. Rosenfeld, Impasse et interprétation, PUF 1990.

[33] Freud S., (1914) « Pour introduire le narcissisme », in La vie sexuelle, Paris, PUF 1972, p. 84 sq.

[34] Mais aussi l’angoisse de castration (in « Angoisse et vie pulsionnelle ») comme menace contre la capacité de ré-union des sexes (supprimer la différence, l’altérité par une (re)fusion hallucinatoire – voir le mythe d’Aristophane dans le Banquet de Platon, “Le mensonge partagé” de RM Brunswick sur ce site – ou encore, la castration comme répétition, dans la scène de la différence anatomique des sexes, et déplacement d’une scène antérieure de ce qui serait premier : l’état d’avant la différence moi – non moi, un état éprouvé après-coup comme fusion (état indifférencié), unifié et supposé sans tensions (au moins celles de la division). Cf. par exemple le désir « d’être défoncée » c’est-à-dire détruite imaginairement : ce qui est détruit momentanément ce sont les frontières du moi = retour vers l’indifférencié = donc ré-union, re-fusion, cela par défaut lorsque la capacité de jouissance est barrée.

[35] Voir http://www.dundivanlautre.fr/lexique-freudien/exigence-externe-exigence-interne-forderung-anspruch-joel-bernat

[36] Ibid.

[37] Pour ce qui est de l’écart entre vérités réelle et psychique, pensons à la formule de Monod : le vrai n’est pas forcément l’exact.

[38] Abrégé, pp. 300-302, T. XX des OCF-P.

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4 réponses à Joël Bernat : « Quelques conséquences cliniques du clivage dans le moi » (et les différents courants psychiques coexistant qui en découlent selon Sigmund Freud)

  1. R. Bonnellier dit :

    Bonjour,1) pourriez-vous m\’indiquer où exactement #page?# dans son livre de 1999 #votre note 18# Jean Laplanche dit selon votre texte: \ »Et le premier objet d’amour, ainsi que Jean Laplanche le fait remarquer[18], c’est le moi lui-même\ » ? J\’aimerais regarder dans quel contexte il dit cela et / ou comment il le dit afin de situer dans sa théorie #Théorie de la séduction généralisée posée en 1987# sa position quant au narcissisme / moi objet d\’amour #Freud, 1914#. J\’ai un peu cherché dans le texte \ »Les forces en jeu dans le conflit psychique\ » vers la p. 138, mais si ce que vous écrivez est votre interprétation résumée d\’un passage dans Laplanche, je m\’interroge…2# Encore à élaborer de ma part et de ce fait, peut-être pas très clair d\’autant que cette idée est inhabituelle dans ce qui se dit en général sans se poser de question: vous passez je crois à une sorte de \ »1er objet\ » que serait toujours \ »la mère\ » pour le moi narcissique de l\’enfant ayant à se scinder de la \ »fonction maternelle\ » opérant comme \ »moi auxiliaire\ » / Nebenmensch #cf p. 138 chez Laplanche: / identification narcissique à l\’ \ »objet total\ »? # Dans mon questionnement #qui se cherche, ce n\’est pas très clair, ai-je dit#, à l\’encontre d\’une certaine doxa, je ne vois pas pourquoi \ »narcissiquement\ » #dans quel narcissisme: \ »primaire\ »?# je devrais me sentir obligée théoriquement d\’avoir à ne pas douter que le \ »1er objet\ » doive être automatiquement la \ »mère\ » ? Je n\’en suis pas si sûre \ »narcissiquement\ »! Pour un homme de sexe masculin, et dans la théorie freudienne intervient le complexe d\’Œdipe \ »classique\ » sur le seul modèle 1er du \ »garçon\ » et du primat du phallus, donc la mère, toujours la mère comme 1er objet dont il ne s\’agit surtout pas de changer pour que \ »ça\ » marche… C\’est la doxa. Or l\’identification sexuelle masculine doit être narcissique par identification au grand homme qu\’est le père au niveau de l\’idéal-du-moi #narcissisme secondaire#. Et la fille #en filiation daughter / Tochter, non pas en \ »genre\ » girl ou Mädchen qui est d\’abord un \ »petit garçon\ » pour la doxa#, elle a obligation de s\’identifier narcissiquement à la \ »mère\ » #du garçon de la théorie en fait dans la culture # en genre sexué pour être une \ »femme\ » qui convienne dans la \ »différence des sexes\ »? Tout ça est très pratique pour l\’homme afin qu\’il soit bien sûr de son identité sexuelle dans une civilisation patrilinéaire selon l\’identification primaire au père / parents #parents pour la variante qui ne change rien# de l\’histoire personnelle de notre garçon modèle ; il pourra faire l\’économie de \ »qu\’est-ce qu\’une femme\ » en la mettant d\’office du côté \ »mère\ » comme objet dont il est supposé ne pas avoir à changer… Et ça permettrait même à Laplanche de ne rien changer à la théorie de l\’Œdipe #C\’est l\’Œdipe du seul garçon modèle qui a son point d\’impact au complexe de castration dans le narcissisme comme objet d\’amour chez Freud en 1914 au moment de la formation de l\’idéal du moi !# sauf une avancée importante: il déplace l\’Œdipe #du garçon donc: si je traduis pour moi# hors du noyau de l\’ics comme refoulé après 2000 dans sa théorie: l\’Œdipe et la castration ne sont plus que des codes du socius pour attribution de genre sexué et « aide à la traduction » du « message compromis avec l’inconscient de l’autre #adulte# ». En reste : 3 questions pour Lp #Laplanche Sexual, 2007, voir : l\’idéal-du-moi, le féminin, la bisexualité http://www.dundivanlautre.fr/individu-sujet-identite-institution-masse/roseline-bonnellier-sexe-et-genre-en-psychanalyse-reflexions-sur-le-texte-de-jean-laplanche-le-genre-le-sexe-le-sexual-dans-sexual-2007#. Je tends surtout à relier les 2 questions de l\’idéal-du-moi et du féminin, l\’histoire de la bisexualité ne m\’intéresse pas trop jusqu\’alors ou je n\’y comprends rien à moins de réciter le catéchisme de la \ »bisexualité\ » naturelle, je me dis que c\’est en tant que femme qu\’elle ne m\’intéresse pas trop et que c\’est une question qui doit intéresser l\’homosexualité masculine plutôt dans l\’Œdipe négatif du garçon, quelque chose comme ça… Et comme l\’Œdipe de la doxa et du mythe culturel de l\’homme qui la supporte, dit que la petite fille se doit d\’être d\’abord un petit garçon en théorie, elle peut s\’en arranger et arranger l\’homme avec afin qu\’il n\’ait pas à changer d\’objet maternel… Sûrement ce n\’est pas très catholique ce que je vous raconte, et je n\’en ai pas encore fait un livre jusqu\’alors…

    • Joel Bernat dit :

      Bonjour !
      1 : P. 138, Laplanche cite la thèse de Freud (« Pour introduire le narcissisme ») : un investissement libidinal venant du ça est à la base du moi, qui est donc à ce moment-là un premier objet d’amour/libidinal, ce qui crée le narcissisme primaire. Laplanche dit « libidinal », Freud dit « amour ». C’est idem.
      2 : je me suis mal exprimé : non pas la mère réelle ni anatomique, le nebenmensch est le premier être à être là et assurer une fonction dite maternelle, cad soignante. En général la mère, mais il serait donc plus précis de dire : « fonction maternelle », mais même là, il y aura des gens pour dénoncer cette expression comme supposée « réduire le rôle effectif des mères ». Nous ne sommes pas dans un monde anatomique, nous parlons ici de vie psychique. Un bel exemple de Nebenmensch : la caisse à roulettes que Konrad Lorenz offre comme « mère » aux petites oies qui la suive.
      3 : je ne sais pas d’où vient cette doxa dont vous parlez et je trouve qu’elle interprète les choses d’une curieuse façon. Freud n’a jamais écrit que la petite « se doit » d’être d’abord un petit garçon. Dans ses écrits faits avec les premières psychanalystes femmes autour de lui, c’est bien une indifférenciation fille – garçon qui est affirmée et répétée. Qu’il existe une discours névrotique chez les hommes qui, pour se protéger de la menace de castration en eux, affirme depuis leur enfance qu’il n’y a qu’un seul sexe, le leur, c’est une évidence. D’en faire une doxa me gène beaucoup et permet certainement autre chose.
      4 : l’élaboration de la fonction du père ne fait que reprendre celle précédente de la fonction maternelle, voire parfois à l’identique, à l’instar du surmoi version paternelle ne fait que reprendre – et occulter – le surmoi maternel. C’est une élaboration psychique perpétuelle souvent au service du trajet de refoulement, et c’est du psychique qui n’a que peu à voir avec l’anatomique.
      Merci pour le commentaire !
      JB

  2. Roseline Bonnellier dit :

    Merci pour votre réponse. Je crois que mon commentaire, je veux surtout parler de la seconde partie, était largement trop précipité par rapport à votre texte, et le mot « doxa » maladroit, d’autant qu’il a fait écran semble-t-il auprès de vous.J’avais été « accrochée » par le passage correspondant à la note 18 parce qu’il me faisait m’interroger sur la question du narcissisme chez Laplanche dans le cadre de la théorie de la séduction généralisée, puis à partir des années 1990 et après 2000 (dans « Sexual » 2007), sur laquelle j’ai travaillé ces derniers temps (cf. R. Bonnellier, « Entre copernicisme et ptoléméisme. Comment poser la question la question du moi du point de vue topique? » dans H. Tessier & C. Dejours, Narcissisme et « sexual » dans l’œuvre de Jean Laplanche, Puf, mars 2020, p. 295-328). NB: pour votre note 18 renvoyant à la p. 138, le narcissisme « comme un investissement libidinal « du moi » etc.: non, le mot « ça » ne s’y trouve pas. Il figure toutefois à la p. 137 précédente où Laplanche le reprécise au passage dans le cadre de la TSG. En tous les cas, et bien que je regrette la précipitation de mon commentaire précédent, la relecture de votre texte m’a remise en mouvement de pensée. Bien cordialement. Roseline Bonnellier

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