Berta Roth : « Par téléphone »

Berta Roth est psychanalyste, Créatrice des Formes Scéniques, Metteur en scène. Elle est ancienne membre des jurys du Centre de Formation et Recherche psychanalytique (C.F.R.P) ; ex membre actif de la Société psychanalytique Freudienne (SPF) ; membre d’Espace analytique.

C’était le temps du Coronavirus, appelé aussi Covid-19, ou bien le temps du confinement.

Urgence de mettre en ordre des idées et aussi de mettre de l’ordre tout court. Arriver, peut-être, à retrouver ce qui était à l’origine des projets, vu que dans cette situation tout devait être « confiné ». Récupérer alors le mouvement, ne pas se laisser engloutir… Et le travail. Comment continuer à faire ce qui était si encadré dans le temps et dans l’espace.

La durée du « confinement » n’est pas précisée. Comment savoir alors ce qui nous attend quand ce n’est plus la finance (c’est ce qui est dit), qui a la main mise sur nos vies, non plus les guerres fratricides ou les moins fratricides (ont-elles été arrêtées ?) mais un virus duquel on n’a pas la moindre représentation, si ce n’est sa capacité de confiner quasiment toutes les populations de la planète.

Jusqu’il y a seulement quelques jours, c’était la situation « climatique » qui allait faire disparaître ce qu’il reste de l’humanité. Actuellement c’est « le virus » qui rend l’humanité impuissante. Où est-ce à l’envers ? Le virus serait le produit de cette humanité aux abois ? Le fait est qu’il fallait décider si oui ou non j’allais interrompre les consultations ; jusqu’à nouvel ordre.

Depuis le début je travaille comme psychanalyste dans des institutions psychiatriques et en consultation privée. Et ce, dans différents pays, dans différentes langues, avec des coutumes différentes, dans d’autres cultures. Tous ces vécus m’ont conforté dans mon hypothèse de travail. À savoir, qu’on est un organisme subjectif.

Depuis toute jeune clinicienne, héritière de la pensée Freudienne, je proclame haut et fort que, si bien la psychanalyse a comme colonne vertébrale la parole, il y a tous les autres langages, aussi valables et nécessaires pour le travail de la cure, surtout quand la parole n’advient pas dans la séance. Je pense à la parole qui dit, et non pas à la parole qui parle pour ne rien dire sur ce qui est. C’est pour insister sur le fait qu’il est nécessaire de faire travailler dans la séance tous ces langages, produit du fonctionnement de l’appareil perceptuel, sensoriel. Qu’il faut les interroger afin que ce qui reste reclus puisse advenir[1].

À l’époque, c’était dans les années 70, ma formulation était considérée soit comme folle, soit tombait le dictat : « Ce n’est pas de la psychanalyse…ça ! » fermant portes et fenêtres à toute pensée. On n’ignore pas que la pensée confinée existe aussi.

Pour la docte psychanalytique il est question d’écoute, d’entendre, et non pas de faire dans la séance. Une confusion qui persiste, me semble-t-il, entre les concepts d’agir et de faire. Une confusion qui condamne, par avance l’idée qu’il existe, entre les partenaires de la cure, une dynamique en spirale qui intègre, non seulement tous les sens de l’appareil perceptuel, mais aussi tous les langages dont l’humain dispose pour communiquer ce qu’il veut, ce qui lui échappe, ce qui a été censuré, refoulé, proscrit. En définitive, ce qui enferme la vérité sauvegardée, censurée pour toutes les raisons qu’on aura à découvrir tout au long de la cure ; pour ne pas dire, tout au long de la vie.

De quoi le binôme transfert-contretransfert serait-il donc fait, si ce n’est du vécu, de la manière dont chacun des partenaires de la cure, analyste et analysant, ont été traversés par leur propre histoire, par leur propre subjectivité organique ?

Si les traces qui ont amené Freud à écrire sa « Métapsychologie » sont négligées, il est difficile de se poser la question de pourquoi il s’est attardé plus de quatorze ans pour la faire publier. Était- ce parce qu’il devait reprendre l’organisme comme point de départ de la subjectivité humaine, lui qui voulait se séparer de la pratique médicale ? Ce qui est étrange c’est la manière dont cet héritage n’a pas été considéré par les analystes en général, retenant l’« écoute » comme l’unique outil de travail. C’est-à-dire, négligeant tous les autres langages, tous les autres aspects, tous les autres sens concernés par le parcours neuronal. Un parcours décrit et dessiné par Freud lui-même dans sa « Métapsychologie ». Un parcours qui rend difficile de penser à séparer l’expérience sensorielle de l’expérience organique dans sa globalité. Et le cerveau, depuis quand serait-il séparé du reste de l’organisme ? Comment séparer le pulsionnel de l’organisation fantasmatique, imaginaire ? Pourquoi faire alors de la pensée, des seuls mots, les signifiants d’une histoire aux dépens de connaître l’origine de ces mots, d’où viennent-ils, comment se sont-ils organisés. Qu’est ce qui a fait que, malgré tout ce qui est écrit dans la Métapsychologie, toutes les observations faites sur la conduite manifeste des patients de Freud, leurs gestuelles, etc. soient rarement interrogés, travaillés[2] ? En donnant au verbal cette suprématie, il me semble qu’on oublie l’importance essentielle du travail des sens et des manifestations de l’appareil perceptuel dans le développement de la parole.

Je pense être une digne héritière de Freud. Cela ne m’a jamais empêché de « discuter » avec lui, d’essayer de comprendre sa démarche, son argumentation, mais aussi ce qui a pu créer des conflits avec ceux qui l’ont suivi. Je pense à Ferenczi, à Adler. Bien qu’héritière de par mon histoire personnelle de l’empire Austro-hongrois, rien ne m’a empêché de me positionner dans un autre espace géographique, dans un autre moment de l’histoire, une autre génération, etc. etc. C’est pour dire que, si bien j’adhère définitivement à l’importance de mettre des mots sur ce qui génère ou a généré la difficulté de vivre pour quelques-uns, la nécessité d’aller à la rencontre de ce qui se dit, autrement que par les mots, ne m’a jamais abandonnée. À savoir, l’importance de considérer l’aspect perceptuel qui guide l’ouïe et aussi son entendement.

J’avais 17 ans lors de ma première cure psychanalytique à Bs. As. Argentine. D’autres ont suivi plus tard dans d’autres pays, dans d’autres langues, dans d’autres cultures. Ça a été de même pour mon travail de psychanalyste. Avec chacune de ces rencontres j’ai fait des apprentissages. Entre autres, celui-ci : même quand on croit partager la même langue avec le patient, on se trompe. Mais cela fera partie d’un autre travail.

A la lumière de ce qui va suivre, je voudrais soulever deux moments de mon histoire psychanalytique. Le premier concerne ma première cure.

C’était l’époque où, en Argentine, régnait la pensée et la théorie de Mélanie Klein. Il fallait passer par là « sine quoi non ». À l’époque, comme je l’ai déjà dit, j’avais 17 ans. Si j’ai fait recours à cette discipline, c’était parce qu’on m’avait dit qu’il existait la possibilité d’aller parler avec quelqu’un ; cela s’appelait la psychanalyse. J’ai décidé donc de demander un rendez-vous comme on le fait pour aller chez le dentiste quand la douleur de la dent vous fait très mal. C’est pour dire que j’ignorais tout ce qui était un cadre, la psychanalyse et tout le reste. Une fois « dedans », je me rappelle d’avoir entendu sans cesse le mot fantasme. Ce mot avait pour moi quelque chose de très mystérieux. Inutile de dire, pour ceux qui connaissent dans « leur peau », le mutisme de certains analystes, j’ai dû me débrouiller avec.

Il s’avère que, à un moment donné, je suis tombée malade avec l’impossibilité d’aller à mes séances. Je les ai reprises quelques semaines plus tard. Le temps de la maladie je devais être alitée et je m’ennuyais. Sans m’en rendre compte, je construisais des petits animaux avec des papiers argentés, ceux qui enveloppent les cigarettes à l’intérieur des paquets. J’étais très fière du résultat connaissant mes faiblesses pour les activités manuelles. C’est ainsi que, quand j’ai pu retourner à ma séance, j’ai offert à mon analyste l’une de mes « créations ». Sa réponse a été la suivante : « Si, quand vous m’aimez, vous me faîtes des cadeaux, le jour où vous allez me haïr vous allez me donner un coup de couteau »

Inutile de dire que la seule chose que je pouvais faire c’était de me sentir exclu de son champ. N’empêche, cette situation a sans doute fait son chemin, jusqu’à donner ses fruits dans la rencontre avec mes patients. Surtout en ce qui concerne les deux mots dont il a été question auparavant : Agir et Faire dans la séance.

L’autre situation, comme je l’ai annoncé, c’est dans un tout autre ordre. À l’époque où j’ai rencontré le Docteur Pichon Rivière j’ignorais complètement qu’il était un éminent psychanalyste et psychiatre (j’ai écrit là-dessus dans mon dernier ouvrage « On est son corps dédié aux gens de la scène »). J’ai demandé à le rencontrer parce qu’on m’avait dit que ce monsieur était un grand connaisseur de théâtre.

À ce moment j’étais en plein essor dans ma carrière de comédienne et de danseuse, et voulais mettre en scène une pièce de théâtre de Fernando Arrabal. J’étais fascinée par cette pièce de théâtre, mais je n’y comprenais rien. Je voulais donc lui demander conseil.

Après lui avoir exposé ce qui m’arrivait, il m’a proposé la chose suivante : « Quand tu songes à cette pièce, mets sur une grande feuille de papier tout ce qui te vient, le nom de quelqu’un, une musique, une photo, une image, un morceau de papier…peu importe. Et puis, au fur et à mesure tu les colles à la place qui te vient. » Il m’avait proposé ce que je ne savais pas jusqu’alors, de faire un collage, un montage avec des matériaux hétérogènes.

Dans ma fonction de psychanalyste cela m’a confortée dans ce que, d’une certaine manière, était avancé par Freud : on est un organisme subjectif fait d’éléments hétérogènes.

Dans « La Forme de l’Inconscient- entre l’écoute et le regard[3] », j’ai écrit que, à défaut de la parole dite, il est nécessaire de traiter certaines situations, les interroger dans le langage ou cela apparaît.

Pour le faire, il fallait reconnaître la difficulté pour l’analyste d’avoir à se déplacer de sa place de savoir-sachant. C’est ainsi parce qu’on ne sait rien sur ce qui échappe par ce biais à la censure, qu’on n’a rien d’autre à faire qu’interroger, au lieu d’essayer de comprendre ou d’interpréter. Il s’agit, plutôt, de faire dire au patient ce qui se donne à voir, à sentir, à entendre autrement que par des mots. À savoir, l’expérience « sensible », sensoriel, affective dans le sens de Freud ; le résultat de « l’innervation d’organe ». En nommant l’expérience vécue dans la séance, la reconnaissance du parcours pulsionnel, il est tout à fait probable que la mémoire de la blessure surgisse et puisse être reconnue comme l’origine du vécu traumatique. Celui qui, dans le temps, s’est transformé en un mythe, créateur de répétitions.

Si l’on peut résumer ainsi, il est question de réunir le contenu de l’expérience sensorielle avec la conceptualisation que l’on a fait pour séparer les deux registres. Et ce, pour que dedans-dehors puissent se réunir et que la narration puisse rejoindre le ressenti.

« Par téléphone », c’est le titre que j’ai donné aux séances qui vont suivre. J’ai toujours refusé des séances par téléphone, ainsi que d’autres modalités, hormis le séjour établi dans le contrat initial, à savoir un espace physique, des horaires et des honoraires. Cela dit, ce cadre traditionnel correspond aux séances en cabinet de consultation puisque, comme il a déjà été signalé, mon travail ne s’est jamais réduit à mon cabinet. Chaque endroit institutionnel et chaque nouvelle situation a mérité, de ma part, d’organiser des cadres en accord avec ses particularités.

Au moment où il était clair que se déplacer nécessitait une organisation particulière, j’ai décidé d’interrompre les séances. Nonobstant, à cause du déroulement de sa cure (très difficile), j’ai pensé que cela méritait, si F. le souhaitait, de lui proposer de faire des séances par téléphone.

C’est alors que j’ai mis en place un outil que j’avais utilisé auparavant avec certains patients dans une institution dite psychiatrique.[4] Le seul fait d’avoir à utiliser des espaces différents que les habituels, ne me paraissait avoir beaucoup d’intérêt. Par contre, il était possible d’entrevoir que l’utilisation d’un autre outil que celui de la seule écoute pouvait donner lieu, dans cette circonstance inattendue, à d’autres séparations improbables jusqu’à ce moment-là.

Je vais maintenant, avant de passer au déroulement continu des séances, rendre compte de la manière d’opérer.

Le jour, à l’heure de la séance, le téléphone sonne, c’est le patient qui appelle. Après le bonjour, ou le bonsoir je donne une consigne ; la seule. Je demande au patient de se munir d’une feuille de papier, de préférence grande, et d’un stylo ou d’un crayon. L’exercice consiste, au même temps que le patient dit « ce qui lui passe par la tête, ou ailleurs », à laisser faire le crayon sans regarder ce qui s’inscrit dans la feuille. Et cela sans décoller de la feuille, à aucun moment, la pointe du crayon. Si cela arrive il faut me prévenir. J’interviens seulement pour donner une autre consigne si nécessaire. Cela peut se produire parce qu’il y a eu un mot qui m’a surpris, ou parce que je n’ai pas bien entendu. On peut alors reprendre ce qui a été fait, ou bien reprendre l’exercice mais dans un autre endroit de la feuille. À cause de l’interruption je peux demander alors au patient de regarder son gribouillis-écriture, qu’il fasse une lecture de ce que il ou elle voit. Pour finir, je lui demande de mettre un nom ou un mot sur la page. La séance est alors finie.

Les titres qui seront notés dans l’entête de chaque séance, c’est les mots que le patient-patiente aura mis sur sa feuille.

Je rappelle que, comme toujours, dans mes présentations cliniques, je tiens à ce que l’anamnèse du patient n’apparaisse pas.[5]

Bérénice = La mer tumultueuse.

Dans ce qui était dit par F. (c’est comme ça que je vais nommer le patient), c’était la douleur déniée jusqu’alors, produit d’une séparation. Cette douleur, retenue pendant de longues années est apparue dans cette séance. En reliant certains points de sa « carte de géographie » (c’est comme cela qu’avait été nommé son dessin), lui avait permis de relier le texte de Bérénice, la pièce de théâtre de Jean Racine, avec la douleur de cette séparation.

Beurk-la tache

Beurk (comme un signe de dégoût) était ce que F. avait vu se représenter sur sa feuille. Des formes qui lui donnaient l’impression d’être acculé par le nazi qui l’habitait. Le nazi qui représentait sa famille de « collabos » ; des notables, selon ses mots, dont il était « impensable, insupportable d’avoir à se séparer ».

Quand je lui ai demandé ce que lui produisait voir le mot Beurk sur son dessin, la réponse à son ressenti était : « comme un vomi, une tache » qui détruisait ce qui était perçu comme « bon ».

Dans cette situation, où il est question de mettre des mots sur des formes graphiques, on pourrait dire que c’est « du brut » qui est advenu, sans conceptualisation ni rationalisation. C’était un bruit, des sons sortis comme venant de loin pour dire, peut-être, l’horreur d’avoir à faire se rencontrer ce qui le faisait vomir et ce qui était ressenti comme bon.

Je précise. En faisant intervenir le travail des sens, le but est que le patient arrive à réunir ce qui persiste à rester séparé (ce qui est conceptualisé, rationnalisé), et le ressenti physique, sensoriel.

Il faut rappeler que le vomi, les vomissements ont été l’un des symptômes de F. et que, à la place d’un diagnostic possible, « l’anorexie » par exemple, je préfère penser à la valeur du symptôme comme une manifestation langagière, comme l’explicitation d’un conflit qui se déploie entre ce qui ne peut pas se dire et ce pourquoi on ne peut pas le dire. Autrement dit, j’entends le symptôme comme une manifestation de la censure. Une forme qui se donne à voir, à entendre, à toucher, etc. etc.

Si chaque symptôme est un conglomérat, la synthèse d’un ramassis d’éléments hétérogènes fixés dans la prime enfance, c’est dans la monstration, la reproduction, la répétition que ces éléments vont se signifier. Et ce, dans la négation de l’irréversibilité du temps et du changement dans l’espace. « Beurk » à la séparation, « beurk » au devenir. La lecture qui avait été faite me donnait à penser que dans la monstration du conflit entre rester collé malgré soi, ou se séparer de la mystification familiale (des notables, des racés…), il pouvait y avoir une issu.

Malgré le fait que ce conflit avait été travaillé longuement dans les séances habituelles, c’est l’absence physique de l’analyste (je reviendrai sur la valeur de l’espace physique), et le regard que le patient a dû déposer sans détour sur sa feuille que, on pourrait le dire comme ça, la « matérialisation » du conflit a pu se représenter.

Il faut signaler que, au moment où l’ombre du symptôme, le vomi, avait fait son apparition dans le discours de F., la pointe du crayon (ou du stylo) a traversé le papier. De la lecture de ce premier « gribouillis », le mot qui avait été écrit était « Liberté ». J’ai demandé alors de tourner la feuille et de continuer à dire ce qui venait. C’est le mot « Beurk » qui est revenu sur cet autre dessin. D’un côté de la feuille il y avait donc le mot « Liberté » et de l’autre le mot « Beurk ».

Quête, traversé, cimes, tourbillon, trou-profondeur

Chacun des mots signalés dans l’entête correspondent à différents dessins (il y en a eu quatre). Pour les deux premiers, je suis intervenue pour suspendre l’ « écriture ». C’était à cause d’un mot qui m’est apparu intéressant dans le contexte où il avait été dit. Le troisième fut interrompu suite à un mot qui avait été dit et au fait que le crayon se soit détaché de la feuille (n’oublions pas que la consigne était de ne pas décoller la pointe du crayon.).

Approcher ses gribouillis-dessins-écritures, et les décrire, avait produit chez F., selon ses mots « une chute dans des profondeurs…Une chute sans fin ».

Jusqu’alors, tout ce qui était du ressenti était considéré comme mauvais, inutile, sans intérêt. Seuls les mots étaient valables parce qu’ils étaient séparés des sensations. Cela correspondait, selon F. à l’éducation reçue : « séparer ce qui était bien d’être pensé de ce qui était mal ». Ce qui donnait comme résultat l’équation suivante : toute expérience sensible risquait de produire une rencontre possible avec un autre que lui. C’était donc : « Beurk ». C’est ce qui sortait de sa « profondeur ». Comment contrecarrer le pouvoir que F. donnait aux gens de sa famille au point de dire : « Je veux croire que des notables, des gens de ma famille ne meurent pas. En restant avec eux je suis protégé, je suis rassuré de ne pas mourir ».

« Vivre engage en outre l’être individuel dans l’aventure de l’Être même » écrit François Cheng dans Méditations sur la mort[6]. Il écrit aussi : « Chaque moment de notre vie est un élan vers la vie. »

C’est Rilke qui vient à ma mémoire : « Meurs et devient ». « Les racines sont à la fois le lieu de la mort et de la naissance ».

Tourbillon

Après description, le mot « tourbillon » était représenté par un trou. Un trou sans fond qui « tirait » F. ver le bas ». (C’étaient ses mots).

D’après ce que j’avais déjà entendu auparavant dans des séances « habituelles », l’idée de se décrocher de son mythe familial, signifiait pour F. l’abandon, la solitude, la vieillesse, la déchéance, l’EHPAD. Une espèce de tirade que F. « récitait » périodiquement et qui finissait, presque toujours par les mêmes mots « Je n’aime pas la vie ». La mort était toujours représentée par la figure d’un nazi qui prescrivait, ordonnait, rassurait et dont la vie de F. dépendait. La descente dans « le trou » n’augurait rien d’autre que la chute vertigineuse vers la mort.

Mère-Noyée

Cette séance avait démarré avec l’évocation d’un réveil « mitigé ». Avant d’ouvrir les yeux, tout en s’embrassant, F. s’entendait dire : « je t’aime, je m’aime ». Le destinataire de ces mots était sa mère. Mais elle était absente et la phrase lui revenait.

Sur le premier dessin le mot inscrit était : Mère.

Je lui ai proposé d’entreprendre un autre dessin, dans un autre lieu de la feuille.

Au départ, je l’ai entendu appeler sa mère avec la voix d’un bébé. Puis après, suite à un long silence, j’ai entendu comme une voix lointaine qui disait « Je suis occupée ». Toujours avec la voix d’un bébé, F. essaie de l’attirer, pleure, crie, hurle pour finir par s’endormir tout en larmes. J’avais été frappée par le ton de la voix.

Je pense toujours au contretransfert comme un outil précieux pour repérer ce qui se trame dans le transfert. Au cours de cette partie de la séance, j’avais l’impression que quelque chose de la voix que j’entendais touchait au plus intime de mon ventre et qu’elle venait d’un endroit clos. C’était toujours la voix d’un bébé qui semblait se débattre pour ne pas se noyer. J’ai alors entendu F. dire : « Je voulais vivre ».

J’ai demandé à F. de mettre un mot sur sa feuille. Le mot que F. a écrit était : « Noyé ».

Nuage-Perte

A la lumière de la séance passée me vient l’injonction de Goethe après son expérience très douloureuse au terme d’un amour désespéré : « Meurs et deviens ».

Le mot « Tourbillon », écrit sur l’un des dessins semblait indiquer, d’après les mots de F., que la perspective de toucher le fond de soi, se séparer du roman familial était inadmissible. « En se séparant on perd ce qui brille, donne notabilité, de l’argent. Même si cela me mène contre un mur, me séparer de ça c’est ma perte ».

Malgré l’effort d’éviter toute attente ou désir pour les patients, il y a des moments où l’on ne peut pas ne pas être déçu. Après avoir entendu lors d’une séance précédente : « Je veux vivre », je me disais que quelque chose pouvait se passer d’autre que la répétition de son « jeu » favori, celui de la roulette russe « A la vie à la mort ». En effet, après s’être débattu pour ne pas mourir, rien de ce vécu n’avait été évoqué ; même pas le souvenir de s’être senti « rempli », « élargi ».

En évoquant l’intérêt possible de cet « espace autre », surprenant et méconnu que j’ai proposé « par téléphone », il me revient cette phrase de Hölderlin : « Tendre vers l’Ouvert ». Il écrit : « Ouvert c’est l’espace infini qui contient la mort mais qui n’est pas entravé ni clôturé par la conscience de la mort. »

Dans ce qui a été rapporté, il semble que F. n’a pas conscience de la mort comme faisant partie de la vie, mais la mort qu’il faut conjurer. Et cela peut se faire en tuant les autres, tous les autres, de préférence les « inferieurs ».

Toujours dans le même ouvrage[7] François Cheng écrit : « Vivre engage l’être individuel dans l’aventure de l’Être ». Il semblerait que pour F. la voie pour atteindre « la vie qui devient », même s’il l’a souhaité, est obstruée par tout ce que signifie pour lui l’idée d’envisager « la séparation ».

On se demande parfois pourquoi on choisit dans le parcours de certaines cures de dire ou de ne pas dire, ou bien pourquoi choisir le silence à la place d’une interprétation.

Mes argumentations de pourquoi j’avais proposé à F. cette démarche « par téléphone » ne me semblent pas suffisantes. Je perçois que, avoir proposé un « autre espace », offrait la possibilité à F. d’être seul face à son dilemme. En ce sens, réduire le fil du téléphone à un lien ombilical me paraît bien insuffisant. Par contre, se retrouver « séparé » de la présence physique de l’analyste (l’ayant utilisé souvent pour la destituer, la dénigrer), dans un autre espace physique que celui des séances ordinaires, se retrouver face à ses propres figures fantasmatiques dessinées sur des feuilles avec des mots écrits dessus, allait pouvoir « démasquer » la terreur de vivre, pour ne pas mourir. Mais ça, c’est encore une interprétation ; ou un souhait ?

Mélange

Il me semble avoir oublié de préciser un autre aspect des consignes. Il était question que F. ne regarde pas ses feuilles entre les séances.

J’ai commencé celle-ci par demander quels étaient les mots qui avaient été inscrits sur les feuilles utilisées la séance antérieure. Le mot « nuage » est venu très vite à la mémoire. Par contre « comme par hasard » a dit F., j’ai oublié le second. En lui demandant d’associer avec son souvenir, le mot « perte » est apparu.

J’ai demandé à F. de prendre une grande feuille et d’écrire dans n’importe quel endroit les deux mots : « nuage » et « perte » en utilisant n’importe quel type de calligraphie. Une deuxième consigne a été de tracer des lignes qui pouvaient réunir ces deux mots et de le faire le plus spontanément possible, vu que F. devait alors regarder sa feuille et ce qui se dessinait. Après avoir décrit toutes les figures qui sont apparues, je lui ai demandé d’écrire, de manière à occuper toute la feuille, le mot qui surgissait. Le mot qui a été écrit était « mélange ».

À travers sa description sur ce qu’il y avait sur la feuille tout semblait, en effet, mélangé. Le haut, le bas, supérieur, inférieur, notables, pecnots (c’était les arabes, les gros, les pauvres) enfin, tout ce que jusqu’alors était à mépriser était mélangé. « Je me sens bien gardé », a dit F. après sa lecture.

À ce moment je me suis « bien gardée », de demander où était « le nazi », celui qui lui donnait des ordres ; vers quelle « supériorité » F. devait s’orienter. Je lui ai demandé alors s’il était possible de parler de son ressenti. Les mots que j’ai entendus étaient « soulagé », « détendu », « léger », et aussi le mot « réuni ».

La question que je me suis posée était la suivante : en se mélangeant, en délaissant la primatie de son « être supérieur », en « perdant son fantasme », serait-il possible d’envisager « l’entrée » d’un autre dans sa conception du monde, à savoir : l’altérité. Est-ce que, en acceptant que le bien, le mal, le supérieur, l’inférieur, l’opaque et le brillant, l’amour et la haine, pouvaient se mélanger, serait-il faisable pour F. de prendre conscience de son angoisse face à la réalité de sa propre mort, donc de sa propre vie ?

François Mauriac, alors secrétaire perpétuel de l’Académie Française, avait dit un jour en regardant le paysage un soir de printemps : « Et dire qu’il faut laisser tout cela ! »[8]

Moi Toi-Tout Autre

J’ai l’impression de commencer à oublier, moi aussi, certains mots. Je ne prends pas de notes. Pour faire ce travail, sans connaître le lieu où cela se passe ni les dessins-écriture que je ne verrais jamais, je dois me remettre à la mémoire des mots entendus dans un espace où celui qui parle est absent physiquement. Un espace où, ce qui va donner sens aux mots dits par le patient sont ses gribouillis.

Un deuxième dessin a débordé sur le premier, et le u de Tout s’est imprimé sur le premier gribouillis. Le mot « perdre » est alors réapparu dans le discours de F. C’était pour dire que perdre et péter étaient construits avec les mêmes signes dans un ordre différent. Des pensées arrivaient au galop mais je n’ai rien dit. Par contre, j’avais l’impression d’assister à une scène macabre qui se voulait « rigolote » où, péter et perdre pouvaient se conjuguer de la même manière (il est probable que le film de Visconti « Les damnés » est venu pour « illustrer » ce que je ne pouvais pas voir). F. disait souvent : « Ma famille c’est des notables. Les officiers allemands l’ont reconnu quand mes parents les avaient hébergés ». J’avais l’impression que, à la seule idée de perdre, de se séparer de son mythe, par le ton de sa voix surgissait l’envie de détruire, de péter.

Dans cette séance « téléphonique », d’après ce qui avait été décrit dans les gribouillis, quelque chose de binaire paraissait se dessiner. F. l’expliquait ainsi : « le bon est détruit par le mauvais », « le mauvais termine toujours par triompher sur le bon ».

Quand je lui ai demandé pour son ressenti (il s’agit toujours du ressenti physique, je ne suis nullement intéressée à ce qu’on entend couramment par l’émotion, le sentiment, etc.) F. a dit : « De l’avoir dit, je me sens plus libre, plus plein. Je peux aussi reconnaître que j’ai peur de l’autre, ce qui est en dehors de moi me fait peur ».

Il est vrai que dans toute cure il y a l’expérience de « l’instant ».

Il s’avère que dans la manière d’opérer des séances qui sont décrites ici (le travail de les transmettre au lecteur est une tâche bien difficile), je considère l’instant comme ce laps de temps extrêmement court, presque une fulgurance, où se dévoile le réel. C’est comme la lumière qui aveugle l’esclave de Platon quand il est obligé de sortir de sa cave depuis le temps passé sans voir le jour. Cette référence m’est utile pour évoquer ce qui peut se produire chez le patient à l’instant même où le dessin-écriture- gribouillis, « révèle » ce qui se cache, ce qui est « forclos ». Cela ressemble à un sursaut qui réclame, dans l’ici et maintenant et sans s’attarder, que le mot ou les mots qui viennent soient dits. C’est comme « une instance de l’être » – comme l’écrit François Cheng- quand l’incessante quête de soi dans le monde rencontre soudainement un écho et tout semble se révéler d’un coup. « L’instant – c’est toujours François Cheng- sa durée a le gout d’éternité ». Il reprend alors Rimbaud : Elle est retrouvée Quoi ? L’éternité C’est la mer allée Avec le ciel.

Il n’a pas échappé au lecteur de ces pages que les mots sensation, ressenti (soit le résultat de la conjonction entre le mot qui advient et la sensation physique que ce mot a produit) ont été posés à F. en forme de question.

Abîme

Cette séance a commencé par la narration d’un épisode familial. Le mot « carnassier » est apparu pour nommer celui qui faisait souffrir terriblement un autre. F. a dit se reconnaître dans cette manière d’agir, et a ajouté que, dès que quelque chose de sa propre angoisse lui était « intolérable, insupportable », lui prenait l’« envie de malmener quelqu’un, de préférence quelqu’un de gentil, de cordial à son égard ». F. disait son envie de « le torturer, de l’insulter ; c’était sa manière de se décharger ».

Une fois que sa manière d’exister a pris un nom, je lui ai demandé de prendre une feuille de papier et un crayon. Pendant le temps du dessin, la voix de F. est devenue plus calme, plus sereine, quasi méconnue ; une voix plus « ample ».

A un moment donné je lui ai dit de lâcher le crayon, et de démarrer un autre dessin sur la même feuille. Je lui ai demandé, s’il lui était possible, de parler à partir du ressenti quand l’envie d’anéantir l’autre se présentait. Je l’ai interrompu quelques minutes après pour lui demander de regarder ses deux dessins. A la vue des deux dessins, j’ai entendu comme une exclamation pleine d’étonnement : « Ah ! ». Je lui ai demandé de dire ce à quoi correspondait cette exclamation. « C’est que cela n’a rien à voir l’un avec l’autre. Le premier est espacé comme des vagues silencieuses, c’est large, c’est calme, c’est agréable à regarder. Le deuxième est comme moi quand je ne pense qu’à tuer, à massacrer. Il y a des pointes, des carrés, c’est dur, crispé ; c’est noir ». F. s’est mis alors à raconter un rêve. « Mes dents tombaient et devenaient de la poussière. Ça ne faisait pas mal parce que rien ne touchait les racines ni les petites pointes qui restaient ». F. a associé avec le fait d’être lui-même une pierre, de se défaire comme les dents qui se transformaient en poussière. « C’était presque libérateur ».

Ensuite, je lui ai demandé de mettre un mot entre les deux dessins. Le mot que F. a écrit était Abîme : « sauter du premier dessin jusqu’au deuxième m’est impossible ».

J’évoque ici Chateaubriand quand il écrit : « C’est par la mort que la morale est rentrée dans la vie : la conscience de la mort ».

Guépard

Cette séance a démarré par le souci pour un familier qui avait été maltraité par son conjoint. À la suite de la séance antérieure F. reconnaissait avoir malmené, maltraité, des personnes de son entourage.

Je lui ai demandé s’il était possible de raconter un épisode où sa maltraitance pouvait être en évidence. La réponse a été que non, aucune situation de ce type ne lui venait à l’esprit.

Je me suis souvenue d’un épisode tragique au Mexique. Ce pays vit sur des volcans, et les tremblements de terre se succèdent avec plus ou moins de gravité. Il y a vingt ans ou plus, l’un des tremblements de terre s’était produit dans un quartier pauvre de la ville. Des centaines de personnes ont succombé sous les décombres. Il avait été signalé depuis longtemps le risque que se produise ce cataclysme.

Des veillées se sont suivies pour rendre hommage à tant de victimes. On m’a rapporté que, en allant trois semaines après cet événement terrible, les lieux n’étaient pas reconnaissables. A la place il y avait un parc très fleuri. Aucun signe pour rappeler le calvaire de tant de personnes.

C’est ce qui m’est venu en mémoire quand j’ai entendu F. dire « Je sais que ce que j’ai fait peut détruire tout en mille morceaux, mais je ne me rappelle d’aucune situation en particulier ».

Pour que je vive l’autre doit mourir. Cette phrase m’est venue à l’esprit. Une fois le mal est fait la mémoire s’efface ; pour pouvoir recommencer.

Espérons que l’épisode appelé « le confinement » qui m’a amené à proposer ces séances particulières, ne soit pas oublié.

En ce qui me concerne, je me rappelle d’un épisode vécu pendant une séance où j’étais « la patiente ». Mon analyste de l’époque était quelqu’un qui méritait toute ma confiance. C’était quelqu’un qui savait respecter certainement le cadre de travail.

Déjà en 1973, voir même avant, la situation politique en Argentine laissait entrevoir le carnage à venir. Dans ces temps la population n’était pas confinée chez soi mais dans le territoire en entier. Ce confinement s’appelait « la peur », l’extrême angoisse face à la disparition, la torture, le meurtre. À l’époque, par les fenêtres des voitures tonitruantes, les kalachnikovs sortaient leurs museaux, pendant que des sirènes annonçaient les pires sommations.

Ma séance venait de commencer. Au milieu de ma première phrase, et sans que j’aie eu le temps de la finir, mon analyste s’est mis debout, comme elle le faisait habituellement pour me signaler que la séance était terminée. Moi aussi, bien qu’étonnée, je me suis levée. Il faut savoir que mes séances duraient entre quarante-cinq et cinquante minutes. Elle réalisa alors que c’était le bruit d’une de ces sirènes qui l’avait amené à ce sursaut. C’était une vraie représentation de notre situation commune.

La séance qui m’a amenée à rapporter ces souvenirs, a eu lieu le 23 Avril 2020. Pendant cette séance F. a dû entendre un bruit qui lui a fait penser que je me mouchais. J’ai entendu dire : « Vous êtes malade ? ».

Avec mes propres associations-souvenirs, je réalise que j’ai oublié de dire que sur le dessin de cette journée, F. avait écrit : guépard.

Ça

Au début de cette séance, j’ai relancé le mot « guépard ». Il y avait eu aussi la mention du puma. À ma demande de dire un peu plus sur ces animaux, le mot « libre » a été évoqué, et tout de suite le mot « prédateur ». F. associa alors avec sa manière d’apprivoiser ses proies. Puis après, ce qui surgit était la différence qu’il y avait entre le guépard, le puma ou le tigre, et le fonctionnement de F. Ces animaux mortifiaient les victimes parce qu’ils avaient faim, non pas pour se sentir vivant.

Freud avait-il raison en disant qu’avec ce type de pathologie (je fais exprès de ne pas la nommer, je n’aime pas travailler à partir des diagnostiques) il n’y a rien à faire ?

Avant de fermer cette séance, je lui ai demandé de mettre un seul mot sur l’espace blanc de la feuille. F. dit qu’il a écrit ça. Il a demandé par la suite si « ça » voulait dire l’extérieur, moi qui essaie d’éviter des mots du jargon analytique, j’ai dit : c’est l’inconscient.

Brûlure

Durant le temps qu’avait pris son premier dessin-écriture-gribouillis dans cette séance, F. avait discouru sur ses rencontres sexuelles. L’expérience de l’état amoureux, aimer, paraissait inexistant. Seulement était mentionné l’aspect utilitaire, l’envie d’anéantir l’autre, de le diminuer. J’entendais sa voix tranchante, dure, altière, scabreuse. Par moments ténébreuse, parfois aussi réflexive. A un moment donné (l’une des consignes était de ne pas regarder la feuille) F. a dit : « j’ai l’impression de ne faire que des courbes ». Je lui ai demandé alors de lever le crayon et de regarder le dessin. Sa surprise était de voir des quantités de cœurs de tailles différentes mais comme disparus derrière des traits confus, beaucoup de pointes, des traits tendus. D’après ce que j’entendais, le ton de sa voix était comme « déconcerté ». F. disait reconnaître sous les multiples traits ce qu’il avait refusé, banni toute sa vie durant.

Je lui ai proposé alors de commencer un nouveau dessin. Il m’a répondu que l’espace qui restait dans la feuille était tout petit. Peu importe, je lui ai répondu : vous pouvez utiliser l’espace qui reste.

Il faut avouer que le mot « brûlure », écrit sur les deux dessins contigus, m’a laissée perplexe. Je n’ai rien dit d’autre si ce n’est « au revoir » et à la prochaine ». J’ai omis de dire à la prochaine séance ; chez l’analyste.

Je pense à cette dernière séance comme à une vraie descente aux enfers. N’oublions pas pour autant que chaque séance a le don de se révéler comme une aventure chargée de promesses et d’inconnus. C’est ce qui s’est passé à mon avis, tout au long des séances « par téléphone »

Le lecteur a dû constater que je ne me suis pas attardée sur ce qu’on entend habituellement par la pulsion de vie et la pulsion de mort. Deux concepts qui, à mon avis rendent trop binaire l’existence humaine. Je préfère dans ce cas m’attarder sur les liens possibles entre vie et mort.

Pour finir, je peux dire que, dans le cas précis de cet « exercice », il y a eu des moments où, ce qui se déroulait, me donnait à penser que l’outil choisi était un bon outil : lire le pictural et laisser parler le graphisme. Une forme d’écriture capable de faire nommer, de dire, de faire savoir ce qui n’arrive pas à se dire avec des mots.

A d’autres moments de ces pages, j’ai proposé de traiter, à la lumière de ce dispositif, la problématique du transfert-contretransfert quand patient et analyste ne partagent pas le même espace physique, et que l’analyste s’est exclu de la scène habituelle[9]. Dans cette circonstance, il me semble que la notion de temps et d’espace, exige d’être revisitée. Aussi pour se demander si la question, telle qu’on la connaît, du contretransfert chez l’analyste, est toujours valable. Comment appeler alors, quand ce qui est proposé au patient est de voir et de nommer sur ses gribouillis, son propre transfert. Comment appeler cette autre réalité.

Il faudra peut-être chercher d’autres mots pour le dire…

Berta Roth

24 Mars /7 Mai 2020, à Paris

[1] B. Roth, La Forme de l’Inconscient – Entre l’écoute et le regard, Ed. L’Harmattan, 2015.

[2] B. Roth, « Le regard dans la cure psychanalytique. Interdiction ou répression ? », Topique, N°133, p.142.

[3] B. Roth, op. cit.

[4] B. Roth, Dans le silence des mots – L’activité psychanalytique, Ed. L’Harmattan, 1994.

[5] Je prie le lecteur averti de ne pas confondre cette manière de travailler, avec le « Squiggle » de Winnicott. Winnicott faisait le squiggle avec le patient.

[6] F. Cheng. Les cinq méditations sur la mort. Livre de poche.p.26.

[7] F. Cheng, op. cit., p. 43.

[8] F. Cheng, op. cit, p.45.

[9] B. Roth. Dans le silence des mots, op. cit.

 

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