Le plaisir est un éprouvé sensoriel aux effets tant physiques que psychiques, aussi nombreux que différents. Ainsi est-il inapproprié de parler du plaisir, au singulier, puisqu’il en existe des registres différents. Cette mise au singulier est au service de certains refoulements.
1°) Des conceptions morales du plaisir
La première difficulté rencontrée lorsque l’on essaye de penser la notion de plaisir est de s’extraire de l’héritage culturel et moral qui circule dans et avec cette notion, héritage qui conditionne et organise aussi bien nos conduites que nos éprouvés. Pour en donner une illustration rapide, nous allons indiquer deux positions extrêmes quant à la question du plaisir.
a : L’axe judéo-chrétien
Cette pensée s’est développée avec les monothéismes selon un axe Jérusalem – Rome, produisant une morale actuellement dominante. Elle se fonde sur un clivage premier qui sépare radicalement le corps de l’esprit, en un mode binaire de pensée et produisant un ordre vertical :
- l’esprit, ou plutôt l’âme, est une partie supérieure (la tête est plus proche du ciel) de l’être et demande à être élevée et s’élever vers un état apothéotique délivré de toute chair : n’être plus qu’un pur esprit (par exemple chez l’obsessionnel) : débarrassé de la faillite corporelle, on peut croire en une illusion d’immortalité ;
- le corps et le sensoriel, tout à l’inverse, sont une marque terrestre, lieu donc de pulsions, d’instincts, et donc, pour certains, de ce qui tire vers le bas, l’animalité, la souillure, la fin, etc. Ils s’opposent tous deux à l’âme.
Ainsi le plaisir en tant qu’éprouvé dit charnel – et non plus sensoriel – ne peut qu’être source de perdition de l’âme en l’entraînant vers le bas. C’est une ivresse, qui fait perdre pied, un laisser-aller, un lâcher prise, etc.
Cette pensée est héritière de celle de Platon (par exemple, nécessité de s’élever du niveau de la doxa commune à celui de l’hyperdoxa) puis des stoïciens, et nous la retrouvons dans une forme moderne et profane de représentation : les sens sont trompeurs, seule la Raison est salutaire et doit dominer le sensoriel (« être raisonnable, se raisonner, etc. »…), le tout dans une exigence morale d’élévation (supposée telle).
Le plaisir est dès lors une faute, un péché et donc quelque chose soufflé, insufflé par le diable (qui vit sous terre et dit représenté la possession). Il s’oppose au céleste et aux dieux (dans les cieux).
Le plaisir est péché mortel bien évidement, à l’instar du corps. De ce fait il doit être éradiqué mais comme la vie serait insupportable sans lui, il est déplacé, détourné, dévié en un lieu nommé : Paradis, afin de compenser le renoncement réclamé lors de la vie terrestre. Mais quand même, cette récompense dans la mort n’est pas automatique, elle doit se : mériter.
De plus, les trois monothéismes (chrétien, juif, musulman) sont des théories d’hommes, donc uni- ou mono-sexe, excluant l’autre, la femme, pour en faire l’incarnation ou le lieu de l’enfer terrestre – et donc du diabolique -, lieu de tentation, de péché et de perdition, créature toute orientée vers le plaisir comme Ève, son ancêtre… et du coup comme justification du discours refoulant. Tout cela est illustré par la faute et la chute du paradis.
b : L’axe gréco-romain
Ici, nous sommes sur un axe antique, pré-monothéiste, panthéiste plus que païen, que l’on peut tracer entre Athènes et la Rome préchrétienne : le plaisir n’y est pas pensé (pas encore) mais reconnu comme un éprouvé et tout le monde sait le bien-être qu’il procure tant physiquement que psychiquement : Éros (en tant que figure du plaisir au sens le plus large) est un grand thérapeute. Nous dirions aujourd’hui que c’est un antidépresseur naturel, un anxiolytique, voire une source d’énergie : nous en avons tous fait l’expérience vécue, ce qui veut dire que l’on n’a pas à en faire la démonstration. Ici, le plaisir relève de la physis, du corporel, et non plus du logos, de la Raison. De ce fait est-il fugace, temporaire et sans cesse à retrouver.
Mais cette pensée là, qui privilégie la vie terrestre et dans le présent, n’est pas considérée comme morale, et, qui plus est, est d’autant plus refoulée que cette conception du plaisir est au service d’une dimension individuante, singularisante, là où la morale religieuse vise à fédérer et faire masse. Elle est donc ipso facto dangereuse pour les groupes, les masses et les états, et c’est pour cette raison précise que le plaisir est condamné ou pour le moins très cadré.
La conception du plaisir selon Sigmund Freud
a : une définition basique
Pour lui, l’éprouvé de plaisir est un mécanisme physiologique qui peut ainsi se représenter et se définir :
1 : une excitation, d’origine interne (zone érogène par exemple) ou externe, produit une augmentation de tension qui est ressentie comme déplaisir ;
2 : cette tension réclame une action. Ici Freud différencie :
- l’agieren qui est une décharge hallucinatoire des surtensions psychiques (selon le principe de plaisir),
- et l’handeln, qui est un acte dépendant de la réalité externe en ce qu’il la transforme efficacement ;
3 : cette action va réduire ou supprimer cette tension déplaisante, ce qui produit la sensation de plaisir (un acte moteur ou un affect sont susceptibles de décharges) ;
4 : cela ramène ainsi la tension générale du système somato-psychique en deçà du seuil de constance[1] selon le principe de Nirvâna[2] postulé par Freud (principe qui vise un zéro théorique de tension). Une illustration en est donnée par Freud :
« Lorsqu’on voit un enfant rassasié quitter le sein en se laissant choir en arrière et s’endormir, les joues rouges, avec un sourire bienheureux, on ne peut manquer de se dire que cette image reste le prototype de la satisfaction sexuelle dans l’existence ultérieure. »[3]
Notons que ce modèle deviendra par la suite celui de la dernière théorie des pulsions chez Freud :
- Éros, représentant les pulsions de vie, pousse à investir de plus en plus de choses à l’extérieur, ce qui produit des tensions ;
- Thanatos, représentant les pulsions de mort, vise à réduire ces tensions, voire les supprimer.
Soit tout un jeu dialectique qui en découle, selon un dosage qui diffère selon les individus et les moments d’existence. Mais il n’existe pas d’état pulsionnel pur, c’est-à-dire sans une mixité avec l’autre pulsion.
Freud va étendre ce fonctionnement à l’ensemble de l’activité psychique qui ainsi :
« a pour but d’éviter le déplaisir et de procurer le plaisir. En tant que le déplaisir est lié à l’augmentation des quantités d’excitation et le plaisir à leur réduction, le principe de plaisir est un principe économique[4]. »
Il ne cessera de répéter tout au long de ses écrits que la fonction première de la psyché est de lutter contre tout ce qui vient l’exciter (stimuli externes et excitations internes), c’est-à-dire contre ce qui est source de tension, de déplaisir :
« le système nerveux est un appareil auquel est impartie la fonction d’éliminer les stimulus qui lui parviennent, de les ramener à un niveau aussi bas que possible, ou qui voudrait, si seulement cela était possible, se maintenir absolument sans stimulus »[5].
C’est dans ce fil que l’on peut entendre cette autre affirmation freudienne :
« Le réflexe reste le modèle de toute production psychique »[6].
Freud donne là une base neurophysiologique aux mécanismes psychiques.
b : Les principes de plaisir / déplaisir
Une telle conception met au centre de la vie humaine cette notion de plaisir, qui sera couplée à un principe de réalité : ces deux principes, de plaisir et de réalité, viennent créer une dialectique psychique au même titre que le jeu des pulsions de vie et de mort.
De façon générale, le principe de plaisir produit une tendance à éviter l’augmentation de l’excitation, génératrice de déplaisir. Cette fonction peut s’allier avec la pulsion de mort (qui opère par déliaisons, c’est-à-dire qu’elle défait des investissements des pulsions de vie). Ce principe de plaisir est associé au moi, dont l’état premier est : moi-plaisir / moi-déplaisir. Le moi est donc l’acteur, ou, plus exactement, il est « acté » par le principe de plaisir dans le sens où ce mécanisme est inconscient.
Donc, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la fonction de ce principe de plaisir n’est pas de rechercher le plaisir mais surtout d’évacuer le déplaisir que provoquent chez l’être humain ses tensions internes (faim, désir sexuel, etc.) en poussant le moi à trouver des objets dans la réalité pour satisfaire la libido, c’est-à-dire apaiser les tensions (en respectant les limites de la réalité et de la morale). Le principe de plaisir ainsi conçu est, selon sa visée, un principe de stabilité : il tend à maintenir constant le niveau des excitations selon la formule relevée par Freud : « Mer calme à peu agitée ».[7]
Dans le « Le problème économique du masochisme » (1924a), Freud écrit ceci :
« Nous obtenons ainsi une courte mais intéressante série de rapports: le principe de Nirvâna exprime la tendance de la pulsion de mort, le principe de plaisir représente la revendication de la libido, et la modification de celui-ci, le principe de réalité, représente l’influence du monde extérieur. » (p. 288)
Cette modification, le principe de réalité n’intervient qu’au niveau du moi, c’est-à-dire qu’il n’a aucune influence sur les contenus du ça.
c : des différents types de plaisirs
Freud a progressivement défini plusieurs registres de la sexualité, notamment que celle-ci s’installe de façon biphasée (un temps infantile puis un temps génital avec la puberté), ce qui nous donne plusieurs formes de plaisirs, que l’on pourrait rassembler en trois groupes :
1 : l’autoérotisme, forme première présente dès la naissance, et donc essentiellement organique et phylogénétique, qui a un destin psychique avec, par exemple, le narcissisme ;
2 : la sexualité infantile, qui s’installe progressivement par la liaison et l’étayage entre les éprouvés corporels et les représentations psychiques liées à l’histoire personnelle, l’ontogenèse ;
Si ces deux premiers groupes ont une origine et un fonctionnement essentiellement internes, le suivant est radicalement différent, même si son élaboration psychique est prédéterminée par ce qui précède :
3 : la sexualité génitale, qui marque une étape importante dans la mesure où elle est apportée de l’extérieur, par la rencontre avec un autre réel, et l’affrontement de la différence anatomique (qu’elle soit hétéro- ou homo- sexuelle : l’autre n’a pas la même sexualité que moi). Avec le génital, outre la capacité de procréation, c’est surtout le fait que la sexualité autoérotique ne peut plus fonctionner comme avant puisque la sexualité devient une affaire à deux, il y a un autre nécessaire, la réalité d’un autre : la sexualité génitale amène à faire avec l’altérité.
Or ces trois registres définissent des modes de plaisirs différents tels que l’observation peut nous l’indiquer.
Il y a par exemple des modes de décharges des tensions, c’est-à-dire des plaisirs, spécifiques dans la sexualité infantile selon les temps psychiques d’élaboration de la libido[8] :
- sur le mode de l’oralité: dans les agirs de tétée, de suçotement ou de tripotage, etc., l’activité débute par et dans un maximum d’excitation (accompagnée progressivement de fantasmes), excitation qui va s’épuiser progressivement, et ce jusqu’à la béatitude et/ou l’endormissement : ce serait un modèle strictement auto-érotique dans la mesure où l’enfant se fait plaisir à lui-même (il n’y a pas d’autre, sinon halluciné) ; c’est un plaisir préliminaire (Vorlust écrivait Freud) ; ici donc, c’est l’état premier de grande excitation qui déclenche une action d’évacuation progressive des tensions : le plaisir est d’emblée maximal au début de l’action et s’épuise progressivement jusqu’à sa disparition[9] ; les Grecs anciens représentaient ce surgissement, ce tout à coup, par l’épiphanie de Dionysos et la mania qu’il suscitait jusqu’à sa disparition. Ce sont les modes de surgissement aussi bien du fantasmes que de certains désirs ou des pulsions, etc. ;
- sur le mode de l’analité ou de l’uréthralité : il y a un temps préalable : celui de la rétention qui permet d’augmenter l’excitation (donc ici un plaisir psychique préliminaire de la rétention) jusqu’à l’acmé de la libération ou de la décharge dans un lâcher prise, un laisser-aller : le plaisir est ici terminal (Entlust écrivait Freud), lié à l’expulsion, la projection. L’augmentation de l’excitation peut être aussi donnée par exemple par l’opposition au parent qui demande les selles dans une forme de rapport de force (mon désir contre le tien).
Pour illustrer ces deux modes, pensons à la différence entre l’érotisme qui est un plaisir préliminaire s’épuisant progressivement et la pornographie qui vise l’état terminal via une excitation progressive jusqu’à l’acmé de l’orgasme.
Autre différence :
Le modèle anal est celui d’un plaisir d’abord limité à une zone érogène (sphincter et rectum) même si les effets psychiques (par exemple de contrôle de soi et de l’autre) sont évidents. Ici, nous avons à faire avec un plaisir terminal, celui de l’évacuation après l’augmentation de la tension limitée à la rétention.
En opposition, le modèle oral où la tension est d’abord importante sur la zone érogène buccale qui s’épuise progressivement avec la succion et entraîne une jouissance générale de tout l’être.
Il y aurait ainsi deux modèles extrêmes de l’orgasme :
- un localisé à une zone érogène : ce serait là le primat de l’organe, un plaisir d’organe,
- et un autre, général, lié à tout l’être, c’est-à-dire que là se surajoute à l’excitation de l’organe, la participation du corps et de la psyché (et donc de son orgasme, si on peut le dire comme ça, voir Reich, infra).
L’enjeu de la puberté, outre l’aspect organique des capacités de reproduction, est aussi psychique : l’investissement d’un autre, étranger. C’est-à-dire que l’on passe de l’auto-érotisme à l’hétéro-érotisme, une sexualité à deux (en théorie…)
Dans la sexualité génitale, pour qu’elle soit satisfaisante, doivent donc se mêler les exigences du génital et de l’infantile. Par exemple, les pratiques dites préliminaires sont les apports de l’infantile et ses exigences de satisfaction, de même que les fantasmes répètent le Vorlust et la copulation vise le Entlust. Cette expression et satisfaction de l’infantile permet ensuite d’intégrer la dimension génitale. En effet, le génital reprend les élaborations infantiles en tentant de les mêler avec les apports de la puberté. Alors, questions :
- soit l’organe impose son mode orgastique,
- soit le psychique impose son mode à l’organe, sur le mode infantile auquel s’ajoute la présence effective d’un autre.
Le génital reprend-il le mode anal de préférence ?
- ce n’est pas la capacité orgasmique qui fait la différence des deux sexualités, c’est la capacité procréatrice. Des orgasmes, il y en a dans la sexualité infantile :
- soit sur le mode de l’acmé (comme dans la génitale) c’est-à-dire un orgasme qui met fin à l’excitation,
- soit sur le mode plus précisément infantile, c’est-à-dire un épuisement progressif, une extinction qui met fin à l’action (image de l’enfant qui suce goulument son pouce puis suçote puis s’endort, ou de la tétée, ou chez le garçon, masturbation sans éjaculation bien sûr).
L’orgasme existe bien avant le génital. De même existe-t-il des masturbations sans orgasmes mais pas sans excitations, disons des masturbations d’apaisement.
d : deux principes de plaisir
Freud fit cette différenciation dès 1902[10] : il y a un « principe de plaisir préliminaire » qui sert à déclencher la grande déliaison de plaisir en supprimant répressions et refoulements. Ainsi l’importance du plaisir préliminaire serait proportionnelle au degré des refoulements et angoisses sexuelles – et leurs fixations infantiles.
Il reprend cette notion en 1905 dans ses Trois essais en précisant un peu plus les choses : le plaisir préliminaire et la vie sexuelle infantile sont liés[11]. Et si ce plaisir infantile est trop grand, il prend la place du but terminal car :
zone érogène + pulsion partielle = un grand gain de plaisir dans l’enfance, ce qui entraîne une fixation et empêche l’intégration de ce plaisir préliminaire (ou de cette pulsion partielle) dans le contexte génital à venir et produit une perversion sexuelle[12].
C’est l’arrivée de la puberté qui réinstaure et vient faire primer le plaisir terminal, pour Freud, par exemple celui lié à l’éjaculation et son orgasme[13] (comme réaction somatique) chez le garçon.
Cette primauté du plaisir terminal, ou sa coexistence avec le plaisir préliminaire, entraîne la subordination des autres sources d’excitations sexuelles partielles et infantiles au primat des zones génitales comme but, ce qui est un principe du moi et sa tendance à la synthèse, à l’unité[14]. Les plaisirs préliminaires qui étaient autonomes deviennent liés et préparatoires au plaisir génital.
Le « plaisir préliminaire » offre en fait une « prime de séduction », un gain de plaisir constitué par les voiles du fantasme et du désir : plaisir formel, parfois esthétique. Par ce biais, cela rend possible la libération d’un plaisir plus grand émanant de sources psychiques plus profondes.[15]
Mais il y a un autre aspect :
– Entlust est lié à une décharge organique, agie, motrice, à un handeln, qui mène à l’orgasme : c’est une action dans la réalité ;
– Vorlust est lié à un acte psychique (hallucinatoire ou fantasmatique) mettant en œuvre la sexualité infantile et le fantasme, via un agieren.
e : et la jouissance ?
Si la « petite mort » se comprend comme état final liée à l’abaissement des tensions (à l’instar du bébé après tétée), la question de la jouissance semble être un autre registre de plaisir qui reste compliquée à définir. Par exemple :
- est-ce un état d’abord somatique, entre plaisir préliminaire et terminal ?
- ou est-ce un état psychique particulier, lié à un sentiment de fusion:
- soit avec un autre (et donc de retrouvaille d’un état premier d’indivision),
- soit entre moi et moi, c’est-à-dire une fin hallucinatoire des divisions internes ? un état de dissolution de la conscience ?
Pensons à ce qu’en dit Wilhelm Reich : la sexualité génitale est une relation d’échange entre égaux, une altérité assumée et non un rapport de force et de domination qui relève, lui, de la névrose[16]. Échange de plénitude dans le respect de l’autre, qui n’est possible que par le dépassement de la sexualité infantile. Et si une fixation sur le pénis devient le lieu central de la sexualité, un fétiche ou un objet narcissique, et donc une rivalité par rapport au sexe de la femme, il est dès lors impossible d’atteindre à la plénitude, plénitude qui est, elle, soignante et réparatrice. D’où l’importance de l’abandon total de soi tout entier au fait orgastique à la condition que s’opère un reflux de l’excitation des organes génitaux vers la totalité du corps et de la psyché afin que cet ensemble puisse décharger toutes ses tensions. Nous voyons ainsi que l’orgasme somatique réussi ne se réduit pas à une seule zone érogène mais à tout l’être grâce, notamment, à la dissolution de la conscience, condition de la décharge complète des tensions.[17]
C’est l’orgasme qui vient mettre fin à la jouissance, d’où parfois un état de tristesse ou des larmes[18], ou parfois pour d’autres un vécu après-coup d’effroi lié à cet éprouvé qui emporte le moi : perte de maîtrise, lâcher prise, dissolution, etc.
Conclusion
Comme on le voit, ainsi que tout ce qui est mis au singulier, la notion de plaisir est un concept vague et flou car il recouvre plusieurs dimensions différentes. Cette mise au singulier réduit par exemple les orgasmes :
– soit à un phénomène unique et donc au singulier : l’orgasme ;
– soit à un modèle masculin, celui de l’éjaculation, donc d’une seule acmé d’une zone corporelle partielle ;
– soit à la seule capacité procréatrice (la « décharge sexuelle « spécifique » »…)
Cela ferait-il trois modes de sexualités et trois grands registres de plaisirs ? par exemple :
– l’auto-érotisme, et ses destins dans le narcissisme : quelque chose d’auto, en lien avec l’autoconservation ?
– la sexualité infantile et les plaisirs préliminaires ; quelque chose entre moi et moi, c’est-à-dire au plus près de l’identité individuelle ;
– la sexualité génitale et le plaisir terminal ; quelque chose qui circule (ou pas) entre moi et l’autre.
Notes :
[1] Principe énoncé par Freud selon lequel l’appareil psychique tend à maintenir à un niveau bas ou constant la quantité d’excitation, soit en déchargeant, soit en évitant les excitations. Plus tard, cela sera attribué au fonctionnement général de la pulsion de mort qui lutte contre toute excitation.
[2] Principe qui décrit la tendance de l’appareil psychique à ramener le plus possible aux zéro toutes quantités d’excitation d’origine externe ou interne.
[3] S. Freud, Trois Essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1989.
[4] S. Freud, (1916-17) Conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard, 1999, p. 383.
[5] S. Freud, « Pulsions et destins des pulsions » (1915), in OCF-P XIII, P.U.F. 1988, p. 166.
[6] Voir par exemple S. Freud, (1900 a), L’interprétation des rêves, PUF, 1980, p. 456.
[7] S. Freud, « Formulation sur les deux principes du cours des événements psychiques », 1911, in Résultats, idées, problèmes, Tome II, PUF, 1992.
[8] Voir S. Freud, Trois Essais, op. cit.
[9] Par exemple, le vécu avec tous les toxiques objets ou conduites, le vécu aussi d’une variante de la possession a priori.
[10] S. Freud, (1905 c), Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Gallimard, 1992, pp. 253-254.
[11] S. Freud, p. 149. Trois essais, op. cit., §3, « les transformations de la puberté ».
[12] Aspect développé par Balint.
[13] S. Freud, op. cit., p. 184.
[14] S. Freud, Pulsions et destins des pulsions, op.cit. : « …les pulsions sexuelles : elles sont nombreuses, naissent de sources organiques variées, agissent d’abord indépendamment les unes des autres et ne se rassemblent que tardivement en une synthèse plus ou moins achevée. Le but auquel tend chacune d’elles est l’obtention du plaisir d’organe », op. cit.., p. 41.
[15] S. Freud, (1908), « Le créateur littéraire et l’activité imaginaire », in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Gallimard, 1985, p. 263.
[16] Wilhelm Reich, 1982b (1927), Premiers Écrits, t. 2 : « La Génitalité dans la théorie et la thérapie des névroses », Paris, Payot, p. 88 sq.
[17] Pour plus de développements, voir Joël Bernat, « La fonction de l’orgasme selon Wilhelm Reich (1897-1957) » in Corps, Les Corps de la contagion, éditions Dilecta (CNRS), nº 5, Octobre 2008.
[18] Voir la célèbre formule de Galien de Pergame : « Omne animal triste post coïtum », dont la suite est heureusement tronquée car très fausse : « praeter gallum mulieremque », « Tout être vivant est triste après le coït à l’exception du coq et de la femme ».
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