Roseline Bonnellier : Nachträglichkeit / « Postférabilité » (HÖLDERLIN, LAPLANCHE, FREUD)

L’apport de « la Nachträglichkeit dans l’après-coup » de Jean Laplanche à la « traduction » du concept freudien consiste dans la théorie de la séduction généralisée. Sa  différence est dans « l’adresse ». Chez Lacan, la parole est « adressée à » l’autre, c’est-à-dire : au grand « Autre ». Chez Laplanche, le « message énigmatique » est « adressé par » l’autre (adulte à l’enfant dans la situation « originaire » de séduction). Cette différence dans l’adresse « à traduire », qui enracine la « transcendance du transfert » dans le destin de la pulsion par rapport à son « objet-source », ne reste-t-elle pas voisine de « l’adresse » poétique (« Geschicklichkeit ») du très grand écrivain allemand Hölderlin, « le premier » inspirateur de la pensée et de l’œuvre  du psychanalyste Jean Laplanche ?

Écrivain. Germaniste et docteur en psychologie.  Membre de l’Association Internationale Interactions de la Psychanalyse (A2IP).  Chargée d’enseignement à Paris VII – Diderot en « Études psychanalytiques »

Nachträglichkeit / Postferability(Hölderlin, Laplanche, Freud)

       With “the afterwardsness in the après-coup”, Jean Laplanche’s contribution to the “translation” of the Freudian concept “Nachträglichkeit consists in the theory of the general seduction. The difference is in the “address”. With Lacan, the speaking is “addressed to” the other, that is to say: to the great “Other”. With Laplanche, the “enigmatic message” is “addressed by” the other (adult to the child in the situation of the “original” seduction). Doesn’t remain this difference in the address “for translating”, that roots the “transcendence of the transference” into the driver-destiny in relation to its “source-object”, near the poetic “skilled address” (“Geschicklichkeit”) of the great German writer Hölderlin, “the first” to inspiring  the thought and the work of the psychoanalyst Jean Laplanche?

 

 

Proche est

Et difficile à saisir le dieu

                            Hölderlin, Patmos

Ce n’est pas sans coup férir que s’écrit, comme à reculons, d’après « le titre possible » des Problématiques VI / L’après-coup (mai 2006) de Jean Laplanche : « La Nachträglichkeit dans l’après-coup » (1989-90).

REFOULEMENT APRÈS COUP ET REFOULEMENT ORIGINAIRE

En psychanalyse, il y va, dans le concept que Lacan repère et traduit en français par « l’après-coup », du refoulement et du retour du refoulé. La différence est entre le refoulement originaire et le refoulement après coup. Sur la différence entre le refoulement après coup qu’on trouverait plutôt chez Jacques Lacan en « retour à Freud » (« Rapport de Rome », 1953), et le refoulement originaire sur lequel s’interroge Jean Laplanche jusqu’à commencer par poser sa métaphore sous celle de la « Métaphore paternelle » de son prédécesseur, le rapport co-écrit par Jean Laplanche et Serge Leclaire, intitulé  « L’inconscient, une étude psychanalytique », fut présenté au Colloque de Bonneval à l’automne 1960, et publié un an plus tard dans Les Temps Modernes. C’était aussi l’année où paraissait « le premier » livre de Jean Laplanche, Hölderlin et la question du père (1961).

« LE PREMIER » ACTE DE  « HÖLDERLIN EN PSYCHANALYSE » CHEZ LAPLANCHE

Pour ma part, j’observe, surtout dans la conclusion ouverte de cet ouvrage « pionnier » sur Hölderlin qui commence d’arriver « en psychanalyse », un revirement complet – assez hégélien il est vrai – de la situation : L’« objet clinique » en même temps que « culturel » – le second ayant en l’occurrence une fonction ancillaire et illustrative du premier – d’une psychanalyse se définissant presque exclusivement par son « application à »… la cure, même lorsque cette dernière est transposée « hors cure », est en train de se renverser au nez et à la barbe de La Faculté, devant laquelle est soutenue cette thèse de médecine appliquant la théorie lacanienne de la « forclusion du Nom-du-père » sur les psychoses. Il est converti « sous Lacan » et au nom de la  « subversion » du « sujet » lacanien, en un… disons « acteur » critique avant-coureur et porte-parole de Jean Laplanche, qui n’aurait plus rien à voir avec le précédent « sujet » (?) psychotique « forclos » de « l’inconscient structuré comme un langage » dans le discours du « Maître » : Lacan sur son Phallus « perché », et (re)tenant en son bec tout le « fromage » freudien  de la « Castration » opérée par le « père symbolique », comme La Fontaine l’aurait soufflé à l’oreille de La petite renarde rusée de Janacek qui ne manqua pas d’en faire un opéra.

LE « SUJET » FRANÇAIS DU « RETOUR À FREUD » DE JACQUES LACAN

Un tel « sujet » de ce que Laplanche, enfonçant le clou de Bonneval, rangera beaucoup plus tard dans la « troisième acception » du mot « inconscient » sous la désignation de « pseudo inconscient » (J. Laplanche, 2003), tout barré qu’il soit symboliquement de sa griffe de la « castration » faisant « retour à Freud », est passé sous le règne du Signifiant lacanien, au nom de l’« arbitraire du signe » saussurien subverti. L’Œdipe a été naturalisé français au passage de son baptême « au Nom-du-père » à Rome en 1953, et ce nouveau « sujet » de la « structure » qu’il vaut mieux avoir « névrotique » pour qu’elle soit la plus normale, que psychotique par « forclusion du Nom-du-père », n’existe surtout que dans la psychanalyse d’expression française, mais exportée [et réimportée en french theory, y compris « en verlan » de sa « déconstruction »], toujours soucieuse d’une bonne « subjectivation » de ses patients. Il n’existe pas dans la langue de départ, en allemand, chez Freud, du moins au sens identitaire qu’il prend plus rapidement en France en prenant la Bastille. D’autant qu’il se trouve chez nous  chargé de mission quant à sa langue où règne la contrainte d’une plus grande servitude grammaticale dudit « sujet » dans l’ordre des mots de la phrase prononçant le « jugement » : SVO (Sujet – Verbe – Objet). En allemand, première langue de la psychanalyse – c’est-à-dire « l’allemand écrit » ou Schriftdeutsch, celui de la traduction de la Bible par Luther à l’adresse de « tous les chrétiens » et hommes (alle mannen : les « Allemands ») au moment de la découverte de l’imprimerie – Freud s’est « contenté » de faire une chose beaucoup plus « énorme » que sa réduction fictive au « trait unique » de la seule castration, disposant après « coup » de tous les pouvoirs au nom de « la Loi », prélevée dans le complexe du même nom : Il a écrit Pourintroduire le narcissisme. Et c’est au point d’impact d’Œdipe dans le narcissisme, au moment de la formation de  l’Idéal-du-moi, que Lacan s’est servi dans « la pièce la plus importante »[1] du complexe de castration, organisatrice de tout le complexe freudien. L’Œdipe est surtout celui plus « visible » qui en ressort du garçon « modèle » (mythe du héros de la topique : le « moi »), une partie « métonymique » émergée plus vite de l’iceberg de la culture ; celui de la fille par défaut est  son « après-coup » au sens rétroactif projeté de ce pseudo « premier », que Lacan va bétonner dans le structuralisme au point « de capiton », soit au « Nom-du-père », alias le grand Autre. La fonction du père symbolique se soutient de son paralogisme critique, qui fait s’en [re]« tourner » la question métaphysique, posée par Heidegger, dans l’après-coup « déconstructif » de son « herméneutique du soupçon » (J. Grondin, 2006), lequel n’est pas sans parodier la psychanalyse. Mais « lira bien qui lira le dernier »[2].

NA[C]H, « [A]PRÈS », LE MOT  « PORTEUR » DANS LE CONCEPT DE LA NACHTRÄGLICHKEIT  AINSI QUE DANS SA TRADUCTION « FAIBLE » OU « SYNCOPÉE »  DE « L’APRÈS-COUP »

Un mot maintenant sur l’importante découverte associée à cet acte I. de « Hölderlin en psychanalyse » écrit par Jean Laplanche. Je cite le poète en exergue dans son emploi du mot nah, « proche ». Ce mot dit tout de l’étymologie allemande de na[c]h, tandis que « le plus proche meilleur »[3] français « [a]près », parvient à le traduire étymologiquement aux trois quarts – ce qui n’est pas si mal, en passant par le bas latin gaulois ad pressum. Même si la « destination vers » est restée « perdue » au niveau pittoresque du latin qui rend notre langue française naturellement amnésique, mieux vaut toucher terre en Gaule avec ad pressum, ce que ne fait pas le post classique permettant de traduire littéralement  – c’est élémentaire mon cher Watson ! – la Nachträglichkeit par la « postférabilité » : d’un « clic » sur träg ou sur trag– on verrait alors le croisement avec l’Übertragung du « transfert » activé par « la Nachträglichkeit dans l’après-coup ». Mais ce serait une traduction « forte » dont le résultat serait « faible » : Car l’accent principal d’intensité porte sur la particule séparable Nach- rappelant la préposition spatio-temporelle régissant le datif de la destination ; –träg  n’a  qu’un accent secondaire. Se grefferait là, sur la grammaire des particules, tout un chapitre sur le rythme, la prosodie, la place et la quantité des accents, une quasi métrique, de mon Nachtrag (« supplément ») au cours d’allemand, que Jean Laplanche ne fait pas non plus, sur la double dérivation opérée par Freud pour former son concept féminin abstrait et savant à quatre et cinq étages (la diphtongue finale compte pour deux sons vocaliques) de la Nachträglichkeit à partir du verbe composé [jemandem etwas] nachtragen : traduit joliment « en chinois » par Laplanche à l’adresse à reculons de notre Monsieur Jourdain national, un éventuel psychanalyste « de langue française » revenu du 69e CPLF sur « l’après-coup » (Paris, mai 2009) : « à quelqu’un quelque chose porter en arrière ». Lacan fait comme Hegel avec l’obscure « synthèse quintuple » de Fichte où le philosophe a puisé (A. Philonenko, 1984) ; il la réduit à une « synthèse ternaire » en comptant sur l’Aufhebung « simplificatrice » et  résolutive : « L’après-coup » tombe comme le couperet de la « castration » ; et d’ailleurs « couper » vient du « coup », et il s’agit de « couper court », y compris ou surtout  en séance. Le Phallus est pour « tous » (sauf les pastoutes évidemment persifle « L’étourdit » dans Scilicet, d’après mai 1968). Et Lacan d’enfoncer son clou qui n’est pas celui de Laplanche soupçonné de « dévier » du précédent à Bonneval : « il n’y a pas d’Autre de l’Autre », insiste-t-il comme s’il était dépositaire du dogme de l’infaillibilité pontificale. On « rencontrera »[4] s’il le faut la « finitude » heideggerienne pour se contenter de la « grâce suffisante » du peu de liberté, mais quand même, qui resterait à la transcendance de l’homme ici-bas.

Nah serait l’un de ces mots « originaires » au double sens « opposé » que Freud a préféré aller explorer « au loin », à l’étranger dans les hiéroglyphes des anciens Égyptiens. Hölderlin, dont l’inventeur de la psychanalyse n’a apparemment jamais entendu parler au cours de sa Bildung classique, est « frappé » par « Apollon » (peut-être en passant au musée du Louvre)  et « le feu du ciel » plutôt en France, lors de son « voyage à Bordeaux » en 1802, dont il revient obscurément « fou » (probablement à pied nach Deutschland : « en Allemagne »). Hölderlin va commencer de « rencontrer » Freud après coup chez Jean Laplanche alors dans sa période « para-lacanienne »[5]: Au sens figuré – qui se dit en allemand « au sens transféré » de im übertragenen Sinn, avec cette fois, pour des raisons de particule mixte, ici inséparable (donc inaccentuée),  l’accent « fort » du mot sur « porter » du radical de tragen pour l’autre grand concept du « transfert » croisant celui de notre « après-coup », lequel a « du coup » de sa parade, la « faiblesse » de ne pas le dire tout de suite. Il s’agit donc d’un « trajet en chicane » – celui du « retour à Freud » de Jacques Lacan – qui va en condenser « derrière » lui une foule d’autres – d’avant dans l’après-coup, pour lequel Hölderlin est la « pierre de touche » « traductive », et à Laplanche son propre « chiffre ». Avant de se muer après coup, selon moi (dont le trajet d’« après-coup » est également « compliqué »[6]), en paradigme précurseur ou pierre d’angle de la théorie de la séduction généralisée de Jean Laplanche. Le télescopage provoqué plus ou moins à son insu par Jean Laplanche à l’adresse de son Hölderlin en 1961 est considérable. Comme je l’ai entendu dire, un jour de séminaire de 1993, de Jean Laplanche, qui en savait quelque chose, « Hölderlin est un très grand écrivain »[7] !

LA QUESTION EST CELLE DE L’ADRESSE, ET L’ADRESSE CHEZ LAPLANCHE RENVOIE À CELLE DE LA « TRADUCTION » DU « DESTIN » CHEZ HÖLDERLIN, QUI NE SE TROUVE PAS IN FINE DU GRAND AUTRE  « CHEZ LACAN AVEC HEIDEGGER »

L’adresse « officielle » de Laplanche  « à l’Autre » de Lacan dans sa thèse de médecine et de psychanalyse « franco-lacanienne » appliquée, était déjà en train de se transmuer entre 1959 et 1961, sur  un mode subliminaire et sublimatoire d’inspiration hölderlinienne – la force poétique effective de Hölderlin est supérieure à la Phénoménologie de l’Esprit  de Hegel –, en « adresse » (Geschicklichkeit) d’après ou selon  Hölderlin, qui signifie tout le concept de l’art poétique de cet écrivain pour traduire le « destin » (Schicksal) de l’humanité dans son virage tragique et « traductif » du « grec » à l’« hespérique » (occidental).

Mais voilà le mot préalable qu’il faut dire encore pour l’instant en bref de l’état des lieux en 1961 au « retour en France » de Hölderlin au sens de « la transcendance du transfert » de Jean Laplanche, dans le titre de ses Problématiques V / Le baquet – La transcendance du transfert, publiées en 1987, la même année qu’est posée la « théorie de la séduction généralisée » dans les Nouveaux fondements pour la psychanalyse. Hölderlin est encore reçu dans son emballage culturel de « poète fou » d’après le « mythe romantique » fabriqué après coup (« rétroactif ») à son sujet. Et ce paquet cadeau est enveloppé dans le papier du surréalisme français en la personne d’André Breton, médecin poète féru de Hegel, qui le livre pieds et poings liés à ses confrères psychiatres et psychanalystes  des « années Lacan ». Thomas Mann a pertinemment reconnu dans le surréalisme un « romantisme scientifique », ainsi que la grave lacune de Marx qui n’a pas lu Hölderlin, ce qui se répercute, faudrait-il ajouter, sur Lévi-Strauss – lequel a lu Freud avec Marx, donc sur Lacan. Or, Hölderlin n’était pas un Romantique, quoi qu’on dise un peu partout comme en France, qui pratique assez l’amalgame en matière de romantisme lorsqu’il s’agit de son voisin d’Outre-Rhin et de la littérature allemande trop mal connue. La preuve en est la Grèce de Hölderlin[8]. Freud était plus « classico-romantique » que Hölderlin. Là-dessus il faudrait écrire un roman fleuve à l’encre noire grossissant à vue d’œil de son embouchure, jusqu’à la mer éponyme : mais nous disposons d’une « saisie » du problème par Hölderlin dans son fleuve, L’Ister (pour le Danube), qu’il observe au moment d’un décrochement de son cours, où il « marche comme à reculons » vers sa source. Jean Laplanche a repris l’exemple pour décrire « la pulsion et son objet-source ». Ce qui nous fait retourner en psychanalyse.

L’autre « trajet en chicane » de la réception de Hölderlin en psychanalyse française d’obédience lacanienne, c’est l’obligation pour « le poète des poètes » (d’après Heidegger), en tant que passager clandestin, « aveugle » comme Œdipe, dit-on en allemand pour blinder Passagier lorsque la cécité est du côté du spectateur, d’arriver déguisé, à nouveau apparemment de la mer, celle de l’ontologie heideggerienne : Il débarque dans les bagages de Heidegger et de l’herméneutique, qui n’est pas sans lien au départ avec le romantisme et l’idéalisme allemands, en passant par Schelling [auquel Freud n’est pas insensible par rapport à « l’inquiétante étrangeté »]. Jean Laplanche dit travailler dans le même champ de pensée que Heidegger, en émettant une sacrée réserve : La psychanalyse est une anti-herméneutique et le porte-drapeau dans l’histoire, c’est toujours et encore Hölderlin (J. Laplanche, 1987-1988), cité dans une version plus mûrie de Mnémosyne que celle des vers ayant valeur d’exergue du Hölderlin de 1961. Où Jean Laplanche, lorsqu’il les re-cite par cœur, exercice ô combien périlleux, répété en 1989-90 et seize ans plus tard en  2005-2006 dans L’après-coup, commet son plus petit lapsus [Le plus gros de l’ouvrage aurait pu concerner Goethe, et je l’ai déjà évoqué dans un autre article[9]], un  lapsus calami dans la langue de départ : Hölderlin a du coup « presque [le « presque » de la différence du « traducteur »] perdu la langue [et non pas « le langage ». Tr. modifiée par moi. R.B.] « au loin » » (in der Ferne au lieu de in der Fremde) en allemand, au lieu de l’avoir perdu, comme le traduit correctement Laplanche, « à l’étranger » en français. Là, tout serait dit, bien que la traduction ne soit pas finie, de l’inspiration hölderlinienne qui anime dans son tréfonds la pensée de Laplanche, avec la parenthèse d’une échappée critique en « contrecoup » ou sans le savoir vis à vis d’« Approche  de Hölderlin »[10] par Heidegger dans la traduction française : Psychanalyse et herméneutique, ce n’est pas le même combat !

CONCLUSION : LE MESSAGE POÉTIQUE ADRESSÉ PAR HÖLDERLIN À JEAN LAPLANCHE

L’essentiel de la  différence importante que signifie l’apport de Jean Laplanche au concept de « la Nachträglichkeit dans l’après-coup » peut se trouver maintenant résumé au moment de la comparaison, dans le « retour à Freud » de la psychanalyse française, avec l’adresse chez Lacan de « la parole adressée à l’autre », c’est  à dire au grand Autre : Ce n’est pas « la parole adressée par l’autre » de la théorie de la séduction généralisée. Dont la conséquence est la traduction par l’enfant de la sexualité infantile du « message énigmatique » ou « compromis avec l’inconscient » de l’autre (adulte dans la situation de séduction originaire). Cette vraie « différence », je pourrais la guillemeter en tant que citation de Hölderlin et la question du père de Jean Laplanche, car c’est la différence à proprement parler de Hölderlin.

Dans les vers de « Timidité » (Blödigkeit, littéralement : « Faiblesse d’esprit » ) que je traduis, le premier vers contient en fait la forme réflexive ancienne où le poète traducteur « se prépare », « s’adapte », « devient propre à » accomplir sa tâche ; mais ce qui rend le « message traduit » de Hölderlin extraordinaire, immense, c’est son ouverture par la « simple » transformation qu’il opère : la personne au reste collective « wir », « nous », représentant les poètes qui ont été dits « les langues du peuple » [ Zungen – « Zunge » signifie la « langue » comme organe], s’efface pour faire place au datif d’une adresse impersonnelle à einem qui tombe grammaticalement et en allemand tout à fait juste comme la forme au datif de « on » reprenant le « wir » de « nous ». Hölderlin ne fait que se servir de l’allemand pour dire que le bon  poète, bon à quelque chose, est celui qui convient « pour quelqu’un » qui l’a destiné à cette tâche. Or, les dieux étant partis au ciel de quelqu’un, le poète vient avec son art en (r)apporter « Un ». Mais ce qu’il apporte, se sont les mains de l’adresse, ses « propres » mains.

   « Bons sommes-nous aussi et à quelque chose, destinés  d’après quelqu’un  à cette tâche,

            Lorsque nous venons, avec notre art, et des Célestes       

                       En apportons Un. Mais ce que nous-mêmes

                                      Apportons, ce sont d’adroites mains. »[11]


Bibliographie

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          Un exemplaire de l’ouvrage a été déposé également aux Archives de Hölderlin à Stuttgart (Allemagne) avec d’autres travaux de l’auteur touchant à Hölderlin depuis 1965 : 23 titres / résultats indiqués au 07.02.2013  dans la base de données de la Bibliographie Internationale de Hölderlin (IHB online), Württembergische Landesbibliothek Hölderlin-Archiv.

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Notes :



[1] Freud (1913-1914), Pour introduire le narcissisme. Trad. OCF.P, XII, Paris, P.U.F., 2005, p.235.
[2] Gérard Genette (1982), Palimpsestes – La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, Quatrième de couverture.
[3] Titre d’un poème de Hölderlin.
[4] Cf. Roudinesco, É. (1993), « Vibrant hommage à Martin Heidegger » in  Jacques Lacan, Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée, Paris, Fayard,  p. 291- 306.
[5] Formulation de J. Laplanche lui-même. Courrier personnel, R.B.
[6] L’après-coup en question de « notre rencontre » (celle de Jean Laplanche, « la foule » ou « masse », et moi)  se déroule en deux temps, après un premier après-coup personnel qui a déjà eu lieu chez moi [j’avais « découvert » Hölderlin avant et de première main, en 1965] : Le premier temps du second après-coup laplanchien, pourrait être jugé assez « faible » d’apparence [il ne l’est pas pour la germaniste de chez Luther qui lui a confié que « l’habit ne fait pas le moine »], et me fait, en tant que germaniste et apprentie chercheur, « tomber sur » le Hölderlin de Laplanche – au moment de sa seconde édition en 1969 où le jeune Hölderlin qui doit être âgé environ de 16 ans se trouve en médaillon sous le portrait de ses parents en jaquette du livre. Au second temps qui frappe fort, et se redouble du premier ressuscité du second après-coup, je suis retournée à l’université étudier la méthode psychanalytique qu’exigeait la poursuite de ma recherche : et j’y ai trouvé l’outil qu’il me fallait, la théorie de la séduction généralisée, malgré un certain nombre de complications occasionnées dans ma « direction » de recherche par l’application requise de cette dernière.
[7] Très précisément, suite à l’exposé d’une doctorante brésilienne, Martha Rezende Cardoso, sur le thème du « Surmoi » en relation avec la théorie de la séduction généralisée, appliqué au livre de Louis Althusser, L’avenir dure longtemps (suivi de Les faits, 1992), Jean Laplanche compara – peut-être aussi à mon adresse de doctorante sur Hölderlin et la théorie de la séduction généralisée de Jean Laplanche –, les deux écrivains Louis Althusser et Friedrich Hölderlin, en disant que « Althusser était un grand écrivain » et que Hölderlin était « un très grand écrivain ». Ajout du 07/06/2011. R.B.
[8] Cf. Roger Ayrault, 1961, La genèse du romantisme allemand, Tome 1, Situation spirituelle de l’Allemagne dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Paris, Aubier / Editions Montaigne, p.56-57.
[9] Bonnellier, R. (2009), « Œdipe, l’éclipse – La théorie de la séduction généralisée de Jean Laplanche », Cliniques méditerranéennes, 80, 2009-2. Jean Laplanche ayant récusé depuis qu’il y eût un quelconque « lapsus » de sa part au sujet du vers de Goethe dans Faust « Au commencement était l’action » [Cf. Correspondance personnelle de Roseline Bonnellier avec Jean Laplanche, 2010, courriel de J. Laplanche, mar. 02/02/10 12 :15], j’ai commencé d’écrire aux alentours de 2009-2010 jusqu’à fin 2012, à la suite du courriel reçu de Jean Laplanche, un autre article alors intitulé « Œdipe en Allemagne » et sous-titré « Un lapsus de Jean Laplanche dans l’après-coup », resté inédit, puis remis au travail jusqu’à fin 2012 sous le titre dorénavant : « Œdipe revient de loin ».  L’étude condensée que je présente ici sous le titre « Nachträglichkeit / ‘Postférabilité’ (Hölderlin, Laplanche, Freud) » est un travail connexe, rédigé entre 2008 et 2009, resté jusqu’alors également inédit, et qui portait encore en novembre 2010 le titre suivant : « Nachträglichkeit : Complément d’adresse dans ‘l’après-coup’ ».
[10] Heidegger, M. (1951, Erläuterungen zu Hölderlins Dichtung / Tr. Approche de Hölderlin, 1962), Paris, Gallimard, 1962.
[11]  „Gut auch sind  und geschickt einem zu etwas wir,        

Wenn wir kommen, mit Kunst, und von den Himmlischen                 

Einen bringen. Doch selber                    
Bringen schickliche Hände wir.“         
(Hölderlin,  Blödigkeit, dernière strophe)

 

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