Roseline Bonnellier : « Le Hölderlin de Jean Laplanche, une question à suivre » (1ère partie)

Présentation de l’étude : Hölderlin (1770-1843) entre pour la première fois en psychanalyse pratiquée « hors cure » chez Jean Laplanche (1924-2012). Celui-ci publie sa thèse de médecine soutenue en 1959 sous le titre Hölderlin et la question du père en 1961. Entre ces deux dates de la fin des années 1950 et du début des années 1960 qui délimitent la période « para-lacanienne » proprement dite de l’auteur, au point équidistant et moment de bascule théorique du Colloque de Bonneval sur « L’inconscient » de l’automne 1960, Jean Laplanche a donné le coup d’envoi manifeste de sa critique de Lacan, par laquelle il inaugure son œuvre.

Tout en démontrant la théorie de Lacan sur une « structure de la psychose » par « forclusion du Nom-du-père » sur la pierre de touche d’un « trajet en chicane » de Hölderlin qu’impose à l’enfant le deuil écran d’une mère ne permettant pas l’accès au « premier » père véritable, le premier livre de Laplanche fait cependant « rouvrir » au final par un Hölderlin « au détour de sa folie et de son œuvre » une « question du père » laissée en suspens conclusif, et qui somme toute, si on renverse la thèse en son contraire, laisse présager un autre livre : le titre pourrait en être « Hölderlin et la question du père symbolique de Lacan », plus avant même et d’une manière beaucoup plus générale  « Hölderlin et la question de l’Œdipe en psychanalyse ». Là, plus auteur que patient illustre d’une « cure transposée » sur un « divan volant au ciel de la culture », Hölderlin a la main et met à l’épreuve… la psychanalyse : sur son « schibboleth » de l’Œdipe.

L’Œdipe freudien n’est que l’Œdipe du garçon, « modèle » de l’enfant qu’on a pu dire mythique de la psychanalyse : ce Knabe (« garçon » de la langue écrite, administrative et poétique), revenant lointain d’un mythe antique dont l’homme est devenu le héros fondateur de « la » culture depuis la nuit des temps, se transfère sur la scène sexuelle infantile en futur « moi » de la seconde topique au nom d’une théorie moniste de la libido par primat du phallus, censée organiser la différence des sexes autour du seul « complexe » de castration.

Si on élargit en amont vers l’originaire l’analyse d’un complexe d’Œdipe plus général, l’accent mis par Freud sur le père de l’enfant du genre masculin qu’il s’agit d’identifier permet de faire l’économie d’un complexe maternel plus profond dans lequel une femme, mère éventuelle d’un enfant, est d’abord la fille d’un autre père qui précède dans le temps le père de cet enfant. Avec Hölderlin, la femme prime dans le complexe maternel de l’enfant en tant qu’elle est en premier lieu la fille d’un autre père d’avant celui de l’enfant, « fille de la Natur »  à l’instar de Diotima du roman solaire Hypérion : comme dans les orbites de Kepler, elle est le [/ la] « Soleil » (la Sonne du genre féminin en allemand), foyer principal d’attraction autour de laquelle l’homme, ce héros, est en quête « excentrique » de son « propre » foyer réflexif, « traductif » de l’autre « étranger ».

Hölderlin et la question du père, la seule relation de cas[1] qu’ait faite Jean Laplanche, est donc un cas de psychanalyse hors cure. En 1961[2], c’est aussi le premier livre de Jean Laplanche, la publication de sa thèse de médecine soutenue en 1959, Hölderlin au détour de sa folie et de son œuvre (1794-1800). Dans cette « pathographie », comme il la nomme, J. Laplanche étudie l’entrée en psychose du grand poète allemand sous un double aspect, celui de la clinique psychiatrique, et celui de « la dynamique plus proprement psychanalytique ». La seconde de ces deux orientations m’occupe essentiellement. Je pense en effet que, non seulement le premier livre de Jean Laplanche est inaugural de son œuvre psychanalytique, mais qu’il contient aussi en germe, au sein même de la thèse lacanienne manifeste, l’amorce paradigmatique de la théorie de la séduction généralisée, le poète Hölderlin représentant là un « objet-source » d’inspiration important, voire premier, pour le psychanalyste.

  1.        I.            QUESTION DU PÈRE ET GENÈSE DU MOI CHEZ LAPLANCHE

« La question » dite « du père » se présenterait comme une introduction à la question, que j’annonce à présent comme « à suivre », de la genèse du moi décrite plus tard explicitement dans les Nouveaux fondements (J. Laplanche, 1987). Il s’agit de la constitution du narcissisme.

Pourquoi en revenir chez Jean Laplanche à son Hölderlin, alors que les deux temps du refoulement originaire, « indissociables du mouvement qui aboutit à la création du moi »[3] ont été fortement marqués dans le livre de 1987 ? Parce que Hölderlin et la question du père soulève peut-être de façon plus saillante, si on taille un peu dans le revêtement lacanien couvrant la pierre, le problème qui continue d’habiter la topique du moi, celui de la formation d’un objet moïque, de sa tenue et de sa demeure. Et de me souvenir, pour cette « demeure », du vers célèbre de Hölderlin : « Mais ce qui demeure, les poètes le fondent »[4]. Ou bien de cette autre parole non moins célèbre attribuée à Hölderlin : « mais poétiquement habite l’homme »[5]. J’aimerais y remplacer « l’homme » par « le moi », ce qui donnerait : « mais poétiquement habite le moi ». Avec le mot « poétiquement », et en dérivation de la métaphore poétique sur laquelle J. Lacan étaie la Métaphore paternelle,  j’entendrais alors faire travailler en psychanalyse la métaphore du refoulement originaire que Jean Laplanche entreprend de poser en 1960 à Bonneval dans le texte coécrit avec Serge Leclaire, « L’inconscient, une étude psychanalytique » : moment théorique décisif où Laplanche commence de se distinguer de Lacan. Ma recherche se propose de montrer en quoi le Hölderlin de Laplanche est déjà le pendant « clinique » (transposé « avant coup »[6] hors cure) annonciateur du volet théorique de Bonneval en 1960, et quelle problématique il introduit quant à une définition topique du moi.

Dans cette période lacanienne, ou plus exactement « para-lacanienne »[7] de son œuvre, Jean Laplanche parlait du père, donc de l’Œdipe dans sa dimension de complexe paternel à l’adresse du garçon pour lequel il se confond avec un complexe de filiation qui prétend à l’exemplarité de « tout » le genre humain. Le père mis sur la sellette, dont le Hölderlin « rouvre la question » est le père symbolique de Jacques Lacan.

  1. 1.      Liaison du « moi » comme « objet total »

Le « père » chez Hölderlin nous entraîne sur les voies du « mythe », d’une « mise en mythe »[8] du moi dans lequel consisterait la prise – ainsi qu’une mayonnaise « prend » – du mouvement narcissique. Ma question est celle du début de la liaison. Je ne puis en effet me laisser persuader que seule la Gestalt de l’autre, référence comportementaliste faite à l’éthologie au stade lacanien du miroir, suffit à imposer le diktat de la contrainte synthétique d’un moi comme objet total, tel qu’on le supposerait déjà là, potentiellement introjecté depuis la nuit phylogénétique des temps, l’éternité étant devenue « structuraliste » avec Lacan : sous couvert que ce genre d’œuf de Colomb de la belle pigeonne attendrait de toute façon au même tournant spéculaire le petit humain.

Pour Mélanie Klein qui, à ce moment, viendrait combler le manque de père symbolique dans le cas lacanien du Hölderlin de Laplanche, par rabattement sur la mauvaise mère ou mauvais objet, il y a toujours eu l’objet total référentiel, même lorsqu’il ne s’agissait encore que d’objets partiels : la phase dépressive habite déjà la phase schizo-paranoïde.

Le mythe hölderlinien dit aber / « mais » : au plus fort de la synthèse, celle-ci est défaite par une reprise à côté, en parataxe[9], d’un autre mouvement. Cette nouvelle liaison est ouverte à d’autres sens possibles pour le destinataire. Autrement dit, en paraphrasant un peu Laplanche : que me veut cet autre, à qui mon poème s’adresse ?

Le roman épistolaire de Hölderlin Hypérion, magnifique exemple de contrainte synthétique, comporte en soi, référence étant faite au Banquet, l’antithèse de l’Un et Tout platonicien dans l’Un différencié en lui-même d’Héraclite qui le meut encore plus profondément  et pour ainsi dire en psychanalyse le « délie » ou en « délivre »[10] le message : le « mais » (aber) hölderlinien qui s’affirme dans les grands poèmes y trouve assez son compte avant-coureur. Et après cet essai d’adresse, de traduction pleine et élégiaque de l’objet « perdu », l’œuvre se renverse d’autant plus en son contraire, comme allant vers une déliaison.

Mais que met-on en psychanalyse sous ce vocable de « déliaison », et à le prononcer trop vite, ne court-on pas le risque d’en manquer encore le sens toujours plus ? N’est-ce pas projeter en l’occurrence  un horizon spéculatif pour approcher une négation qui n’existerait pas dans l’inconscient, tandis qu’existerait là le travail inconscient ressemblant à celui d’un deuil inaccessible ?

Le travail de rêve montre que c’est au moment où les liens sont apparemment les plus lâches qu’on est le plus libre d’associer. Cette déliaison augmente la possibilité de liaison d’un « processus primaire » initial. Dans la cure, on parlera de méthode associative-dissociative par lequel il incombe au moi « analysant » de [laisser / faire : lassen] battre la mesure (de « ponctuer ») sous la conduite de la cure par l’analyste qui travaille avec le « transfert » du patient sur sa personne. Dans « la transcendance du transfert » (J. Laplanche, 1987) que suppose l’œuvre d’art, l’autre de l’adresse est le public.

  1. 2.      Le « mythe » dans la poétique de Hölderlin

Au cours de son essai Sur la religion [« religion » dans l’acception étymologique que donne le verbe « relier »), Hölderlin qualifiait ce type de liaison d’« infinie » : il entendait par là une infinité de connexions possibles, un « contexte » / Zusammenhang, désigné comme un höheres Geschick, une « adresse » ou un « destin supérieur ».

            La mise au comparatif par Hölderlin de l’adjectif hoch qui hante son essai Über Religion[11], comparatif relatif pour lequel manque stricto sensu le second terme de la comparaison, semble indiquer un dépassement de la limite ou de la mesure. Mais quelle mesure ? Tout le problème est là. Cette mesure, infiniment – chez Kant, le beau est justement une infinité sans fin –, le poète tente de la calculer : la mesure de l’art, celle du mythe selon Hölderlin qui en vient à reconnaître un « dieu du mythe », la goldene Mitte ou « centre d’or », plus prosaïquement « le juste milieu ». Lawrence Ryan emploie l’expression de « métaphore médiatrice »[12].

            En psychanalyse se profile à l’horizon la simplification qu’opère Lacan en étayant la métaphore paternelle sur le processus de la métaphore poétique hugolienne dans Booz endormi. La métaphore poétique, si métaphore il y a, échappe davantage chez Hölderlin ; le mode d’emploi en est moins pratique au sens d’être manipulable dans le registre de la communication comme s’y applique Lacan avec le poème de Victor Hugo et le recours aux linguistiques du vingtième siècle. En réalité, la « métaphore » – ce trope de Jakobson appliqué à l’Œdipe lacanien du sujet normo-névrosé sous l’appellation de la Métaphore-du-Nom du père –, ne préoccupe guère Hölderlin pas plus que ne le préoccuperait au premier chef « l’imagination » (la Phantasie) des « modernes » romantiques. Ce qui est important chez Hölderlin, c’est « le mythe ». S’il y a des « métaphores », et comment n’y en aurait-il pas chez un poète d’autant plus chez un poète « allemand » – la langue allemande n’a pas besoin de viser spécialement l’effet produit volontairement  par le trope de la métaphore comme le feront les poètes surréalistes français, car elle est « naturellement » pittoresque[13] –, elles ne viennent  sous la plume de l’écrivain que pour « traduire » le mythe en cours de création ; elles se trouvent charriées par le fleuve hölderlinien qui marche « comme à reculons » (Hölderlin, L’Ister) vers sa source. Une source qu’en psychanalyse Jean Laplanche renomme « l’originaire », soit un « approfondissement de la réalité psychique ».

La question se pose d’une différence à faire entre la langue naturelle liée à l’histoire d’un peuple et la / les linguistique(s) universaliste(s) et synchronique(s) du XXe siècle qui s’occupent du « langage » en sacrifiant la dimension de l’histoire de la langue soumise au temps qu’observait la philologie allemande du XIXe siècle : question connotée d’idéologie du côté d’un pseudo langage « universel » qu’on retrouve dans l’inconscient « langagier » du « sujet » lacanien, lequel somme toute en psychanalyse parle « français ». En allemand, die Sprache se traduit tout autant par « le langage » que par « la langue ». Le « retour à Freud » lacanien de la psychanalyse française confond assez politiquement et de la manière anachronique qui l’arrange la première langue naturelle de l’écrivain Freud, intellectuel juif de langue et de culture allemande dans le Mitteleuropa[14], et le « langage » de la linguistique appliquée par Lacan à l’Œdipe du « mythe » freudien dans l’acception Lévi-straussienne du mot « mythe ».

            Au moins dans les termes philosophiques de l’époque de Hölderlin, le « dieu du mythe » semble figurer le lieu mystérieux de la rencontre entre l’esprit et la matière. Au vingtième siècle, Claude Lévi-Strauss décrira les peintures corporelles du mythe Caduvéo  (C. Lévi-Strauss, Tristes tropiques, 1955) comme complètement culturelles en référence au couple structuraliste « nature-culture ». Ce que n’auraient peut-être pas contredit[15] ces lignes d’En bleu adorable : « Que quelqu’un voit dans le miroir, un homme, / Voie son image alors, comme peinte, elle ressemble / À cet homme »[16]. Ou bien l’impressionnant Gott an hat ein Gewand / « Dieu porte un vêtement » du poème de Hölderlin La Grèce[17]. Mais la portée du « mythe » dans l’acception que prend ce mot chez l’écrivain (le Dichter) dépasse de loin et en profondeur « poétique » la définition structuraliste du mythe comme « structure » socio-culturelle chez Lévi-Strauss. Aujourd’hui (en 2014), je ne ferais plus ce rapprochement épistémologique avec le « mythe » Lévi-straussien d’un texte célèbre « de Hölderlin » [en fait transmis ou colporté par Wilhelm Waiblinger  qui peut l’avoir « adapté » pour l’insérer dans son roman Phaéton]. Ou bien je le nuancerais fortement par cinq paires de guillemets (voir ma note 15).

Mes travaux de recherche en psychanalyse  m’ont amenée à jeter une passerelle entre le « mythe solaire chez Hölderlin » dans son avancée créatrice / « traductrice » et une remise en question générale du complexe d’Œdipe qui ne s’arrête plus à la « père-version » (à l’adresse du seul garçon du « modèle » freudien) aboutissant au complexe de castration organisateur des « genres » sexués. La définition culturelle Lévi-straussienne du « mythe » auquel Lacan au nom de son « retour à Freud » français se réfère ne sort pas du monisme phallocentrique de la libido, mais la renforce au contraire en y ajoutant l’argument en ethnologie structurale de cet « invariant culturel » d’un « premier type » de l’[interdit de l’]inceste produisant l’échange exogamique des femmes « objets » (naturellement reproducteurs) entre les hommes : sur l’Œdipe, Lévi-Strauss a lu un Freud (qui le précède) avec Marx, et Lacan lui emboîte le pas à grands renforts de « linguistique » pour ce qui est de l’ordre subverti dans « l’arbitraire du signe » saussurien. Laplanche, par héritage lacanien « malgré tout » ou « malgré lui », s’en tient également à la définition Lévi-straussienne du / des « mythe(s) » pour y opposer « la » théorie, à savoir la sienne, celle de « la séduction généralisée » qui renoue avec la première théorie freudienne de la séduction. Ce qui lui fait écarter l’Œdipe de sa route en le déplaçant de manière significative dans le socius, mais sans trop résoudre la question : exit l’Œdipe en tant que « mytho-symbolique » ou « pseudo-inconscient » (J. Laplanche, 2007) du noyau de l’inconscient comme refoulé !

  1. 3.      Mythe, symbole, allégorie

            En fait, dans l’essai de Hölderlin Sur la religion, le second terme de la comparaison pour « la vie supérieure », que l’esprit répète, c’est-à-dire au sens étymologique contenu concrètement dans le mot allemand  wiederholt, « va chercher à nouveau », ce second terme de la comparaison qui paraît faire défaut, est pourtant nommé puisque Hölderlin  évoque « une relation plus haute que simplement mécanique ». Par la suite, « l’exposition du mythe » se complique sous la forme d’une composition savante entre un « rapport intellectuel » et un « rapport physique-mécanique », dans la ligne du « Plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand »[18] de 1795 où s’équivalent mythologie, religion, science (la physique notamment) et poésie, texte commun à la paternité controversée des trois anciens étudiants en théologie – Hölderlin, Hegel, Schelling – du Grand Séminaire protestant de Tübingen (le Stift), qui forment le « trèfle » de l’idéalisme allemand !

En regard d’un tel calcul du mythe par un poète qui a profondément fréquenté « l’étranger » grec, le « mythe scientifique » freudien du « meurtre du père », récit avant-coureur du « complexe de castration » organisateur de l’Œdipe c’est-à-dire de la différence des sexes, apparaît comme une rationalisation bien secondaire, à moins qu’il ne soit plus que l’avatar d’un « romantisme »[19] de type « naturaliste » (goethéen) dégradé en future théorie d’un « sujet » comme il le deviendra en France sous Lacan : la « révolution romantique » en Allemagne signifiait un repli sur « la subjectivité » humaine et ses passions, réactif à la raison de l’Aufklärung ; avec Freud, la psychanalyse cumule le double héritage du rationalisme de l’Aufklärung et de son répondant qu’est la réaction / « révolution » romantique. C’est en effet ce mythe scientifique freudien d’un « meurtre du père » instaurant le pacte social homosexuel des « frères » qui soutient la théorie moniste d’une libido seulement phallique et qu’on retrouve « en partie » comme « formation réactionnelle » dans l’Idéal-du-moi (Freud, Le moi et le ça, chapitre V). Ce que Lacan systématise dans « l’après-coup » du « retour à Freud » des années 1950, mais avec de plus gros renforts : philosophiques, socio-linguistiques et, en « trompe l’œil » baroque et un tantinet surréaliste de son Discours de Rome, religieux [un  catholicisme français récupérateur ou « contre-réformateur » du protestantisme culturel allemand qui aura permis à Kant de « séculariser » la religion chrétienne dans la Raison pratique].

 Par rapport au mythe hölderlinien, la méthode de Jacques Lacan concernant la métaphore paternelle qui prend racine au cœur du mythe d’Œdipe, relèverait d’un traitement allégorique, plus secondarisé encore que ne l’est le mythe freudien. Celui-ci pactise davantage avec « le Diable » de Goethe, lequel Méphistophélès du nom de son serviteur, se met au service du Bildungsroman d’un nouveau mythe de l’Homme ou nouvel « humanisme » dans le second Faust. Lacan « blanchit » le « sexe » de l’Œdipe freudien, qui sent encore trop « naturellement » le « pénis » d’un petit garçon (comme Hans) : la « Castration » sera désormais pour tous (les « genres » de cet Œdipe du Phallus symbolique « généralisé » en « structure du sujet » ramené dialectiquement à l’adresse herméneutique du grand Autre). Au regard du « travail de rêve » du mythe comme « rêve diurne » dans L’interprétation du rêve, le rêveur debout du « sujet » œdipien (phallocentrique) de Lacan est l’auteur d’une nouvelle « élaboration secondaire » au niveau défensif du refoulement secondaire dans le rêve de « l’Homme ».

            Le pouvoir théorique de l’allégorie repose sur le fait  qu’elle est un traitement réducteur du mythe. Dans son Introduction à la philosophie du mythe, 1, Sauver les mythes, où il traite de la période allant de l’Antiquité à la Renaissance, Luc Brisson écrit :

« […] le mythe fut ‘sauvé’ par l’allégorie qui permettait d’associer à des vérités profondes les récits les plus scandaleux et les détails les plus saugrenus.

  Après qu’il eut été soumis par les premiers ‘historiens’ et surtout par les premiers ‘philosophes’ à une critique radicale contemporaine de l’apparition de l’écriture, le mythe, qui ne reçut son nom qu’à ce moment-là, devint l’objet d’une ré-intégration progressive et de plus en plus globale dans le cadre de l’histoire et dans celui de la philosophie, par le moyen de cet instrument interprétatif appelé ‘allégorie’ et qui au cours des siècles présenta plusieurs visages : morale, physique, psychologique, historique et même métaphysique »[20].

La Métaphore du Nom-du-père chargée de signifier la « Loi » de la « Castration » symbolique au « sujet » et recouvrant la question du père symbolique chez Lacan est une allégorie plus réductrice encore que l’élaboration secondaire « rationalisante » du « mythe scientifique » du « meurtre du père » chez Freud, préparant au « complexe de castration », pièce « la plus importante » dans la formation de l’Idéal-du-moi « encore à travailler » (Freud, Pour introduire le narcissisme).

Voyons par exemple comment Goethe et Coleridge définissent le symbole et l’allégorie au début du XIXe siècle[21]. Goethe dans ses Maximes et réflexions :

« Il y a une grande différence entre le poète qui cherche le particulier en vue du général et celui qui voit le général dans le particulier. Le premier cas donne naissance à l’allégorie, où le particulier vaut uniquement comme exemple du général ; le second nous livre la nature propre de la poésie ; celle-ci énonce le particulier sans penser au général, sans le viser ».

Ducrot et Todorov interprètent « ces lignes de Goethe comme marquant l’exigence d’un rapport de participation entre signifiant et signifié ». La poésie travaillerait sur le signifiant qui coïnciderait avec le particulier. Le symbole recouvrirait une imprécision du signifié, lequel coïnciderait avec le général [N’est-ce pas  la raison pour laquelle Lacan inverse l’ordre du « signe » saussurien pour privilégier un primat du « signifiant » sur le « signifié », ce qui lui permet de « faire la Loi » à « l’imprécision du signifié » ? Le mot « arbitraire » dans « l’arbitraire du signe » de Saussure manipulé par Lacan est largement équivoque en français. Il est lourdement chargé historiquement de son double sens renvoyant à l’arbitraire royal de l’Ancien Régime dans l’histoire de France pour « re-traduire » Œdipe tyran[22] de Sophocle. R.B.]. Pour Coleridge :

« […] le symbole est un signe inclus dans l’idée qu’il représente […] On ne saurait mieux définir le Symbolique par rapport à l’Allégorique qu’en disant qu’il est toujours lui-même une partie du tout qu’il représente ».

On aurait ici, en termes rhétoriques, la définition du Symbolique lacanien comme synecdoque : par la métonymie phallique reprise à la théorie sexuelle infantile œdipienne de Hans et Freud (analyse hors cure du petit Hans), un rejeton de notre idéologie culturelle androcentrée  au moins depuis La république de Platon.  Mais qui plus est, par un tour de passe-passe équivalant à une sorte d’imposture rhétorique, le Symbolique lacanien aurait subsumé le symbole-synecdoque du Phallus sous l’allégorie-métaphore du Nom-du-Père. L’imprécision du signifié (le pater incertus de Freud ?), à savoir le grand Autre et / ou le désir de la Mère, se retrouvant ainsi simplifiée du « même » coup ! Le grand Autre du psychanalyste « français » Jacques-Marie Lacan, inspiré par la Bocca della Verità à Rome, est le nouvel Œdipe « tyran », énonçant que « moi, la vérité, je parle » et qu’il n’y a pas de métalangage.

La question du père que vient « rouvrir » le  Hölderlin de Laplanche exige un retraitement du mythe, c’est-à-dire de la parole inspirée du poète. Mythe auquel la métaphore du refoulement originaire de Jean Laplanche (Bonneval, 1960), moins abusivement simplificatrice, rendrait davantage justice : réponse du second (Laplanche : le psychanalyste et « analysé du texte »), au premier (Hölderlin : le poète), son inspirateur !

  1. 4.      L’oscillation topique du « Surmoi » chez Laplanche

            Quand il réévalue la topique du moi à l’étape des Nouveaux fondements de 1987, Laplanche déplace l’Œdipe freudien comme sceau sur le moment du refoulement secondaire : « l’après-coup, qui joue entre les deux temps du refoulement originaire, intervient également à l’égard du refoulement originaire lui-même pris dans son ensemble »[23]. Je trouve cette analyse plus juste que le déplacement de l’Œdipe hors du noyau de l’inconscient comme refoulé d’après 2000 : parce qu’elle entreprend  de remettre « en chantier » la seconde topique freudienne en ébauchant une meilleure articulation proprement œdipienne du refoulement secondaire sur le refoulement originaire. La position topique oscillante de Laplanche par rapport au surmoi, remarquable lors de la référence faite à l’impératif catégorique kantien, témoigne assez d’une question de l’Œdipe que Laplanche n’a pas remis au travail chez Freud depuis son Hölderlin : comme Lacan dans Le mythe individuel du névrosé où l’on assiste en 1952, un an avant le Discours de Rome et l’appel en masse au « retour à Freud » oblitérant l’aller « simple » à Lacan, à l’accouchement d’un « père symbolique » qui semble s’extraire d’une certaine obscurité du « père idéal » ou « mort idéal » pour terminer en beauté sur le point d’orgue d’un « plus de lumière » de Goethe représenté assez théâtralement sur son lit de mort [N.B. : der Tod, « la mort », est masculin en allemand. Goethe fournit à Lacan « le mort idéal » derrière lequel se cache… le Freud du « retour à Freud » de la psychanalyse devenue française].

Kant a joué un rôle décisif dans l’itinéraire intellectuel de Hölderlin qui l’appelle « le Moïse de la nation allemande » et qui va pour cette raison se confronter à la pensée de Fichte : la thèse « lacanienne » de « médecine » sur Hölderlin d’un premier Laplanche, philosophe de formation,  se situe au carrefour  d’une très vaste question philosophique postkantienne – au travail dans la pensée européenne (occidentale) depuis le XVIIIe siècle « éclairé » – et par conséquent au travail plus particulièrement dans l’histoire de la psychanalyse au moment du transfert interculturel de « la science de Freud » en France sous l’égide de Lacan dans le contexte intellectuel de l’époque, à savoir les années 1950 après coup de la Seconde guerre mondiale et la gestation de la future « pensée française » des années 1960 et suivantes.

Dans les Nouveaux fondements, Laplanche se pose la question de savoir si les règles morales transmises par les parents sont refoulées ou si elles restent, « incapables d’être refoulées, dans l’entre-deux du pré-refoulement ». Ces impératifs seraient-ils « non-métaphorisables, mais peut-être justiciables d’une certaine dérivation métonymique ? »[24] Voilà donc une voie de passage qui relierait dans l’après-coup l’héritage surmoïque de l’Œdipe au début du moi comme instance au second temps du refoulement originaire : « le moi-instance est cette fois une partie de l’appareil, à l’image du tout, en continuité métonymique avec lui »[25].

Mais…  Comment passait-t-on auparavant de la « partie » à « l’image du tout » au niveau du refoulement originaire dans la pensée de Laplanche ? Est-ce qu’il suffit de dire que ce « tout » est « biologique » ou « vital » pour garantir au moi une totalité d’emblée, ou bien qu’il se constitue selon un modèle éthologique au stade du miroir lacanien repris implicitement par Laplanche dans sa démonstration au niveau du refoulement originaire entre premier et second temps ? Sachant qu’au stade du miroir chez Lacan, une instance tierce est déjà là, voire préside à la reconnaissance du futur « sujet », c’est l’Idéal-du-moi.  Il faut un autre type de contrainte, capable de déclencher la force pulsionnelle liante, dont l’effet se révèle ici métaphorisant. À cet endroit des Nouveaux fondements, le Nom-du-père se trouverait en  attente d’être métaphorisé, nous proposerait Laplanche. Disons que la théorie de la séduction généralisée ménagerait la possibilité d’une réserve du Nom-du-père, telle que Laplanche l’évoque au début des années 1990 à propos du travail de deuil ou de « lyse » représenté par la tapisserie de Pénélope attendant le retour d’Ulysse[26]. Et cette réserve théorique serait importante en clinique dans la mesure où elle ouvre une possibilité d’ordre transcendantal au transfert dans le registre de la psychose. Mais il faut admettre que de cette façon, au nœud du narcissisme, Jean Laplanche garde une dérive (dispositif empêchant un navire de dériver) lacanienne ou bien… « ptoléméique » au moment d’impact de l’Œdipe dans le narcissisme : toujours la question qui revient à la clé de l’Idéal-du-moi, et que je souligne.

Faut-il y retrouver aussi l’écho peut-être de ce qu’on pourrait interpréter chez Hölderlin comme son « retournement natal », quand le poète et penseur écrit par exemple : « Pour nous, vu que nous vivons sous le règne de Zeus qui non seulement érige une limite entre cette terre et le monde farouche des morts, mais encore force plus décisivement vers la terre l’élan panique éternellement hostile à l’homme, l’élan toujours en chemin vers l’autre monde […] »[27] ?

  1. 5.      Aller-retour : Hölderlin et son « après-coup » dans l’œuvre de Jean Laplanche

Pour Hölderlin, il y a eu Rousseau et sa conception transcendantale de la nature, qui anticipe sur le « sujet transcendantal de la science » de Kant. Chez Rousseau, au moment des Lumières en France [mais Rousseau est né en Suisse parce que de famille « protestante » !], le temps de l’histoire compte encore dans le « mythe », et d’une certaine façon il compte de la même façon dans le « mythe scientifique » freudien. Lequel n’est pas sans renvoyer implicitement à « la fable du Bon Sauvage » du même Rousseau, renversée dans son contraire pessimiste (« destin de la pulsion », au travail ici dans la pulsion de savoir !) : en pleine « modernité viennoise », Freud invente « le meurtre du père » de la horde primitive et sa déclinaison après coup dans le pacte homosexuel des frères signataires du « contrat social » (Rousseau), avec la lutte fratricide exemplaire qui s’ensuit par voie de fait dans la Révolution française (J. André, 1993).

Laplanche ne reconnaît plus à partir environ des années 2000 le texte coécrit en 1964 avec J.-B. Pontalis sur les « fantasmes originaires » où les deux auteurs faisaient ensemble cette remarque importante : « […] à notre sens la découverte de l’Œdipe en 1897 n’est ni la cause de l’abandon de la théorie de la séduction ni ce à quoi il a été fait place nette. Il est bien plutôt ce qui, déjà atteint de façon « sauvage » dans la théorie de la séduction, a failli être perdu avec elle au profit d’un réalisme biologique »[28]. La butée de Laplanche sur l’Œdipe réside bien dans ce manque d’articulation véritable ou laissée inachevée de la seconde théorie freudienne d’un Œdipe défensif du genre « sexué » au masculin de son modèle (« Hans ») à  la première théorie « de la séduction » apportée par les hystériques « femmes » quant au fantasme incestueux de séduction par le père de « l’autre sexe ». Dans le « mythe de l’Homme » fondateur de notre civilisation qui vient se greffer politiquement sur la religion monothéiste, seule est reconnue la « père-version » uniforme de l’enfant mâle dans le genre du « garçon » : celle que requiert le complexe de filiation d’un « fils de l’homme » au niveau défensif et refoulé [homosexuel dans l’Idéal-du-moi] de l’identification narcissique du petit d’homme au père phallophore du « même » sexe [Cf. R. Bonnellier, « Œdipe revient de loin – Théorie générale du refoulement (Point de vue topique) », dans D’un divan l’autre, mai 2013]. Le déplacement non exempt de diplomatie par Laplanche du récit œdipien dans le socius – hérité du compromis « culturel » de la psychanalyse franco-lacanienne avec les sciences sociales sur la définition Lévi-straussienne du « mythe » – avec néanmoins le maintien du « code » que représente le « complexe de castration » à la charnière d’une oscillation topique du « Surmoi », persiste chez Laplanche d’un bout à l’autre de son œuvre et de sa pensée. Ce surmoi « héritier » revient de l’Idéal-du-moi après la « disparition (Untergang) » catastrophique du complexe d’Œdipe du garçon ayant accompli sa traversée dans le cadre des théories sexuelles infantiles qui ont à « traduire » les « messages compromis avec l’inconscient » des parents ou autres adultes dispersés dans le socius. Le complexe « nucléaire » des névroses de « transfert » descend du « même » mythe « unique » d’un « enfant » du même sexe que « le père de l’Homme ». La pensée mythique est circulaire. Et la soi-disant perversité « polymorphe » de l’enfant est d’un genre assez « uniforme », ce genre « hom(m)osexuel » [Lacan, « L’étourdit », scilicet, 1973, corrigé d’une parenthèse sur un m de trop par L. Irigaray en 1974] puisse-t-il apparaître actuellement « trouble » (J. Butler, Gender trouble, 1990) par retour du refoulé au niveau du refoulement secondaire ou après coup (R.Bonnellier, mai 2013).

Revenons sur le plan métapsychologique aux différentes étapes de l’œuvre  de Laplanche : où l’on serait d’abord tenté(e) de projeter le couple structuraliste  « nature – culture » du vingtième siècle sous « Lacan avec Lévi-Strauss » – sur ce qui se passe pour le moi entre les pulsions d’autoconservation et les pulsions sexuelles. En 1970 dans Vie et mort en psychanalyse, Jean Laplanche analyse l’étayage de la sexualité sur l’autoconservation. C’est, après Bonneval en 1960, l’étape des années 1970 de l’œuvre du psychanalyste : Laplanche considérera à l’étape suivante des années 1980, en 1987 (J. Laplanche, Nouveaux fondements pour la psychanalyse), que la théorie de la séduction généralisée dit la vérité de « l’étayage » des pulsions sexuelles sur « le moi » comme représentant de  « l’ordre vital ». Toutefois, au chapitre IV de Vie et mort en psychanalyse sur « Le moi et le narcissisme » qui m’apparaît comme l’essai le plus passionnant de l’ouvrage, le moi objet d’amour implique la présence de l’autre : le narcissisme n’est pas l’individuel ; c’est déjà une « foule » ou une « masse » d’où l’introduction en double file, dis-je, de l’Idéal-du-moi,  déterminant dans Psychologie des masses et analyse du moi et l’ensemble de la seconde topique. Si la mère est « le premier objet », la relation soi-disant « d’objet » de l’infans à « la mère » constitue déjà une « foule » à deux ou une « masse », grossie « après coup » du « père » incertus qui s’y introduit en tiers et provoque après lui le mythe culturel fondateur d’histoire de l’humanité sur plusieurs millénaires au « niveau de preuve » du lien social qu’il entend signifier pour accéder au pouvoir éducatif de l’enfant et à sa propriété, celle du pater familias romain. L’introduction du narcissisme n’est pas sans permettre une réintroduction sous cape de l’Œdipe par où Freud relie ce « schibboleth » de la psychanalyse au mythe antique du héros grec visant à l’identification sexuelle de l’homme du genre masculin comme représentant d’un genre humain « total », fondateur de « la » culture.  Dans les dernières pages de « Ponctuation » en 1992 (La révolution copernicienne inachevée, p. XXXIV), Laplanche observe avec la pertinence qu’on lui connaît : « La clé du problème reste bien le narcissisme ».

Mais sur une réintroduction du mythe antique du héros au point d’impact de l’Œdipe dans le narcissisme, je suis responsable de cette « suite » donnée à Hölderlin et la question du père qui engage selon moi l’œuvre ultérieure de Jean Laplanche, et au-delà de cette dernière, un retour plus « allemand » que « français » à Freud dans sa culture (Bildung) « classique » par rapport à l’Œdipe retravaillé sur plusieurs siècles en « Allemagne » au travers du protestantisme culturel allemand. En cherchant à revenir de « la Grèce de Hölderlin » qui m’apporte ces quelques « éléments en construction dans l’analyse », je tâche donc pour ma part de réintroduire ce vieux mythe du héros qui fait retour dans la problématique du concept de narcissisme introduit par Freud en psychanalyse par le truchement de l’Idéal-du-moi : le concept « métapsychologique » de l’Idéal-du-moi fait écho au « Bon Dieu » du « petit doigt [l’auriculaire] qui sait tout »  du Professeur Freud intervenant en tiers à la manière d’un « grand-père » auprès du petit Hans pour rassurer sur son identité sexuelle le petit garçon (Bube) haut « comme trois fromages » (en allemand), lequel petit Hans s’étonne à juste titre que Le Professeur puisse « avoir l’oreille » du Bon Dieu.

L’instance idéale par laquelle Freud réintroduit « en douce » l’Œdipe qui en est le « passager clandestin », son blinder Passagier  en allemand ou « passager aveugle » – la cécité étant du côté du spectateur qui n’y voit que du feu quant à l’objet (phallique) à faire passer en contrebande – permet à Freud de rapatrier incognito en psychanalyse tout l’héritage métaphysique de la religion monothéiste sécularisée par Kant pour le christianisme à l’adresse du protestantisme culturel en Allemagne. C’est un très gros chapitre encore à ouvrir que le croisement de la psychanalyse avec l’origine d’une « religion monothéiste ». Origine d’une religion « monothéiste » presque aussitôt recouverte  par le mythe dont « l’homme » doit devenir « le héros » sur la base de l’identification sexuelle problématique du masculin seul détenteur pour sa défense du pouvoir « phallique » comme « représentant » politico-religieux d’un genre humain « total ». Freud, qui n’est pas un esprit philosophique rigoureux (en tous les cas sur Kant) se contentera d’écrire à la fin de sa vie un roman « historique » sur son héros « égyptien » Moïse et la religion monothéiste. Pour lequel d’ailleurs la source d’inspiration est assurément l’étude qui précède en 1912 sur le mythe solaire d’Akhenaton de Karl Abraham, un clinicien parmi les premiers psychanalystes beaucoup moins défendu que Freud sur le complexe maternel de l’enfant mâle – si je m’en réfère seulement à ses écrits de  psychanalyse appliquée aux « cas »  du pharaon Amenhotep IV. (Echnaton) et du « culte monothéiste d’Aton » (1912) et du peintre de « la lumière » des Alpes Giovanni Segantini (1911). Néanmoins la relation profonde, souterraine à travers des millénaires d’histoire de l’humanité, est pressentie sur ce passage narcissique chez l’enfant mâle, au travers d’un mythe antique du héros, de toute la problématique œdipienne d’un premier complexe maternel, que Freud refoule, au mythe d’« un » père à l’origine de la genèse du « moi » de l’homme moderne. L’une des variantes du mythe de la Sphinx, monstre composite féminin – tous les monstres grecs sont des « revenants » de Gaia la Terre d’avant [l’interdit de] l’inceste au nom du « père » de « l’homme » – qui pose à Œdipe l’énigme de l’homme, en fait la fille naturelle de Laïos. Dans l’Ancienne Égypte, le rapport de la Sphinx au mythe solaire comme figure plus personnalisée ou  « feu astral » d’un mythe ouranien des origines, antérieur et plus large, est solidement établi[29].  De plus, longtemps avant d’en arriver à la naissance de la psychanalyse à la fin du XIXe siècle après J.C., presque deux millénaires après coup du passage de l’Antiquité au christianisme de la culture occidentale, il faudra compter avec quelques siècles de culture plus spécifiquement « allemande » depuis Luther au XVIe siècle traducteur de la Bible en « allemand » écrit moderne. Siècles du Moyen-Âge chrétien (Cf. Faust I de Goethe), relayés par la forte philosophie allemande et la littérature classico-romantique de la Goethezeit (« temps de Goethe »). Le Dichter (poète écrivain : créateur littéraire et/ou philosophe) va remplacer le prêtre « médiateur » d’une religion chrétienne sécularisée sous sa forme protestante : parce que les pasteurs se marient, le « poète » est souvent un « fils de pasteur » ou rattaché par héritage spirituel à ce « roman familial » en puissance (de Rousseau à Nietzsche et au nouveau « meurtre du père » qu’est la « mort de Dieu » prétendue postmoderne…) dans le complexe de filiation du nouveau héros, à mi-chemin entre ciel et terre pour son adresse héroïque semi-divine (jusqu’au « Surhomme » nietzschéen donc). Freud, intellectuel juif issu de la moyenne bourgeoisie cultivée de langue et de culture allemande dans le Mitteleuropa (comme Arthur Schnitzler, Franz Kafka… et Rilke, qui lui n’est ni juif ni protestant puisqu’il est catholique, mais il rencontre Lou Andreas-Salomé[30]…), hérite un siècle plus tard  de cette très riche ascendance allemande de « l’écrivain » du « temps de Goethe » : du fait de sa Bildung (culture au sens de « formation »). Le célèbre « Wo Es war, soll Ich werden », résumé en une formule lapidaire de la seconde topique freudienne – en même temps qu’exemplaire grammaticalement de la structure de la phrase allemande, est un rappel par « la Sorcière »  Métapsychologie du Bildungsroman goethéen de Wilhelm Meister et du second Faust. Dans un retour plus « allemand » que « français » à Freud, la « désirance » (Sehnsucht) pour une Grèce idéale du classicisme de Goethe et Schiller réunis à Weimar et de l’idéalisme allemand en philosophie est une composante subliminaire du topos que représente l’Œdipe psychanalytique. Dans cette fresque esquissée, le « retour à Freud » sous Lacan de la psychanalyse devenue « française » par transfert interculturel entre l’Allemagne et la France en Europe pourrait apparaître seulement comme un moment « progressiste », une étape marquante de la progression du refoulement secondaire ou « après coup » dans le mythe du héros désigné dorénavant comme le « sujet » normo-névrosé [de « l’inconscient structuré comme un langage »…] à « identifier » d’après l’Œdipe du complexe, celui bien entendu de la « Castration » en tous genres dans des sociétés « démocratiques ». L’histoire de la psychanalyse n’est pas finie : ni dans la théorie, ni par conséquent dans l’application clinique de la théorie. Je ferme pour l’instant cette parenthèse que Jean Laplanche n’ouvre pas à partir d’un Hölderlin qu’il laisse en arrêt sur image dans la course finale d’une belle conclusion ouverte et refermée sur le  négatif d’un magnifique coucher de soleil « de la psychose » photographié à la Henri Ey. Thèse de médecine oblige !  Mais il faut noter d’une manière annexe chez Freud le conflit intellectuel profond d’une judéité renvoyant à l’Ancien Testament en prise avec le christianisme du Nouveau Testament sous sa forme protestante, conflit psychique œdipien que L’avenir d’une illusion n’a pas fini de dénouer : le pasteur Oskar Pfister n’avait pas tout à fait tort d’objecter à Freud « l’illusion d’un avenir » pour la psychanalyse sur une question qui reste « cruciale » au carrefour œdipien où le mythe du « Père de l’Homme » croise le fer avec le meurtre du même par le « Fils » qui en advient dans le complexe paternel de filiation que représente l’Œdipe du garçon.

Dans la poétique de Hölderlin, Jésus-Christ, le « Fils de l’Homme », est le dernier des dieux antiques, en même temps que « l’Unique » (titre de l’hymne de Hölderlin où cela est dit) à retenir pour notre temps, soit « le pays de nos pères » en Hespérie où le Soleil se couche : l’Occident « chrétien » ouvrirait du coup la porte à  un « athéisme chrétien » ou à un « christianisme athée » logiquement possible pour l’homme n’habitant plus que « poétiquement » sur cette terre depuis « le départ des dieux ». Freud n’en est pas là dans l’analyse avec son « mythe scientifique » d’un « meurtre du père » de l’Homme par l’homme en devenir dans le petit d’homme. Et à vrai dire Nietzsche non plus avec sa « mort de Dieu » comme variante d’un nouveau et très ancien « meurtre du père » dans le mythe grec.

En retour à l’envoyeur (le fleuve du poème de Hölderlin, L’Ister), la théorie de la séduction généralisée de Jean Laplanche commencerait cependant de rendre davantage compte de la force du mythe hölderlinien par « l’objet-source de la pulsion », concept-clé apte à mieux expliquer dans le registre de la sublimation « l’inspiration » chez un créateur (J. Laplanche, Entre séduction et inspiration : l’homme, 1999). Dans « l’affaire », celle de Hölderlin et de « la question » du père en psychanalyse, Hölderlin serait « le premier », dans « l’avant-coup » du premier livre de Laplanche, à inspirer le psychanalyste afterwards – pour une meilleure traduction en anglais de l’allemand nachträglich que suppose l’apport de la théorie de la séduction généralisée  au concept freudien d’après-coup[31] (J. Laplanche, 1990/2006, Problématiques VI – L’après-coup).

Mais encore une fois, sur « la question du père » qui convoque en sous-main la question du père symbolique chez Jacques Lacan, c’est-à-dire plus avant la question de l’Œdipe chez Freud dans sa version d’un sexe « unique » par monisme de la libido (primat du phallus), Jean Laplanche, en dépit du déplacement, indiquant l’anguille sous roche, de l’Œdipe du « mytho-symbolique » ou « pseudo-inconscient » (J. Laplanche, Sexual, 2007) hors de l’inconscient comme refoulé, continuera tout au long de son œuvre, au chapitre de l’oscillation  topique  dans sa pensée concernant le surmoi renvoyé désormais à la question de l’Idéal-du-moi[32], de le conserver tel quel à l’endroit du « complexe de castration » ou « bras séculier » du « sexe » unique  organisateur « après coup » [au niveau du refoulement secondaire. R.B.] de la diversité du « genre » (premier) : « nouvelle « catégorie »[33]  du « genre » [gender comme genre sexué social distinct du Geschlecht freudien en allemand] introduite par Laplanche (Sexual, 2007) en psychanalyse, que Freud n’avait évoquée qu’ « en pointillés » !

Remarque : das Geschlecht en allemand est un substantif neutre, neutre parce que doté grammaticalement – ce qu’indique le préfixe « Ge- » – d’un sens « collectif », allant du « genre » au sens large devenu « familial » ainsi que dans la gens romaine (patrilinéaire à domination masculine), de « la race » et du « genre (humain) », jusqu’au cas particulier du genre de « sexe » qui advient à l’enfant à sa naissance et qui se retrouve remis dans le cadre de la famille. La lointaine étymologie germanique de ce substantif, d’origine verbale comme celle de nombre de substantifs allemands, est reliée au verbe schlagen, « battre », « frapper » et du coup « sonner » [ce que fait le battant contre la paroi de la cloche] l’heure du destin pour l’enfant dont la balance du sexe familial penchera du côté « père » ou du côté « mère » selon le lot tiré au sort lui assignant son « genre de sexe ». Freud, écrivain de langue allemande, pourra dire dans son mythe personnel du héros (Freud, sur « Hannibal » dans ses « rêves de Rome », Traumdeutung[34]), en paraphrasant l’autre grand stratège Napoléon sur sa « politique » [déterminante en outre dans l’histoire de l’Europe et en particulier de l’Allemagne] : « Le destin, c’est l’anatomie » !

Dans ses Remarques sur la traduction des tragédies de Sophocle, Hölderlin retraduira vers l’originaire « le Zeus » d’Antigone – la fille d’Œdipe, opposé à celui de Créon au pouvoir dans la Cité, par « le père du temps » et citera à l’appui sa (re)traduction du mythe de Niobé : « Elle comptait au Père du Temps / Les coups de l’heure, les dorés ». « Dorés » parce que dans « le mythe solaire » de Hölderlin[35], les coups du Soleil sont à l’origine titanesque (Hypérion / Hélios dans Hésiode) d’un « père du temps » (Cronos avec Chronos) antérieur à Zeus, son meurtrier.

Jean Laplanche écrira dans L’après-coup : « Pourquoi le temps, et pour quoi le temps à partir de la « théorie de la séduction généralisée » ? Eh bien, c’est qu’à mon sens il y a entre deux une liaison intime.  La théorie de la séduction est une pensée du temps. C’est une pensée, permettez-moi ce néologisme, « traductive » du temps ».



[1] Retravaillé en 2014, mon texte d’autrefois « Le Hölderlin de Jean Laplanche, une question à suivre », dont la première rédaction remonte à 1998, fut d’abord conçu dans son esprit autour du 4ème Colloque international Jean Laplanche de Porto Alegre (Brésil, 1998) auquel finalement je ne participai pas. Le Comité scientifique organisateur du Colloque n’avait pas retenu un premier texte que je proposai en 1997 pour une intervention à ce Colloque, texte maintenu paru, retouché,  en juillet 2014 dans D’un divan l’autre sous le titre « Ad me – De la relation de cas : le moi de l’autre (Sur la psychanalyse pratiquée ‘hors cure’ et sur la ‘transcendance du transfert’ selon Jean Laplanche) ». Comme le précédent, « Le Hölderlin de Jean Laplanche, une question à suivre » faisait partie de mon « salon des refusés » : il est extrait d’un tapuscrit intitulé L’invisible divan volant au ciel de la culture – Recherches psychanalytiques autour de Hölderlin, déposé avec un certain nombre de mes autres travaux aux Archives de Hölderlin à Stuttgart sises à la Bibliothèque d’état du Wurtemberg, Allemagne [28 données / Treffer au 01.09.2014 dans l’I.H.B. Internationale Hölderlin-Bibliographie online]. Jean Laplanche à qui j’avais envoyé mon écrit m’avait engagée à le « donner » à une revue, ce que j’essayai de faire auprès des Libres cahiers de la psychanalyse, sans succès (réponse négative de J.-C. Rolland). Seize ans ont passé. Ma correspondance avec Jean Laplanche (1992/93-2012)  n’est enregistrée dans mon ordinateur que depuis octobre 2004. Les lettres reçues de Jean Laplanche sont manuscrites et je les cite ici de mémoire. C’est seulement à partir de 2010 environ que Jean Laplanche rédigea quelques courriels. R. B., juillet / octobre 2014.

[2] J. Laplanche, Hölderlin et la question du père, Paris, PUF, 1961, 2e éd. 1969, 3e éd. Quadrige/PUF, 1984.

[3] J. Laplanche, Nouveaux fondements pour la psychanalyse – La séduction originaire, Paris, PUF, 1987, Quadrige/PUF, 1994, p. 132.

[4] Hölderlin, Andenken / « Souvenir »: Was bleibet aber, stiften die Dichter. Dans Hölderlin, Sämtliche Werke, 2, Kleine Stuttgarter Ausgabe, Stuttgart, 1965, p. 198.

[5] Dans le texte attribué à Hölderlin après 1806, transmis par W. Waiblinger, In lieblicher Bläue / « En bleu adorable… » (Tr. A. du Bouchet): Voll Verdienst, doch dichterisch, wohnet der Mensch auf dieser Erde. Dans Hölderlin, ibid. p. 372

[6] Cette notion d’ « avant-coup » dans l’après-coup renvoie à l’apport de Jean Laplanche au concept freudien de la Nachträglichkeit. J. Laplanche aura attendu 16 ans pour publier en 2006 ses avant-dernières et Sixièmes problématiques L’après-coup  contenant le prononcé de ses conférences de 1989/90 dans le cadre du D.E.A. de psychanalyse à l’université Paris VII sous le titre « possible » de « La Nachträglichkeit dans l’après-coup ». Cf.  R. Bonnellier, « Nachträglichkeit / Postférabilité (HÖLDERLIN – LAPLANCHE – FREUD) », mai 2013, dans D’un divan l’autre.

[7] Le qualificatif « para-lacanienne » pour désigner cette période des débuts de son œuvre est de Jean Laplanche (Correspondance personnelle R. Bonnellier – J. Laplanche).

[8] « Mise en mythe » est une expression qu’emploie J. Laplanche dans l’article « Buts du processus psychanalytique », paru dans la Revue Française de Psychanalyse, 1997, Tome LXI, p. 1191.

[9] Cf. Theodor W. Adorno, Parataxe dans : Hölderlin, Hymnes, élégies et autres poèmes, introduction par P. Lacoue-Labarthe, Paris, GF Flammarion, 1983.

[10] L’Entbindung en allemand signifie aussi la « délivrance » pour une mère, celle de la « naissance » de son enfant.

[11] Traduction de l’essai « Sur la religion » dans : Hölderlin, Œuvres, éd. P. Jaccottet, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1967, pp. 645-650.

[12] Cf. note de P. Jaccottet dans Op. Cit. supra, p. 1189.

[13] L’allemand, de la famille des langues germaniques dans l’aire des langues indo-européennes, est plus proche des choses concrètes, comparativement au français, langue romane et « seconde », où le pittoresque est resté au niveau – écran du latin. Cf. Roseline Bonnellier, « Surréel et romantisme dans la langue allemande », Topique, n° 119, 2012/2, L’esprit du temps, p. 87-100.

[14] Cf. R. Bonnellier, « Freud de ‘tous les chemins mènent à Rome’ « , juillet 2013, dans D’un divan l’autre.

[15] Ajout autocritique de 2014 à ce paragraphe : Dans les années 1990, je reprenais en psychanalyse mes travaux de recherche des années 1969-70 sur « Le mythe solaire chez Hölderlin », où la jeune germaniste que j’étais avait « croisé » pour la première fois le Hölderlin de Laplanche dans sa 2e édition de 1969. Je récuserais aujourd’hui le rapprochement naïvement scolaire  que je faisais encore en 1998 du « mythe » hölderlinien avec la conception culturelle du mythe de Lévi-Strauss. J’avais commencé d’être avertie du couple structuraliste « culture – nature » dans les années 1960 en classe de terminale, section philosophie, dans mon lycée de province (Beauvais), non sans avoir été « traumatisée » intellectuellement par l’annonce que « la nature n’existait pas » puisque que c’était un « mythe »  d’après la déduction que je tirai de l’enseignement de mon jeune professeur d’alors (Catherine Backès, connue plus tard sous le nom de Catherine Clément). C’était avant que je ne « découvre » Hölderlin l’année suivante en hypokhâgne  (Roseline Bonnellier, Ich habe dieses Jahr Hölderlin entdeckt, Prix Strasbourg, 1965). Je reconnais un fourvoiement dans ce rapprochement rapide des débuts de ma recherche psychanalytique, au moment plus « lacano-laplanchien » où j’en étais alors de mes travaux. J’étais encore trop « sans le savoir » dans l’emprise de « l’héritage » lacanien du « retour à Freud » de la psychanalyse française dans la pensée de Jean Laplanche (cf. R. Bonnellier, « Œdipe : l’éclipse. La théorie de la séduction généralisée de Jean Laplanche », Cliniques méditerranéennes, N° 80, 2009-2, « La psychanalyse (sur)prise par l’art », érès, pp. 233-247). Laplanche aura continué jusque dans son dernier livre Sexual paru de son vivant en 2007, d’adopter la définition structuraliste Lévi-straussienne du mythe pour la dénoncer à propos d’un Œdipe finalement « freudo-lacanien » précisément là où il le critique (depuis 1960 à Bonneval) et où il l’écarte après 2000 du « noyau de l’inconscient ». Le « mythe » chez Hölderlin, c’est tout autre chose (cf. R. Bonnellier, « Deuil des héros antiques », dans Topique N° 125 « Le héros adolescent et la mort », L’Esprit du temps, 2013/14, pp. 99-110.). C’est d’abord le mythe de la « Nature ». Hölderlin n’est évidemment pas structuraliste lui aussi « sans le savoir » comme notre Monsieur Jourdain national. Il ne parle pas de « la culture » : après Herder, auteur clé de la période du Sturm und Drang, mais en lui conférant une bien plus grande portée, il parle d’« humanité » (Humanität). L’accent mis au vingtième siècle sur « la culture » au détriment de « la nature » témoigne surtout de la place prépondérante prise par les « sciences sociales » dans le champ épistémologique des sciences humaines, notamment en France au moment du structuralisme et quand Lacan compromet le « mythe scientifique » freudien d’inspiration naturaliste avec son interprétation en linguistique et celle du mythe en ethnologie Lévi-straussienne : ce qui entraîne une certaine dérive dommageable pour la psychanalyse vers un « pseudo inconscient » cognitif du sujet « qui ne sait pas, mais quand même… » au nom de « l’inconscient structuré comme un langage », etc. Après que la « Métaphore du Nom-du-père » lacanienne eut remplacé l’Œdipe freudien ! L’actuelle question du « genre » (gender), en tant que « genre social » est un cache-sexe de la question de l’Œdipe que les psychanalystes dans leur écrasante majorité n’ont jamais voulu rouvrir parce qu’elle risquait d’ébranler l’édifice théorique dans son ensemble des névroses dites « de transfert » traitées dans le cadre de la cure, et par conséquent de mettre en péril l’institution toujours dans la dépendance de « la sphère des intérêts médicaux » (Freud, La question de l’analyse profane).

[16] In Hölderlin, Œuvres, op. cit., pp. 940-941 (Tr. A. du Bouchet).

[17] Hölderlin, La Grèce, 3ème version dans Œuvres, op. cit., p. 917.

[18] Hölderlin, Œuvres, op. cit. pp. 1157-1158.

[19] C’est aller très vite, certes, que d’associer Goethe au « romantisme ». Goethe et Schiller sont les deux grands « classiques » allemands réunis à Weimar après leur période de Sturm und Drang. Le rapport de Goethe aux « modernes » (les Romantiques) est complexe. Cf. l’introduction de Roger Ayrault à la somme dont il est l’auteur, La Genèse du romantisme allemand, Situation spirituelle de l’Allemagne dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, tome I, Paris, Aubier, 1961. Voir aussi : R. Bonnellier,  » Surréel et romantisme dans la langue allemande, » art. cit.

[20] L. Brisson, Introduction à la philosophie du mythe, 1, Sauver les mythes, Paris, Vrin, 1996, p. 9.

[21] Je cite d’après Oswald Ducrot / Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil/Points Essais, 1972, pp. 330-331.

[22] En Grèce classique, « tyran » ne signifie pas la tyrannie au sens moderne où nous l’entendons, mais « le gouvernement d’un seul ».

[23] J. Laplanche, Nouveaux fondements, op. cit., p. 134-135.

[24] J. Laplanche, Nouveaux fondements, p. 137.

[25] Ibid. p. 132.

[26] J. Laplanche, « Le temps et l’autre » (1990/91), dans La révolution copernicienne inachevée, Paris, Aubier, 1992, p. 377, note 23.

[27] Hölderlin, « Remarques sur Antigone », Œuvres, op. cit., p. 963.

[28] LAPLANCHE, J. – PONTALIS, J.-B., 1964, Fantasme originaire. Fantasmes des origines. Origines du fantasme, Paris, Hachette (Collection « Textes du XXe siècle »), 1985, pp. 32-33.

[29] Cf. la note 46 d’André Green (d’origine égyptienne) d’après une communication de Marina Scriabine   dans Un œil en trop : le complexe d’Œdipe dans la tragédie, Paris, Les Editions de Minuit (Collection « Critique »), 1969, p. 258-259 : « Dans les Hautes Epoques : le Sphinx représente indifféremment le roi ou la reine, le Soleil levant… Quant à l’énigme d’Œdipe, elle concerne, dans le cadre de l’Ancienne Egypte, le soleil que la représentation hiéroglyphique désigne comme un enfant à son lever (ou encore un scarabée), un adulte lorsqu’il est à son zénith (Rê) et un vieillard appuyé sur un bâton au couchant (Aton). Enfin l’inceste, dont la pratique, on le sait, était autorisée chez les Pharaons, se rattache encore au contexte légendaire solaire : tous les soirs le soleil s’unit à sa mère. Le soleil inengendré s’engendre lui-même signe de l’immortalité, prérogative de la divinité ».

[30] Cf. R. Bonnellier, « Lou et Rilke, l’ouverture du narcissisme », exposé prononcé le 12 janvier 2013 à Paris (Samedis de l’A2IP) dans le cadre du Colloque international « Lou Andreas Salomé : de St Petersburg à Paris » organisé par l’Institut Est-européen de Psychanalyse à St Petersburg et le  Freud Dreams Museum à St Petersburg, en collaboration avec l’Association internationale Interactions de la psychanalyse (A2IP) et le soutien du CRPMS (Université Paris-Diderot). Texte inédit à ce jour, où j’écrivais : « Lou a été éduquée dans le protestantisme culturel et philosophique allemand : le premier amour de l’adolescente fut pour le pasteur Hendrik Gillot. C’est aussi par là et en grande partie qu’intellectuellement, elle rencontrera Freud dans sa Bildung ‘classique’ ».

[31] Cette traduction française par « l’après-coup » est de Lacan (1953) qui au reste la jugeait « faible » dans une note en bas de page. L’ancienne traduction en anglais par deferred action se rapporte à l’interprétation clinique du double traumatisme dans le cas de la jeune hystérique Emma (Freud, Le projet ou L’esquisse).

[32] Il me faut reconnaître que je suis peut-être « passée par là » en 1992-93, lorsque je fis remarquer en séminaire du D.E.A. de psychanalyse codirigé par J. André et J. Laplanche, à l’occasion d’un exposé d’une doctorante de Laplanche sur le « Surmoi », qu’on ne pouvait pas ne pas reposer la question de l’Idéal-du-moi, dont j’avais déjà fait  « ma » question sans en être encore pleinement consciente : Jean Laplanche a « entendu » ! Une amie présente, plus avertie que moi et avec la distance de la spectatrice, me le signala très joliment, à moi qui m’en retrouvai fort étonnée : « le monde a basculé » ce jour-là, me confia-t-elle presque avec amusement. J’avais seulement dû exprimer assez brièvement sous forme de question mon embarras pensif sur la place accordée par Laplanche à l’idéal-du-moi dans sa théorie. Sachant que dans mon travail de recherche je « revenais » en premier lieu de… Hölderlin.

[33] Cf. R. Bonnellier, « Sexe et genre en psychanalyse – Réflexions sur « Le genre, le sexe, le sexual » de Jean Laplanche (dans Sexual, 2007) », octobre 2013, dans D’un divan l’autre.

[34] Cf. R. Bonnellier, « Freud de ‘tous les chemins mènent à Rome’ « , juillet 2013, dans D’un divan l’autre.

[35] Cf. R. Bonnellier, Sous le soleil de Hölderlin: Œdipe en question – Au premier temps du complexe était la fille, Paris, L’Harmattan (Collection « Études psychanalytiques »), 2010.

 

 

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