Roseline Bonnellier : « La Traumdeutung de Freud : Entre l’ancienne traduction de Meyerson et la nouvelle traduction de L’interprétation du rêve dans les OCF.P IV (PUF/Quadrige) » (1)

Intervention de Roseline Bonnellier, chargée de cours en L1 « Études psychanalytiques » à Paris VII Université Paris-Diderot, au cours de Madame Céline MASSON, le Mercredi 5 février 2014 de 10h30 à 12h, Halle amphi 8C .

Dans le cours magistral, Céline Masson se réfère principalement à l’ancienne traduction de Meyerson qu’elle préfère et qu’elle a mise à votre disposition dans l’E.N.T. sur Didel. Mme Masson m’a toutefois proposé de faire cette intervention aujourd’hui sur le choix à faire pour vous entre les différentes traductions de la Traumdeutung (= Td) auxquelles vous avez accès en librairie actuellement à un prix abordable, ne serait-ce que pour constituer au fur et à mesure votre bibliothèque personnelle dans la discipline des Études psychanalytiques (du nom de notre UFR) et en tant que futurs psychologues. Je suis germaniste de 1ère formation universitaire et docteur en psychologie (option psychanalyse) de 2ème formation. Et c’est en raison de cette double compétence que je fais cette intervention.

Pour ma part et dans le cadre de mon enseignement en TD, je me réfère davantage à la nouvelle traduction des OCF.P (PUF/Quadrige) que je préfère pour sa fidélité au texte allemand, tout en reliant le plus possible notions, références et citations à l’ancienne traduction bien connue de Meyerson (= M.).

  1. Les différentes traductions de la Traumdeutung
  1. Meyerson (= M.), l’ancienne traduction, L’interprétation des rêves

Cette ancienne traduction est épuisée. Bien sûr, vous devez pouvoir la consulter en bibliothèque. Nombre de psychanalystes utilisent néanmoins son vocabulaire plus ou moins par habitude ou parce qu’ils ne sont pas d’accord avec certains termes des nouvelles traductions aux PUF.

  • Il est clair que vous disposez dans l’E.N.T. de l’ancienne traduction de Meyerson réalisée en 1926 sous le titre La science des rêves, révisée et augmentée par Denise Berger, parue en 1967 sous le titre L’interprétation des rêves [je la montre dans le 6ème tirage de 1987 que j’ai apporté, brochée verte]. Je n’ai pas pu vérifier si vous disposez également à la fin de la retranscription faite par Mme Masson de « l’index des principaux rêves » ainsi que de « l’index des auteurs et matières », qui se trouvent à la fin de l’ouvrage pp. 555-558 et pp. 559-566 de Meyerson (que nous abrégeons ici par M.). C’est très utile pour votre travail, notamment pour vos exposés.
  • Mon information sur les autres traductions beaucoup plus récentes de L’interprétation du rêve et surtout sur les raisons du choix que je fais pour ma part de la traduction des OCF.P tome IV d’après 2000 ne vaut que sur cette base : vous disposez déjà en ligne dans l’ENT de la traduction de Meyerson à laquelle Céline Masson se réfère pour le cours magistral. Puisqu’elle n’est plus accessible maintenant en librairie. Mis à part quelques rares exemplaires d’occasion (vérifié chez Gibert, bd St Michel, cette semaine, sinon voir sur Internet pour les « occasions » devenues assez chères du fait de la rareté).
  1. Tome IV des Œuvres Complètes de Freud – Psychanalyse (= P) aux PUF, 2003 et PUF/Quadrige (format de poche actuellement au prix de 18€ en librairie), depuis 2010. Le tome IV s’intègre dans l’ensemble de la première traduction en France des Œuvres Complètes de Freud en Psychanalyse, qui commence dans les années 1980 ; ces traductions sont en voie d’achèvement aujourd’hui. C’est une traduction collective qui fut menée jusqu’en 2012 sous la direction scientifique de Jean Laplanche (décédé en mai 2012) ; l’équipe de traduction continue le travail maintenant dans le même esprit que précédemment. Le nom des traducteurs se trouvent au début de chaque volume.
  • C’est de cette nouvelle traduction de L’Interprétation du rêve que je vais essentiellement vous parler, par rapport à l’ancienne de Meyerson.
  1. Je mentionne à présent qu’il existe aussi une seconde « nouvelle traduction » de L’interprétation du rêve du germaniste Jean-Pierre Lefèbvre aux éditions du Seuil depuis 2010, récemment mise également en format de poche dans la collection de Points Seuil. Pourquoi cette arrivée de nouvelles traductions plus ponctuelles au Seuil (l’éditeur des Écrits et Séminaires de Lacan) en 2010 ? Parce que Freud est « tombé dans le domaine public » 70 ans après sa mort et que ses œuvres sont libres de droits à présent. C’est une affaire intéressante pour les éditeurs. Mais il n’y a pas que cet aspect commercial d’une certaine « guerre des éditions » ; des politiques éditoriales différentes recouvrent des différences d’écoles de pensée. Et pour ce qui nous intéresse ici principalement, il y va aussi et bien plus de différences entre les théories de la traduction des œuvres de Freud. Développer cet aspect-là des choses nous emmènerait très loin dans l’histoire de la théorie psychanalytique et de la psychanalyse tout court. Je m’efforce de vous donner seulement quelques points de repères afin de comparer les traductions et les termes dont se servent vos enseignants.
  • Concernant cette nouvelle traduction d’un seul homme au Seuil, du germaniste J.-P. Lefèbvre par ailleurs reconnu pour sa grande compétence de traducteur, je vais me borner ici à vous exposer dans les grandes lignes les arguments pour lesquels il me semble préférable pour vous, étudiants en psychologie dans notre UFR d’ « Études psychanalytiques » à Paris 7 Diderot, d’opter au contraire pour la nouvelle traduction des OCF.P de L’interprétation du rêve plutôt que pour celle de J.-P. Lefèbvre parue au Seuil. Traduction qu’il n’est certes pas interdit pour vous d’acheter ou d’acheter aussi, vu son prix modique et si vos enseignants respectifs en TD ont choisi de vous la recommander en plus de l’ancienne traduction de Meyerson à laquelle se réfère Mme Masson en cours magistral. Toutefois un détail que je trouve au demeurant significatif : attention d’un point de vue pratique pour votre travail et vos exposés ; je n’ai pas trouvé dans l’édition de 2010 au Seuil de la traduction de J.-P. Lefèbvre d’index des rêves à la fin de l’ouvrage ! C’est dommage. L’étudiant en psychologie et son enseignant chercheur en ont besoin.

En fait la traduction française de J.-P. Lefèbvre au Seuil est destinée à tous publics, et non pas précisément à des « spécialistes » ou futurs « spécialistes », voire chercheurs en psychanalyse. Elle n’est pas destinée spécialement non plus à des psychanalystes. L’esprit de l’ouvrage réalisé par un germaniste renommé vaut pour « la culture générale » que tout un chacun souhaitent acquérir au contact des grands textes de notre culture. Cette traduction ne garantit en rien, je crois, que la psychanalyse puisse être une « science ». Il y a là un problème épistémologique qui nous ramènerait à l’histoire de la psychanalyse en France et dans le mouvement des idées à travers le monde. Il y va un peu « politiquement » et sous couvert d’une certaine « objectivité », voire une « neutralité » bienveillante du traducteur germaniste compétent de la place que la psychanalyse occupe aujourd’hui. Devenue française au moment du « retour à Freud » de Jacques Lacan, elle « n’est plus en gloire » comme elle l’était par exemple dans les années 1970 et 1980, qui virent l’épanouissement d’une « pensée française » propre à ces années et dont la psychanalyse française était partie prenante.

Mais pour en revenir à l’aspect pratique qui nous occupe, je résume les arguments qui me font préférer de loin, et en dépit des controverses, la nouvelle traduction de L’interprétation du rêve des OCF.P  plutôt que celle d’un germaniste certes reconnu pour sa compétence de traducteur au long cours (J.-P. Lefèbvre a traduit Hegel, Marx ou Paul Celan…), et ensuite, je ne parlerai plus que de la traduction de L’interprétation du rêve dans les OCF.P : En bref, 1) J.P. Lefèbvre est germaniste, mais il n’est pas psychanalyste.

2) Même si en tant que traducteur attentif il peut avoir le souci de l’aspect conceptuel de certains mots qui reviennent dans la Traumdeutung sous la plume de Freud en allemand, je ne pense pas qu’on puisse lui accorder la compétence du « spécialiste » connaisseur de la théorie psychanalytique : il n’est pas rompu à la pratique des « concepts » psychanalytiques, là où la psychanalyse reste une « science » encore à définir pour le chercheur. Il traduit au mieux et d’après le « contexte », comme je crois l’avoir compris, c’est tout. N.B. : Pour l’anecdote, il est arrivé à la germaniste que je suis aussi d’assister à l’Institut Goethe de Paris – l’Institut culturel allemand – à la présentation en 2010 des « nouvelles traductions » de L’interprétation du rêve. Étaient présents à cette table ronde autour de J.-P. Lefèbvre et des éditions du Seuil seules représentées des germanistes traducteurs d’autres textes de Freud et… pour l’histoire de la psychanalyse Élisabeth Roudinesco dont on sait, et elle l’a écrit dans le journal Le Monde, qu’elle est passionnément contre la traduction des OCF.P qu’elle ne trouve pas assez « française ». E. Roudinesco, qui n’est pas germaniste, lit Freud avec les lunettes de Lacan. Il était assez choquant de voir que les PUF et l’équipe de traduction des OCF.P n’étaient pas représentées, ce qui laissaient à certain(e)s le loisir de dire du mal des absents (J.-P. Lefèbvre lui-même resté objectivement neutre s’abstenait bien sûr de faire chorus dans ce genre de diatribe partisane).

3) Le 3ème argument du choix de la traduction des OCF.P, j’y reviens, est le suivant : la traduction de L’interprétation du rêve dans les OCF-P s’intègre dans l’ensemble des Œuvres complètes de Freud en psychanalyse (pour la 1ère fois en France). En dépit des controverses qu’elles soulèvent encore, elles sont effectivement devenues l’édition “de référence” à laquelle se reportent maintenant beaucoup de psychanalystes.  Or, vous êtes étudiants en psychologie à Paris 7 et vous recevez à ce titre un enseignement dans l’UFR des « Études psychanalytiques ».

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  1. Remarques de traduction pour quelques mots-clés de L’interprétation du rêve dans les P (2010, PUF/Quadrige)

Jean Laplanche, le Directeur scientifique de la traduction des OCF.P, a imprimé sa marque théorique à ce travail de longue haleine, et c’est là que réside la raison des controverses soulevées : il suit une théorie « allemande » de la traduction qu’il a expliquée dans Traduire Freud (André Bourguignon, Pierre Cotet, Jean Laplanche, François Robert, PUF, 1989). Disons dans l’ensemble que ces nouvelles traductions qui peuvent déranger les habitudes françaises ont le gros avantage de la fidélité au texte allemand, c’est-à-dire à Freud dans la « langue de départ » de la psychanalyse. C’est important pour expliquer de plus près les concepts freudiens qui sont appliqués dans la pratique de la psychanalyse, également en cure. C’est important pour la recherche, et il faut rappeler à cette occasion que c’est Jean Laplanche qui a porté la psychanalyse comme « science » au niveau de la recherche à Paris 7 en introduisant de son temps et selon son ancienne désignation le « D.E.A. de psychanalyse » dans cette université.    

  • Le titre : la Traumdeutung [Nous allons faire un petit peu d’allemand]

Je vais sûrement dire assez souvent en allemand la Traumdeutung pour L’interprétation du rêve. Alors, expliquons tout de suite ce mot composé de la Traumdeutung du titre que Freud a donné à cet ouvrage important, considéré comme un ouvrage de base pour la psychanalyse et pour l’enseignement que vous recevez sur « le rêve comme paradigme ». La formation de mots composés fait partie de la langue allemande dont le vocabulaire n’est pas statique, mais dynamique : on peut toujours former de nouveaux mots en allemand ; Freud ne s’en prive pas en tant qu’écrivain et homme de science, afin de forger des mots susceptibles d’avoir valeur de concepts. Disons au passage que la notion critique en français de « néologisme »  [forger des « mots nouveaux » qui ne sont pas dans le dictionnaire] n’a pas vraiment lieu de s’appliquer à l’allemand.

Pour traduire un mot composé allemand, il faut dans l’ensemble procéder à l’envers : commencer par le dernier et finir par le premier. Comme nous nous occupons ici de lecture de textes, rappelez-vous ce petit « truc » ou « tuyau » que je vous donne pour les mots composés qui sont partout en allemand : très souvent, il faut aller à l’envers ! Pour le dire avec humour, même s’il ne vous est pas toujours recommandé de parler français en verlan ici-bas, il vaut mieux scientifiquement que vous pensiez en verlan pour mieux comprendre et traduire un certain nombre de mots importants de la psychanalyse. Je vais vous donner une petite recette de cuisine de la Sorcière (c’est comme ça que Freud appelait parfois sa métapsychologie soit la théorie – en empruntant à la « cuisine de la sorcière » du Faust de Goethe].

Partons d’un exemple simple en anglais que tout le monde est censé connaître : prenez « Margaret’s book », « le livre de Margaret ». Margaret est avant Book en anglais, et vous le traduisez après « livre » en français. Cela s’appelle le « génitif saxon » en grammaire allemande pour les initiés à l’allemand dans l’enseignement secondaire parmi vous (ex. : Barbaras Buch, « le livre de Barbara »). L’anglais et l’allemand sont de la même famille. Je ne vais pas faire de cours là-dessus, mais c’est simplement pour vous signaler que la plupart des mots composés en allemand sont formés d’après ce principe du génitif « inversif » resté vivace pour les noms propres, et d’origine ancienne quant aux noms communs, avec le s plus ou moins effacé à l’intérieur des mots composés dans le vocabulaire moderne actuel. [L’allemand moderne, qui est de l’allemand écrit, commence au XVIe siècle avec la Réforme, la traduction de la Bible par Luther, après l’invention de l’imprimerie].

Le substantif féminin Die Traumdeutung est par conséquent formé de der Traum au singulier qui veut dire « le rêve » [au pluriel, on dirait : die Träume], c’est facile à traduire en soi, et de die Deutung, plus difficile à traduire au sens de « l’interprétation », un mot qui implique une certaine problématique en psychanalyse. En tous les cas, pour l’opération courte de traduction du mot composé, je résume :

der Traum : le rêve + die Deutung : l’interprétation =

die Traumdeutung : l’interprétation du rêve

On peut penser et traduire en conséquence que si Freud emploie le mot Traum au singulier dans le titre de son ouvrage, c’est qu’il donne au rêve une valeur de « paradigme », c’est-à-dire de « modèle » pour l’analyse. C’est une sorte de terme « générique ». Il s’agit du rêve en général.

Avec le verbe « indiquer », que je viens d’employer, je mets le doigt sur le verbe allemand deuten, d’où vient le substantif féminin d’origine verbale Deutung. Deuten, traduit somme toute par « interpréter », comprend d’autres sens selon sa construction. Il peut signifier « désigner » (une personne ou une chose), « indiquer » (une chose). L’adjectif deutsch, « allemand » est étymologiquement apparenté à « deuten » au sens où pour « parler clair et net (deutlich) », on pourrait conseiller à la personne de parler « en bon allemand » pour s’adresser au « peuple » et en être compris ; deutsch vient d’un nom ancien qui renvoie au « peuple ». En fait, pour bien apprécier le verbe allemand deuten d’où vient die Deutung sous la plume de l’écrivain de la psychanalyse qu’est Freud, il faudrait, comme bien souvent en allemand, l’étudier étymologiquement sous l’angle de la philologie, la racine germanique du mot étant le « peuple ». Le verbe composé d’un préfixe bedeuten d’où vient la Bedeutung veut dire « signifier » au sens de « donner à comprendre » [sous-entendu : au peuple réuni]. En remontant au moyen âge, deuten comme on le disait en vieil allemand, signifiait : « montrer, expliquer, traduire, exprimer, signifier ».

Ce qui arrive avec la psychanalyse, c’est que « le moi n’est plus maître dans sa demeure ». Qui va interpréter le rêve ? Ce n’est pas forcément « ego », ou moi. On peut dire en allemand, je l’ai lu en passant sous la plume de Freud dans le texte original quelque chose comme « il me rêve que »… où « il » est impersonnel au sens presque de « il pleut, il vente, il neige », et dans ce cas il n’est même pas exprimé en allemand selon la construction (et quand il l’est il est « explétif », vide de sens) ; en français plus compréhensible et relativement littéral, on pourrait traduire par : « il m’arrive le rêve suivant… » C’est en cela que le rêve est la « voie royale » vers l’inconscient.

  • Sur le Wunsch dans « le rêve est l’accomplissement d’un souhait (OCF.P) / désir (M.) » : c’est la thèse principale de Freud dans la Traumdeutung (j’abrègerai : Td)

Quelques mots allemands autour de : Le rêve est un accomplissement de souhait [/ de « désir » ?]

  Les champs sémantiques du « désir » en français et des différents mots en allemand qui recoupent cette notion peuvent-ils se recouvrir ?

der Wunsch, le désir (Begehren, Verlangen) [nach: de]; le souhait, le vœu (en particulier au sens courant : vœu de bonheur)… ; le verbe est wünschen (trans.),  désirer (qqch pour soi / de faire qqch), que… /  (aussi pour d’autres),  ambitionner (qqch.), avoir envie de…, faire des vœux pour, souhaiter (par ex. la bonne année / qqch pour son anniversaire)…

En allemand, le mot-clé de la thèse de Freud dans L’interprétation du rêve est der Wunsch.

Sur la traduction française « le désir », cf. Jean Laplanche, Vocabulaire raisonné dans Traduire Freud, Op. Cit., OCF.P, PUF 1989, pp. 143-144 à « souhait » :

« D’emblée, les traductions françaises ont commis l’impropriété de traduire Wunsch par « désir ». Une erreur où ne sont pas tombés les Anglais qui distinguent soigneusement wish (Wunsch) et desire (Begierde). C’est sans doute Lacan (1958) qui fut le premier à souligner que Wunsch, tout comme wish n’évoquent… « rien moins que la concupiscence. Ce sont des voeux » (Écrits, Seuil, 1966, p. 620).

La raison grammaticale et structurale en est évidente : le verbe wünschen porte essentiellement sur un scénario (sujet/verbe/complément, explicites ou sous-entendus) dont on souhaite la réalisation ; lorsqu’il est employé transitivement, il sous-entend toujours une locution impliquant la possession de (sich etwas wünschen), la présence de, etc. En aucun cas wünschen transitif ne peut signifier le désir sexuel. Chez Freud, l’accent mis sur le Wunsch est lié au caractère essentiel de ce qu’il nomme Wunschphantasie : la représentation d’un « désir articulé en un discours » (Lacan, ibid.) et non la visée, sans médiation, d’un objet à consommer.

La traduction suggérée par Lacan (« vœu ») se heurtant à l’absence du verbe correspondant, nous avons opté pour la série : « souhait », « souhaiter ».

Voir aussi les articles : « désir », « désirance », « plaisir ».) »

 

  1. Laplanche, ibid., pp. 95 et suiv., au mot « Désir » (extraits):

« Avant même d’entendre nos raisons, on nous a reproché de « rayer le désir » de l’œuvre freudienne. A supposer que ce fût le cas, l’originalité des développements apportés par la doctrine lacanienne et, à sa suite, par la psychanalyse française, n’en serait mieux que perçue. Mais les choses sont en réalité plus complexes, et nous avons tenté de restituer au mot « désir » la place qui lui correspond le mieux dans la terminologie freudienne.

  1. / Le désir, comme convoitise, désir violent visant à consommer l’objet, trouve son expression exacte dans l’allemand de Freud avec le mot Begierde (et ses apparentés Begehren, Begehrung), celui-là même qui est présent dans la formule hégélienne selon laquelle « le désir de l’homme est le désir de l’autre ». Une formule qui tournerait à l’absurde si on l’écrivait : « Der Wunsch des Menschen ist der Wunsch des Anderen » ! Si une articulation est à chercher entre les doctrines hégélienne et freudienne, ce ne peut être, assurément, sur la base d’une erreur conceptuelle due à une fausse traduction… française !

     2 / Lust, pour sa part, est un désir qui inclut le plaisir visé, et porte plutôt sur une action (un « but » au sens freudien) que sur un objet […] »

Autres mots allemands recoupant le champ du « désir » en français

  • die Begier(de) signifie : désir, envie, avidité, convoitise, cupidité… Verbe : begehren (trans.), désirer, convoiter, envier, jalouser, ambitionner, (verlangen) demander (zu : de), exiger, réclamer. L’adjectif begierig peut signifier « concupiscent ». Il y a donc une résonance sexuelle évidente dans le mot de l’ordre d’une sexualité physique accomplie […]. Sur la Gier, « avidité », « soif (de) », « gloutonnerie », « voracité », « cupidité », songer au roman d’Elfriede Jelinek (Autriche), Gier, 2000 (trad. 2004).

Der Geier, « le vautour » (celui du Léonard de Freud où il est question de la « sublimation » dans l’art : cf. R. Bonnellier, « Traduction et psychanalyse : attention en libre/égal suspens ou la métaphore de l’Oiseau, sur le vautour du Léonard de Freud », Cliniques méditerranéennes, N° 85, Érès, 2012, pp. 153-168 : der Geier signifie étymologiquement « le vorace », c’est un adjectif substantivé. Freud, écrivain, a besoin de ce mot très significatif en allemand dans le Léonard.

  • die Lust, la joie (/Freude), le plaisir (Vergnügen), le désir (Verlangen), l’envie [cf. expression courante : j’ai envie de… je n’ai pas envie de…], la convoitise, l’appétence, l’appétit (Begierde), la volupté (Sinnenlust)… [cf. Freud, Au-delà du principe de plaisir]
  • der Neid, l’envie, cf. le Penisneid
  • die Sehnsucht : la « désirance » [néologisme en français – P], la langueur, l’aspiration (nach : à), le désir ardent ; sich sehnen (intr.) / ersehnen (trans.), soupirer (nach : après), avoir la nostalgie (nach : de), regretter (nach)…
  • das Verlangen [infinitif substantivé, donc neutre, le verbe est verlangen : 1) tr. demander, exiger / réclamer (fordern). 2) intr. (sich sehnen / die Sehnsucht) : désirer, avoir envie de, soupirer après…

Autres mots et concepts de la Traumdeutung (= Td)

  • seelisch : « animique » (P) / « psychique » (M. et traductions anciennes habituelles) ; der seelische Apparat : « l’appareil animique » pour « l’appareil psychique » (/ der psychische Apparat) ; Seelenapparat : « appareil d’âme » / de l’âme. Choix du terme latin étymologique « anima» pour traduire « l’âme » (die Seele) au lieu du mot d’origine grecque Psyche.

Le rêve est pour Freud « un acte animique » (ein seelischer Akt). « Animique » (dans les OCF.P) pour « psychique » (dans la traduction de J.-P. Lefèbvre). Et parce que le rêve est un « acte animique /psychique », il est « interprétable » (deutbar) dans la conception de Freud.

La traduction de Meyerson par « acte mental » ne convient pas du tout. Et Meyerson ne garde pas le même mot. Il passe de « mental » à « psychique » pour le même mot alld seelisch (trad. Strachey qui traduit « âme » par mind).

[Ce sont les mots controversés de la traduction des OCF.P, dénoncés par exemple par E. Roudinesco (article du Monde 8 janvier 2010): « « souhait » ou « désirance » à la place de « désir » (wunsch/ Wunsch), « animique » à la place d’ « âme » (seele/Seele) ou de psyché, « fantaisie » au lieu de « fantasme » (fantasie – Phantasie) » (Roudinesco cite en gros et sans trop respecter l’orthographe allemande. N.B. : tous les substantifs s’écrivent avec une majuscule initiale en allemand).  À vrai dire, ces mots nouveaux ne sont pas si nombreux, et seul « désirance » (Sehnsucht) peut apparaître comme un néologisme. Je renvoie encore à la terminologie des OCF.P, expliquée dans   Traduire Freud, PUF, 1989.

  • Lösung, « solution » / Auflösung (dans le rêve paradigmatique de « l’injection faite à Irma » (P p. 141-156 / M. 98-112)

Dans le rapport préliminaire : L’été 1895. Une jeune dame (Irma) de son entourage, une amie de ses proches est en traitement auprès de Freud ; Problèmes posés par le mélange dans les relations : l’intérêt personnel du médecin est plus grand et son autorité moindre. Le succès de la cure fut partiel : Freud n’était pas sûr à cette époque des critères marquant la liquidation (Erledigung) d’une histoire de maladie hystérique et il crut sa patiente susceptible d’accepter une « solution » (Lösung) qui ne lui parut pas acceptable. C’est dans le désaccord sur cette « solution » qu’ils interrompirent le traitement à cause de la période estivale. Lösung et Auflösung : la solution ou « guérison » promise va de pair avec « l’explication » – « résolution » (OCF.P). […]

Au cours de l’analyse du rêve : Je fais des reproches à Irma pour n’avoir pas accepté la solution ; je dis : si tu as encore des douleurs, c’est ta faute à toi. Le mot solution est déterminant. Freud explique qu’à cette époque il pensait (opinion reconnue plus tard comme « inexacte ») que sa tâche se bornait à communiquer aux malades « le sens caché de leur symptôme » [Freud jouait donc assez le rôle de donner la « clé des songes » comme dans un Traumbuch en appliquant la règle de « l’interprétation symbolique » et de la « méthode du chiffre » en guise de « recette »] : aux patients d’accepter ou non cette « solution » – explication / solution valant pour résolution / guérison (selon les tr.  des OCF.P ou de M. pour « guérison ») – Freud n’en n’était plus responsable [cela va être l’argument de culpabilisation-déculpabilisation sur lequel joue le rêve]. Le mot Lösung signifie aussi la solution d’une énigme ou d’un problème (en mathématique), le « dénouement » au théâtre, la dissolution en chimie et un Lösungsmittel est un « dissolvant ». Freud est reconnaissant à cette « erreur » de ses débuts, qu’il a maintenant surmontée, quant aux succès thérapeutiques dont il devait faire état. C’est la faute à Irma, ce n’est pas la sienne. […]

  • Darstellung, « présentation » (P) / « figuration » (M.), dans « L’injection faite à Irma » et surtout dans le chapitre VI, du point de vue conceptuel :
  1. [III] Les moyens de présentation [M. : figuration] du rêve (die Darstellungsmittel)
  2. [IV] La prise en considération de la présentabilité [M. : figurabilité] (Darstellbarkeit).

Dans « L’injection faite à Irma » : Triméthylamine. C’est le mot clé du rêve. Apparition de l’ami Flieβ [orthographe : β = ss pour Fliess] et allusion à ses idées d’une « chimie sexuelle ». La triméthylamine vient illustrer, figurer ou re-présenter (darstellen) comme au théâtre ou sur cette autre scène du rêve, le personnage donnant la formule   de Irma : elle représente la sexualité, ce facteur auquel Freud accorde « la plus grande significativité » (die grösste Bedeutung : Bedeutung veut dire « signification » et du coup « importance ») pour la genèse des affections nerveuses qu’il entend guérir. Cette clé du rêve débouche donc sur l’autre perspective que l’accomplissement du souhait le plus évident que Freud met à jour dans cette première analyse. Il s’agit de l’ouverture de son œuvre à venir et de la découverte de la psychanalyse : La bouche d’Irma « s’ouvre » comme le rideau au théâtre qui se lève (geht…auf).

Pourquoi est-il, selon moi, particulièrement intéressant de traduire plus fidèlement le verbe darstellen par « (re-) présenter » plutôt que par « figurer » (M.) ? Cf. Le rêve de l’enfant qui brûle (début du chap. VII) :  2 caractères presque indépendants marquent la forme d’apparition du rêve de l’enfant qui brûle :

1) Présentation de la pensée comme situation au présent avec omission du « peut-être »

2) transposition de la pensée en images visuelles et en paroles

Le présent pour l’optatif

Mais l’accomplissement de souhait joue dans ce rêve un rôle accessoire.

Dans le rêve de l’injection faite à Irma, le rêve refoule l’optatif : « si seulement le responsable de la maladie d’Irma pouvait être Otto ! », et le remplace par un simple présent : « oui, Otto est responsable de la maladie d’Irma. »

« Le présent est la forme temporelle sous laquelle le souhait est présenté comme accompli »

Mais cette mise en « présence » – qui fait partie de la « présentabilité » (OCF.P / M. : figurabilité) –, on l’a aussi dans les « rêves diurnes », fantaisies, fantasmes diurnes. […]

  • Phantasie : « fantaisie » (P) / « fantasme » (M.)

Dans le rêve de la monographie botanique : « fantaisie diurne » (/ M. : « fantasme diurne » pour l’allemand Tagesphantasie.

Sur le problème de traduction pour die Phantasie : voir le vocabulaire de la psychanalyse de J. Laplanche et J.-B. Pontalis à « fantasme » en 1967, tr. « fantasmes conscients ou rêves diurnes ». Le mot est discuté dans la « terminologie raisonnée » de J. Laplanche dans Traduire Freud en 1989 avec adoption, sur une suggestion de D. Lagache, du mot français « fantaisie » pris dans son sens ancien.

Cette étude n’est évidemment pas exhaustive. J’ai donné quelques exemples de différences de traduction entre les anciennes traductions et celles des OCF.P. On pourrait ajouter toutes les notions importantes qui interviennent dans « le travail de rêve » (la Traumarbeit) comme le « déplacement » (la Verschiebung) et le « travail de condensation » (la Verdichtungsarbeit) ; le vocabulaire (Cs ; Pcs ; Ics) de la naissance de la 1ère topique au chapitre VII, notamment le sens littéral à entendre dans la Wahrnehmung traduite par la « perception » avec les « signes de perception », Wahrnehmungszeichen, mot à mot (en allant à l’envers): les « signes pris pour vrais », etc. C’est à étudier pour vous au cours du 2ème semestre au fur et à mesure avec vos enseignants quelle que soit la traduction adoptée.

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3 réponses à Roseline Bonnellier : « La Traumdeutung de Freud : Entre l’ancienne traduction de Meyerson et la nouvelle traduction de L’interprétation du rêve dans les OCF.P IV (PUF/Quadrige) » (1)

  1. Alain Pennel dit :

    Une telle débauche d’érudition fait un peu sourire quand on pense par ailleurs à l’inefficacité thérapeutique, voire à la nocivité, de la psychanalyse…

    • Joel Bernat dit :

      Bonjour.
      Est-ce l’objet (= psychanalyse) qui est mauvais, ou le praticien ? Est-ce le pain qui est mauvais ou le boulanger ?
      pourquoi continuer de prendre du pain là où il est mauvais ?
      Il en va du pain comme des médecins, de la psychanalyse et de tout le reste. Quant aux généralisations très pratiques, elles permettent d’exprimer autre chose qu’une réflexion.
      La psychanalyse est nocive – oui, cela existe, comme la médecine aussi parfois – et inefficace – comme la médecine aussi parfois – : faut-il donc tout bruler ? Et la question est elle sur l’objet ou sur la relation à l’objet ?
      Enfin : que proposez-vous svp d’efficace et de sain ? pour le bien de tous.
      merci de votre commentaire
      JB

  2. bouquet marie dit :

    D\\’accord avec le commentaire de JB, j\\’ajouterais bien quelques mots qui pourraient peut-être continuer à éclairer les choses .La métaphore du pain est tout à fait adaptée parce qu\\’elle vient s\\’opposer à ce que A.P a pu prendre pour \\ »une débauche d\\’érudition\\ ».Il est toujours utile de se rappeler les deux temps de la pratique psychanalytique. En séance, justement, sera parlé, vécu, revécu, évité, convoqué de façon sensible, jamais intellectuelle, jamais conceptuelle (ou alors , c\\’est qu\\’on s\\’égare …), le pain, par exemple,très concrètement (je ne parle pas de l\\’objet psychanalyse là), avec ses odeurs, ses saveurs retrouvées, recherchées , et celui qui le donnait , celle qui nous en privait … et pourquoi cet homme sur le fauteuil est incapable de nous en donner, est- ce qu\\’ il va un jour comprendre que j\\’en ai besoin, ou que j\\’ai pas faim ou qu\\’il est pas bon et pourquoi faire de cet homme un boulanger parfait et au fait , vous n\\’auriez pas besoin d\\’un mitron ? etc …Que dans un autre temps, hors séance, le \\ »boulanger\\ » travaille , recherche, parce que ça l\\’intéresse, qu\\’il a les moyens intellectuels de le faire , qu\\’il en a besoin , qu\\’il écrive alors et qu\\’il donne , comme dans le texte proposé, une impression de grande érudition, pourquoi pas , cela peut faire avancer la théorie, mais ce ne sera jamais présent dans la séance. Sinon, alors, oui, AP, on risquerait être dans l\\’inefficacité, c\\’est vrai.Marie Bouquet

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