Roseline Bonnellier : « Hans et l’humour »

I.                Hans, phobie et Phantasie

Komisch, vous avez dit komisch, le sexe de la petite soeur ?

Le complexe d’Œdipe de Hans n’existe pas sans  Hanna.

Nouvelle humoristique écrite en 1995,

extraite du recueil Maman, les petits garçons… (inédit)

de Renée Brigge, un pseudonyme passager

de Roseline Bonnellier dans les années 1990.

Note de lecture pour le Professeur Sigmund Freud : Sois belle et tais-toi, Hanna !

Hans, lecteur de Hans

                                                                       Au Professeur Sigmund Freud

chez Fischer en Allemagne et

aux Presses Universitaires de France

Paris, 27 avril 1995

Monsieur Le Professeur,

            Comme vous êtes mort, je vous écris dans vos livres qui, eux, existent toujours et que je peux lire.

            C’est à cause de mon faiseur-de-pipi dont vous parlez tant par l’intermédiaire de Fatti qui vous rapporte ses observations ainsi que les conversations que j’ai à la maison, à Gmunden, à Lainz, avec lui, avec Mammi et un certain nombre d’enfants. Parfois, je vous écris, comme aujourd’hui ;  j’aime beaucoup cela, car j’essaie alors de dire ce que je pense.

            Je n’ai pas tout lu de moi dans votre livre ;  je m’y promène, je vais voir les chevaux, mais pas forcément dans l’ordre, et il m’arrive de vérifier des mots de vocabulaire que je retraduis pour une amie française qui s’inquiète comme vous, et en suivant votre enseignement, de ce membre, objet de tous nos soucis. Pour l’instant, je vous envoie seulement quelques notes de lecture ; en effet, ce que je découvre dans votre ouvrage – officiellement, vous en êtes l’auteur –, me laisse pressentir tant de choses si fines qui se cachent derrière votre théorie, que trente-six petites mains seraient nécessaires pour en découdre avec elles en y ajoutant une adresse extrême.

Je n’en ai pas fini de la naissance d’Hanna ; j’attends toujours la cigogne que, j’insiste, on n’a jamais vue, d’où la déduction suivante : Elle vient la nuit quand tout le monde dort. Lorsque je me suis réveillé ce matin-là à 7 heures et que j’ai entendu Maman tousser, mais ce n’était pas vraiment tousser, je me suis dit  : c’est pour aujourd’hui. La vue de la trousse abandonnée par le médecin dans l’antichambre m’a confirmé dans mon opinion. Puis je suis rentré dans la chambre et j’ai montré du doigt la bassine avec du sang : L’impression d’étrangeté venait de ce qu’il  ne sortait pas de sang de mon faiseur-de-pipi, pas plus que de celui des locomotives ou des vaches, j’avais à mon actif maintes observations, à moins que… que s’était-il passé  ? Force m’était de constater qu’il  arrivait quelque chose au faiseur-de-pipi si la cigogne venait, et de me rappeler qu’il  ne fallait pas s’adonner à y porter les doigts, même si l’envie vous en démangeait, c’était une cochonnerie avait grondé Mammi. Le médecin peut le couper ou la cigogne le mordre  ;  après, il y a Hanna qui ne sait pas parler et n’a pas de dents, on se demande si le faiseur-de-pipi va lui pousser un jour comme à tout le monde, le monde c’est lui, Hans. Etait-ce mal d’être bien avec Mammi, ou était-ce un mal pour un bien ? Comment savoir  ? Il devait se rendre à l’évidence  : Le faiseur-de-pipi d’Hanna avait été considérablement amenuisé au point d’être devenu quasiment inexistant. Il y avait là un tour de passe-passe : La cigogne avait d’abord mis la nouvelle arrivée auprès de  Fatti, puis avait opté pour Mammi. A qui est-elle ?

Maintenant je cours après les chevaux dont j’ai peur parce qu’ils ont un faiseur-de-pipi qui mord ;  en fait ce sont eux qui courent après moi puiqu’ils sont arrivés avant dans le temps avec leurs grosses voitures qui tombent à la renverse. Avec Hanna ils essaient de me refaire, autrement dit de me rouler.

Ils ressemblent aux morts qu’on met dans des caisses, ceux de sous les-pavés-de Vienne-qui reviennent faire des loumpfs, donc des enfants.

De toute façon, si on me le coupe, je peux T.B. faire une Hanna avec mon derrière, comme Maman.

Je vois bien qu’on s’occupe beaucoup plus d’Hanna que de moi à  présent, alors qu’elle n’a pas cette chose que j’ai, ou alors si petite. Pourquoi  ? Il faut croire qu’Hanna est belle. Je la trouve bizarre à cet endroit-là, mais j’apprends à dire  : Comme elle est belle, Hanna ! et je ris.

J’apprends aussi à regarder mon faiseur-de-pipi avec d’autres yeux. Je sais dorénavant que j’aime Hanna pour des raisons esthétiques. Je n’ai pas le droit de donner mes doigts au cheval-faiseur-de-pipi qui mord, alors que ça me démange, ai-je dit. Avec Hanna, je suis tranquille, il n’y a rien à toucher, il suffit de regarder. Cependant ça existe puisqu’on s’en soucie et même plus que de moi. Je trouve Hanna si jolie donc. Je voudrais avoir une petite fille comme ça avec Mammi.

Vous m’avez dit, professeur, que vous saviez par votre petit doigt lonla lonlère que c’était arrangé avec le Bon Dieu. Fatti avait fait  comme moi avant, il est marié avec la grand-mère de Lainz. Mais tout de même, Professeur, pourquoi le Bon Dieu trouve-t-il ma petite sœur jolie  ? Faut-il qu’elle soit belle pour que lui, Dieu, existe !

28 avril (suite)

C’est à cause de ce faiseur-de-pipi qui circule en voiture. Il a un chapeau comme un cocher ou le docteur avec sa trousse. Tout le monde sait en pays allemand que la cigogne est du genre masculin. Notre cher Storchi, c’est bien un homme avec son chapeau qu’il  enlève en rentrant, et voilà ce qui arrive. Si c’est une fille, c’est parce qu’elle a pris le faiseur-de-pipi, et il a disparu, on ne le voit plus, Hanna est à moi, c’est mon enfant, il le faut  ;  les filles, elles, ont des garçons, pour que le faiseur-de-pipi puisse ressortir. Si on laisse tomber Hanna dans l’eau et qu’elle meurt en passant sous les pavés de Vienne, ce sera comme pour maman, un petit garçon reviendra juste à la bonne place qui est la mienne. Quand Fatti m’a dit que ce n’était pas bien de souhaiter la mort d’Hanna, je lui ai répondu, souvenez-vous en, que je pouvais bien le penser afin de vous l’écrire. Et dans une petite note en bas de page, au pied dit-on chez nous comme si on sifflait son chien, vous m’avez approuvé chaleureusement. Nous sommes complices pour cette pensée qu’il  faut escamoter Hanna, pour que vous et moi, nous fabriquions ensemble une belle théorie, avec un + pour moi et un –  pour Hanna, à qui on accordera qu’elle est très jolie, pourvu qu’elle se taise. Cela nous fera rire, moi sans ironie aucune, parce que je suis petit et très près de savoir d’où vient la fameuse théorie d’Hanna, je soupçonne son origine obscure. Mais vous êtes grand et vous vous asseyez sur un plus grand trône que moi, d’où vous émettez des loumpfs officiels sous leur livrée au col raide d’Œdipe constitué ; et vous me regardez avec une légère condescendance amusée en me traitant de marmouset, vous êtes assis sur ma girafe chiffonnée qui ne crie plus. Il y a un pacte entre nous parce que j’ai accepté de vous mettre sur le piédestal du grand-père, mari de la Lainzerin, afin de pouvoir faire l’homme comme Fatti. C’est lui qui est comique dans l’histoire. Hanna, elle, est plus étrange, son silence est d’or, sur elle repose votre théorie. Si elle se remet à crier comme une hystérique, cela arrangera plus d’un de vos confrères et successeurs, et nous baptiserons Hanna, qui est aussi le prénom de votre fille chérie, Psychanalyse.

Ah, Professeur… ! J’ai une tristesse soudaine, un requiem me passe par la tête comme un tramway. Je deviendrai musicologue, je crois, et je m’occuperai de Mozart… Je crains que mon père ne vous ait vendu mon âme autrefois, et j’ai dû me débrouiller dans cette affaire entre hommes pour m’insérer. Il me semble que vous n’appréciez pas tellement la musique, sauf peut-être Don Giovanni. Je me demande comment elle pousse son contre-ut, la Reine de la Nuit, dites-moi..ne savez-vous pas  ?

Bien à vous

Hans

II.            L’humour et l’enfance*

Hans fait-il de l’humour sans le savoir ? À l’envers de « l’objet clinique », l’enfant herméneute, co-auteur de l’Œdipe freudien, accèderait-il  à l’humour, en annonçant au niveau préconscient de la première topique l’énigme du surmoi de la seconde ? R.B., janvier 2008.

En français, l’humour serait la politesse du désespoir. En allemand, c’est « quand on rit quand même » (Humor ist, wenn man trotzdem lacht). L’allemand, plus abrupt ici et moins « policé », serait-il moins désespéré ou résigné que le français, moins tranchant par au-dessous, moins pressé de couper les ponts du retour à son arrière-pays ? L’adage allemand resterait fidèle à l’esprit de sa langue, toujours reliée, même aux sommets de l’abstraction philosophique, au concret des choses, alors que le français, forcément plus intellectuel, est arrêté au niveau pittoresque de l’implicite par l’écran amnésique du latin, et doit s’y prendre plus indirectement pour retourner à la réalité concrète, en usant par exemple de la métaphore. Dont celle, lacanienne, du « Nom-du-père » constituerait un avatar. Cependant Freud, dans son écriture scientifique justement, sait recourir aux mots d’origine latine passés dans la langue allemande. Pour Humor, de toute façon, il n’a pas le choix : Le mot est emprunté à l’anglais du 18ème siècle, qui se réfère au vieux français humeur, laquelle pouvait être au départ bonne ou mauvaise, et cela vient du latin médical où il s’agissait d’« humidité ». Le sens positif de la bonne humeur l’a emporté dans le cas de l’humour. L’humour est une sorte de médicament, c’est une défense. Le Trotz est, lui, bien allemand, d’origine germanique obscure, dit le Duden étymologique ; il signifie la bravade, l’obstination, l’opposition, voire le défi. La préposition qui régit le datif dans le mot composant l’adverbe trotzdem indique l’adresse : pour qui fait-on de l’humour, ou pour quoi faire ? En français, l’adresse du datif d’intérêt (notre ancien complément d’attribution en grammaire) se fait oublier ; il faudrait creuser dans ce que recouvre la notion complexe de l’ancienne politesse[1] à la française  avec ses trésors de diplomatie, pour tenter de s’y retrouver : c’est une affaire d’histoire, et de différence culturelle, transferts compris entre les peuples, affaire aussi  de civilisation occidentale. Et peut-être qu’y comprendre l’humour juif de Freud venu doubler ou infiltrer celui dont serait capable sa culture germanique, n’est pas chose facile pour un non juif, et plus encore une non juive occidentale, pour qui le père ne serait pas aussi… viscéral. D’autant que la filiation juive, à l’origine,  vient  des femmes, par le sang : quant à la mère juive et à son fils roi, ce n’est pas rien, comme on sait ! Cette libre association d’idées veut dire en tous les cas que l’humour est aussi une chose enracinée dans la culture et l’histoire des peuples, donc dans les langues naturelles. Et dans notre culture, parmi les « instances » parentales auxquelles renvoie l’humour, comme le remarque Freud, c’est particulièrement le père, ancien détenteur de l’autorité mytho-symbolique, qui est visé. Le complexe d’Œdipe s’est également appelé le complexe paternel. Il y a une « question du père » dans l’humour, ou autrement dit, le père n’est-il pas mis en question dans l’humour ?

Évidemment, l’humour engage la question du Surmoi, héritier du complexe d’Œdipe, et avant cette instance après coup, son précédent : l’idéal du moi, concept  introduit en psychanalyse en 1914 avec le narcissisme, et reconnu dans Psychologie des masses et analyse du moi au chapitre sur « l’identification » comme le socle de l’Œdipe, qu’« il aide à préparer », dit Freud. Dans Le moi et le ça, cela s’appelle « l’identification primaire au père de la préhistoire personnelle » – on est dans le lapsus culturel de Freud, et naturellement [« Le destin, c’est l’anatomie » ![2]], Freud prend le raccourci de ce qui est supposé ne pas l’être en tant que modèle d’organe représentatif : il limite son étude à celle de l’enfant masculin en renvoyant à la déclinaison mutatis mutandis du féminin ainsi déduit, par réduction « à la portion congrue ». Nous y revoilà – à l’Œdipe toujours, même lorsque ce dernier voyage incognito, « passager aveugle » (blinder Passagier) pour « clandestin », la cécité étant en allemand et en l’occurrence du côté du spectateur, qui n’y aurait vu que du feu, ainsi dans Pour introduire le narcissisme.

Janine Chasseguet-Smirgel, spécialiste de la recherche sur l’idéal du moi, avait raison : l’idéal du moi, plus ou moins qu’une instance, est un « fantasme » (Phantasie).

 Je pense aller plus loin en soulignant que c’est le fantasme incestueux supposé « premier » (« primat du phallus ») qui préside au complexe d’Œdipe, et c’est l’interdit de l’inceste  qui permet de se le représenter ou le suscite et le ressuscite tel le phénix : il y a là un double bind lorsque dans son complexe paternel de filiation le garçon doit à la fois « être et ne pas être » comme le père (au chapitre V sur « les relations de dépendance du moi » dans Le moi et le ça). Il serait au cœur du narcissisme introduit par Freud en psychanalyse. La notion d’inceste suppose une confusion avec l’autre adulte qui rend le temps impensable dans l’ordre de l’humain : cela peut rendre fou ; car l’inceste, lui,  est innommable comme chez les anciens Grecs. C’est ce que dit l’énigme de la Sphinge au corps métonymique d’oiseau : l’inceste innommé des Grecs, c’est quand « l’oiseau mange la chair de l’oiseau », soit l’horreur du même hanté par l’autre ; la périphrase chargée de dire l’interdit a nom Œdipe, la tragédie de l’homme. Chez Freud et en métapsychologie, le véritable double de Narcisse s’appelle toujours Œdipe, lequel est un mythe, celui du héros, « l’homme », puis dans sa déclinaison moderne, celle du « moi » dont le modèle est un « garçon ».

J’appelle ce mythe l’homomythe, mot composé à fin d’analyse et bon mot-valise. Par ailleurs, dans Le moi et le ça, Freud confond l’idéal du moi et le surmoi ou sur-moi. Cet espace psychique  intermédiaire, intrinsèque de la formation du moi, objet d’amour, par en haut, le parental, à l’intérieur du narcissisme,  là où le fantasme incestueux  venu du message de l’inconscient de l’autre adulte, se mue en instance, c’est le complexe d’Œdipe Roi en situation de défense fantasmatique de son modèle moïque : celui du « garçon » ou mythe de l’enfant œdipien (en psychanalyse culturelle) tournant autour de son axe moteur et pièce maîtresse, l’angoisse de castration s’accommodant de sa définition appliquée à l’autre par défaut, la petite fille innommée, au féminin un jour peut-être : Nous l’appellerons Hans, flanquée de sa petite sœur Hanna. Hans était un pseudonyme de Herbert Graf ; il est plus difficile de savoir quel était le véritable prénom de sa sœur plus oubliée, et si même un pseudonyme lui fut accordé au féminin de Hans, peut-être a-t-elle été digérée sans reste dans la théorie de l’Œdipe « co-signée » Hans et Sigmund, mais dont l’auteur officiel reconnu fut Freud.

Le texte court de Freud sur l’humour est  tardif. Bien que le sujet soit abordé déjà dans le Witz en 1905, et l’y distingue justement du mot d’esprit ; la seconde topique est alors bien en place et permettrait d’avancer sur ce triomphe du narcissisme que le psychanalyste reconnaît dans l’humour comme étant en relation avec le surmoi, héritier du complexe d’Œdipe. Mais encore faut-il reconnaître ce sur quoi j’insiste : L’Œdipe du garçon est le passager clandestin du narcissisme introduit par Freud en psychanalyse ; il fait le voyage dans la formation de l’objet moïque d’amour au sein, c’est-à-dire dans le ventre de son cheval de Troie : l’idéal du moi. La seconde topique arrive par en haut, par les « instances » idéales.

Pour retrouver l’Œdipe approfondi dans le narcissisme second[3]  de « l’objet » moïque d’amour du narcissisme, une catégorie est alors requise, celle du message : C’est la théorie de la séduction généralisée de Jean Laplanche qui permet de franchir ce pas du message énigmatique ou compromis avec l’inconscient de l’autre adulte. C’est aussi la catégorie qui manquait  à la théorie surmoïque de l’Œdipe kleinien, laquelle  tombe du coup dans un  mythe pseudo biologisant  de l’Œdipe, trop ignorant de ses raisons culturelles qu’il se serait agi d’abréger en interprétation assez violente ou écrasante. Avant que n’arrive la mère suffisamment bonne, winnicottienne, amnésique de l’Œdipe castré au féminin d’office pour His Majesty the Baby de l’introduction freudienne du narcissisme : Quel est en effet le sexe de la mère winnicottienne good enough pour His Majesty the Baby et not good enough pour les borderlines ? C’est une question pour laquelle la réponse proposée serait ici la libido phallocentrique unisexuée, en écho au monothéisme sécularisé dans la culture  de  « the »[4] homomythe. La réponse « surréaliste » de Lacan au Witz viennois ou parodie d’Œdipe Roi de Sophocle chez Freud, appliqué à l’Œdipe du petit Hans retraduit en winnicottien oublieux du père de la fille sexuée chez la mère à tout faire de la culture, est dans mon mot-valise de l’homomythe : Jusqu’alors, et en psychanalyse prise dans la culture, « la femme n’existe pas », mais son symptôme  hystérique, si.

La culture est seconde comme le narcissisme : il n’y a pas de narcissisme primaire (biologisant ou pseudo biologisant), et la question posée par l’introduction du narcissisme est celle de « l’objet » en psychanalyse que serait le « moi », alors que l’être humain ne peut être un « objet » [il ne peut pas être non plus un « objet clinique » en droit]. Il ne le peut, parce qu’il est une  transcendance. La grande dimension que refoule l’introduction freudienne du narcissisme est celle du temps, temps de l’Œdipe dont il s’agit d’arrêter la définition à la norme anthropologique du moment culturel hypostasié par condensation de l’érection phallique fétichisée et traduite en idéal du moi, le déplacement « immortel » et infini  ayant lieu sur « l’objet » par défaut de l’angoisse de castration, un féminin innommé imaginaire et contraint de se mettre au service culturel de notre homomythe[5]. N’est donc pas « première » une pseudo « raison » naturelle, laquelle a seulement été dégagée du mythe de l’homme comme transcendantale depuis Rousseau, et sa fable du bon Sauvage, autrefois barbare, celle de l’autre. Lévi-Strauss s’ensuit, mais hors du temps de l’histoire de notre culture oblitérée dans « le regard éloigné » sur « la pensée sauvage » d’autres peuples non encore « colonisés ». Le Lacan du Phallus symbolique s’ensuit de même, par acculturation de la logique binaire phallique-castré(e) du « père » de la psychanalyse acclimatée en France. Nous sommes dans un « jeu du roi » (celui de la succession des générations) selon Héraclite et sa version traductive du « temps » grec, comme « enfant qui joue au tric trac »[6]. L’enfant roi y est bien sûr du genre « trouble » hom(m)osexuel refoulé du héros masculin représentant de « tout » le genre humain, dont le sexe reste à identifier au niveau du mythe de sa représentance. Que le sexe féminin ne soit pas pris en ligne de compte, cela va sans dire : c’est pour cela qu’il y a  au « niveau de la preuve » un « mythe » de l’Homme.

Pourtant, avec l’Occident chrétien, le temps circulaire du mythe grec a vu son sceptre rompu : Dieu est entré dans une autre histoire de l’homme, il s’est « incarné » en Jésus Christ.  En psychanalyse, le concept concerné est celui, situé dans les arcanes du psychique, de « l’incorporation ». Le temps avance, somme toute ; il marche « comme à reculons », et son refoulement inconscient progresse chez l’homme, inversement proportionnel, semble-t-il, à l’empire de la raison « progressiste » devenue celle reconduite de nos anciennes Lumières dix-huitiémistes : obscures Lumières, qui décapitent le roi de fait en France et sécularisent la religion en Allemagne chez Kant et dans le protestantisme culturel dont va hériter la psychanalyse par sa langue source, l’allemand traduit de Luther, si je résume un peu.

Mais c’est par la tragédie grecque que cela arriverait déjà, dans la présomption d’Antigone révolutionnaire : la tragédie de la fille précède celle d’Œdipe Roi, et rejoint après coup à la course du temps républicain, la pièce posthume, Œdipe à Colone, tragédie du retour. Moins fort que Hölderlin venu après coup en Hespérie avec son Hypérion ou l’ermite en Grèce et ses Remarques sur les tragédies de Sophocle, Shakespeare avait commencé d’esquisser un tel procès du pouvoir temporel dans Le roi Lear. Sur l’approfondissement de la réalité psychique ou inconscient de l’homme, Freud a observé, justement d’après son baromètre de l’Œdipe (appliqué à Hamlet et à l’homme de la Renaissance), cette progression du refoulement dans la culture. Le destin occidental est plus profond, avait noté catégoriquement Hölderlin.

            L’humour a à voir avec l’enfance. Il faut être restée un peu une enfant pour faire de l’humour. Quelque part, il faut avoir gardé la foi. L’enfance est l’une des grandes sources d’inspiration des écrivains, des poètes, comme le sont  l’amour, la mort… donc la vie. Mais le petit Hans fait-il de l’humour, ou bien n’est-ce pas plutôt, nous, lecteur et lectrice, qui l’éprouvons dans ce texte délicieux sur la « bêtise » ou phobie de Hans, le supposé naïf ? Le komisch du sexe de la petite sœur qui fait rire Hans a-t-il partie liée déjà avec l’humour au stade préconscient atteint par Hans dans la progression du complexe d’Œdipe du garçon en voie de « disparition » [d’Untergang au sens du coucher de l’astre en allemand] ? La traduction que fait Marie Bonaparte de komisch par « comique » était erronée, et les O.C.F.-P.[7] donnent une traduction plus juste, celle de « drôle » qui rend le « bizarre » du sens familier et premier de l’adjectif  komisch davantage au menu de « l’inquiétante étrangeté » de la sexualité infantile, source également du comique aux divers genres possibles d’expression, comme l’analyse Freud au moment du Witz. Dans cette analyse menée indirectement par le Professeur Freud dans la position du grand-père et Bon Dieu au petit doigt qui « sait tout » par rapport au « marmouset » haut comme « trois fromages » en allemand, il y a du Witz. Car cet Œdipe majeur du garçon ou « enfant » mythique de la psychanalyse, déduit de l’angoisse de castration accommodée sur « l’objet » féminin qui devra après coup se décliner en mineur et contrepoint du mode mytho-symbolique au pouvoir dans notre civilisation, ne manque pas de sel ici. Et c’est en thérapeute roué que se meut à l’occasion notre Freud, en train d’imposer, en tant qu’adulte, son Œdipe à Hans. Ce dernier, Herbert Graf, en réalité très lié à son père (beaucoup plus peut-être qu’à sa mère par son Œdipe inversé ou négatif), et devenu metteur en scène d’opéras, ne pourra pas oublier la psychanalyse et son message d’énigme en reste dans sa vie. Alors, le petit Hans avait-il de l’humour ?

Le problème avec l’humour serait que contrairement au Witz de l’adulte, il ne marquerait pas encore la séparation de l’inconscient. L’humour se déplacerait plutôt dans une zone d’entre-deux, qui serait celle du préconscient, et il garde davantage la liaison de l’enfance à l’autre supposé grand ou adulte, soit au monde  parental, comme l’analyse Freud, dans ce  petit texte très fort de 1927. C’est l’accès à la conscience qui permet le refoulement fondateur d’inconscient. Et l’énigme interrogée par l’humour de Hans à mi-chemin d’auteur entre sa position d’ « objet » et de « sujet », renvoie aux parents dotés eux d’un inconscient de leur sexualité infantile refoulée. Lorsque Hans  rit après coup du sexe qu’il trouve komisch de sa petite sœur, il ne sait pas tout à fait que les propos que lui a fait tenir sa « bêtise » ou phobie des chevaux, délicieusement séducteurs pour ses auditeurs et futurs  lecteurs,  sont bourrés d’humour objectivement parlant : L’ « objet » inconscient du rire  de Hans qui fait de l’humour sans le savoir, comme dans les bons mots des enfants au contact des grandes personnes avec lesquelles et sur lesquelles il  faut compter prématurément dans la vie, c’est le message compromis avec  l’inconscient  des parents qui lui ont raconté la fable de la cigogne pour recouvrir d’une histoire à dormir debout l’arrivée de cette curieuse et dérangeante  petite sœur. La question posée est alors celle de l’Œdipe, dont le Surmoi reste l’héritier avant coup de son après coup. Le précurseur est en effet l’Idéal du moi introduit au moment du narcissisme et notamment du narcissisme parental de His Majesty the Baby lorsque les sociétés se démocratisent : Alors même que le « jeu du roi » grec antique retraduit à son insu au nom de la Raison de son « hom(m)omythe » citoyen (Bürger : « bourgeois ») des Lumières  peine à sortir de l’« Ancien Régime » et du monde féodal d’un « sujet »[8]. Sauf à faire de « l’identification primaire au père de la préhistoire personnelle » de Freud – celle « dont le prince est un enfant » c’est-à-dire un garçon (Knabe) – un père symbolique « pour tous » de l’époque « structuraliste » : suspensive du temps – dans le « mythe » Lévi-straussien pris en ethnologie française du mitan du vingtième siècle pour « invariant culturel » universel et postcolonial d’un « sujet » idéologique de son discours, barré par la sainte « Castration » de « l’inconscient structuré comme un langage » par son adaptation lacanienne en psychanalyse française du « retour à Freud » à grands renforts de « linguistique ». Identification primaire au père de la préhistoire personnelle, suspensive donc depuis L’introduction du narcissisme du temps de l’autre dans l’histoire.



* Ce second texte a été remanié dans certains passages en janvier 2015. R.B.

[1] La « politesse » est traduite en allemand par Höflichkeit, ce qui correspond littéralement à la « courtoisie ».

[2] Assertion bien connue de Freud parodiant Napoléon en conversation avec Goethe en 1808 à Erfurt sur le sujet des pièces « fatalistes » : « Le destin, c’est la politique ! ». Freud paraphrase la phrase de Napoléon Die Politik ist das Schicksal dans « Du rabaissement généralisé de la vie amoureuse » in : OCF.P. XI, p. 140, et dans « La disparition du complexe d’Œdipe » in : OCF. P. XVII,  p. 31, n. a. L’entretien de Goethe avec Napoléon à Erfurt le 2 octobre 1808 est rapporté par l’écrivain in : Goethe, Paralipomena zu den Annalen, Jubiläums-Ausgabe, t. XXX, p. 414 (note des OCF.P XVII, p. 31).

[3] Du fait de la régression, le narcissisme est dit  secondaire dans le cas des « névroses narcissiques » devenues « psychoses »  [par concurrence avec Bleuler et la psychiatrie].

[4] Il n’y a qu’un genre grammatical en anglais, sauf aux pronoms personnels substituts de la 3ème personne du singulier, qu’on retrouve dans les adjectifs possessifs, parmi lesquels Freud n’hésite pas une seconde à l’échographie en  choisissant His plutôt que her pour définir le narcissisme parental de His Majesty the Baby, même si la Majesté britannique à laquelle il est fait allusion exemplaire est bien souvent au cours de l’histoire… une reine.

[5] Cf. par exemple l’hypostase de ce que j’analyse comme « l’homomythe » à la fin du second Faust de Goethe sous le voile hyperbolique de la Beauté d’Hélène : « L’éternel féminin nous attire là-bas ».

[6] Dans le travail philologique d’exégèse rassemblé par Jean Bollack et Heinz Wismann,  le fragment 52 d’Héraclite voudrait dire plus exactement : « La vie est bien un enfant qui enfante, qui joue. A l’enfant d’être roi. » [In : Bollack, J. et Wismann, H., Héraclite ou la séparation, Paris, Les Editions de Minuit, 1972, pp. 182-184.]

[7] Traduction collective des Œuvres Complètes de Freud – Psychanalyse sous la  direction  scientifique de Jean Laplanche aux P.U.F.

[8] Lacan joue sur le double sens en français du « sujet », partagé entre le sujet cartésien du Cogito doublé du sujet grammatical et le sujet comme « soumis » au niveau de son étymologie latine. L’allemand ne peut se permettre de « noyer » ainsi « le poisson » d’une dialectique hégélienne du maître et de l’esclave sous-jacente récupérée par Lacan qui la sous-entend dans son système de pensée : cf. le grand roman de Heinrich Mann Der Untertan, « Le soumis » intitulé dans sa traduction française Le sujet de l’Empereur.

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