Joël Bernat : Ruth Mack Brunswick (II) : quelques témoignages et présentation chronologique de l’œuvre

Quelques témoignages

Sigmund Freud, 1931 : « Sur la sexualité féminine » :

« Les personnes du sexe féminin, ayant un fort lien à leur mère sur lesquelles j’ai pu étudier la phase préœdipienne se sont accordées à dire qu’elles ont offert une grande résistance aux lavements et aux injections intestinales que leur mère entreprenait sur elles et qu’elles avaient coutume d’y réagir par de l’angoisse et un cri de fureur. Cela peut bien être un comportement très fréquent ou très régulier des enfants.

Je dois à Ruth Mack Brunswick, qui s’est occupé de ce problème en même temps que moi, d’avoir compris le fondement de cette révolte particulièrement forte. Ruth Mack Brunswick comparait ce cri de fureur après le klysma[1] à l’orgasme obtenu par excitation génitale. Quant à l’angoisse elle devait être comprise comme la transformation du plaisir d’agression stimulé par ces injections. Je pense que tout ceci est conforme à la réalité : au stade sadique-anal, la stimulation intense passive de la zone intestinale provoque en réponse une explosion du plaisir d’agression qui se manifeste directement comme colère ou bien, par suite de sa répression, comme angoisse. Cette réaction semble cesser dans les années ultérieures.

[…] C’est la doctoresse Ruth Mach Brunswick qui, la première, a décrit un cas de névrose attribuable à une fixation préœdipienne, la situation œdipienne n’ayant jamais pu s’instaurer. Il s’agissait d’une paranoïa de jalousie à pronostic favorable. »

Sigmund Freud, 1937 : « Analyse avec fin et analyse sans fin » [au sujet de l’Homme aux Loups]

« L’habileté d’une de mes élèves, Mme le Dr Ruth Mack Brunswick, a mis à chaque fois un terme à ces états, après un bref traitement ; j’espère qu’elle relatera bientôt elle-même ces expériences. Dans quelques-uns de ces accès, il s’agissait encore et toujours des reliquats du transfert ; ils présentaient alors clairement, malgré toute leur fugacité, un caractère paranoïaque. Mais dans d’autres, le matériel pathogène consistait en fragments de son histoire infantile qui, dans l’analyse avec moi, ne s’étaient pas révélés et se détachaient après coup – on ne peut éviter cette comparaison – comme des fils après une opération ou des fragments osseux nécrosés. Je trouvais l’histoire de la guérison de ce patient non moins intéressante que l’histoire de sa maladie. »

Sergueï Pankeïev, l’« Homme aux Loups »

C’est dans la salle d’attente qu’il rencontre Muriel Gardiner, jeune américaine de 25 ans qui est, elle aussi, en analyse chez Ruth ; il lui donne des cours de russe, ce que Ruth désirait aussi, mais cela n’a jamais pu se faire. Pankeïev se souvient fort peu de cette période. Il rapporte ceci :

« J’ai toujours eu l’impression qu’elle ne pouvait pas me sentir, et pourtant Mme Gardiner m’a écrit après la guerre que Mme Mack avait toujours parlé avec éloge de mon intuition, de ma logique… » …

« Un jour, elle m’a dit : « Vous me rappelez un artiste américain qui a beaucoup souffert. » Il s’appelait Brunswick et elle l’a épousé. »…

Irma Putnam[2]

Selon son témoignage, Ruth était l’élève préférée de Freud et elle avait un véritable courage intellectuel, se sentait libre et pensait ce qu’elle voulait sans s’imposer de limites et savait « se mouiller » mais jamais à la légère. Et Freud se sentait libre avec elle, ce qui était plutôt rare chez lui…

Eva Rosenfeld[3]

Elle décrit Ruth comme une personne charmante, intelligente, enjouée, chaleureuse et extravertie, mais qui vivait sur les nerfs et faisait « grand tapage autour de Freud », comme une tornade.

Mais elle pense aussi qu’elle avait une « psychose latente ».[4]

Jacques Lacan, 1952 :

Selon des notes prises à son séminaire de 1952-1953 sur l’« Homme aux Loups », voici ce qu’il aurait pensé de la façon de travailler de Ruth Mack Brunswick :

« Si le génie de R. M. Brunswick fut grand, elle ne le formule pas toujours bien. Si elle put faire quelque chose c’est dans la mesure où, par position, elle coïncidait, avec le personnage de la sœur [de Pankeïev]. Elle était objectivement entre Freud et le malade, subjectivement, Freud vint toujours entre elle et le malade. Elle réussit là où la sœur avait échoué. Le père était trop proche du malade, la sœur aussi (elle avait fait son identification au père) et elle est active dans leur relation et d’une façon traumatique, trop proche, qui entraînait la même panique de la passivation que devant le père. Elle est identifiée au père par le malade. Au lieu de ça R.M. Brunswick sut à la fois participer d’une certaine dureté propre au caractère paternel, d’un autre côté, elle se soumet à la réalité du sujet : il y a une sorte de retour à l’école du sujet par ce que les Chinois appellent « la douceur malléable de la femme ». Elle sait lui montrer qu’elle n’est pas adhérente à Freud, donc pas identifiée au père et pas « trop forte ». Le sujet est ré-enfanté par elle et, cette fois de la bonne façon. »

Muriel Gardiner, 1981 :

De passage à Paris, elle répondit à quelques questions pour la revue L’Âne[5][5], dont nous retiendrons ceci :

[…] Question : Vous ne faites pas le même diagnostic qu’elle [Ruth Mack Brunswick], n’est-ce pas ?

  1. G. : En effet. Pour moi, ce n’est pas une vraie psychose, ni une véritable paranoïa. Certes, il a des traits paranoïaques, mais ses convictions pouvaient s’amender. Or, à Vienne et aux États-Unis, le critère de la paranoïa, c’est une conviction inébranlable. À mes yeux, c’est un obsessionnel fortement hypocondriaque, avec, en partie, une névrose hystérique.
  2. : Ruth Mack Brunswick est d’ailleurs la seule analyste qui ait diagnostiqué une paranoïa chez l’Homme aux loups.
  3. G. : Il m’a raconté que lorsqu’elle lui avait dit qu’il était paranoïaque, il avait simplement répondu : « Il faut que je m’en débarrasse. Je n’ai pas envie d’être appelé paranoïaque. » Je sais qu’elle a discuté de son cas avec Freud, bien qu’elle ait dit à l’Homme aux loups qu’il n’en était rien. Sans doute a-t-elle nié pour l’aider à se débarrasser de ce qu’elle considérait comme sa mégalomanie.

[…] Q. : Ruth Mack Brunswick était trop directive pour vous…

  1. G. : Oui, trop. À mon goût. Ma mère a gouverné ma vie tout le temps où j’ai vécu à la maison ; jusqu’à l’âge de seize ans. Ruth Mack Brunswick a continué. Elle m’emmenait avec elle pendant ses vacances, c’était très fréquent chez les analystes de l’époque, Freud le faisait aussi. Je la suivais, mais j’ai senti qu’elle se comportait comme une mère, et une fois j’ai désobéi : je lui ai caché quelque chose. Cela ne concernait pas, je le précise, mon activité politique, dont j’ai toujours pu parler avec elle : je n’aurais jamais choisi une analyste qui aurait eu la moindre sympathie pour les fascistes. J’ai terriblement souffert de lui cacher quelque chose. À ma mère, oui, je cachais des choses, sans mauvaise conscience, mais dans l’analyse, vous êtes supposée dire tout ce que vous pensez, et je prenais cette règle très au sérieux. Quelques semaines après, j’ai décidé d’arrêter l’analyse. C’est la seule fois où j’ai demandé une séance supplémentaire. Je l’ai appelé au téléphone, elle m’a reçue, elle m’écoutait, m’écoutait, j’étais dans un état affreux, puis elle m’a dit : « Je me suis beaucoup trop mise à la place de votre mère, je vous ai rendu les choses difficiles ». Elle prenait, elle aussi, la responsabilité de ce que je considérais comme mon péché essentiel. C’est resté pour moi le modèle de l’interprétation, correcte et courageuse. […] »

Le fil d’une œuvre

Deux périodes, 1928 & 1943, Vienne & New-York

En fait, sur huit textes publiés par Ruth, sept sont liés à la période viennoise entre 27 et 31 : celui de 1940 est en fait la rédaction ou la publication du travail fait avec Freud en 1930. Il ne vit le jour, semble-t-il, que du fait de la mort de Freud. Cela donne l’impression re que l’essentiel fut produit dans cette période viennoise, en quatre années, c’est-à-dire avant les dégradations dues à la maladie et aux échecs de la vie amoureuse.

Puis, un seul article pour la période américaine, en 1943, soit treize années plus tard, l’année du décès de son père.

Ces deux dernières publications peuvent donner à penser qu’ils le sont en hommage aux deux pères décédés, Sigmund Freud et Julian Mack.

Centralité de la pratique clinique

La production peut se regrouper ainsi :

  • deux textes cliniques importants : « L’analyse d’un délire de jalousie », et la seconde analyse de l’Homme aux Loups, tous deux abordant la question psychotique et du transfert psychotique;
  • quatre petits textes qui consistent en précisions cliniques sur le cas de l’Homme aux Loups, liées aux tranches d’analyse successives avec Ruth ;
  • et un texte de synthèse théorique, sur la base des deux cas cliniques publiés et des travaux avec Freud : « La phase préœdipienne du développement de la libido ».

Apparemment, trois axes : anal, préœdipien et psychose

À première vue, il en ressort deux préoccupations principales dans les écrits de Ruth :

  • la cure, ou les cures, de l’Homme aux Loups ;
  • la cure psychanalytique de la psychose, où elle fait des apports essentiels et d’une certaine façon, premiers ; pour reprendre une expression de Freud, ce serait un premier « regard par-dessus le mur » de la psychose.

Mais les deux axes se rejoignent, en fait, en un seul, et c’est bien la dimension du préœdipien qui semble avoir été au travail, ou avoir travaillé Ruth Mack Brunswick. Ce qui fait de son texte de synthèse, sur le préœdipien, une sorte d’aboutissement des vingt-quatre années de sa vie analytique, et de sa pratique analytique.

Mais il y a aussi des thèmes qui reviennent dans chaque texte :

  • la séduction féminine: il y a une omniprésence des cas de séduction féminine infantile, essentiellement par une sœur ;
  • l’onanisme a une place centrale dans les problématiques présentées ;
  • et chaque fois, sont relevées des rages, de brutales fureurs et l’irruption foudroyante de la sensation sexuelle, etc. : « la rage comme équivalent anal de l’orgasme génital » ; Freud : « Ruth Mack Brunswick comparait ce cri de fureur après le klysma à l’orgasme obtenu par excitation génitale ».

Présentation chronologique des écrits

1927 : « Un rêve d’un roman japonais du XIè siècle »

« A Dream from an Eleventh Century Japanese Novel », Int. J. Psa, VII, 1927.

« Ein Traum aus einem japanischen Roman des elften Jahrhunderts », Imago, XIV, 1928.

Ce premier article, peu avant l’admission de Ruth à la Société psychanalytique de Vienne et à l’Association psychanalytique de New-York, est fort bref. Il consiste en fait à souligner, à partir d’un roman japonais[6][, combien les découvertes scientifiques de la psychanalyse rejoignent les insights de certains poètes quant à la constitution psychique polymorphe et sa conflictualité.

1928 : « En supplément à l’ « Histoire d’une névrose infantile » de Freud »

« A supplement to Freud’s « history of an infantile neurosis », in the International Journal of Psycho-Analysis 1928, vol. 9, n° 4, pp. 439-476 ; in Fliess R., The psycho-analytic reader. An anthology of essential papers with critical introductions, Londres, Hogarth Press, 1950, pp. 65-105 ; in Gardiner M. (Ed.), The Wolf-man and Sigmund Freud, Freud, Anna (préf.) ; Strachey, Alix (trad.), Londres, Hogarth Press, 1972, pp. 263-310.

« Ein Nachtrag zu Freuds Geschichte einer « Infantilen Neurose » », Int. Ztschr. F. Psa., XV, 1929, Leipzig, Vienne, Zürich, Internationaler Psychoanalytischer Verlag, 1929, 56 p.

« En supplément à l' »Histoire d’une névrose infantile » de Freud », Revue Française de Psychanalyse 1936, vol. 9, n° 4, pp. 606-655 ; Revue Française de Psychanalyse, 1971, vol. 35, n° 1, pp. 5-46.

L’état du patient s’aggravant, Freud l’adressa à Ruth Mack Brunswick pour un traitement gratuit. Il souffrait alors d’un délire paranoïaque centré sur l’intestin, puis sur le nez et les dents. Au bout de quelques mois de cure, l’état du patient s’améliora : la rechute était le fait d’un reliquat de transfert envers Freud non résolu (ce qui est souvent la raison de nouvelles tranches d’analyse), et selon Ruth, pas suffisamment revécu.

Il y a quelques indications cliniques, comme celles-ci : il existerait trois modes d’expression de la passivité :

  • névrotique avec le masochisme ;
  • perverse dans l’homosexualité passive ;
  • psychotique dans la paranoïa.

Un élément important pour la cure des psychosés est celui que souligne fort justement Ruth : le sexe de l’analyste « importe »… Il y aurait donc un rôle de la différence anatomique des sexes dans le transfert :

« C’est une toute autre chose de jouer le rôle du persécuteur envers une paranoïaque, femme déjà châtrée ! et de le jouer envers un homme pour qui la castration est encore une possibilité réelle. Dans les psychoses, il faut se rappeler, les choses redoutées sont des choses auxquelles on croit réellement. »

1929 : « L’analyse d’un délire de jalousie »

« Die Analyse eines Eifersuchtwahnes », Int. Ztschr. F. Psa., XIV, 1928. Leipzig, Vienne, Zürich, Internationaler Psychoanalytischer Verlag 1929, 60 p.

« The Analysis of a Case of Paranoia », The Journal of Nervous and Mental Disease, vol. 70, juillet 1929.

« L’analyse d’un cas de paranoïa : délire de jalousie », Archives de psychanalyse, 1988, n° 19, 68 p. ; in Hamon M.Ch. (Ed.) – Féminité mascarade. Penisson P. (trad.). Paris, Seuil 1994, pp. 133-195.

C’est le texte qui introduit en psychanalyse la notion de préœdipe, que Freud reprendra en 1931 dans « Sur la sexualité féminine » où il évoque, lui aussi, le cas de cette jeune femme. Il y reconnaît, comme fondement de la paranoïa :

« l’intense fixation de la petite fille à sa mère, lien exclusif et prolongé dans lequel le père n’intervient même pas à titre de rival dans l’amour de la mère ».

Par ailleurs, Freud avait insisté pour qu’un cas de paranoïa féminine soit trouvé. Le voici.

Il s’agit du récit de la cure brève (deux mois et demi) d’une jeune femme présentant un délire de jalousie. À le lire, l’on voit un analyste au travail, interprétant, construisant, analysant les rêves et ne cédant en rien sur la théorie de la libido ou celle de la castration, ni sur les noyaux de vérités dans les fantasmes ou les délires. Récit qui nous saisit par l’écart d’avec ceux d’aujourd’hui !

Il s’y pose aussi les premiers jalons d’une cure de la psychose et des jeux transférentiels, dont nous relèverons les éléments suivants :

  • il y a d’abord à transformer la psychose en psychose de transfert (Freud affirmait qu’il n’y a pas de transfert dans la psychose. Le débat est toujours actuel !) ;
  • puis maîtriser cette psychose de transfert. Dans le cas d’une paranoïa intense, l’analyste est de suite le persécuteur: il lui faut alors empêcher le transfert, éviter les affects jusqu’à ce qu’il puisse saper quelques noyaux délirants ;
  • mais dans les stades initiaux de la psychose, le patient tente de garder pour lui-même son délire et d’en fermer l’accès à l’analyste (car le délire a une fonction écran et défensive) : il y a donc à contraindre la psychose à se manifester dans le transfert ;
  • elle pose que, dans la paranoïa, un tau de « pression interne » est supportable, et que le déclenchement, la décompensation apparaît avec une « pression externe », ce qui est un élément d’importance pour une cure ;
  • il y a du transfert dans la schizophrénie : aux stades précoces de la maladie, le malade, pour surmonter ou combattre la régression narcissique, crée de nombreuses identifications et liens amoureux ; mais chez lui, l’inconscient est conscient ;
  • enfin, une différenciation clinique dans la paranoïa : la forme persécutrice est plutôt masculine avec un délire qui systématise et philosophe ; la forme de jalousie est plutôt féminine (tout en pouvant masquer des thèmes persécutifs) avec un délire plus rudimentaire ;
  • l’attente paranoïaque quête partout amour et reconnaissance : attitudes normales chez l’enfant, psychotique chez l’adulte.

Cette position et ces élaborations de Ruth Mack Brunswick éclairent le ton plutôt « musclé », affirmé, de la conduite de cette cure du psychosé.

1929 : « Note sur la théorie infantile du coït a tergo »

« Eine Beobachtung über die kindliche Theorie des Koitus a tergo », Int. Ztschr. F. Psa., XV, 1929.

« A note on the childish theory of coitus a tergo », International Journal of Psycho-Analysis 1929, vol. 10, n° 1, pp. 93-95.

« Note sur la théorie infantile du coït a tergo », Le Mouvement psychanalytique, vol. III, n° 1, 2000, L’Harmattan, Paris.

Cet article apporte indirectement quelques nouvelles informations sur l’Homme aux Loups, à partir de sa nouvelle « tranche » avec Ruth. Partant du constat de l’importante fréquence de la représentation a tergo de la scène primitive, et qu’une observation réelle ne peut en être la source, elle établit le double rôle de qui se révèle être un fantasme :

  • il y a un noyau de vérité – comme dans tous fantasmes – qui consiste en, non pas l’observation réelle de la scène primitive, mais la découverte du vagin qui produit celle de la castration. Le fantasme, sur ce versant, reconnaît donc et l’existence du vagin, et celle de la castration ;
  • mais sur son autre versant, le fantasme nie défensivement ces découvertes par un déplacement vers l’anus, organe commun aux deux sexes : ainsi, la position a tergo représente la suppression de l’existence du vagin et donc de la castration.

Dénis qui expliqueraient la remarquable fréquence de ce fantasme.

1930 : « Notes cliniques non publiées » (extraits)

Kurt R. Eissler, “Comments on erroneous interpretations of Freud’s seduction theory”, Journal of the American Psychoanalytic Association, 1993, vol. 41, n° 2, pp. 571-583. Notes déposées par Muriel Gardiner à la Library of Congress, Archives Freud, Washington.

Quelques extraits sont traduits dans Le Mouvement psychanalytique, vol. III, n° 1, 2000, L’Harmattan, Paris.

Ces notes portent essentiellement sur l’Homme aux Loups, à partir d’un souvenir retrouvé et inconnu jusqu’alors, tant de lui-même que de Ruth et de Freud : vers deux ans et demi, sa nurse, Nania, opère une première séduction en pratiquant sur lui, pour le libérer d’une constipation et déféquer, une masturbation anale avec son doigt. Ce souvenir était masqué par celui de la séduction par sa sœur, plus tardif, Ruth ramène la problématique à cette influence de la nurse là où Freud l’inférait au souvenir de la scène primitive. Ainsi de même, la relation passive au père (scène B)en recouvre une plus primitive, celle à la mère ou à la nurse (scène A). Ce qui fait que le fantasme du coït a tergo chez l’Homme aux Loups est une construction (écran) de tout cela (Ruth ne connaît pas la dimension d’après-coup). Mais l’interprétation du coït a tergo par le patient, enfant, s’est faite sur la base de cette première expérience vécue, la séduction par masturbation anale de la Nania[7].

1930 : « Réponse aux remarques critiques de Hárnik »

« Entgegnung auf Hárnik’s krtitischeBemerkungen », (Nachtrag), Int. Ztschr. F. Psa., XVI, 1930.

« Réponse aux remarques critiques de Hárnik », Le Mouvement psychanalytique, vol. III, n° 1, 2000, L’Harmattan, Paris.

La discussion porte sur l’Homme aux Loups.

La peur d’être regardé est liée à l’observation du coït (voir l’épisode du « trou sur le nez »). C’est un renversement par déplacement et projection : la peur éprouvée lors de l’observation de la scène primitive, donc la peur de ce qui est vu, devient la peur d’être regardé. Mais cette crainte fut si intense qu’elle a cherché une issue dans les processus paranoïaques. Par ailleurs, la masturbation, chez l’Homme aux Loups, mettait en scène tous ces aspects, dans une double dimension donc :

  • sans aucune honte du fait de son puissant narcissisme,
  • ni culpabilité, du fait des fantasmes passifs masochistes qui la neutralise.

1931 : « Épilogue »

« Schlusswort », Int. Ztschr. F. Psa., XVII, 1931.

« Épilogue », Le Mouvement psychanalytique, vol. III, n° 1, 2000, L’Harmattan, Paris.

Ruth conclue que les suppositions d’Hárnik contre le matériel clinique ne reposent pas sur un matériel clinique… ce ne sont donc que ds spéculations théoriques. De plus, si les effets de la scène primitive sont si intenses, c’est qu’il y a des troubles plus anciens.

1940 : « La phase préœdipienne du développement de la libido »

« The preoedipal phase of the libido development », Psychoanalytic Quarterly, 1940, vol. 9, n° 2-3, pp. 293-319 ; in Fliess R., The psycho-analytic reader. An anthology of essential papers with critical introductions, Londres, Hogarth Press, 1950, pp. 231-252.

« La phase préœdipienne du développement de la libido », Revue Française de Psychanalyse 1967, vol. 31, n° 2, pp. 267-291 ; in Hamon M.Ch. (Ed.), Féminité mascarade, Richaud J. (trad.), Paris, Seuil, 1994, pp. 295-326.

C’est un texte riche et dense, car il est la synthèse de la pratique et de la réflexion de Ruth sur le préœdipien. Mais il ne fut publié qu’en 1940 dans le numéro du Psychoanalytic Quarterly consacré à l’œuvre de Freud, un an après sa mort. Mais comme la postface l’indique, il est le résultat du travail avec Freud en 1930 (notamment à partir de « L’analyse d’un délire de jalousie »), travail qui donna, chez Freud, l’article « Sur la sexualité féminine ». Il espérait que les analystes femmes apporteraient, grâce à leur expérience avec des patientes, de nouveaux éclaircissements sur la relation précoce mère – fille. Pour cela, Ruth avait noté tous les commentaires et suggestions de Freud lors de discussions communes, sans plus très bien savoir l’appartenance des idées développées dans ce texte : un cas de « communisme intellectuel » ? Mais si l’on compare les deux textes nés de ces échanges, l’on peut aisément relever ce qui est d’elle dans les écarts d’avec la conception freudienne. Par exemple, trois dimensions importantes :

– le désir d’enfant est antérieur à l’envie de pénis (à l’inverse de Freud) et en lien avec la mère omnipotente ;

– l’envie du pénis est d’abord en lien avec l’attachement à la mère ;

– la relation préœdipienne du garçon à sa mère peut être très agressive.

Enfin, à la phase sadique-anale, une stimulation passive de la zone anale peut produire deux destins :

  • la rage ou colère, comme action d’expulsion vers l’extérieur de ce qui a été introduit ;
  • l’angoisse (persécutrice) du retour sur et en soi et de la réponse passive.

1943 : « Le mensonge consenti »

« The accepted lie », Psychoanalytic Quarterly 1943, vol. 12, n° 4, pp. 458-464.

Un patient accuse Ruth de lui avoir menti : soit une identification projective qui répète dans le transfert le lien à sa jeune sœur. S’il reconnaissait la castration de sa mère ou des bonnes dont il avait vu le sexe, il la niait pour sa sœur dont le sexe, sans toison pubienne, n’avait rien d’effrayant, d’autant plus que le renflement pubien avait pour lui une apparence phallique. En déniant la castration de sa sœur, il le faisait pour lui, évitant ainsi la menace de sa castration (ce qui serait une des raisons de l’attirance pour les jeunes filles : il n’y a pas de castration). Cette vignette clinique fait fortement penser au cas de l’Homme aux Loups.

Ce déni (mensonge) originel du garçon se répète mais par projection, il est attribué aux femmes. Soit une double dimension :

  • l’insupportable absence de pénis sur le corps de la femme ;
  • le bénéfice étant de se débarrasser de son mensonge à l’attribuant à la femme.

Mais ce déni est partagé, consenti par la femme : elle accueille avec plaisir ce déni de sa castration, ce qui en retour vient rassurer l’homme, et tous les deux partagent en fait le même manque et le même désir : celui d’avoir un pénis. Cette double négation produit donc une affirmation.

Cela se retrouve par la suite dans bien des mensonges : sur l’âge, ou encore la simulation de l’orgasme.

[1] Clystère pour lavements.

[2] Roazen, 12, g, p. 235.

[3] Roazen, 12, g, p. 255.

[4] Roazen, 12, g, p. 256.

[5] L’Âne, été 1981, n° 2.

[6] The Tale of Genji, de Lady Murasaki, traduit en anglais par Arthur Waley. London, George Allen and Unwin, Ltd. First published, Juin 1925.

[7] Gribinski fit le rapprochement entre Nania et O-nania, in Confrontations.

 

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