Gregory Bateson (Palo Alto) et la schizophrénie : introduction à Perceval le fou

In Perceval le fou, autobiographie d’un schizophrène, G. Bateson éd., Payot, 1975.

Le lundi 11 mai 1812, un certain John Bellingham, homme d’affaires, armé de deux pistolets, entra dans la Chambre des communes et attendit l’arrivée du premier ministre de l’époque, Spencer Perceval. Dès qu’apparut le premier ministre, Bellingham ouvrit le feu et le tua. Cet événement constitue la seule prétention de Bellingham à la gloire et reste tout pareillement le trait le plus saillant de la carrière de Spencer Perceval.

Quelques jours plus tard, on pendit Bellingham et la Chambre des communes vota une somme de 50000 livres en guise d’indemnité pour la famille de Spencer Perceval.

Jusque-là, la famille Perceval avait apparemment vécu de façon assez frugale. Spencer Perceval avait eu six fils et six filles et il semble que les besoins de ces « douze Perceval affamés » n’avaient guère facilité la carrière politique et juridique de leur père. De sorte que l’indemnité versée par le gouvernement améliora considérablement le mode de vie des Perceval et permit que le cinquième fils Perceval, John, une fois devenu fou, soit placé dans les meilleurs asiles du pays. On sait aujourd’hui qu’il en coûta trois cents guinées pour l’enfermer dans l’asile dirigé par le docteur Fox, à Brisslington, près de Bristol.

Il apparaît en outre, qu’après sa guérison, sa part d’indemnité lui procura suffisamment d’indépendance sur le plan matériel pour qu’il puisse écrire et publier, contre le gré de sa famille d’ailleurs, son fameux Récit. Ce Récit en deux volumes constitue un apport réel à notre connaissance de la schizophrénie et lui donne droit à une célébrité bien différente de celle à laquelle accéda le conventionnel et ambitieux Spencer Perceval.

On a publié, ces dernières années, un certain nombre d’ouvrages décrivant les expériences de leur auteur au cours de leur psychose, mais en règle générale, la valeur de ces ouvrages réside dans la qualité d’une expression psychotique ou post-psychotique et ils ne sauraient être considérés comme des contributions scientifiques à part entière. Ce n’est pas le cas du récit de John Perceval. Certaines parties, celles qu’il écrivit en particulier durant ses divers internements, sont en quelque sorte gâchées par le besoin aigu qu’il éprouvait de justifier à tout prix son amertume, mais l’ensemble va plus loin que cela. Au cours de ses luttes intérieures irrésistibles pour comprendre son expérience de psychotique, il découvrit ce que nous appellerions aujourd’hui l’inconscient freudien et il décrivit ce type de phénomène que Freud appela par la suite la « psychopathologie de la vie quotidienne » (chap. XXXII). Il alla jusqu’à observer le processus créateur qui se produit durant la perception, ce même processus par lequel nous fabriquons des images persistantes ou attribuons des formes imaginaires à des taches d’encre ou à des nuages dans le ciel ; c’est à partir de cela qu’il arriva à comprendre que ses hallucinations pourraient bien être des phénomènes de ce type.

Théoriquement, on peut dire qu’il se situe entre Freud et William Blake. Ce que Blake a appelé imagination créatrice, Perceval l’attribuait à quelque action cachée du Tout-Puissant. Il utilise souvent le langage de la théologie alors que ses pensées sont celles d’un scientifique.

Il dit :

« … L’esprit est actionné par une machinerie d’une admirable délicatesse qui se voit désorganisée chez la plupart des hommes, par le péché et la violence, ainsi que par la perversité. »

J’ai essayé en tant qu’éditeur, en me basant sur ce que Perceval a écrit il y a cent vingt ans, de faire deux choses : résumer les informations que nous avons au sujet de la vie de Perceval et attirer l’attention du lecteur sur certaines des découvertes du narrateur, certains points de ce récit présentant une importance et une pertinence certaines pour la psychiatrie moderne.

Résumé de la vie de l’auteur

John Thomas Perceval était le cinquième fils des douze enfants de Spencer Perceval, premier ministre d’Angleterre. Il naquit en 1803 ; il avait donc neuf ans lorsque son père fut assassiné à la Chambre des communes. Il avait onze ans lorsque sa mère se remaria au lieutenant- colonel, Sir Henry Carr, K.C.B. Ce second mariage resta sans enfant et la seule allusion que l’on trouvera dans cet ouvrage à Sir Henry Carr consiste en une utilisation occasionnelle de ce nom dans les lettres qu’il écrivait à sa mère. Lorsqu’il était fâché, il s’adressait à elle non par « Chère Maman » mais par « Chère Lady Carr ».

Il semble que son enfance ait été assez conventionnelle. Plus tard, il entra dans l’armée avec le grade d’officier dans un régiment de cavalerie. Il eut ensuite le grade de capitaine dans le premier régiment de gardes à pied. Il servit également au Portugal sans avoir à combattre. Durant toute la période militaire de son existence, il fut gravement perturbé par des conflits religieux. Son père avait été férocement anticatholique et s’était avidement adonné à l’étude des Écritures prophétiques ; mais le fils se retrouva adepte fervent de la doctrine évangélique.

Au début de 1830, il vendit sa charge et fréquenta brièvement les cours de l’Université d’Oxford. De là, il partit en voyage en Écosse en juin 1830 pour s’informer et étudier de près les miracles de Row. C’est par ces miracles que se manifestaient les adeptes d’un culte évangélique dont les membres s’appelaient les irvingites. Les adeptes de cette secte s’exprimaient verbalement dans un galimatias inintelligible qu’ils prétendaient être le dialecte des îles Pelew. Ils se préoccupaient également beaucoup du problème de la sincérité et voulaient par leurs paroles, exprimer aussi bien la voix du cœur que l’inspiration qui leur venait de Dieu.

Perceval fut très impressionné par les doctrines irvingites, mais il est certain que même dans cette société où le baragouinage débridé était licite, Mary Campbell et les autres dirigeants du groupe de Row trouvèrent le comportement de Perceval par trop excentrique.

De Row, il partit pour Dublin et il rapporte qu’il y eut des relations avec une prostituée et contracta la syphilis. Il s’en guérit relativement vite et attribua sa guérison partiellement à la médecine et pour le reste, à l’intervention miraculeuse du Tout-Puissant. Il raconte avec un humour rétrospectif le dilemme typiquement schizophrénique dans lequel il se trouva alors : fallait-il faire confiance à Dieu pour qu’il parachève sa guérison, ou fallait-il continuer à prendre les médicaments que lui avait prescrits le médecin ? Il résolut la question en ne prenant que la moitié des médicaments !…

En très peu de jours, son comportement devint tellement désordonné qu’on décida de l’interner le 16 décembre 1830, dans la chambre d’auberge qu’il occupait. Son frère aîné, Spencer, vint le chercher à Dublin et le fit interner à l’asile du docteur Fox, à Brisslington, près de Bristol, en janvier 1831. Il y resta jusqu’en mai 1832, date à laquelle on le transféra à l’asile dirigé par Mr C. Newington, à Ticehurst, dans le Sussex. Il semble qu’il soit resté dans cette institution jusqu’au début de l’année 1834.

En 1834, il épousa Anna Gardner, qui lui donna quatre filles dont la première naquit en 1836.

En 1835, il séjourna à Paris où il écrivit son premier livre qui fut publié en 1838.

En 1840, parut son second livre.

Plus tard, il publia un volume de vers : Poèmes d’un Prisonnier à Bethléem, sous le nom d’Arthur Legent Pearce, en 1851.

Je n’ai pratiquement aucune autre information sur le reste de sa vie. En 1859, il témoigna devant la Commission pour la folie, au nom d’une organisation appelée « Société amicale des soi-disant fous » (Alleged Lunatics Friends Society). Il écrivit aussi de temps à autre des lettres au Times au sujet des lois prévues pour la répression de la folie, dans le but de défendre les malheureux qui risquaient de subir ce qu’il avait lui- même enduré.

Il mourut en 1876.

Perceval et l’introspection

Perceval affirme inlassablement que le malade en sait plus sur la nature réelle de la folie que le grand public et même que «  les médecins pour les fous » ; il considère qu’il a le devoir primordial d’expliquer au monde ce qu’est la folie et la façon dont on devrait traiter les fous. Il insiste avant tout sur un point : le médecin et ceux qui prétendent avoir de l’affection pour le malade se doivent avant tout de le comprendre. On ne doit pas négliger la façon dont s’exprime le malade parce qu’elle apparaît comme délirante et l’on ne doit pas le punir de son comportement par des douches froides et des menottes.

Il n’exprime jamais si bien sa théorie que lorsqu’il relate la visite de son frère Spencer venant le chercher à Dublin :

« Lorsque mon frère apparut pour la première fois au pied de mon lit, je me dis : « Enfin puis-je espérer être compris et respecté », car il m’avait écrit qu’il croyait aux miracles qui se produisaient à Row. Quand je lui expliquai toutefois qu’on voulait me faire dire ceci ou cela et me faire faire ceci ou cela, il me répondit sur un ton incroyablement frivole, tout à fait comme s’il se fût adressé à un enfant, et ne se priva pas de tourner mes idées en ridicule. Tous mes espoirs d’être compris s’envolèrent et mon cœur se détourna de lui. »

Il est évidemment facile au malade mental de prétendre que, si son entourage s’était conduit autrement, les choses auraient été différentes et qu’il ne se trouverait pas dans son état ; à supposer que Spencer ait manifesté de la compassion pour son état sans perdre pour autant son sens critique, il n’est pas certain que John l’eût écouté. D’un autre côté, nous possédons certaines informations indiquant clairement que la guérison de John fut grandement favorisée par sa rencontre avec des individus qui l’acceptèrent d’emblée tel qu’il était, sans pour autant abandonner leur sens critique.

Il s’exprime très clairement sur le chapitre de ses « voix » : « Je dépérissais d’une erreur de l’esprit fréquente… celle qui consiste à craindre le doute et à charger sa conscience de la culpabilité qu’engendre ce doute. »

Perceval ici, comme en d’autres occasions, s’exprime avec une sagesse ironique inconsciente, comme s’il suffisait de découvrir les diverses utilisations du doute pour échapper au réseau complexe des illusions de l’esprit. Il néglige délibérément le fait même de son expérience : la force de douter de ses voix et de ses hallucinations ne lui vint que lentement et péniblement ; quand à ses hallucinations, elles contribuèrent à la réalisation de ces faits. Comme il avait peur de douter, il se laissa aller totalement à prendre ses hallucinations au pied de la lettre et à croire à ce que lui dictaient ses voix. Tous ces messages ne sont en fin de compte que les caricatures de son propre puritanisme déformé et de sa culpabilité. De par leur nature même, ses hallucinations contiennent, sous une forme inversée ou cachée, ces mêmes doutes qu’il craint d’entretenir sous une forme plus consciente. Ces hallucinations le mènent à vivre ces expériences qui sont leur reductio ab absurdum, et ce sont, entre autres choses, ces expériences répétées du ridicule qui finissent par lui rendre sa santé mentale.

La phrase « charger ma conscience de la culpabilité qu’engendre ce doute » est fort étrange et l’on peut se demander ce que Perceval considérait comme « une erreur de l’esprit ». Il poursuit en affirmant que le doute, du fait qu’il est involontaire, ne relève pas directement de la conscience.

« C’est un crime que de rejeter volontairement ce dont on est sûr, mais déclarer volontairement croire ce dont nous doutons, ou prétendre que notre doute est volontaire en est un autre. »

Perceval était avant tout protestant et tendait plus à étendre qu’à restreindre le champ de la conscience individuelle. Son erreur, telle que je la comprends, est un échec de responsabilité. Il n’aurait pas dû ravaler son orgueil ni alourdir sa conscience en stigmatisant le doute comme étant « coupable ». Il aurait mieux fait d’accepter le doute comme la fonction exercée par l’esprit individuel responsable. Il aurait dû assumer la responsabilité du doute.

Tout ce que Perceval dit du traitement qu’il aurait voulu avoir, tourne autour de cette notion de responsabilité. Son frère Spencer aurait dû lui manifester une approbation qui aurait permis au patient de se sentir responsable de croire ou de douter de ses hallucinations. Se borner à nier ou à se moquer de déclarations et de discours décousus ne fait que diminuer l’estime que le malade doit se porter. Une telle attitude le porte à croire qu’il est incapable de la moindre sagesse et le pousse à caricaturer plus encore la faiblesse qu’on lui impute.

L’univers en blanc et noir du paranoïde peut paraître très réel, mais il n’est pas basé sur la réalité. Il serait plutôt compensatoire. C’est la négation de ses craintes et de ses faiblesses accumulées au plus secret de lui-même qu’une longue et amère expérience a fortifiée depuis qu’on lui donne tort. Perceval ne dit pas un mot de ce que ses parents ou ses frères et sœurs lui firent, qui ait pu nourrir ce sentiment de faiblesse et d’indignité, mais, par contre, il s’étend volontiers sur la façon dont le traitaient ses voix hallucinatoires. Au début de sa psychose à Dublin, il raconte :

« Je me sentais déchiré par les ordres de ce que j’imaginais être l’Esprit saint m’ordonnant de dire certaines choses, acte pour lequel, à chaque fois que je tentais d’obéir, on m’assaillait de reproches parce que je parlais avec ma propre voix et non avec celle qui m’était donnée. Ces ordres contradictoires étaient la cause (et le sont aujourd’hui comme alors) de l’incohérence de mon comportement et ces choses que j’imaginais formaient la racine principale de tout mon dérangement. On m’ordonnait en effet de parler sous peine d’horribles tourments, au risque de provoquer la colère de l’Esprit saint et de m’attirer l’accusation de l’ingratitude la plus vile ; en même temps, à chaque fois que je tentais de parler, je m’entendais reprocher brutalement et continuellement de ne pas recourir à la voix qui m’était envoyée ; j’avais beau essayer de nouveau, j’avais toujours tort et lorsque du fond de mon être, je suppliais qu’on croie que je ne savais pas ce que je devais faire, on m’accusait de fausseté et de fourberie ainsi que de montrer une énorme mauvaise volonté à faire ce qui m’était ordonné. Je perdais alors patience et m’exécutais en disant pêle-mêle tout ce qui m’était demandé, déterminé que j’étais de montrer que ce n’était ni la crainte ni le mauvais vouloir qui m’en empêchaient. Mais au fur et à mesure que je le faisais, je ressentais cette douleur dans les nerfs de mon palais et dans ma gorge qui me convainquait que je ne me rebellais pas seulement contre Dieu mais contre la nature aussi ; et je retombais dans une impression déchirante de désespoir et d’ingratitude. »

C’est à ce moment-là que les voix l’induisaient en erreur en lui faisant croire qu’il existait plusieurs alternatives parmi lesquelles il pouvait trouver la direction qu’approuveraient les voix. Il en choisissait donc une et tentait d’obéir, mais à un niveau plus abstrait, se voyait de nouveau blâmé pour son manque de sincérité. Les voix le mettaient dans la position qu’on qualifie maintenant « du double lien », de sorte que même s’il faisait la chose qu’il était censé faire, il n’en aurait pas moins été blâmé de l’avoir faite pour de mauvaises raisons.

Il est clair que son dernier mot « ingratitude » implique que ce mode d’expectative inconsciente, à savoir que quoi qu’il fasse, il sera rejeté, s’était installé en lui depuis longtemps comme la conséquence directe du comportement de ses parents et celui de ses frères et sœurs.

Plus tard, les voix s’exprimèrent tout autrement :

« Une autre fois, mes esprits se mirent à me chanter un air nouveau : « Tu es dans un asile de fous, tra-la-la… si tu n’y es pas, tu y es quand même, tra-la-la. » « Voilà Samuel Hobbs, s’il te plaît ! si ce n’est pas lui, c’est Herminet Herbert ! » etc., etc., etc. Mais mes voix m’avaient trompé si souvent que je ne voulais plus les croire alors qu’elles me disaient la vérité. Pourtant, à force d’écouter les malades s’adresser à lui sous le nom de Samuel Hobbs, et sur la foi d’autres petits incidents, j’en vins à comprendre que j’étais toujours sur la terre, dans ma forme naturelle, mais dans des circonstances extrêmement pénibles puisque je me trouvais dans un asile de fous. Mes hallucinations se dissipant de la sorte, je recouvrai bientôt ma liberté de mouvement pendant la journée. »

On voit qu’ici, les voix font ce que Perceval aurait voulu que fasse son frère, c’est-à-dire qu’elles acceptaient la réalité des hallucinations et fortifiaient son doute. Elles offraient également des alternatives réelles parmi lesquelles le patient pouvait et devait choisir, tout en laissant entendre qu’elles étaient prêtes à accepter n’importe lequel de ces choix. Perceval indique qu’il lui était désagréable que les voix lui donnent libre choix, mais il est suffisamment honnête pour admettre qu’à chaque fois qu’elles le faisaient, il accomplissait un pas supplémentaire dans la voie de la guérison.

Ensuite, Perceval expose en deux sketches minuscules et schématiques, les recettes servant d’une part à provoquer sa folie et d’autre part à la guérir.

La solution n’est toutefois pas aussi simple. Il ne suffit pas que le thérapeute se promène dans les salles en chantant des petits refrains aux schizophrènes, leur suggérant ainsi plusieurs alternatives au lieu de « doubles liens ». Le médecin n’incarne pas (en général) la voix de l’hallucination et ne peut faire, de toute façon, ce que les voix de Perceval faisaient pour lui, ou ce qu’il leur faisait faire, et il est le premier à appliquer la recette pathogène qui ne deviendra curative que bien plus tard. C’est la combinaison des deux recettes qui constitue la totalité de l’expérience psychotique par laquelle le malade doit passer avant de guérir.

Cet état de choses est l’une des caractéristiques les plus intéressantes de l’étrange condition connue sous le nom de schizophrénie : il semble que le mal, pour autant que cela en soit un, contienne parfois des propriétés curatives. Ce que Perceval a dit en son temps, a été depuis quelques années largement reconnu. Nous savons maintenant parfaitement que nombre des soi-disant symptômes de maladies organiques sont en fait les efforts que fait le corps pour pallier des problèmes pathologiques profonds ; nous savons également que les rêves, interprétés ou non, peuvent contribuer favorablement au processus de la psychothérapie. Nous avons désormais la preuve que l’absence de rêves conduit à la tension psychique certaine.

La dynamique du cauchemar curatif reste néanmoins assez obscure.

Considérer le symptôme comme faisant partie du mécanisme de défense est une chose ; c’en est une autre de croire que le corps ou l’esprit contiennent, sous une forme ou sous une autre, une sagesse telle qu’elle soit capable de créer cette attaque contre soi-même qui provoquera plus tard la résolution de la pathologie.

Les voix de Perceval le brisent jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une masse « d’ingratitude ». Mais ce sont ses voix et c’est lui qui les orchestre de façon à ce qu’elles lui fassent cela. Par la suite, il leur fait changer de direction et leur fait faire le contraire de ce qu’elles lui ont fait jusque-là, c’est-à-dire qu’elles lui offrent des alternatives, ce qui lui est tout autant douloureux. Au cours du processus de guérison, il réussit à provoquer en lui l’attaque salutaire.

Grâce à des processus inconscients mystérieux, Perceval était capable d’orchestrer ses propres expériences psychiques pour assurer son périple à travers la psychose, mais cela ne signifie pas que la chose eût été facile pour son frère Spencer ou pour les médecins, et qu’ils eussent pu intervenir auprès de Perceval de façon à accélérer le processus. Ce qu’il nous raconte des asiles psychiatriques où il fut enfermé mérite toutefois d’être étudié sous cet angle. Ces asiles étaient- ils efficaces ?

Il est impossible, sur la base des dires d’un seul malade en 1830, de savoir si son traitement était plus humain ou moins humain, plus efficace ou moins efficace que celui d’un malade interné dans une institution onéreuse de même type en 1961. Il est certain que les hôpitaux psychiatriques d’alors devaient faire face aux mêmes problèmes qui assaillent les institutions actuelles. Les voix de Perceval pouvaient lui fournir les grossières et pénibles caricatures de l’expérience du double lien, mais les hôpitaux ne pouvaient que simuler maladroitement et hypocritement pareille expérience. A l’époque, comme aujourd’hui, les principaux modes de traitement visaient à réduire, chez le malade, le sens de sa responsabilité et le sentiment de sa propre valeur. Aux camisoles de force, aux douches glacées et au cabanon de l’époque, les institutions psychiatriques modernes ont ajouté l’électrochoc et les tranquillisants, mais les principes fondamentaux des traitements restent grosso modo les mêmes. En 1830 déjà, le personnel hospitalier voulait que le silence règne dans les salles de malades ; il ne tenait aucunement à mettre les malades au courant des décisions prises à leur endroit et encore moins à leur expliquer les raisons de ces décisions. L’un dans l’autre, on faisait beaucoup pour augmenter le sentiment d’isolement du malade, sa conviction d’être indigne et il avait des occasions multiples de vivre des expériences inexpliquées et douloureuses qu’il ne pouvait expliquer que de manière illusoire et trompeuse.

Lorsqu’il commença à comprendre la nature du système qui l’entourait et le freinait, Perceval devint enragé. Il vit clairement l’hypocrisie, l’ignorance et les basses motivations des praticiens ; et l’on n’en saurait douter, ce sont cette rage et cette compréhension qui le mirent sur la voie de la guérison.

Mais à l’époque comme maintenant, on contrait la rage d’un malade en intensifiant son traitement et le malade ne manquait pas de trouver une certaine similitude entre cette intensification de traitement et une punition.

Les voix qu’entendait Perceval étaient grotesquement punitives et cette injustice caricaturale le réduisait à un sentiment d’ingratitude total ; les médecins et le personnel hospitalier ne firent pas mieux, il n’y manquait que le côté caricatural. La lettre du docteur Fox donne toute la mesure de l’échec du système et Perceval ne mit pas longtemps à saisir le caractère papelard et contradictoire de ce document. Il résume ainsi la chose :

« Alors que la suspicion continue de m’affecter, je persiste à me demander si je dois considérer que le docteur Fox agissait en toute conscience ou si, par la force d’une longue pratique de l’imposture insoupçonnée, il ignorait véritablement à quel esprit il appartenait. »

Il apparaît donc que le système de traitement, tout en cherchant à amener le malade à se renier lui-même, ne pouvait réussir à lui faire traverser plus rapidement le labyrinthe de la psychose. Les praticiens, qu’ils aient été prisonniers de bonnes intentions réelles ou qu’ils aient eu envie d’apparaître comme ayant de bonnes intentions, restaient esclaves d’un système encore plus rigide que celui qui emprisonnait Perceval au son de voix angéliques. Celles-ci pouvaient toujours, selon les circonstances, changer de couplets et les accorder aux besoins du malade.

Il nous faut faire ici une digression. Tous les schizophrènes guéris nous posent le même problème : comment et pourquoi s’est faite cette guérison ? Ce problème est encore plus mystérieux lorsque la guérison intervient avec un minimum d’interférence médicale. Ce que l’on appelle une « rémission spontanée » reste un mystère total.

Le récit de Perceval et les écrits autobiographiques de certains autres schizophrènes (voir Barbara O’Brien : Operators and Things, Arlington Bks, 1958) proposent des points de vue différents sur le processus psychotique. Il semblerait qu’une fois plongé dans la psychose, le malade soit obligé de parcourir un certain chemin. Disons qu’il a pris le départ pour un voyage d’exploration qui ne se terminera qu’avec son retour au monde normal dans lequel il revient avec une optique totalement différente de celle des gens qui n’ont jamais fait ce voyage. L’épisode schizophrénique, une fois commencé, semble volontiers suivre une courbe définie, comme c’est le cas pour certaines cérémonies d’initiation — mort et résurrection — que la vie familiale ou des circonstances fortuites ont provoquées mais dont le déroulement est largement gouverné par un processus endogène.

Lorsqu’on s’en tient aux termes de ce tableau, la rémission spontanée ne pose aucun problème. Elle est l’issue parfaitement naturelle de tout le processus. Ce qu’il nous faut expliquer, c’est l’échec de ceux qui partis pour ce voyage n’en reviennent point. Se peut-il que ceux-là se heurtent à des circonstances qui, soit dans leur famille, soit dans les diverses institutions, soient tellement inacceptables que les expériences hallucinatoires les plus cohérentes et les plus riches échouent à les sauver ?

Nous examinerons donc quelle sorte d’homme était Perceval et dans quelle mesure il avait raison d’affirmer qu’il était complètement guéri lorsqu’il écrivit son premier livre à Paris en 1835 et les chapitres de son second livre où il raconte sa guérison. Dans quelle mesure la colère d’un homme qui doit sans discontinuer justifier sa colère, est-elle sensée ? Dans quelle mesure peut-on dire qu’un homme dont les dernières paroles ont été pour accuser sa mère de complicité avec tous les docteurs Fox de l’univers, est sensé ? Dans quelle mesure peut-on appeler sensé un homme qui clame son intention de s’enfuir de l’asile de fous avant même d’avoir essayé ? Peut-on dire qu’il est sensé d’un homme qui explique : « Je compris qu’aucun malade ne saurait échapper à son internement dans un état d’esprit normal sans devoir mentir à sa conscience ou sans être obligé d’accepter l’idée selon laquelle la perfidie et la duplicité sont en harmonie parfaite avec une saine conscience » ?

Toutes ces questions sont liées entre elles et nous livrent l’image d’un homme dominé par la colère d’un côté et de l’autre, par l’excès de scrupules. Ces caractéristiques forment un couple de forces conjuguées qui se nourrissent les unes les autres. Plus la colère est considérable, plus grande est la nécessité de la réprimer en examinant scrupuleusement la justification de cette colère ; et plus est forte la preuve logique de la justification, plus la colère est grande. Tout cela donne un individu fort difficile à vivre. Perceval aurait probablement été plus facile à vivre eût-il été un peu moins honnête et un peu moins coléreux, du moins un peu moins rigide.

Mais ce sont justement la rigidité et la violence latente de son caractère qui donnent naissance à sa dynamique, par laquelle il est conduit à entreprendre l’effort surhumain indispensable pour donner un sens à ses hallucinations et partant de là, pour parvenir à la «  guérison ». Il doit cette guérison précisément à ces mêmes idiosyncrasies qui l’avaient précipité dans la folie. C’est par ailleurs ce qu’il exprime clairement bien qu’en termes théologiques : « …Ainsi le Tout- Puissant condescendait à guérir par l’imagination, cette imagination qu’au moyen d’illusions et de ruses, il avait blessée, brisée et détruite… »

Une autre question concernant sa guérison s’impose quant aux fluctuations et aux reculades de sa croyance dans ses voix hallucinatoires. Il raconte comment, au début de sa maladie, il prenait ces voix au pied de la lettre. Plus tard, il découvrit ce que l’on a depuis officiellement découvert, à savoir que ce qu’exprime un schizophrène ainsi que ses hallucinations doit être compris comme des métaphores plutôt qu’au sens littéral.

« L’esprit s’exprime poétiquement mais l’homme n’en saisit que la lettre. »

Il va même jusqu’à entamer un dialogue humoristique (sur le mode hébéphrène, pourrait-on dire) avec ses voix. Il parle d’une « tournure d’esprit humoristique qui me portait à essayer de berner mes esprits malins ».

Il découvrit aussi que ses voix étaient fort inconstantes et qu’elles faisaient des promesses qu’elles ne tenaient point. Il reconnut que cette expérience contradictoire et pénible à supporter avait contribué à sa guérison.

Il découvrit le pouvoir de son imagination à créer des perceptions et des images inhabituelles, sur le plan auditif comme sur le plan visuel, ce qui contribua grandement à dissiper l’angoisse découlant de ces phénomènes hallucinatoires.

En dépit de toutes ces découvertes, ses voix conservèrent une certaine réalité pour lui. Quand il parle des actes qu’il accomplissait pour leur obéir, il dit : « Je sais désormais que je n’étais pas censé dire la plupart des choses que je disais, ni faire la plupart des choses que je faisais. »

Les voix gardaient une certaine réalité et comportaient une certaine signification et l’erreur résidait dans la compréhension qu’il en avait. On peut penser que c’est justement cela, la folie, mais en fait, cette attitude est très proche de la théologie orthodoxe, de même que de la théorie psychanalytique orthodoxe dans laquelle le malade doit apprendre à interpréter ses rêves.

Il revint au monde normal mais en ayant de ce monde une perception nouvelle.

Il faut maintenant se demander quel ensemble de circonstances a probablement forcé Perceval à s’embarquer pour cet extraordinaire périple et quels événements ont entravé ce voyage.

La seconde partie de cette question trouve une réponse partielle dans les commentaires que fit Perceval au sujet des médecins et de leurs institutions. Il est possible qu’ils l’aient aidé en valorisant sa rage, de même qu’ils le gênèrent à coup sûr en manifestant leur inébranlable besoin d’apparaître vertueux et sages.

Si l’on admet que ces circonstances constituèrent un obstacle et une exaspération pendant le déroulement de la psychose, il est indispensable de chercher des circonstances identiques dans les relations de Perceval avec sa famille, afin de découvrir si celles-ci n’ont pu précipiter ou conditionner sa maladie.

Il n’a pas décrit ses années d’enfance, de sorte que nous ne disposons que des quelques passages dans lesquels il explique comment il en vint à percevoir son propre rôle vis-à-vis de sa mère et de ses frères.

Dans la préface à son second ouvrage, on lit :

« …Il espère faire comprendre aux malheureux parents affectionnés d’une personne dérangée, quels peuvent être ses besoins et comment elles doivent se conduire à son égard, afin d’éviter les erreurs qui furent, hélas, commises par la propre famille de l’auteur. »

Malheureusement, il s’avère incapable de donner des recettes précises quant au comportement que devrait adopter la famille. Ce que le récit nous livre, c’est une longue déclaration décrivant ce qu’il ressentait et comment il s’exprimait à l’endroit de sa mère et de son frère aîné, Spencer, au cours de sa maladie, puis de sa guérison. Il lui arrive à maintes reprises de confondre sa famille avec les médecins et d’annoncer son intention de poursuivre les uns et les autres en justice pour ce qu’ils lui faisaient subir. A d’autres occasions, il écrit à sa famille des lettres qu’il espère bien que le médecin lira :

«  …Je ne pouvais pas toujours vaincre mon exaspération. Mais même en ces moments-là, j’ai souvent subi l’influence d’un esprit de bravade et de défiance qui me faisait m’insurger contre les médecins, dont je savais qu’ils inspectaient ma correspondance ; j’étais bien décidé, au cas où ils auraient vu dans ma colère d’être enfermé et de subir leurs traitements, la preuve flagrante de ma folie, de faire en sorte qu’ils ne soient point déçus et de leur en fournir d’autres preuves. »

Une telle perversité de comportement, par l’intention manifeste de pousser à bout le monde extérieur, est caractéristique d’un grand nombre de schizophrènes auxquels on pourrait attribuer la devise suivante : «  Puisque les choses ne sont pas comme je le veux, je les ferai telles. »

Sur le chapitre de ses raisons d’être sarcastique et violent, il nous donne un passage d’une lucidité extraordinaire :

« …Une motivation plus profonde encore se cachait derrière toute cette violence d’expression. Beaucoup penseront sans doute que cette motivation est folle : je savais que, de tous les tourments auxquels l’âme est sujette, aucun n’est plus atroce ni bouleversant que celui du remords d’avoir blessé ou négligé ceux qui méritent toute notre considération et notre estime. Je me mettais à la place de mes sœurs, de mes frères et de ma mère et les plaignais ; je savais qu’ils ne pouvaient supporter de s’interroger sur ce qu’ils m’avaient fait, à moi, auquel ils avaient autrefois montré de l’attachement, au cas où ils aient eu une claire compréhension de leur conduite ; je savais qu’ils ne pouvaient connaître le soulagement du remords qui les torturait et qui venait trop tard, ce remords qui ronge les sources vitales de l’être et qu’ils ne trouveraient de consolation qu’en se persuadant que j’étais partiellement indigne de leur affection ; c’est précisément pourquoi je laissai libre cours à ma plume afin qu’ils puissent, sur la foi de mes écrits, trouver une justification de leur conduite et dire que j’avais démérité de leur estime puisque j’avais rejeté la considération due à ma parenté et à mes pairs, que je ne méritais que leur mépris et justifiais leur abandon de moi. »

Ici, Perceval met le doigt sur le thème central de la relation existant entre le psychotique et ses proches. Dans presque toutes les familles qui se trouvent dans cette situation, on s’aperçoit souvent que le psychotique est chargé du rôle de bouc émissaire. Par son comportement schizophrène, il doit cacher ou justifier les actions mêmes des autres membres de la famille qui évoquaient, et continuent d’évoquer, sa schizophrénie.

L’un des aspects de ce tableau nous est familier. L’enfant qu’on rejette est souvent incapable d’accepter ce rejet sans donner à ses parents une ample justification de leur action. En percevant qu’il est indûment rejeté, l’enfant éprouvera l’intolérable sentiment d’une dévaluation de ses parents. Il doit par conséquent se protéger de cette perception :

« .. .J’éprouvais comme un soulagement dans mon âme de pouvoir me dire qu’il y avait quelque justification à la conduite de mes parents à mon égard ; car ce que j’estimais intolérable, c’était le sentiment ou l’idée que l’on me traitait avec la plus parfaite injustice et sans qu’il y ait eu la moindre cause d’offense. »

Des renversements de comportement aussi complexes sont extrêmement difficiles à accepter pour des parents. Ils sont incapables de percevoir leur propre perfidie sinon comme justifiée par le comportement du malade et le malade ne leur laissera pas comprendre à quel point son comportement est fonction de ce qu’ils ont fait et continuent de faire. La tyrannie des « bonnes intentions » doit être sans répit alimentée tandis que le malade parvient ironiquement à un état de « sainteté » en se sacrifiant en des actions déraisonnables ou autodestructrices jusqu’à ce qu’enfin il puisse à juste titre citer les paroles du Sauveur : «  Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. Amen. »

Cette prière est somme toute fort appropriée si l’on se souvient que le schizophrènes passé des années entières à empêcher ses parents de saisir la portée de leurs propres actions si ce n’est dans le cadre de son inconduite.

En résumé, il apparaît qu’il existe une forte analogie formelle entre le piège qui enferme les médecins et celui où se retrouvent les parents du schizophrène. Dans chaque cas, on trouve l’apparence d’une inexorable hypocrisie, avec cette différence toutefois que l’amour d’un malade pour ses parents l’amène à se confiner dans le secret le plus profond pour ce qui est de la nature sacrificielle de son comportement. Ce secret est si profond chez la plupart des schizophrènes qu’il en devient une sorte de répression. Le malade lui-même ne peut plus saisir consciemment la nature de ses motivations. Lorsque Perceval accepte cette optique, il accomplit un grand pas sur la voie de la santé mentale.

On peut raisonnablement imaginer le jeune Perceval avant sa psychose, comme un jeune homme très rigide, très discipliné, très soigneux et affligé d’un grotesque idéal d’honnêteté et d’une habitude de se méfier de toute passion. Il croyait probablement consciemment que l’honnêteté ne pouvait s’exercer qu’avec une attention scrupuleuse. Inconsciemment, cette attention scrupuleuse avait pour fonction de cacher les antinomies grossières et les lacunes dans ses relations avec sa famille. Avant sa psychose, son exactitude lui tenait lieu d’autosacrifice. Durant sa psychose, il traverse une phase d’amertume où la violence prend la place de sa précision antérieure.

On peut supposer que ce code de dissimulation et de sacrifice était, à bien des égards, inconfortable et que sa quête d’une religion évangélique était autant une recherche de fuite qu’un besoin de s’accrocher à tout ce qui pouvait renforcer son intégrité forcenée. Tout cela était le résultat de causes conditionnelles ; il est possible que l’élément catalysant ait été son aventure avec les irvingites. Il avait été confronté avec un problème nouveau : en tant qu’individu profondément religieux, il se devait de combiner la sincérité et la spontanéité avec le fait qu’il cachait au plus profond de lui-même une intense force surnaturelle qu’il devait laisser s’exprimer, fût-ce au prix de paroles insensées.

Ces doctrines, qui se présentent sous le masque de la religion et qui, par conséquent, constituaient une variation acceptable des dogmes de son enfance, étaient pourtant une proposition ironique de toute la discipline enfantine dont il avait besoin pour cacher ce qui était profondément erroné dans son mode de vie antérieur.

Il est intéressant de suivre son évolution sur le plan de la sexualité. Ses états d’excitation sexuelle à Row avaient été immédiatement suivis par son aventure avec la prostituée de Dublin pour laquelle il avait été puni, ou s’était imaginé l’être, par une maladie vénérienne. De là, il avait plongé dans la psychose et, nous semble-t-il, avait traversé deux périodes où ses hallucinations avaient pris la forme d’objets sexuels d’une intense beauté. Il dût répudier la première de ces périodes comme étant de nature diabolique ; quant à la seconde, il l’accueillit comme un bienfait miraculeux du Tout-Puissant et, presque aussitôt après sa sortie de l’asile de Newington, il se maria.

Évaluer une psychose est pratiquement impossible. On a l’habitude de considérer la schizophrénie comme une maladie et, partant de là, les conditions nécessaires à son épanouissement et les causes qui en précipitent la crise doivent être tenues pour désastreuses. Il semblerait que Perceval, à la suite de cette expérience psychotique, devint meilleur, plus heureux, doué d’une imagination plus libre ; dans cet essai introductif, j’ai suggéré que la psychose pouvait se comparer à une vaste et douloureuse cérémonie d’initiation menée par le Soi. De ce point de vue, on peut sans doute raisonnablement considérer les particularités causales avec horreur. Seules les causes qui font œuvre de catalyse peuvent être tenues pour bénéfiques.

“We shall not cease from exploration

And the end of ail our exploring

Will be to arrive where we started

And know the place for the first time.”

T.S. Eliot, « Little Gidding ».

Notice bibliographique

La page de garde du second ouvrage de John Perceval est reproduite en frontispice du présent volume. La page de titre du premier ouvrage est quelque peu différente mais la formulation est la même, à part l’omission du nom de l’auteur. Le premier livre est daté de 1838.

Dans leur contenu, les deux livres diffèrent presque entièrement. Le premier consiste en une brève biographie de l’auteur jusqu’au moment de son internement dans l’asile du docteur Fox, suivie de la relation détaillée des quatorze mois qu’il passa dans cet asile. Le livre se termine sur le discours que lui tint le docteur Fox le jour de son départ :

« Au revoir, Mr…, j’aurais aimé pouvoir vous donner quelque espoir de guérison. »

L’auteur nous apprend qu’il écrivit la totalité de son livre à Paris en 1835, après son internement chez Mr Newington. Il avait laissé en Angleterre un grand nombre de documents ainsi que le journal qu’il avait tenu pendant son séjour chez le docteur Fox, ce qui l’obligea à relater de mémoire. Ce premier volume anonyme se termine avec la note suivante : « Les lettres que j’avais annoncées en appendice ont été supprimées sur le conseil de mon éditeur, par souci de discrétion. »

Le second livre s’ouvre sur une longue préface d’invectives qui a été supprimée dans le présent volume.

La préface est suivie d’une introduction de deux pages, fort confuse (et omise ici) et dont il précise qu’elle fut écrite en 1834, mais dans laquelle il mentionne avoir écrit son premier livre à Paris en 1835, et l’avoir publié en 1838.

Suivent quatre chapitres qui constituent une sorte de brouillon préliminaire, écrit à l’asile de Newington en 1832, du texte que Perceval devait plus tard écrire pour son premier livre.

Le deuxième livre continue par la reproduction d’un certain nombre de documents et de lettres écrits chez le docteur Fox, celles-là mêmes sans doute qui furent supprimées à la fin du premier livre. Suit alors la relation de ses ennuis avec le docteur Newington et de ses tentatives pour attirer l’attention des magistrats dont c’était le devoir de superviser le traitement appliqué aux fous.

Ce livre contient également trois magnifiques chapitres écrits à l’aube de sa guérison.

En réduisant ces deux livres à un seul ouvrage, j’ai essayé de livrer au lecteur tout ce qui m’apparaît pertinent à la connaissance de John Perceval, à la compréhension de sa psychose et des différents stades par lesquels il pense avoir trouvé la guérison. J’ai également inclus tous les documents qui se rapportaient à ses relations avec sa famille.

On verra, toutefois, qu’un grand nombre de pages est consacré à la critique amère de sa famille et des institutions dans lesquelles il fut interné. Que ses critiques et ses plaintes soient largement justifiées, j’en suis persuadé et il est plus que probable que beaucoup d’individus internés de nos jours dans des hôpitaux psychiatriques éprouvent pareillement, et à juste titre, d’amers sentiments. Au niveau institutionnel, on n’a toujours pas découvert quelle était la meilleure méthode pour traiter les psychotiques. Quoi qu’il en soit, la façon dont Perceval justifie inlassablement ses amères récriminations est parfois lassante et l’on en trouvera suffisamment d’exemples dans son récit.

Le présent ouvrage se présente donc de la façon suivante :

1.     Il comprend la totalité du premier livre de Perceval.

2.    Il omet la préface de vingt-six pages et l’introduction de deux pages, contenues dans son second livre.

3.    Les chapitres I-III et le début du chapitre IV ont été omis, de sorte que, dans la présente version, le second livre débute par la présentation des lettres écrites lorsqu’il se trouvait chez le docteur Fox, ces mêmes lettres qu’il nous dit avoir supprimées dans le premier ouvrage « pour des raisons de délicatesse et sur le conseil de mon éditeur. » Ces lettres constitueront le chapitre XXVIII du présent volume.

4.    Les chapitres V et VI ont été supprimés du fait de leur caractère chicanier et répétitif.

5.    Les trois premières pages du chapitre VII ont été omises ; quant au reste qui a été conservé, il est devenu ici le chapitre XXIX.

6.      Le chapitre VIII a été conservé et devient ici le chapitre XXX.

7.      Le chapitre IX a été omis.

8.      Le chapitre X devient le chapitre XXXI,

le chapitre XI, le chapitre XXXII,

le chapitre XII, le chapitre XXXIII,

le chapitre XIII, le chapitre XXXIV,

le chapitre XIV, le chapitre XXXV,

le chapitre XV, le chapitre XXXVI,

le chapitre XVI, le chapitre XXXVII.

9.    Les chapitres XVII et XVIII qui relatent les requêtes infructueuses de Perceval auprès des magistrats ont été supprimés, à l’exception de la lettre où Perceval demande qu’on lui indique comment il. peut terminer ses études à Oxford. Cette lettre devient le chapitre XXXVIII.

G. B.

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