A partir de : Anna Freud : « About Losing and Being Lost », in Psychoanal. St. Child., 22:9-19, 1967.
Anna Freud avance trois formes au désir de perdre un objet selon que nos possessions matérielles représentent :
- des parties du corps (voir le symbolisme selon Hanna Segal) et sont donc des investissements narcissiques ;
- nos objets d’amour : ce sont donc des investissements libidinaux ;
- des objets transitionnels et donc des parties du corps maternel, et sont doublement investis : narcissiquement et libidinalement.
La clinique nous montre des êtres qui sont des perdants chroniques et ce jusqu’au négativisme, ce qui peut provenir :
- soit de l’altération des processus libidinaux découlant d’un désintérêt (désinvestissement) pour l’amour et les possessions ;
- soit de l’altération des processus narcissiques découlant d’un désintérêt (désinvestissement) envers le corps.
L’identification à l’objet perdu : on se sent dépouillé, non pas à cause de la valeur objective de l’objet mais du fait de sa valeur subjective selon qu’elle représente :
- un fragment corporel important (par exemple le symbole pénien) ;
- un objet d’amour.
L’enfant comme objet perdu et comme perdant d’objet : les enfants sont des éléments du monde parental, parents qui sont les propriétaires de l’enfant. Celui-ci est soit :
- investi libidinalement, ce qui fait qu’il est heureux[1] ;
- investi de haine, ce qui le rend malheureux.
Ce qui entraîne des choses différentes quand la perte du lien affectif vient de l’enfant et non des parents, et cela attaque la capacité d’aimer et donc d’établir ou de garder une possession et crée une incapacité d’investir l’inanimé. Ce qui donne une double identification chez les perdants chroniques :
- une identification passive avec les objets perdus qui les symbolisent eux-mêmes ;
- une identification active avec les parents qu’ils vivent comme négligents, indifférents.
A cette liste, nous ajouterons un désir de perdre un objet cher dans un but sacrificiel de conjuration. Ernest Jones dans sa biographie sur Freud, rapporte des événements – que Freud inclut pour la plupart dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne – mais, remarquons-le, Jones oublie de restituer les explications que Freud en donne… D’abord, sous la rubrique ou sous couvert d’actes manqués, ce qui apparaît après analyse révèle une intention et non un hasard malencontreux, une intention de sacrifices conjuratoires fondés sur la pensée magique de l’animisme. Pour exemple, Freud a donc sacrifié :
– le couvercle de marbre de son encrier, d’un geste brusque de la main ; peu avant, Freud avait reçu la visite de sa sœur qui avait souligné la beauté du bureau de son frère, à un détail près : l’encrier. Ainsi ce dernier fut exécuté, non sans l’espoir secret que sa sœur le remplace par un plus beau ;
– il projette, d’un coup de pied, sa pantoufle qui s’en va briser une petite Vénus de marbre : acte sacrificiel pour l’amélioration de la santé de sa fille aînée (en 1905), ce dont il se désespérait ;
– le sacrifice propriatoire d’une figurine égyptienne nouvellement acquise pour réparer une amitié menacée[2] ;
– en 1925, Freud apprend qu’un accident de train a eu lieu, alors qu’il attend Anna : il en coûtera, comme conjuration, la perte d’une paire de lunettes et de leur étui.[3]
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[1] Voir chez Joyce McDougall le destin de : « Je suis l’objet narcissique de mes parents », in Théâtres du corps, Gallimard, 1989.
[2] Psychopathologie de la vie quotidienne, Gallimard 1997, pp. 271-283.
[3] Voir Sigmund Freud, la lettre à Ferenczi du 14.VIII.1925, in Correspondance Freud-Ferenczi, 1908-1933, Calmann-Lévy 1992. Ces exemples sont développés dans : Joël Bernat, Transfert et pensée, Paris, L’Esprit du Temps – PUF, 2001, collection « Perspectives psychanalytiques ».