Conviction / Überzeugung (Joël Bernat)

La conviction est le résultat d’une perlaboration et d’une confrontation à l’épreuve de la réalité confirmée par un jugement d’existence.

 

Il y a deux types de conviction qui s’inscrivent en deux points différents sur l’axe du système Perception – Conscience :

1- l’une est liée à l’effet d’une représentation de remplacement, qui porte les intérêts d’une source infantile ou d’un désir ; ainsi, par exemple, la conviction paranoïaque est due à la source infantile réelle qui resurgit en lieu et place de la réalité actuelle. Ou encore, quand une représentation de souhait surgit au premier plan et supprime le rapport à la réalité effective. Freud donnera souvent l’exemple de la religion pour illustrer ce phénomène de la conviction croyante (ce qui est affirmé comme existant à l’extérieur n’est que projection d’une image déformée à l’intérieur ; mais la projection reste inconsciente jusqu’au moment de sa saisie) ; donc, ici, une conviction qui n’est que celle de la réalité psychique et des processus primaires, mais qui est puissante puisqu’elle est tenue pour s’appuyer sur quelque chose d’externe et de perçu (voir les mythes endopsychiques) ;

2- la conviction scientifique, celle qui ne peut que s’appuyer sur « l’élaboration intellectuelle d’observations soigneusement vérifiées », réclame une opération particulière afin d’écarter toute emprise de l’infantile, du fantasme ou autres formations de l’inconscient. Cette épreuve, Freud lui a donné le nom d’épreuve de réalité : une représentation reproduisant la perception, est retrouvée, soit dans la réalité extérieure et la chose représentée existe donc réellement (ce que Freud illustre avec « Un trouble de mémoire sur l’Acropole »), soit dans l’inconscient s’il s’agissait de la perception d’une motion pulsionnelle : elle devient alors « juste au sens de l’inconscient » et « je peux m’y reconnaître ». Si ce n’est pas le cas, intervient le renoncement : la représentation est abandonnée, infirmée par l’expérience. Ceci relève du principe de réalité et contribue à une représentation réelle du monde, agréable ou non, mais en tous cas « scientifique ».

 

On pourrait jouer avec la construction du mot allemand : pour qu’il y ait Überzeugung, c’est-à-dire conviction, il faut que ce qui a été engendré (zeugen) par la perception, ait reçu le témoignage (Zeugung) de l’épreuve de réalité et d’un jugement d’existence[i].

Tout cela est illustré par « Un trouble de mémoire sur l’Acropole », qui rend compte d’un événement de 1904 et qui ne reçut son éclaircissement qu’en 1936, soit aussi le temps de l’élaboration du système Perception – Conscience : « L’après-midi de notre arrivée, quand je me trouvai sur l’Acropole et que j’embrassai le paysage du regard, il me vint subitement cette étrange idée : ainsi tout cela existe réellement comme nous l’avons appris à l’école ! (…) la personne qui manifestait son sentiment se distinguait beaucoup plus nettement qu’il n’apparaît d’ordinaire d’une autre personne qui, elle, enregistrait la manifestation, et toutes deux étaient étonnées, encore que ce ne fût pas de la même chose. La première faisait comme si, sous cette impression indubitable, il lui fallait croire à quelque chose dont, jusque-là, la réalité lui avait paru incertaine. (…) Mais l’autre personne s’étonnait à bon droit parce qu’elle ignorait que l’existence réelle d’Athènes, de l’Acropole et de ce paysage eût jamais été un objet de doute. Elle eût été plutôt préparée à une expression d’exaltation et de ravissement[ii]. »

 

La direction de la cure consisterait alors, par les interprétations et constructions auxiliaires et temporaires de l’analyste, à mener le patient vers cette épreuve de réalité afin qu’il renonce, peu à peu, aux éléments de sa réalité psychique[iii], ce qu’illustre la vignette clinique de « La négation ». En 1923, Freud ajoutait aussi cette note au récit de la cure de Dora : « Une autre forme très curieuse et tout à fait certaine de confirmation par l’inconscient, forme que je ne connaissais pas encore, se traduit par une exclamation du malade : « Je n’ai pas pensé cela », ou bien : « Je n’y ai pas pensé ». Ce qui veut dire : « Oui, cela m’était inconscient[iv] ». L’absence de jugement quant à l’existence fait que « on n’y avait pas cru dans l’inconscient », selon la formulation de Freud.

 

Remarques sur l’acte de conviction

Il y a une suite, chez Freud : les deux modes de convictions ont deux registres d’opération différents :

1- si une intuition passe l’épreuve de réalité, la conviction qu’elle opère chez le sujet aura un effet d’affirmation que, à partir de 1924, Freud nomme : Bejahung, c’est-à-dire que cela existe vraiment en moi ;

2- ce terme de Bejahung s’ajoute et remplace celui de Behauptung  jusqu’ici utilisé : s’il a aussi le sens d’affirmation, c’est avec la connotation de prétendre, d’assurer, et ce sur le dire d’un autre, d’affirmer un état ou un contenu, affirmation qui est du côté du moi : soit l’affirmation d’une réalité psychique, d’une conviction qui n’a pas été jugée selon l’épreuve de réalité. En changeant de terme, Freud indique un déplacement et un dégagement, notamment d’Alfred Adler quant à sa Behauptungstrieb, pulsion d’affirmation de l’individu subordonnant le comportement sexuel aux raisons du moi selon une « volonté de puissance », désir du moi de s’affirmer selon sa qualité d’organe[v]. Dégagement aussi par rapport à Trotter et sa Selbstbehauptung, l’affirmation de soi[vi].

 

Le couple intuition – conviction figure deux limites de la pensée : d’un côté, la réalité psychique et la pensée magique (et donc, la question clinique), de l’autre, celle que Freud nomme pensée scientifique (et donc, la question technique).

 



[i] Le terme français de conviction, dans son origine latine, diffère beaucoup de l’allemand ; convictio vient en effet de convaincre, ce qui indique un rapport de force. Le terme allemand doit beaucoup à la question de la procréation et de la reconnaissance de l’enfant.

[ii] « Un trouble de mémoire sur l’Acropole. Lettre à Romain Rolland », OCF-P. XIX, P.U.F. 1995.

[iii] Voir « Constructions dans l’analyse », Résultats, Idées, Problèmes, II (1937), P.U.F. 1985, p. 271.

[iv] Cinq psychanalyses, PUF 1971, p. 41.

[v] Cf. la critique de Freud in « A partir de l’histoire d’une névrose infantile » in OCF-P XIII, pp 20 & 51, ou Inhibition, symptôme, angoisse, PUF 1971, p. 77.

[vi] Cf. in « Psychologie des masses et analyse du moi » in OCF-P. XVI.

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