Micheline Guitton : « L’interprétation du transfert est-elle la seule efficace ? La doctrine écrite, la doctrine orale et la pratique » 1971

Un bel et profond essai d’analyse, en 1971, de la position fantasmatique selon laquelle il n’y aurait « d’interprétation que dans le transfert » – et bien sûr, le transfert du seul côté du patient (l’analyste étant supposé exempt de transférer…) Position au service d’un désir d’omnipotence et d’omniscience bien répandu chez certains : une position de maître, voire de maître es rébus (Freud dixit). Comme si cette position du « tout est transfert (de l’autre) » n’était pas contre-transférentielle, voire névrotique… En contre-point, pensons aux travaux d’Herbert Rosenfeld par exemple.

  1. La doctrine.

II Les interprétations et les interventions.

III. Les différentes phases de la technique analytique.

  1. La doctrine orale d’après les interviews.
  2. Interprétation transférentielle et névrose de transfert.
  3. L’analyse de groupe.

VII. La négation du souvenir.

VIII. Deux séances de malades.

  1. L’amour-propre de l’analyste.
  2. Conclusion.

  1. I. La doctrine

L’idée que seules les interprétations du transfert sont efficaces semble s’être répandue parmi nous, et faire figure de doctrine mais sans faire l’objet d’énoncés clairs et d’examens sérieux. Cette doctrine est surtout orale et n’est guère écrite. Une autre façon de dire que seules les paroles importantes de l’analyste sont celles qui se rapportent aussi à lui, est formulée ainsi :  » L’interprétation doit être faite Hic et Nunc « .

Cette doctrine a été introduite oralement vers les années 1940. Ce n’est que récemment (1967) que nous l’avons trouvée explicitement formulée dans deux textes : En 1958, E. Glover déclare, à la suite de son enquête, qu’un seul analyste dont il ne donne pas le nom, soutient que les interprétations du transfert sont les seules efficaces (p. 359).

Si cette doctrine n’a guère été énoncée explicitement, elle a été abondamment suggérée. Cette doctrine de l’interprétation ne correspond pas tout à fait à ce que nous avons appris, par notre propre analyse. Elle ne correspond pas non plus à notre pratique.

  1. Les interprétations et les interventions :

Avant d’étudier les différentes phases par lesquelles la technique analytique est passée, j’aimerais vous résumer ce que j’entends par interprétations et par interventions.

  1. Les interprétations

On distingue l’interprétation transférentielle et l’interprétation extra-transférentielle.

  • l’interprétation transférentielle : deux possibilités :
  • l’interprétation transférentielle, sens faible ; c’est une interprétation qui analyse une réaction du patient par rapport à l’analyste (Ici et maintenant – Hic et Nunc). Le but de l’interprétation transférentielle Hic et Nunc, (sens faible), c’est de libérer les sentiments de l’analysé envers l’analyste, sans faire référence au passé.
  • l’interprétation transférentielle, sens fort (de Freud) ; c’est une interprétation qui permet au patient de comprendre que ce qui se passe entre lui et l’analyste (Hic et Nunc) est lié à ce qui est arrivé dans son passé, dans son enfance. L’interprétation transférentielle, sens fort, ramène le patient de l’analyste à son enfance. Par exemple, le but du traitement c’est de libérer mes sentiments à l’égard de ma mère (interprétation transférentielle sens fort) et non pas uniquement à l’égard de l’analyste (Interprétation transférentielle sens faible — Hic et Nunc).

Actuellement, parmi les interprétations transférentielles sens faible et sens fort, ce sont les interprétations transférentielles sens faible, qui semblent être  » l’idéal  » que l’analyste désire atteindre, comme me le disait un collègue.

  • l’interprétation extra-transférentielle : ce sont toutes les paroles que dit l’analyste et qui permettent au patient de prendre conscience de matériel inconscient. Mais cette interprétation n’est pas faite en fonction de l’analyste. Elle peut aussi dans certains cas, préparer à une interprétation transférentielle.
  1. Les interventions

Je citerai la définition de Nacht (1956) :  » Poser une question à brûle-pourpoint, interrompre le fil des associations, en soulignant un mot ou une expression employée par le sujet, lui rappeler une version différente de celle qu’il a déjà donnée d’un même récit ou d’un même évènement, lui répéter une phrase qu’il a dite, autant d’interventions qui sont souvent susceptibles de saisir, d’étonner le patient, de provoquer en lui certains  » déclics  » nouveaux. Il peut être ainsi amené à faire des rapprochements, des confrontations aboutissant à des prises de conscience plus rapides que celles provoquées par une interprétation classiquement formulée  » (P. 153).

III. La conception de la technique analytique est passée par différentes phases :

 1ère phase.

C’est vers 1899, après avoir renoncé à l’hypnotisme et à la suggestion, que Freud commence à utiliser la libre association d’idées du malade. Il interprète le matériel spontané du malade, hors du transfert, pas encore découvert.

2ème phase.

À partir de 1905, Freud découvre le transfert. Il écrit  » la technique psychanalytique a subi une transformation fondamentale  » (p. 5).  » Le transfert, destiné à être le plus grand obstacle à la psychanalyse, devient son plus puissant auxiliaire, si l’on réussit à le deviner chaque fois et à en traduire le sens au malade  » (p. 88). En 1912, Freud, dans :  » la dynamique du transfert  » énonce les rapports entre la résistance et le transfert,  » le fait que le plus efficace des facteurs de la réussite, le transfert, puisse devenir le plus puissant agent de la résistance  » (p. 53). Plus loin, il distingue le transfert positif du transfert négatif et l’ambivalence. Freud complète sa technique antérieure par ses nouvelles découvertes concernant le transfert ; ainsi, en plus des interventions diverses et des interprétations extra-transférentielles (c’est-à-dire sur un matériel produit par la libre association d’idées et dont le contenu ne se rapporte point à la personne de l’analyste), il utilise aussi les interprétations transférentielles.

C’est dans cette deuxième phase qu’on peut inclure nos maîtres, comme Strachey, Otto Fenichel, Marc Schlumberger, et plus près de nous, Laplanche et Pontalis.

Strachey (1934), dans un article qui a été publié à nouveau dans l’International Journal of Psychoanalysis en 1969, affirmait que, « il ne faut pas croire que parce que j’attribue des qualités spéciales aux interprétations transférentielles, je soutiens qu’aucune autre ne doit être faite » (p. 290), et plus loin, il ajoutait : « une oscillation entre des interprétations transférentielles et extra-transférentielles représente la course normale des évènements d’une analyse » (p. 290).

Otto Fenichel, en 1939, écrit que  » l’interprétation de réactions transférentielles, il me semble, ne présente aucun problème particulier  » (p. 183), ce qui parait même sous-entendre que l’interprétation normale est extra-transférentielle.

  1. Schlumberger (1952) parle d’une de ses malades… et conclut :  » cet exemple qui me paraissait simple montre une fois de plus les difficultés qu’on rencontre à communiquer les fondements de l’interprétation d’un moment quelconque de l’analyse, sans donner quantité de détails (p. 129). Il cite les règles habituelles de l’interprétation  » selon Fenichel  » :  » scinder le moi de l’analysé en une partie qui observe et une autre qui éprouve ce qui se passe en elle ; montrer que ce qui est éprouvé a un sens actif ; commencer par ce qui est le plus proche de la conscience ; interpréter les défenses avant les pulsions ; et enfin interpréter au bon moment…  » (p. 146). II n’y a aucune allusion à la doctrine. Au contraire, ces règles sous-entendent que les interprétations extra-transférentielles interviennent aussi bien que les transférentielles.
  2. Laplanche et Pontalis (1968) définissent ainsi l’interprétation :  » dégagement par l’investissement analytique, du sens latent dans le dire et les conduites d’un sujet  » (p. 206) et ajoutent  » c’est la prise en considération de ces  » règles techniques  » qui doit commander le niveau (plus ou moins profond), le type d’interprétation des résistances, du transfert, etc.  » (p. 207). Et plus loin :  » Indiquons seulement que l’interprétation ne recouvre pas l’ensemble des interventions de l’analyste dans la cure (comme par exemple l’encouragement à parler, la réassurance, l’explication d’un mécanisme ou d’un symbole, les injonctions, les constructions. etc…  » (p. 208).

II y a donc différents types d’interventions et d’interprétations et les interprétations transférentielles sont une catégorie parmi d’autres.

En 1936, Anna Freud nous met en garde dans son livre :  » Le moi et les Mécanismes de défenses  » (1949) contre la doctrine et écrit :  » il en serait de même d’une technique qui n’utiliserait que le transfert  » (p 23).

3ème phase.

C’est celle où nous commençons à subir la doctrine qui est introduite oralement et clandestinement. Dans les écrits, le mot interprétation n’est plus précisé, on ne sait pas de quoi il s’agit exactement, et il peut s’agir d’interprétations soit transférentielles, soit extra-transférentielles, soit les deux à la fois.

C’est à peu près à cette époque, que je commençais mes contrôles et un de mes contrôleurs avait insisté pour que je fasse mes interprétations  » Hic et Nunc « . Ce contrôleur ne me parlait jamais d’interprétations extra-transférentielles, ni d’interventions, aussi en avais-je déduit qu’il ne fallait faire que des interprétations transférentielles au sens faible, et du reste, ce contrôleur semblait être heureux que je les fisse, et peut-être désirais-je lui faire plaisir. Je me souviens aussi d’une de ses réflexions à propos d’une de mes interprétations extra-transférentielles  » cela n’apporte rien au malade « .

Le Pr. Lagache (1952), dans son travail sur le transfert, ne parle que de l’interprétation transférentielle, ce qui est normal puisque c’est le sujet de son article. Mais là aussi, ne parler que d’un type d’interprétation est peut-être une façon d’introduire la doctrine.

Les écrits de Nacht (1956), de Loewenstein (1958), à propos de technique, parlent des  » interprétations  » sans préciser de quelles sortes il s’agit, et ils énumèrent aussi un certain nombre d’interventions utilisées par l’analyste. Nacht met aussi en garde contre l’abus d’interprétations en fonction de l’analyste, étant peut-être conscient de l’apparition de la doctrine.

A cette époque, Loewenstein cite les travaux de Rosenfeld (1958) ;  » j’aimerais dit-il, parler brièvement de la technique… dans laquelle l’analyste essaie de ne s’appuyer que sur des interprétations, même dans les cas très difficiles  » (p. 238). Je pense que Rosenfeld veut parler d’interprétations transférentielles (ce qu’il ne précise pas) ; cependant, cette phrase peut aussi s’appliquer à des interprétations extra-transférentielles.

4ème phase.

La doctrine est écrite : nous allons donc l’énoncer telle que nous l’avons relevée dans deux ouvrages :

– J. Clavreul (1967) :  » Puisque c’est même devenu une sorte de lieu commun de dire que toute interprétation ne peut se faire que dans son contexte de transfert  » (p. 9).

– S. Viderman (1970) :  » Les règles techniques qui veulent que toute interprétation efficace ne soit donnée que par rapport au transfert  » (p. 295).

5ème phase.

Les Kleiniens, mais je n’en parle pas, puisque je ne les connais pas.

Je me bornerai à citer une phrase de R. Greenson (1967) :  » Les Kleiniens soutiennent que seules les interprétations du transfert sont efficaces. Aucune autre interprétation n’est considérée importante  » (p. 169).

  1. Les interviews.

L’énonciation de la doctrine orale et l’écart entre cette doctrine et la pratique ressortent d’interviews de collègues, membres et élèves des différentes sociétés.

J’ai posé les questions suivantes :

– Que pensez-vous de l’idée que seule l’interprétation du transfert est efficace ?

– Que faites-vous dans vos analyses ?

Voici les réponses :  » L’interprétation doit être faite dans le transfert « , dit au début d’un contrôle le collègue A à un élève B. Cet élève B. comprend que l’interprétation doit être seulement faite dans le transfert. C’est une façon de s’approcher de la doctrine que de mettre l’accent sur les interprétations transférentielles sans parler des extra-transférentielles. L’élève C. se souvient de la phrase du début de son contrôle :  » Attendez le transfert pour interpréter  » (c’est clairement sous-entendre la doctrine, sans l’énoncer).  » Si vous interprétez dans le transfert, c’est l’analyse, sinon c’est n’importe quoi « , dit un autre contrôleur à un élève D. L’élève D. a conclu :  » Si vous interprétez seulement dans le transfert, c’est l’analyse « . Un autre collègue me dit :  » Autrefois, j’avais tellement peur de ne pas interpréter dans le transfert, mais à présent, j’agis différemment « . Un autre collègue F. déclare qu’il se méfie en début d’analyse de faire les interprétations dans le transfert, recommandées par son contrôleur.  » Par contre, à la fin du traitement, j’y vais carrément « . Le collègue G. confirme que  » c’était une banalité de dire qu’il faut interpréter ici et maintenant, c’était un précepte « . Cependant, ajoute-t-il,  » un autre contrôleur ne me l’a pas dit « . Le collègue H. me dit :  » Je ne limite pas à interpréter ici et maintenant, quoique mon contrôleur m’ait dit de le faire « . Un autre collègue nous fait remarquer que, dans son analyse personnelle, son analyste parlait beaucoup, faisant bien sûr intervenir des interprétations transférentielles mais aussi des interprétations extra-transférentielles et des interventions. Me parlant de sa propre analyse, un autre collègue J. me dit :  » Mon analyste parlait très peu, il ne faisait que quelques interprétations par rapport à soi, ce que je supportais très mal « . J’ai demandé au collègue K. qui a été analysé seulement avec des interprétations transférentielles, quel souvenir il a gardé de son analyste :  » j’en ai gardé un très mauvais souvenir, je croyais sentir un contre-transfert dans certaines interprétations « .

Dans toutes ces réponses, on trouve une équivoque, entre le fait que l’interprétation transférentielle est très importante et l’idée que seule l’interprétation transférentielle doit être utilisée. Il est évident que ce qui caractérise la psychanalyse et la différencie des autres psychothérapies, c’est l’analyse du transfert, mais il y a aussi les autres interprétations extra-transférentielles et les interventions de toutes sortes.

En dehors des résultats d’interviews tels que ceux qui sont rapportés ci-dessus, nous pourrions aussi tirer des renseignements de ce que disent les patients qui viennent à nous, à la suite d’une analyse antérieure. Je suis souvent frappée par tout ce qui a pu me dire mon prédécesseur. J’ai tendance à mettre en doute dans ce cas la parole du patient alors que je mets peu en doute ce qu’il nous dit en toute autre occasion. On pourrait interpréter ceci de deux façons :

– ou je nie ce qu’a dit mon prédécesseur parce que je veux me protéger à l’avance contre tout ce que mon patient pourrait répéter de ce qui se passe dans son analyse avec moi.

– ou je mets en doute ce que mon patient dit sur mon prédécesseur car, tributaire à ce moment-là de la doctrine, je pense qu’il n’est pas possible que mon prédécesseur ait pratiqué autre chose que des interprétations transférentielles.

Cette insistance sur les interprétations transférentielles est certes louable de la part de l’enseignant. Cela permet à l’élève de mieux comprendre, de suivre l’évolution de la cure, et comme l’ont dit deux élèves :  » nous sommes reconnaissants à notre contrôleur d’avoir tant insisté sur les interprétations transférentielles, cela nous permet d’être vigilants « . Par contre, leur analyse personnelle a comporté beaucoup d’interventions de toutes sortes, des interprétations transférentielles faibles et fortes, des extra-transférentielles et ceci n’était nullement conforme à l’enseignement et aux conseils qu’ils ont reçus ensuite de leurs contrôleurs durant les contrôles.

  1. Interprétations transférentielles et névrose de transfert :

Pour souscrire à la doctrine, il faudrait, me semble-t-il admettre que tout patient soit constamment en état de névrose de transfert. Or ce n’est pas ce qui se passe dans notre pratique. Freud (1914) dans  » Remémoration, répétition et élaboration  » décrit la névrose de transfert :  » … nous réussissons sûrement à conférer à tous les symptômes morbides une signification de transfert nouvelle et à remplacer sa névrose ordinaire par une névrose de transfert dont le travail thérapeutique va le guérir  » (p. 113).  » L’état nouvellement instauré a pris tous les aspects d’une maladie artificielle…  » (p. 114). Le Professeur Lagache (1952) a raison d’écrire que  » parmi les problèmes du transfert la question de son évolution est une de celles qui restent les plus vagues et les plus difficiles  » (p. 108), et il parle du type idéal du développement de la cure dont  » la période d’état est caractérisé par l’établissement du transfert et de la névrose de transfert… « . Greenson (1967) décrit le développement classique de la névrose de transfert (p. 35 et pp. 184-190).

Je pense qu’il peut y avoir, dans certains cas, absence de névrose de transfert et que d’autre part, il y a différents types de névrose de transfert. Mais avant de les écrire, je vais résumer ce qu’il est classique de lire :

Il y a une situation transférentielle dans la situation analytique. Le transfert est un phénomène universel qu’on trouve dans les rapports humains, qui s’intensifie dans la situation analytique.

Les réactions transférentielles se précisent au fur et â mesure des séances et je rappelle la définition de Freud (Dora)  » Quels sont ces transferts ? Ce sont des nouvelles éditions, des copies, des tendances et des fantasmes qui doivent être rendus conscients par le progrès de l’analyse et dont le trait caractéristique est de remplacer une personne antérieurement connue par la personne du médecin « .

  1. La névrose de transfert s’installe : dans ce cas, tout est centré sur l’analyste.  » On peut dire qu’on a alors non plus affaire à la maladie antérieure du patient mais à une névrose nouvellement formée et transformée qui remplace la première « …  » Pourvu que le patient veuille bien respecter les conditions d’existence du traitement, nous parvenons régulièrement à donner à tous les symptômes de la maladie une nouvelle signification transférentielle, à remplacer sa névrose commune par une névrose de transfert dont il peut être guéri par le travail thérapeutique  » (Freud 1914).

Dans la pratique cela ne se passe pas toujours ainsi, même sans erreur technique de l’analyste. Les deux possibilités les plus fréquentes sont :

  1. Les réactions transférentielles, après une certaine intensité, s’estompent pour s’accentuer et s’estomper à nouveau, ceci à plusieurs reprises. Dans ce cas, il n’y a pas, à proprement parler de névrose de transfert.
  2. Les réactions transférentielles deviennent une névrose de transfert avec toute l’intensité que cela comporte, c’est-à-dire que consciemment l’analysé s’intéresse surtout à l’analyste, pendant les séances et en dehors des séances, pendant une période variable, brève ou plus longue.

Nacht (1958) estime que la  » névrose de transfert ne doit marquer qu’un état de crise aiguë, que cet état dépend de l’attitude de l’analyste et qu’une réaction de transfert tenace est imputable à une réaction inconsciente (contre-transfert) entre analyste et analysé  » (p. 684).

Il est évident qu’à ce moment de l’analyse, toutes les interprétations de l’analyste seront transférentielles.

Une phrase de Greenson (1967) confirme ce que nous pensons sur le rapport entre l’affirmation du monopole de l’interprétation transférentielle et la croyance en l’omniprésence de la névrose de transfert :  » les Kleiniens, observe-t-il, ne font pas de différence entre les réactions transférentielles et la névrose de transfert  » (p. 189). Dans ce cas, l’interprétation doit, toujours être transférentielle ; pour les Kleiniens, si j’ai bien compris, le patient a dès la première séance une névrose de transfert.

  1. L’analyse de groupe

Il est bien évident que pour ce qui est de l’analyse de groupe, l’interprétation se fait Hic et Nunc.

C’est Esriel (1950) qui, le premier, parle de l’interprétation  » ici et maintenant  » :  » Deux traits caractéristiques du genre d’interprétation que j’applique moi-même maintenant dans toutes les séances de groupe et avec quelques-uns de mes patients individuels et que j’appelle  » ici et maintenant  » (p. 29) dit Esriel.  » Seules de telles interprétations (ici et maintenant) je pense, peuvent refléter correctement les facteurs dynamiques inconscients significatifs, sous-jacents au comportement de chaque individu dans le groupe et peuvent de ce fait, être efficaces pour cet individu  » (p. 34). Mais c’est D. Anzieu (1972) qui, dans son dernier livre, nous a éclairé sur le  » Hic et Nunc dans les groupes thérapeutiques :  » L’interprétation dans la cure individuelle est comme il l’a dénommée (Strachey, 1934), mutative en ce qu’elle ramène les conflits passés et qu’elle dénoue les uns et les autres, en reconstituant pas à pas le chemin de leurs origines, en démontrant leurs mécanismes en même temps que leur genèse… « .

 » Dans le groupe, l’interprétation a à se centrer selon une expression d’Esriel (1950) qui a fait fortune suri »‘ ici et maintenant  » (p. 148).  » L’interprétation aura à pointer là, ni trop tôt ni trop tard, non seulement la rivalité du leader avec le moniteur pour le pouvoir (ce qui resterait une intervention psychosociologique) mais la complémentarité de son défi à l’égard du moniteur et de sa séduction à l’égard du reste du groupe…  » (p. 150).  » L’interprétation dans les groupes de formation montre aux intéressés que ce qui est important à comprendre pour eux, est ce qui est vécu concrètement ici et maintenant, en rapport avec ce groupe et avec ce moniteur…  » (p. 151).  » Interpréter l’ici et maintenant oblige les moniteurs et les participants à saisir l’inconscient dans la dimension spécifique de ses manifestations groupales  » (p. 151).

Nous voyons que les dates d’apparition de cette idée, que seule l’interprétation du transfert est efficace, correspondent à peu près aux travaux d’Esriel. Dans la technique de ce groupe, il y a des raisons majeures pour que la doctrine soit appliquée. En effet, seules les interprétations transférentielles faibles sont appropriées au groupe. D’autre part, faire des interventions autres que des interprétations transférentielles faibles, c’est-à-dire des transférentielles fortes et des interprétations extra-transférentielles, pourrait être une indiscrétion difficile à supporter en groupe. Cela confirme ce que nous avons dit à propos de la doctrine, à savoir que les interprétations transférentielles peuvent avoir un sens faible : elles ne tendent pas à rappeler l’enfance du patient en partant de l’analyste, mais expriment uniquement des sentiments qui interviennent entre les membres du groupe et le moniteur analyste.

VII. La négation du souvenir :

Si seule l’interprétation transférentielle est vive, actuelle, cela présuppose que le passé même ressuscité dans l’heure par les associations, n’est pas vif, n’est pas actuel. Ainsi pendant l’heure avec l’analyste, la vie du patient est actuelle ; en dehors de l’heure, elle cesse de l’être. Cette idée n’est pas de moi. Elle m’a été communiquée par le Professeur Leites :  » La situation analytique ne rend pas au patient son enfance, actuelle, immédiate, à la différence de l’époque Proustienne-Freudienne. Autrement dit, le temps de la Madeleine est passé « . Je le remercie vivement pour toutes ses suggestions au cours de ce travail.

Freud (1920), en parlant de la névrose de transfert, parle de la vie oubliée, du souvenir :  » Le médecin… est forcé de laisser revivre (à l’analysé) un certain fragment de sa vie oubliée mais il doit veiller à ce que le malade garde une certaine capacité de surplomber la situation qui lui permette malgré tout de reconnaître dans ce qui apparaît comme réalité, le reflet renouvelé d’un passé oublié  » (cité par Laplanche et Pontalis (1968) page 281).

VIII. Cas clinique

Deux exemples de cas très récents, choisis au hasard, dans une après-midi de travail, illustrent ce que je viens de vous dire.

1ère malade :

Cette femme de 35 ans a d’abord parlé de son amour puis de son agressivité contre sa mère et finalement retrouve de l’affection pour cette mère. Elle n’arrive pas à parler de ses désirs amoureux envers les femmes. Je n’ai jamais trouvé l’occasion de faire une interprétation transférentielle faible ou forte, depuis pas mal de séances. Cependant, dans cette dernière séance, elle me parle d’une amie Catherine qui avait une tête de Madone, qu’elle a rencontrée dans la rue, et cela lui rappelle toute une série de situations et d’amies jeunes filles qu’elle a eues vers 15 ans avec les scouts. En dehors de Catherine, il y avait une Jeanne, qui semblait beaucoup aimer Catherine. Elle me raconte tout cela sur un ton monocorde, en décrivant les situations, les amitiés, finalement je dis :  » oui, c’est une histoire de femmes « . A ces mots, elle éclate, elle ne comprend pas ce que j’insinue.  » Est-ce que je veux dire qu’elle avait des amours particulières ! Je répète, me dit-elle, que Catherine, avait une figure de Madone et que c’était normal que Jeanne la trouve belle. Peut-être que j’insinue aussi que Catherine et Jeanne avaient des amours particulières ? « . Comme c’est l’heure, elle s’en va, mais elle est furieuse, contrairement à son aspect habituel, calme et bien élevée, contrôlée. Le lendemain, elle arrive toujours aussi excitée et me dit :  » Votre histoire de femmes m’a secouée. Je me suis alors souvenue qu’à 17 ans, j’ai sûrement aimé une femme de 21 ans, très brillante, très mondaine etc, etc… J’ai beaucoup aimé cette personne  » et elle revit dans cette séance tout le passé oublié.

Dans ce cas, je n’arrivais pas à formuler des interprétations transférentielles et c’est par une interprétation extra-transférentielle que j’ai pu faire bouger quelque chose, qui permette au malade de prendre conscience d’un passé oublié.

2ème malade :

Un homme de 35 ans ; il parle de sa vie terne avec sa femme. Il a eu une sœur décédée. Il m’explique dans une séance que  » tout va enfin bien avec sa femme,  » mais qu’il n’y a pas de vie  » (je dis : c’est un peu comme si vous retrouviez votre sœur morte. Réponse : je n’aime pas que vous me disiez cela mais c’est vrai et de là, il prend conscience de ses rapports particuliers qu’il a avec sa femme. Ensuite, il me dit qu’il a fait une scène au petit déjeuner à sa femme, car elle reste au lit. Pause. Je dis :  » Et vous êtes malheureux de prendre votre petit déjeuner seul ?  »  » Oui, je suis très malheureux « . Pause. Je fais l’intervention suivante :  » Et c’est seulement au petit déjeuner que vous avez ce genre de scène, est-ce que cela vous rappelle quelque chose ?  »  » Je me souviens qu’enfant, ma mère restait au lit et je prenais mon petit déjeuner seul ; j’essayais de la faire se lever sans aucun succès. Longue pause. Comme je connais sa biographie avec différentes langues, je lui demande en quelle langue se passent les disputes le matin :  » en norvégien « , me dit-il. Du reste j’ai honte quand ma femme me parle norvégien dans un grand magasin. Quand j’étais enfant, en France, je suis passé du norvégien au français, mais ensuite quand je suis rentré en Norvège, je suis passé du français au norvégien et à l’école j’avais honte. Je ne sais plus si je parlais bien ou mal, mais mon père me faisait faire des dictées en français pour que je n’oublie pas le français et j’avais honte des fautes devant mon père. Il me grondait.

Dans ce cas, c’est une situation transférentielle, ce n’est pas une interprétation transférentielle. Ce que j’ai dit, ce sont des interventions et des interprétations extra-transférentielles qui peuvent aider le malade à faire des associations et à progresser.

Cela semble un peu bizarre de relever des procédés aussi élémentaires et importants de notre pratique quotidienne et je m’en excuse. Je pense du reste que nous sommes nombreux à travailler ainsi, même ceux qui sont en désaccord avec moi.

  1. L’amour-propre de l’analyste

Mais il existe aussi une motivation peu louable à suivre la doctrine : la glorification et la haute puissance de l’analyste. Si l’on s’en tient uniquement aux interprétations transférentielles, l’analyste rapporte tout à lui. Il a le rôle principal. Viderman proclame la toute-puissance de l’analyste :  » à toutes demandes venues du divan, il est ou non répondu au seul vouloir de l’analyste « . Et plus loin :  » la toute-puissance de l’analyste et de sa parole  » (p. 308).

En plus de la glorification de l’analyste, ces interviews révèlent la mauvaise conscience de l’analyste. Comme le résumait un collègue :  » je ne me limite pas à interpréter ici et maintenant, quoique mon contrôleur m’ait dit de le faire « , et cette mauvaise conscience a évidemment des résultats fâcheux exprimés par un autre ami :  » il me semble que je réussis moins bien qu’autrefois mes analyses et pourtant je m’applique mieux à faire des interprétations transférentielles « .

Cette interprétation transférentielle est pour l’analyste une exigence minimale. Mais il n’en est pas moins vrai que la guérison se fait aussi par les interprétations du malade, Freud nous le rappelle. Or, l’analyste accepte difficilement que l’analysé puisse imaginer quelque chose à quoi, lui, 1’analyste, n’a pas pensé. Et si le malade réalise des interprétations transférentielles devenant lui-même ainsi un analyste, l’amour-propre de son analyste en souffre. Mais pourquoi les interprétations du patient ne seraient-elles pas aussi bénéfiques ? D’une façon générale, on fait très attention aux interprétations de l’analyste et aux réactions du patient mais on n’accorde pas assez d’attention aux interprétations du patient.

Finalement, il apparaît que toutes les analyses se déroulent en effet avec des interprétations transférentielles au sens fort ou faible aussi bien qu’avec des interprétations extra-transférentielles et des interventions. Mais nous n’osons pas le dire, nous n’osons pas l’écrire.

  1. Conclusion

En conclusion, mon propos est de mettre en question l’idée que seule l’analyse du transfert est efficace. Cette idée tend à devenir une doctrine qui est rarement énoncée par écrit. Transmise oralement, elle exclut les autres interprétations. Or, nous constatons que la doctrine est violée massivement par le plus grand nombre d’entre nous dans la pratique quotidienne de l’analyse, alors qu’elle tend à être un élément fondamental de l’enseignement oral. Il est certes tentant d’accepter une telle doctrine car elle ramène tout à l’analyste dont elle illustre et consacre le pouvoir, la toute-puissance.

Le moment n’est-il pas venu de l’examiner, voire de la contester, afin de clarifier la situation confuse et ambiguë dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Références

Anzieu. D. (1972).  » Le travail psychanalytique dans les groupes « . Paris, Dunod, 1972.

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