Exposé sous le titre : « Le nazisme comme mise à l’épreuve de la réalité des théories psychanalytiques sur l’individu et les masses » le vendredi 9 mars 2018 à la Maison de la recherche, Sorbonne, Université Paris IV ; pour le colloque : « Confrontations au national-socialisme en Europe francophone et germanophone (1919-1949) » (Auseinandersetzungen mit dem Nationalsozialismus im deutsch- und französischsprachigen Europa (1919-19149) [i]) À paraître
« Plus haut je verrais mieux
Leur folie criminelle. »
Euripide[1]
Introduction
Nous allons aborder une histoire de collisions entre des théories psychanalytiques et une réalité externe, l’avènement d’Hitler et du nazisme. Cette confrontation entre une pensée et la réalité externe est d’ordinaire censée produire ce que, en 1911, Freud a dénommé : épreuve de réalité (Realitätsprüfung).
C’est un processus psychique qui amène un individu à différencier les perceptions provenant du monde extérieur réel de celles venant de son monde psychique interne (qui constituent la réalité psychique). Cette différentiation empêche ou fait cesser la confusion entre ce qui est réellement perçu et ce qui n’est que psychiquement représenté.[2]
La projection de cette réalité psychique sur le monde réel et à sa place peut expliquer les différentes visions-du-monde (Weltanschauungen)[3] qui sont à la base des multiples théorisations et conceptions de l’humain.
Nous illustrerons cette épreuve de réalité avec la confrontation des psychanalystes au nazisme, et en la résumant pour trois d’entre eux : Wilhelm Reich, Sigmund Freud et Carl-Gustav Jung, soit trois psychanalystes contemporains d’Hitler qui avaient théorisés sur les masses et les sociétés, trois conceptions de l’individu différentes et trois types de réactions théoriques et affectives différentes, trois nationalités, dont deux juifs et un protestant.
La dualité de Freud (1856-1939) face au nazisme
Dualité car l’on peut aisément repérer en Freud ce qui relève de sa démarche scientifique et ce qui est plus affectif, c’est-à-dire ses réactions en tant qu’homme qui diffèrent de sa compréhension du monde.
Position du savant Freud : la théorie des masses (massen)
La thèse de Sigmund Freud sur le rapport au leader et la psychologie des masses est en fait assez simple et pourrait ainsi se résumer :
- A la base, il y a chez Freud un refus de cliver ou d’opposer la psychologie individuelle à la psychologie sociale car, outre le fait que ce sont bien des hommes qui créent les sociétés, il y a déjà de l’altérité dans toute psyché individuelle, puisque dès notre naissance il y a un lien à l’autre ;
- le collectif est organisé par la projection des fonctions psychiques individuelles (Freud ne pouvait connaître la dynamique des groupes) et plus spécifiquement par les projections d’un chef ;
- le groupe et la masse créent en fait un nouvel individu, c’est-à-dire quelque chose de plus que la somme de ses membres ;
- l’être humain étant inachevé à la naissance, il a donc connu un total état de dépendance qui fut vital tant pour les soins, la protection, l’amour, etc. Il en garde la trace en lui et cherche à retrouver cet état pour se protéger des situations de détresse en maintenant ainsi des dépendances à des instances pensées protectrices ;
- alors, en grandissant, la plupart des êtres déplacent cette dépendance (par exemple, du père au Père Noël, puis au gendarme ou au professeur, puis au maître ou au président, etc. : si l’objet change à chaque déplacement, le type de lien reste le même et se répète) déplacement qui peut aboutir à une sorte d’apothéose sur un leader ou un dieu.
Suite à la première guerre mondiale, Freud comme beaucoup de contemporains s’est penché sur ce phénomène de masse[4] tel qu’il a pu être observé lors de cette guerre. Et son approche est indiquée dans le titre même de son texte : les masses et le moi, autour d’une question : « Que devient le psychisme de l’individu dans la masse ? » Question qui est donc un souci de l’époque[5] et que l’on trouve au travail chez des auteurs tels que Arthur Schnitzler ou Hugo von Hofmannsthal[6] et qui reprend et prolonge les réflexions de Gustave Lebon[7] et William McDougall[8].
Alors, que devient l’individu plongé dans une masse ? Nous pouvons observer les points suivants :
- l’augmentation des quanta d’affects et la diminution voire l’inhibition de la pensée dans un rapport de vases communicants[9];
- trois mécanismes de transformation psychique de l’individu dans la masse :
- chaque membre accepte de limiter son narcissisme;
- limitation compensée par les liens d’amour qui circulent entre les membres et avec le leader ; l’installation d’une relation amoureuse au leader ;
- le leader est censé aimer tout le monde (Christ ou commandant) Elle a le mirage d’être aimée à égalité par le meneur qui, lui, est en fait totalement narcissique[10].
- Une masse s’organise selon un double processus:
- Plusieurs individus installent un objet extérieur à la place de leur idéal du moi (selon un axe vertical masse – leader) ; leader qui est mis en place d’idéal dans la psyché du membre en lieu et place de son propre idéal du moi ; le père originaire est l’idéal de la masse[11]) ;
- Il se produit une orientation réciproque des individus (selon un axe horizontal : relation des membres entre eux sur le modèle de la fratrie).
- Il y a deux types de masses:
- Spontanées, sans leader, proche de l’état de nature, car le leader peut être une idée ou un sentiment ;
- Artificielles, avec leader, produit de la culture (église, armée, etc.)
- il y a besoin d’un ennemi extérieur, un non membre : cette menace permet de créer et maintenir la cohésion du groupe (contre l’autre) et de projeter et maintenir aussi les motions hostiles vers l’extérieur et non plus dans le groupe. Le leader ou le chef de guerre autorise, réclame (en levant les refoulements et interdits) la libération des pulsions, sexuelles comme destructrices, pour le bien de tous : l’ennemi n’est plus dans la société mais hors, il s’agit de défendre le groupe. Le leader occupe la place de surmoi ou de père de la horde. C’est pour cela qu’il est si investi et obéi et craint. De plus, le crime fait en commun, vient souder la communauté.
- En fait cela opère une forme de régression en recréant ce qui fut dans l’enfance le rapport de l’individu à ses parents[12]: La masse veut toujours être dominée par un pouvoir illimité (les dieux, les astres, les meneurs, etc.)
Positions de l’homme Freud
Freud et la politique
Dans les écrits de Freud, il n’y a presque rien sur Hitler et les nazis[13]. Serait-ce parce qu’il n’y a rien de nouveau, que tout est déjà dit dans son étude de 1920, « Psychologie des masses et analyse du moi »[14] ? En fait, de façon générale, il ne s’est jamais exprimé sur les faits politiques de son époque et votait rarement, seulement lorsqu’un candidat libéral se présentait dans son arrondissement[15].
Est-ce une position scientifique ?
Si les biographes ont relevé cette absence de participation politique de Freud, c’est, je pense, certainement en lien avec le fait qu’il considérait scientifiquement la politique comme relevant d’une vision-du-monde[16] au même titre qu’une religion. C’est donc une problématique psychique[17], et de ce fait un psychanalyste ne peut y adhérer. Ainsi : « La psychanalyse ne doit prendre parti politiquement ; elle est assez révolutionnaire pour que l’enfant formé par elle ne se range pas plus tard du côté de la réaction ou de l’oppression[18] ». Les choses ont bien changé depuis…
Par exemple, le communisme[19] n’était qu’une autre religion, qui offrait à des adeptes en souffrance une perspective illusoire de compensation dans un monde futur. Une telle promesse permettait que la barbarie fleurisse de nouveau masquée sous la bannière du progrès.
C’est aussi une position de Freud en référence aux Lumières anglaises et à Newton : le scientifique reste à distance du politique comme du religieux. Cette position ne peut être réduite à de l’inintérêt, ou de la neutralité.
Incrédulité ?
Mais ici, il s’agissait d’Hitler et du nazisme. Et ce qui est intriguant est la naïveté, peut-être, et l’incrédulité de beaucoup face au nazisme, si bien illustrée dans le roman de Kressmann Taylor, Inconnu à cette adresse[20]. Naïveté, c’est facile à dire dans l’après coup où nous sommes[21].
Pourquoi ? Quel ingrédient a fonctionné ? Est-ce la non reconnaissance de la folie par exemple ? Ou quoi ?
Il y a peut-être eu un aveuglement du fait d’une incrédulité. En effet, l’on peut relever chez Freud la même incrédulité du scientifique civilisé face à la barbarie comme lors de la première guerre mondiale[22]. Cela s’entend dans les correspondances de Freud où, successivement des arguments sont convoqués afin de ne pas croire à une barbarie en marche, et lorsqu’un argument ne tient plus, aussitôt un autre est convoqué dans un nouvel espoir, produisant une suite d’appel à des figures parentales protectrices. Par exemple, et chronologiquement :
- l’Europe ayant atteint un haut niveau de culture et de sublimation[23], ces progrès de civilisation sont des remparts contre la régression barbare. Par exemple, Freud écrit à Bullit: « Il n’est pas possible qu’une nation qui a pu produire un Goethe choisisse le mal[24]. » : or les faits vont montrer le contraire…
- alors, le nazisme ne serait qu’un phénomène allemand, nous on est des Autrichiens, ce n’est pas pareil : « … c’est une folie de croire que l’on doit être allemand. Ne doit-on pas laisser à lui-même ce peuple abandonné de Dieu[25]? »
- il n’y a donc pas de risques puisque les Autrichiens sont plus civilisés que les Allemands ; « Pour le moment, il semble que l’ignominie allemande nous sera épargnée en Autriche[26]. »
- le 8 avril, Freud pense que le mouvement nazi pourra toucher l’Autriche mais sans conduire aux mêmes excès car les Autrichiens ne sont pas aussi brutaux que les Allemands (oubliant qu’Hitler est Autrichien…)[27] et rappelle que des lois protègent les minorités (traités de Versailles et de Saint-Germain qui interdisent aussi un Anschluss…): « … le régime hitlérien dominera également l’Autriche. Cela est possible, il est vrai, mais tout le monde croit qu’il n’atteindra pas ici le degré de grossière brutalité qu’il a acquis en Allemagne. » […] « Je ne cours pas un danger personnel[28]. »
- et bien non, puisque les Autrichiens deviennent pires que les Allemands, mais heureusement, il y a les Catholiques autrichiens et leur morale qui nous protègent. L’Église catholique étant très puissante, elle opposera une forte résistance. Or « Les hauts dignitaires de l’Église autrichienne, gardiens de la conscience catholique, ne firent rien pour mobiliser les forces saines du pays, les gens honnêtes et modérés ; à l’exemple du cardinal Theodor Innitzer, les prêtres célébrèrent en chaire les vertus de Hitler, s’engagèrent à collaborer joyeusement au nouvel ordre des choses, et firent hisser la croix gammée en haut des clochers, aux occasions appropriées[29]. »
- cela ne marche pas, eh bien, il y a l’Italie catholique et Mussolini[30] qui a des vues sur l’Autriche et qui est bien moins pire que Hitler[31]; cela ne se passe pas ainsi : « si notre ville tombe, les barbares prussiens submergent l’Europe. Malheureusement, la puissance qui nous a protégé jusqu’à présent – Mussolini – semble maintenant laisser les mains libres à l’Allemagne. Je voudrais vivre en Angleterre[32]. »
- sinon, il y a Société des Nations et nos alliés européens ; « … nous pensons tous que des lois spéciales contre les Juifs sont hors de question en Autriche, en raison des clauses de notre traité de paix qui garantissent expressément les droits des minorités[33]. » …
- finalement ça ne marche toujours pas, alors peut-être les Français ? « Quant à la possibilité que l’Autriche s’allie avec l’Allemagne, auquel cas les Juifs perdraient tous leurs droits, la France et ses alliés ne le permettront jamais[34]. »
- devant l’échec des appels aux instances « supérieures » (parentales), un dernier argument, interne celui-ci : en tant que juifs, on a l’habitude des persécutions. « Vous avez raison de penser que nous voulons rester ici dans la soumission[35]. » Etc.
Soit à chaque étape une épreuve de réalité qui vient contredire théories, croyances et visions-du-monde. Épreuves de réalité qu’il faudra très insistantes pour que Freud ouvre les yeux ! Si la sauvagerie d’Hitler est reconnue d’emblée et n’est pas étonnante[36], ce n’est pas le cas de l’effet de masse, de l’étendue de l’effet du leadership.
C’est en mars 1933 que Freud semble réaliser pleinement quelque chose : « J’ai en tout cas expliqué que je ne quitterais Vienne en aucun cas – mon âge en est le prétexte. Je voudrais vous donner ce principe : pas de provocation, mais encore moins de concessions. Ils ne pourront pas abattre la psychanalyse, et nos personnes ont moins d’importance[37]. »
Finis Austriae : l’exil ou l’exode ?
En effet, Freud ne quittera Vienne que lorsqu’il comprendra :
- en premier lieu que son enfant, la psychanalyse, est mis à mort, au même titre que sa foi en le peuple autrichien. Il n’a plus de sol identitaire[38]. Freud écrit dans son carnet, le 12/03/1938 : Finis Austriae[39]…;
- et deuxièmement, lorsque un de ses enfants, Anna, sera arrêtée et interrogée par la Gestapo. Lorsqu’elle revint à la maison c’est, dit-on, la seule fois où on vit Freud pleurer. Cette arrestation précipita sa décision de quitter définitivement sa patrie en 1938.
C’est-à-dire qu’il va partir quand il est touché, non plus en tant qu’intellectuel (qui refusa pendant des années toutes les aides pour migrer) mais en tant qu’homme touché au plus près de sa chair, de ses paternités, car son entourage immédiat est menacé – et pas tant lui-même (je suis trop vieux, disait-il).
Peut-être aussi que son refus entêté de partir renvoyait à un autre refus, non pas celui de l’exil, mais celui de l’exode ? Est-ce pour cela qu’il écrivit, dans ces conditions persécutrices réelles, Moïse et le monothéisme, c’est-à-dire entre autres, une histoire d’exode ? Peut-être lui a-t-il fallu la figure de Moïse comme identification pour perlaborer et accepter de partir et de fuir peut-être, lui aussi, un pharaon persécuteur ?
Autre explication possible : la haine de soi juive (Jüdische Selbsthass)
Mais une autre explication serait possible pour expliquer cet immobilisme.
Lors de vacances en juillet 1931, Freud raconta qu’il avait composé une liste de haine où figuraient sept à huit noms[40], mais le seul qu’il mentionna fut celui de Theodor Lessing qui lui avait récemment dédié « un livre abject, La haine de soi du juif, portant la dédicace : « D’un ennemi, avec ferveur. » »
Lessing était un philosophe juif allemand qui créa ce concept de haine de soi juive (Jüdische Selbsthaß[41]) qui donne le titre de son écrit de 1930, publié trois ans avant son assassinat par la Gestapo à Marienbad… Ce Theodor Lessing dégoutait Freud du fait de ses positions de juif antisémite et de ses articles injurieux sur la psychanalyse, où il n’y voyait qu’une élucubration de l’esprit juif[42].
En 1936, Kurt Hiller composa un essai biographique sur Theodor Lessing[43] qu’il envoya à Freud qui lui répondit longuement[44], lui expliquant que ces écrits de Lessing sont l’effet même de la haine de soi et il précise à Hiller qu’il s’agit là d’« un phénomène typiquement juif » qui fait partie de l’identité juive. Cela pourrait expliquer pourquoi certains juifs sont restés, refusant de voir la réalité du danger et se soumettant passivement aux sévices les plus extrêmes.
Cette problématique fut déjà illustrée en 1929 dans L’affaire Maurizius, roman de Jacob Wasserman[45], ou encore par le suicide d’Otto Weininger[46] en 1903.
Conclusion
- Freud comprend ce qui se passe grâce à sa théorie du leadership : mais s’il comprend le phénomène du Meneur (Verführer / Führer), il ne saisit pas l’ampleur du nazisme comme mouvement collectif, il le banalise et dévalorise : il ne mesure pas l’effet de groupe et reste longtemps appuyé sur ses convictions théoriques sans prendre en compte la réalité des actes persécuteurs : culture et civilisation pensées comme remparts ;
- Cela augmente ses résistances à l’épreuve de réalité : il ne peut ou ne veut voir[47] quelque chose qui le condamne à un nouvel exil ;
- La haine de soi pourrait pousser à se soumettre à la persécution comme punition et à l’acceptation de sa répétition, quelque chose qui s’inscrirait dans la psyché comme élément identitaire collectif et individuel, de Moïse à nos jours ;
- Mais cette haine de soi ne me semble pas spécifiquement juive.
Carl-Gustav Jung (1875-1961) : Jung séduit puis repenti
La théorisation de Jung est toute centrée sur la notion d’énergie psychique, mais celle-ci, à la différence de la libido de Freud, ne serait pas sexuelle. C’est cette énergie qui met en mouvement la psyché.
De 1913 à 1918, Jung nous rapporte qu’il vit une confrontation avec l’inconscient[48], l’Ombre ainsi qu’il le nomme, confrontation vécue sous la forme d’une metanoïa (ou conversio), un voyage dans l’obscur de l’âme humaine, pour « enfanter un nouvel ordre » … Ce nouvel ordre est centré sur l’impératif de retrouver nos racines, un océan dont on serait issu, océan d’énergie antérieur à l’individu, et qui compose un inconscient collectif, retrouvaille qui permettrait à nouveau de faire Un avec le Tout[49]… Cet océan est composé d’archétypes, formes dynamiques qui modèlent la matière indifférenciée et contenant une charge d’énergie d’ordre numineux.
Il y aurait des peuples au plus près de cet océan primordial énergétique, tantôt du fait d’être jeunes, tantôt du fait de n’être pas encore des masses ou encore de n’avoir point de science ni de Raison. Partant du constat qu’il existe dans toutes les cultures et toutes les époques des textes initiatiques dont la trame, le chemin, reste assez invariablement la même : purification, illumination, unité et apothéose[50], Jung va appliquer cela au développement des peuples, créant ainsi une psychologie des peuples (Völkerpsychologie) fondée sur un principe de base : l’énergie des peuples.
Pour lui il n’y a pas de doute qu’à un niveau antérieur et plus profond du développement psychique, où il est encore impossible de distinguer entre une mentalité aryenne, sémitique, chamitique ou mongole, toutes les races humaines ont une psyché collective commune. Mais avec le début de la différenciation raciale[51], des différences essentielles se sont aussi développées dans la psyché collective. Et lorsque des politiciens ou des leaders religieux essayent d’imposer une société multiraciale, c’est un échec car : « … nous ne pouvons pas transplanter en bloc l’esprit d’une race étrangère dans notre propre mentalité sans dommage important… »
La babélisation ne produirait que des catastrophes (alors que toute son œuvre est en quelque sorte une babélisation des savoirs…)
Il pense que sa thèse trouve une illustration dans la différence entre les Aryens et le peuple Juif, tout versé dans la science et le commerce. En effet, dès son essai de 1918, « De l’inconscient »[52], Jung distingue les « Juifs allemands » des « Allemands de souche » dans la mesure où les Juifs n’ont pas à voir avec la question de l’identité nationale, n’ayant pas de patrie. De plus : « ils sont civilisés à un plus haut degré, mais ils ont un rapport moins aisé à ce quelque chose en l’homme qui touche à la terre, qui puise en elle des forces nouvelles, à ce côté terrien que l’homme germanique recèle en lui-même dans une dangereuse concentration ».
Le 21 juin 1933, Jung devient le nouveau vice-président de la Société médicale générale de psychothérapie, présidé par le Dr. Matthias Heinrich Goering[53] (cousin du Reichsmarschall Hermann Goering), six mois après l’accession d’Hitler au pouvoir. À ce moment, il est considéré en Allemagne comme le chercheur germanique le plus important de la psychologie des profondeurs dans le monde aryen anglo-saxon[54]. Cependant, à la décharge de Jung, ses conférences et articles sont vite récupérés par le pouvoir nazi, l’opposant toujours à la « science juive » de Freud. Jung démissionnera l’année suivante et l’on se doit de reconnaître que ses propos sont, comme toujours, bien ambivalents, du fait de son conflit psychique interne entre ses numéros « un » et « deux »[55] et qui eut pour effet, je pense, que, outre son différend d’avec Freud sur la question sexuelle, cela l’amenât à l’étrange hypothèse de différents inconscients selon les cultures…
Pour exemple, il rédige en 1934 un article intitulé « L’état présent de la psychothérapie »[56], où l’on peut relever les points suivants de son « raisonnement » :
- les juifs comme les femmes sont des êtres physiquement faibles, donc ils compensent par la ruse ;
- ils ne sont pas créateurs car, en tant que nomades, leur énergie est toute employée à l’adaptation au peuple qui les accueille ;
- en opposition, l’inconscient aryen germanique est hautement énergétique et jeune, donc en puissance de création ;
- c’est pour cela, Freud et ses disciples ne pouvaient pas comprendre la psyché allemande : « Le grandiose phénomène du national-socialisme que le monde entier contemple étonné les a-t-il éclairés ? » [57]
Ensuite, Jung écrivit son célèbre essai sur Wotan en 1936[58], le dieu païen de la mythologie allemande, qui représenterait Hitler déversant son agressivité sur le monde[59]. Le Reich national-socialiste est un appel à l’Ombre refoulée, c’est-à-dire à l’inconscient wotanique de l’Allemagne : les profondeurs du caractère de Wotan expliqueraient mieux le National-socialisme que tous les facteurs économiques, politiques et psychologiques mis ensemble[60] : « […] Wotan est une donnée germanique originelle, la plus authentique expression et la personnification insurpassable d’une donnée fondamentale du peuple allemand. »[61]
Hitler aurait donc réveillé les forces psychiques que symbolise l’ancien dieu germanique, Wotan. Ce dieu préchrétien est un libérateur des passions, passionné de guerres, médiateur magicien vers l’occulte, dieu de l’orage et de la frénésie. Bien sûr, une telle description fait penser à Dionysos, et du coup pour Jung, plusieurs passages des écrits de Nietzsche anticiperaient le retour de Wotan. Et pour spécifier encore plus l’âme allemande, outre les juifs, il s’agit aussi d’écarter les chrétiens. Par exemple, pour expliquer l’impact de Wotan sur la religion allemande moderne, Jung se réfère aux ouvrages de Martin Nick et Wilhem Hauer[62] traitant du mythe de Wotan et du « Mouvement de la foi allemande » (Deutsche Glaubensbewegung) dans lequel on incitait les membres à reconnaître que Wotan, et non le Christ, était le vrai dieu du peuple allemand.
Il considère donc qu’Hitler est un représentant de Wotan. Ainsi le peuple allemand est du coup une victime plutôt qu’un agent actif du mal. Il prévoit que Wotan, un jour, dévoilera l’autre face de sa nature – son aspect mantique et extatique – et que le mouvement du national-socialisme n’en est pas la dernière expression. Jung s’en expliquera plus tard en 1960 dans une lettre écrite à Miguel Serrano[63]. Extraits :
[…] Comme nous avons en grande partie perdu nos dieux et que la condition actuelle de notre religion n’offre pas une réponse efficace à la situation mondiale en général et à la ‘religion’ communiste en particulier, nous sommes à peu près dans la même situation fâcheuse que l’Allemagne pré-nationale-socialiste des années 20, c’est-à-dire que nous sommes en position de prendre le risque d’une nouvelle expérience wotanique, mais cette fois à l’échelle mondiale.
Conclusions
La théorie interprète et voile la réalité des actes. Jung sera en effet un temps aveugle aux actes qu’il a temporairement cautionné. Cette cécité est aussi l’effet de son ambivalence, sa division interne, et sa quête tout azimut d’unité, tant interne qu’externe. En résumé :
- Il est séduit par sa propre théorie projetée inconsciemment sur le monde car elle trouve une incarnation, une justification, une « réalité » en la figure d’Hitler/Wotan, ce qui opère une mise en accord entre théorie et réalité : il y aurait une retrouvaille de l’Esprit, de l’Océan énergétique primordial, etc. ;
- Figure qui vient en écho de sa division interne et de sa théorie qu’elle renforce pour le ré-unir dans l’Esprit de Wotan[64]: la figure du leader est pour Jung une figure hautement chargée en énergie et Wotan la figure au mieux. Hitler aussi ! là fut la confusion (et du coup, nous sommes loin de l’idée d’Hitler comme « marionnette » !) ;
- mais il est déçu progressivement par la réalité perçue des actes, c’est-à-dire l’effet de l’épreuve de la réalité que lui impose le monde réel externe : la barbarie fait réveil, fait entendre une autre dimension ;
- mais ce qui serait à retenir des thèses de Jung, épurées de sa problématique personnelle et de son conflit d’avec Freud, tiendrait en son affirmation : le nazisme comme « […] mouvement qui saisit tout un peuple, a mûri dans chaque individu[65] […]»
Wilhelm Reich (1897-1957) : exil immédiat
Wilhelm Reich est né en 1897 en Bukovine, région de l’actuelle Ukraine[66]. Il sera profondément marqué par deux événements majeurs violents : un père juif très autoritaire et la première Guerre Mondiale dans laquelle il s’engage et dont il ressortira en ayant tout perdu, ce qui le condamne à l’exil, et surtout à un jugement radical quant aux guerres comme forme de psychose collective. Ces deux éléments seront tout à fait déterminants dans son ouvrage : Psychologie de masse du fascisme, qu’il rédige à Berlin entre 1930 et 1933, texte où son père donne modèle à la figure du dictateur fasciste, et la crise économique comme la guerre donnent modèle à un fonctionnement collectif. Mais dans ce texte joue aussi le fait qu’il fut exclu du mouvement psychanalytique pour son adhésion au communisme, et qu’il sera exclu aussi du communisme pour ses idées psychanalytiques… Ce livre sera donc condamné par les communistes et brulés par les nazis.
Sa thèse s’appuie sur une conception de la psyché humaine en trois couches :
- la plus ancienne, naturelle, où l’humain serait fondamentalement bon, c’est-à-dire sociable, aimant et travailleur ;
- une couche moyenne où la sexualité naturelle est refoulée par la société, refoulements qui vont en retour créer du sadisme, de l’avidité et des perversions ; c’est cette couche qui alimente le fascisme ;
- et une couche superficielle où la morale refoule la phase précédente et produit un être artificiel, auto-contrôlé et courtois. Si les conditions d’existence deviennent trop dures, cette couche s’efface et révèle la précédente.
Reich est confronté aux nazis dès 1933 à Berlin et comprend immédiatement le réel danger qu’ils représentent : il entend et voit les actes car il théorise à partir d’eux, ce qui le met dans un rapport critique et méfiant envers les paroles et les groupes. Par ailleurs, il est sur le terrain et non à l’abri d’un cabinet. Il repère de suite le danger du fait de son vécu, renforcé par la théorie qu’il a pu en faire, théorie moniste qui, du coup, ne laisserait pas de place à l’ambivalence.
Mais c’est cette compréhension qui le met en opposition avec ses camarades du parti communiste allemand, et ce d’autant plus que Staline conseillait de ménager les nazis contre les sociaux démocrates.
Les craintes de Reich étaient que :
- la classe ouvrière allemande se lasse d’une révolution prolétarienne qui n’était alors que juste verbale et pas concrète ;
- et que le courant nazi soit une réponse à un fort mouvement souterrain dans les psychés humaines[67]: « Le fascisme n’est pas un parti politique, mais une philosophie de la vie et une attitude spécifique à l’égard de l’homme, de l’amour, du travail. »
Pour Reich, c’est en effet auprès des classes moyennes que le nazisme eut le plus de succès, la petite bourgeoisie, du fait de la crise économique, ayant la crainte de se re-prolétariser (pour les mêmes raisons étaient-ils donc en opposition au marxisme et au communisme[68]). C’est une classe qui est entre, entre prolétariat et capitalisme, ni l’une ni l’autre.
Si la menace était le prolétariat, l’ennemi désigné était en toute logique, du coup, le capital réduit aux riches juifs (p. 91). Cela était soutenu par Hitler et son discours contre la « haute finance ».
Mais il y avait un autre aspect que les nazis reliaient aux juifs. Le fait que Reich a développé une théorie expressément centrée sur le sexuel le mettait en danger du côté communiste qui considérait cela comme une préoccupation bourgeoise condamnable, et en danger aussi du côté des nazis car Hitler haïssait la liberté sexuelle des juifs et avait une phobie de la syphilis[69].
Pour Reich et à l’inverse de Jung, c’est le peuple qui a fait Hitler[70] du fait de la structure caractérielle du peuple, c’est-à-dire de sa tendance à la soumission, et non pas Hitler asservissant le peuple. De plus :
L’hitlérisme n’est en dernière analyse qu’une forme particulièrement évoluée de l’idéologie mécaniste assortie de l’irrationalisme mystique des masses humaines. Le rétrécissement de la vie individuelle n’est que l’aboutissement de l’influence millénaire de toutes les institutions autoritaires et irrationnelles sur l’homme moderne. Le fascisme n’a pas créé cette situation, il en a profité pour juguler la liberté en l’aggravant.[71] […]
Peer Gynt comme figure du révolutionnaire authentique
Depuis sa jeunesse, Reich avait fait de Peer Gynt[72] une figure identificatoire représentant le révolutionnaire authentique, incarnant le drame de l’individu qui tente d’échapper à la répression universelle pour vivre en accord avec sa nature, sa couche biologique. Sans cela : « (…) On fait son devoir et on garde bouche close. On a depuis longtemps liquidé le Peer Gynt en soi-même, sinon la vie serait trop difficile et trop dangereuse.[73] »
Alors, de fait, Hitler ne pouvait pas représenter pour Reich un modèle sinon celui du pire, ce qu’il avait théorisé et d’une certaine façon, anticipé. C’est pour lui un peuple soumis qui a fait Hitler, alors que pour Jung (qui n’a que l’expérience de sa théorie tirée de sa pratique individuelle), c’est une figure wotanique qui révèle et réveille un peuple.
Wilhelm Reich quittera l’Allemagne en 1933.
Conclusions
Que peut-on conclure de ce rapide descriptif de trois positionnements de psychanalystes ?
Est-ce que la conviction de Freud, à savoir le refus d’opposer la psychologie individuelle à la psychologie des masses, est acceptable ? Il aura fallu attendre les travaux de la dynamique des groupes[74] pour percevoir qu’un groupe est plus que la somme des individus qui le compose. Car il semble qu’en partie, c’est cet aspect qui a échappé à des penseurs dont, après tout, l’expérience vécue s’est faite en cabinet, dans des rencontres essentiellement duelles, hormis pour Reich par exemple.
Un autre aspect relève d’une antique constatation quant au rapport entre la pensée et les actes. Et l’on voit ici que, quelle que soit la profondeur d’une pensée, ce n’est pas elle, ou du moins elle seule, qui édicterait une conduite à tenir face et dans la réalité externe. Ainsi qu’on peut l’entrevoir avec l’histoire de Reich, celle-ci semblerait relever d’un déjà vécu et non pas d’un déjà su, c’est-à-dire un vécu qui facilite l’entendement des actes et leurs effets d’épreuve de réalité face à des parties de la pensée
Ce qui viendrait mettre une limite à la croyance en la toute-puissance de la pensée, et le cas Hitler nous le montre. Et d’une certaine façon, ce sont des pensées et elles seules qui ont pu faire soutenir qu’Hitler était une marionnette, en réduisant sa personne à la seule dimension intellectuelle ou culturelle par exemple. Or, c’est autre chose qui a fonctionné ici, qui n’a rien à faire avec la culture : la dimension énergétique et celle dite visionnaire et leurs effets sur les masses qui éprouvèrent avoir à faire avec un timonier, un guide, et non un gestionnaire politicien.
De fait, face au nazisme, il n’y a pas eu de position psychanalytique commune hormis quelques théories partagées. De plus, il n’y a pas eu de position politique commune, le politique étant exclu ou excluant – ce qui n’exclut pas des sensibilités personnelles telles que le communisme de Reich ou le libéralisme de Freud. En tous cas le politique est posé comme incompatible avec la psychanalyse (au même titre que le religieux). Mais le nazisme est-il vraiment une politique ?
Il n’y a surtout eu que des positions individuelles, ou peut-être bien un ingrédient dans l’hitlérisme qui a fait ré-émerger des attitudes fondamentales chez les individus qui détermineront leurs réactions ou leur absence, selon le degré de refoulement du sadisme ou de sa non élaboration psychique, sans perdre de vue que Hitler, en tant que leader, a permis la levée de ces refoulements afin de récupérer et détourner ces énergies sur de nouveaux objets. Hitler, comme bien des grands paranoïaques, dégage un haut degré énergétique et c’est cela qui entraîne l’adhésion, entre autre. Pas tant les idées, voire, bien au contraire.
Hitler aurait mobilisé plus les individus que les cultures ou théories, et peut-être que le phénomène hitlérien – comme la rencontre du paranoïaque – touche au plus profond, au plus inconscient, d’un individu, révélant des dimensions profondément refoulées en lui.
Tout cela vient interroger la place de l’expert. Après tout, le plus souvent, il n’est reconnu comme expert qu’après-coup, c’est-à-dire lorsque l’on a pu mesurer la concordance de sa pensée et des actions qui ont suivi. Car ce qui fait expert a bien plus à voir avec les actes que les pensées. Cela est typique, par exemple, de l’évaluation faite spécifiquement pour les philosophes : ont-ils vécu et ont-ils eu une mort en accord avec leurs dires[75] ?
Ce qui est aussi à mettre en lien avec ce dernier fait : si la connaissance se transmet, l’expérience vécue, elle, ne se transmet pas… Ce qui fit dire à Jung, hélas avec raison, que l’on n’en a pas fini avec le nazisme[76]…
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[1] Euripide, Les Bacchantes, traduction de Jean & Mayotte Bollack, Éditions de Minuit, 2005.
[2] Voir Sigmund Freud (1911), « Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique », in OCF.P, XI, PUF, 1998. Freud nous en donne un exemple personnel dans (1936), « Lettre à Romain Rolland. Un trouble du souvenir sur l’Acropole », in OCF-P. XIX, P.U.F. 1995.
[3] Voir Joël Bernat : « Freud y el sistema percepcíon-consciencia », Revista de Psicanálise da Sociedade Psicanalítica de Porto Alegre, vol. XV, n°3, Brésil. Une version en français est disponible sur www.dundivanlautre.fr
[4] Voir Sigmund Freud, (1920) « Psychologie des masses et analyse du moi », in OCF-P, XVI, PUF, 1991.
[5] Voir Elias Canetti par exemple, Masse et puissance, 1960, Gallimard, coll. Tel, 1966.
[6] Pensons à des expressions telles que : « ils avancent comme un seul homme », etc.
[7] Gustave Lebon, La psychologie des foules, Alcan, 1895.
[8] William McDougall, (1920) The Group Mind, Arno Press, 1973.
[9] Voir Schiller, le distique intitulé : « Sociétés savantes », in Xénies et autres épigrammes : « Chacun, à le considérer isolément, est passablement intelligent et raisonnable ; Sont-ils in corpore, voilà que vous en sort un seul imbécile. » Cité par Sigmund Freud, (cf. note 4), p. 14, note 1.
[10] Sigmund Freud (cf. note 4), p.63.
[11] Ibid., pp. 66-67.
[12] Ibid. p.67.
[13] Voir par exemple Peter Gay, Freud, une vie, tome II, Pluriel, 1991, § XII : « Mourir en liberté ».
[14] Sigmund Freud (cf. note 4).
[15] Voir Paul Roazen, La pensée politique et sociale de Freud, Éditions Complexes, Bruxelles, 1976, p. 151.
[16] Joël Bernat, « Des notions « boussoles » : Weltanschauung, la vision-du-monde, et le renoncement » in Le mouvement psychanalytique, Harmattan, 2002, n° 8 ; Joël Bernat, « Visions-du-monde, réalités psychiques et autres mythes endopsychiques » in Entre ombres et lumières, Presses universitaires du Midi, 2017.
[17] Par exemple Sir Isaiah Berlin a comparé les libéraux et les conservateurs en faisant des premiers des claustrophobes affamés d’espace et des seconds, des agoraphobes des craignant les espaces découverts. (in John Stuart Mill, The council of Christians and Jews, London, p. 27.) Voir Paul Roazen, La pensée politique et sociale de Freud, Éditions Complexes, Bruxelles, 1976, p. 154.
[18] Sigmund Freud, 1933 : Nouvelles conférences, XIX, PUF 1995, p. 235. « Qu’êtes-vous politiquement ? ». À cette question, Freud, répondait : « Politiquement, je ne suis rien ». Voir Max Eastmann, Einstein, Trotsky, Hemingway, Freud and Other Great Companions: Critical Memoirs of Some Famous Friends, Collier Books, 1962, chap. « Differing with Sigmund Freud », p. 128. Et si son interlocuteur insistait, Freud répondait « ni blanc, ni rouge mais couleur chair », c’est ce que l’on devrait être, au-delà de l’arc-en-ciel des partis (in Ernest Jones, La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, Paris, PUF, t. III, p. 389.) cité par : Wilhelm Reich in Reich parle de Freud, Paris, Payot, p. 63 ; et Paul Roazen (cf. note 17), p. 151.
[19] Trotsky faisait parti du cercle d’Alfred Adler et fréquentait beaucoup le Café Central tout comme Freud. Mais ils ne se sont jamais rencontrés. « Le communisme et la psychanalyse ne font pas bon ménage ». « Je ne crois pas que le communisme soit l’espoir de l’avenir » dit-il le 29 janvier 1935 à son analysant Joseph Wortis (Psychanalyse à Vienne, 1934. Notes sur mon analyse avec Freud, Denoël, 1974, p.179-180).
[20] Kressmann Taylor (1938), Inconnu à cette adresse, 2011, Éditions Autrement.
[21] Par exemple, citons le pasteur Martin Niemöller (1892–1984) au sujet de la lâcheté des intellectuels allemands au moment de l’accession des nazis au pouvoir et des purges qui ont alors visé leurs ennemis, un groupe après l’autre : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. // Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. // Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. // Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
[22] Voir Joël Bernat, « La crise du sujet savant : Freud ou l’illusion de « progrès » », in Étiques et modernité, Presses Universitaires de Nancy, 2006, pp. 65-66 ; Joël Bernat, « Les effets de la Première Guerre mondiale chez Freud, ou les illusions de la Kulturarbeit », sur www.dundivanlautre.fr
[23] La civilisation doit s’employer à canaliser et détourner ces énergies (de destruction comme sexuelle) vers le travail et la culture. La sublimation serait le salut.
[24] Réflexion de Freud à W. C. Bullit, ambassadeur des États-Unis à Paris, rapportée in E. Jones (cf. note 18), p. 172.
[25] Lettre de Freud du 18/08/1932, in Correspondance Sigmund Freud – Arnold Zweig, Gallimard, 1973, p. 80.
[26] Lettre de Freud du 06/12/1933 au poète espagnol Xavier Boveda, citée in E. Jones (cf. note 18), p. 211.
[27] Voir Max Schur, La mort dans la vie de Freud, Tel Gallimard, 1975, p. 525 et la § xxii. Eva Weissweiler, Les Freud, Une famille viennoise, Plon, 2006, § 12.
[28] Lettre de Freud du 2 avril 1933 à Sandor Ferenczi, in Sigmund Freud – Sandor Ferenczi, Tome III, Correspondance 1920-1933, Calmann-Lévy, 2000, p. 513.
[29] Peter Gay, (cf. note 13), p. 386.
[30] Freud rédige cette dédicace de Pourquoi la guerre ? « A Benito Mussolini, avec le salut respectueux d’un vieil homme qui reconnaît en la personne du dirigeant un héros de la culture. Vienne, 26 avril 1933 » sur l’exemplaire de sa réponse à Einstein, écrit sous l’égide la SND. Pourquoi la guerre ? correspondait au calcul selon lequel l’Italie catholique pourrait protéger l’Autriche de l’invasion nazie. Pour cette même raison, Freud différa la parution de son livre sur Moïse. Il s’agissait de ne pas froisser les milieux catholiques, majoritaires en Autriche, qui auraient pu mal prendre les lignes qui leur étaient consacrées dans sa nouvelle étude. Après l’annexion de 1938, ces précautions n’avaient plus raison d’être. Ce texte, qu’il fait parvenir au dictateur en main propre, montre que l’on n’en finira jamais avec la pulsion de mort, et pour cela vaut-il mieux composer avec et faire confiance au chef pour mener les masses qui, sinon, s’abandonnent aux pulsions les plus délétères. Thèse est déjà développée dans Psychologie des masses et analyse du moi (cf. note 4).
[31] Néanmoins, « Lénine et Mussolini, des potes antipathiques » : in Sigmund Freud, Correspondance générale, Gallimard, 1991 p. 416.
[32] Lettre du 02/03/1937 de Freud à Jones, in Sigmund Freud – Ernest Jones, Correspondance complète (1908-1939), PUF, 1998, p. 863.
[33] Ibid., lettre du 07/04/1933 de Freud à Jones, p. 818.
[34] Ibid.
[35] Lettre de Freud du 25 février 1934 à Arnold Zweig, in Sigmund Freud – Arnold Zweig, Correspondance 1927-1939, Gallimard, 1973, p. 101.
[36] À la différence de bien des théories, Freud n’a jamais pensé qu’à l’origine ou qu’en son fond, l’homme était fondamentalement bon.
[37] Cité par Max Schur (cf. note 27), p. 525 sq.
[38] N’oublions pas qu’il était déjà un migrant, ayant quitté la Bohème à six ans pour Vienne alors qu’il ne parlait pas la langue allemande.
[39] Sigmund Freud, Chronique la plus brève, carnets intimes 1929-1939, Albin Michel, 1992, p. 230.
[40] Rapporté par Ernest Jones, in La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, T. III, Paris, PUF, 1969, pp ; 182-183.
[41] Republié chez Matthes & Seitz, Berlin, 2004 ; traduit et présenté en français par M.-R. Hayoun, La haine de soi ou le refus d’être juif, Berg International, 1990.
[42] Janine Chasseguet-Smirgel, « Quelques réflexions sur l’attitude de Freud durant la période nazie. Jo, comme Juif », Revue internationale d’histoire de la psychanalyse, 1988, n°1, 13-31.
[43] Essai qu’il incorpora plus tard dans un livre : Kurt Hiller, Köpfe und Tröfe, Profile ans einem Vierteljahrhundert, Hambourg, Rowohlt, 1950.
[44] Lettre datée du 9 février 1936, rapportée par Jones (cf. note 40) : « Ne croyez-vous pas que la haine de soi telle que la dépeint Th. Lessing soit un phénomène typiquement juif ? Je pense réellement que c’est le cas ».
[45] Jacob Wasserman, L’affaire Maurizius, Mémoires du Livre, 2000. Écrit en 1929, ce roman important aborde la Jüdische Selbsthass qui contamina une part importante de la population juive allemande dans les années 1880-1930.
[46] August Strindberg écrivit à l’ami intime de Weininger, Artur Gerber, le 8 décembre 1903, ce mot sur la haine de soi juive : « Quel homme étrange et mystérieux, ce Weininger ! Né avec la culpabilité, comme moi ! […] Le fait qu’il parte montre pour moi qu’il avait parfaitement le droit de le faire. »
[47] Voir le rêve : « On est prié de fermer les yeux », in Sigmund Freud, « L’interprétation du rêve », OCF-P IV, PUF, 2003, pp. 361-362.
[48] Voir Joël Bernat, « Mystique contre pessimisme : le cas Jung », à paraître.
[49] Voir C.-G. Jung, Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées. Folio Gallimard 1997.
[50] En effet, quelques soient les cultures ou les croyances, les étapes du chemin initiatique sont assez invariantes, que ce soit dans l’Orphisme, chez Platon, les ordres religieux chrétiens, certaines philosophies, l’alchimie, etc. C’est Proclus qui achèvera cette conception des trois degrés successifs de l’ascension : purification, illumination et union (via purgativa, via illuminativa, via unitiva). Ce sera le trajet de la psychologie des profondeurs de Jung et c’est ce que l’on retrouve dans les thèses New Age, où Jung est une référence permanente.
[51] Par la projection de la différenciation psychique interne.
[52] C. G. Jung : « De l’inconscient », in Cahiers jungiens de psychanalyse, n°84, Paris, 1995. Soit après sa rupture d’avec Freud…
[53] Il recommandait « fortement » le Mein Kampf comme manuel pour la compréhension des humains et des races.
[54] Extrait d’une lettre de Cimbal à Göring, du 26 août 1933, in Deirdre Bair : Jung. Une biographie, Paris, Flammarion, coll. « Grandes Biographies » 2007.
[55] Voir les propos tirés du journal de Jung et rapportés par Deirdre Bair, ibid., chapitre 29, « En collusion avec l’histoire » : « Je me suis trouvé confronté à un conflit moral. Devais-je, prudent et neutre, me retirer en sécurité de ce côté-ci de la frontière, vivre en toute innocence sans m’impliquer, ou devais-je – comme j’en étais bien conscient – risquer d’être attaqué, risquer l’inévitable incompréhension à laquelle n’échappe pas celui-qui, pour des raisons d’ordre supérieur, est entré en relation avec le pouvoir politique en Allemagne aujourd’hui ».
[56] Rapporté par Lou Andreas-Salomé in « Journal d’une année » (1912-1913), in Correspondance, Freud S. – Lou Andréas-Salomé. 1912-1936. Gallimard 1970.
[57] Ibid., pp 164-165 : « […] Les Juifs ont en commun avec les femmes cette particularité – étant physiquement plus faibles, ils doivent chercher les défauts de l’armure de leurs adversaires… »
[58] C. G. Jung : « Wotan », in Aspects du drame contemporain. Georg 1971, pp. 63-91.
[59] Il y a sans doute, à ce moment-là, une identification de Jung à Hitler. Cela peut s’entendre dans une interview de 1933 sur Radio Berlin: “As Hitler said recently, the Fuhrer [sic] must be able to be alone and must have the courage to go his own way. But if he doesn’t know himself, how is he to lead others? That is why the true leader [Fuhrer, again] is always one who has the courage to be himself, and can look not only others in the eye but above all himself…. Every movement culminates organically in a leader, who embodies in his whole being the meaning and purpose of the popular movement.” In C.G. Jung Speaking, ed. W. McGuire and R. Hull London, 1978. C.G.
[60] Ibid, § 384-385.
[61] Ibid, § 389.
[62] L’un des théoriciens völkisch était Jacob Wilhelm Hauer [1881-1962], fondateur de ce « Mouvement de la Foi allemande ». Il s’impliqua dans des conférences et des associations jungiennes pendant les années 30. En 1934, il donna une conférence sur le symbolisme des nombres, qui avait une grande influence sur Jung, et pendant cette même conférence Hauer utilisa le concept jungien de l’inconscient collectif pour suggérer l’existence d’un inconscient racial associé à un symbolisme racial. Mais Jung cessera toute relation cette année-là.
[63] Leader national-socialiste chilien et ami de Jung. « Lettre du 14 septembre 1960 » in Deirdre Bair (cf. note 54).
[64] Voir Umberto Eco, Reconnaître le fascisme, Grasset, 2017.
[65] C. G. Jung (cf. note 56) : « […] À l’exception de quelques individus créateurs, le Juif moyen est déjà bien trop conscient et différencié pour porter en lui les tensions d’un avenir encore à naître. L’inconscient « aryen » a un potentiel supérieur à l’inconscient juif ; tel est l’avantage et le désavantage d’une jeunesse pas encore complètement sevrée de la barbarie. À mon avis, cela a été une grande erreur de la psychologie médicale d’appliquer sans discrimination des catégories juives – qui ne sont même pas valables pour tous les Juifs – à la chrétienté allemande et slave. Du coup, on est venu à qualifier le secret le plus précieux des peuples germaniques – leur profondeur d’âme créatrice et intuitive – de marécages banals et puérils tandis que mes avertissements se voyaient soupçonnés d’antisémitisme. Ce soupçon émanait de Freud. Or Freud ne comprenait pas la psyché allemande, pas plus d’ailleurs que ses épigones germaniques. »
[66] Voir Joël Bernat, « Wilhelm Reich : sa vision du monde, de l’être et de la civilisation », in Genèses de textes / Textgenesen. n°8/9 : Contre-cultures et littératures de langue allemande depuis 1960, Peter Lang, 2017, pp. 63-88.
[67] Wilhelm Reich, Psychologie de masse du fascisme, Paris, Payot, 1972.
[68] Thèse reprise en 1951 par C. Wright Mills in Les cols blancs. Essai sur les classes moyennes américaines, Maspero, 1976.
[69] Wilhelm Reich (cf. note 67), p. 269. Voir aussi Roger Dadoun, Cent Fleurs pour W. Reich, Paris, Payot, 1974, pp. 270-271.
[70] Pascal fit remarquer que c’est la cour qui fait le roi. Voir ses Trois discours sur la condition des grands, Folioplus, 2006.
[71] Wilhelm Reich, (cf. note 67), p. 479.
[72] Voir Wilhelm Reich : Conflit de la libido et le délire chez Peer Gynt, in : Premiers écrits, pp. 19-77. Pour rappel, Ibsen met en scène les thèses de Kierkegaard en créant le personnage de Peer Gynt, une figuration du rebelle qui attaque la morale et la société bourgeoise hypocrite au nom de l’individualisme moderne.
[73] Wilhelm Reich : (1936) La Révolution sexuelle, Plon, 1968, p.113 : « Peer Gynt sent les pulsions de la vie dans leur forme forte et indisciplinée. La vie quotidienne est étroite et exige une discipline sévère. Ici, le monde pratique, là, la fantaisie de Peer Gynt. »
[74] Née dans les années soixante. Voir Didier Anzieu & Jean-Yves Martin, La dynamique des groupes restreints, PUF, 1968.
[75] Voir Anne Cauquelin in La mort des philosophes et autres contes, PUF, 1992.
[76] Voir la lettre de Jung à Miguel Serrano (cf. note 63).
[i] Confrontations au national-socialisme (CNS) : hommes politiques, journalistes, publicistes, experts et intellectuels dans l’Europe francophone et germanophone (1919-1949).