Freud : Lettre à Emma Eckstein (vers 1905)

Chère Emma,

Cela ne vous apportera rien, si vous croyez me discréditer en me privant de mon titre. Cela ne peut pas changer grand-chose entre nous, car il m’est aussi difficile de changer de sentiments que d’opinion. Permettez-moi de vous répéter que s’il m’est impossible de vous demander de reprendre votre traitement, il ne s’agit que d’un hasard malheureux. Tout le monde semblait attendre votre absence pour se précipiter chez moi et, en l’espace d’une semaine, j’ai dû accepter quatre patients et en refuser deux. Vous ne savez que trop ce que représente la triste nécessité de gagner sa vie et la susceptibilité dont vous témoignez, même à distance, en disant que j’aurais dû vous traiter sans attendre d’argent de vous, cela vous ressemble si peu que je suis convaincu que la première chose que vous ferez, c’est de revenir sur ce que vous avez dit.

Mais le reste est aussi important. Que vous puissiez vous tromper à ce point, que vous ayez pu si mal comprendre la liberté que vous aviez de dire tout ce que vous vouliez au cours du traitement, que vous m’attribuiez l’intention de vous offenser, alors que j’avais une confiance inébranlable en votre amitié et votre amour de la vérité, et tout ceci pour vous permettre de prendre conscience d’un transfert troublant, bien qu’habituel. Tous ces événements, il est vrai, n’ont pas ébranlé l’opinion que j’ai de vous, mais m’ont à nouveau inspiré du respect pour la féminité primordiale contre laquelle je ne cesse de lutter. Je ne suis donc pas étonné que vous n’ayez pas non plus compris d’autres phrases de ma lettre qui ne prêtaient nullement à confusion. Il m’est impossible de vous laisser croire que l’arrêt (l’interruption, j’espère) était un prétexte signifiant que vos douleurs sont organiques. Vous auriez pu dire autre chose, qui serait plus proche de la vérité pour expliquer cette interruption, par exemple que nous nous étions querellés, que j’avais affirmé quelque chose que vous ne pouviez accepter, que vous désiriez avoir un peu de temps pour réfléchir ou quelque chose d’analogue.

Puis-je, pour terminer, attirer votre attention sur une petite contradiction qui, en réalité, est à la base de votre colère. Un jour, vous avez supposé que je vous offensais en vous déniant les qualités qui peuvent attirer un homme ; une autre fois, je vous ai offensée en vous expliquant comment il se faisait que, dans notre relation, l’amour n’était pas apparu. Ces deux offenses, peut-on vraiment les envisager du même point de vue ? J’espère que, bientôt, vous me direz non (quelque chose, après tout, que vous aimez bien dire) et c’est pourquoi je reste, avec mes cordiales salutations,

Votre Dr Freud

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