Freud : lettre à Édouard Claparède (1920)

Prof. Dr. Freud

25déc. 1920

Vienne IX, Berggasse 19

 

Très honoré collègue,

[…] J’ai reçu la Revue de Genève[1] avec votre article et le début de la traduction et je vous en remercie vivement. Il ne m’appartient pas de louer la traduction, je tiens simplement à dire qu’elle me semble mieux écrite que l’original. Les sons de votre langue sont si beaux.

Votre introduction fera d’autant plus d’effet qu’elle bannit tout enthousiasme et (comme en témoigne la dernière page) qu’elle fait de sérieuses réserves à l’égard des analystes, réserves qui ne me semblent pas dépourvues d’une certaine justesse[2]. Si vous me permettez cependant une critique, vous me faites tort en un point et donnez aux lecteurs une information inexacte. Il s’agit de la phrase suivante, page 861 :

 

« 8. La libido: L’instinct sexuel est le mobile fondamental de toutes les manifestations de l’activité psychique ». Vous mentionnez plus loin que ni moi ni mes disciples nous ne nous sommes jamais expliqués clairement à ce sujet. « Mais il faut savoir lire entre les lignes, et saisir l’esprit, et non la lettre de la théorie ». Je m’étonne que vous aussi ayez donné place à ce malentendu. J’ai répété bien au contraire, et dit aussi clairement que possible que je fais une distinction entre pulsions sexuelles et pulsions du moi dans les névroses de transfert, et que la libido ne signifie pour moi que l’énergie des premières, c’est-à-dire des pulsions sexuelles.

 

C’est Jung et non pas moi qui conçoit la libido comme le mobile de toutes les manifestations psychiques et qui conteste ensuite la nature sexuelle de la libido. Votre affirmation ne s’appuie par conséquent ni sur mes dires ni sur ceux de Jung, mais sur un mélange des deux. A moi, vous empruntez la nature sexuelle de la libido, à Jung sa signification universelle, et c’est ainsi que naît le pansexualisme qui n’existe que dans l’imagination re-créatrice des critiques, mais qui ne se trouve ni chez moi ni chez Jung. On reconnaît chez moi tout l’ensemble des pulsions du moi et leur contribution à la vie psychique, mais on n’en dit rien au public. On procède souvent de façon similaire en présentant ma théorie des rêves. Je n’ai jamais affirmé qu’en tout rêve se réalise un désir sexuel. Je l’ai souvent contredit. Mais c’est peine perdue, on ne cesse de le répéter.

Veuillez agréer mes remerciements sincères et mes salutations.

Dr Freud



[1]En décembre 1920 paraît dans La Revue de Genèvela première traduction française d’une œuvre de Freud sous le titre : « Origine et développement de la psychanalyse ». Elle est précédée par une introduction d’Édouard Claparède, intitulée « Freud et la psychanalyse ».

[2] Freud fait allusion à la dernière page de cet écrit, où Claparède émet de sérieuses réserves à l’égard des analystes : « Sans doute pourrait-on reprocher aux psychanalystes d’affecter trop souvent une attitude sectaire et dogmatique, qui n’a rien de scientifique; il leur arrive de confondre les hypothèses avec les faits, d’ignorer le doute méthodique, et ils s’imaginent volontiers qu’une théorie est un credo. Aussi les voit-on en proie aux querelles intestines, divisés en petites chapelles ennemies entre elles, et hermétiquement closes aux profanes, qu’ils abordent avec un air semi-mystérieux de supériorité satisfaite, comme s’ils étaient les hiérophantes de quelque doctrine ésotérique. Mais ce sont là faiblesses humaines, et les infirmités ou les étroitesses des disciples ne sauraient entrer en ligne de compte dans l’appréciation objective de la théorie, ni par conséquent en amoindrir la valeur. Et cette valeur est grande. »

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