Raymond de Saussure : « Les Fixations Homosexuelles chez les Femmes névrosées »

MESDAMES ET MESSIEURS,

Je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait en me nommant rapporteur à la Conférence des Psychanalystes de Langue française de cette année. En travaillant cette question des fixations homosexuelles chez les névrosées, je me suis vite, rendu compte de la difficulté d’un pareil sujet, non seulement parce qu’il touche à de nombreuses questions délicates de la psychologie féminine, mais encore parce que jusqu’ici il n’a été qu’effleuré par les psychanalystes.

Pour vous donner une idée de ce que ce problème a été négligé, je vous dirai que l’Index Psychanalyticus de Rickman[i] qui se compose de 4.700 fiches ne contient qu’une dizaine de références se rapportant à l’homosexualité féminine. Je sais bien que le sujet de ce rapport ne comprend pas tout le problème de l’homosexualité, mais qu’il se limite à ces fixations, passagères ou durables, que nous trouvons chez tant de femmes névrosées et qui ne s’accompagnent pas nécessairement de pratiques lesbiennes. Cependant, là encore, il est malaisé de rechercher les contributions que ceux qui ont plus d’expérience que nous ont pu apporter à ce problème, car les titres des articles de revues n’indiquent pas qu’il sera question de pareilles fixations, et pour les dépister il aurait fallu relire tous les cas de névroses féminines publiés dans la littérature psychanalytique, travail considérable auquel, faute de temps, nous n’avons pu nous astreindre. Je m’excuse donc de vous apporter un travail qui n’a ni la richesse ni l’ampleur que j’aurais désirées.

I. — DÉLIMITATION DU SUJET

L’histoire de l’étude de l’homosexualité a diverses phases. jusqu’au célèbre travail de Westphal[ii], la plupart des hommes de science partageaient le point de vue des moralistes et considéraient que l’inversion sexuelle était un vice acquis. Westphal eut le mérite de montrer que l’homosexuel n’était pas responsable de son soi-disant vice, mais il rattachait tous les cas d’inversion à une constitution spéciale. A partir de cette époque nous voyons cette thèse soutenue par nombre d’auteurs[iii]. Certains cependant semblent considérer que ce phénomène pourrait être secondaire à une phobie de la femme[iv]. Chevalier[v] parle aussi d’une pédérastie de nécessité en faisant allusion aux homosexuels de certaines époques, notamment à la Grèce du temps de Platon. De son côté Moll[vi], dans son importante monographie, a décrit des cas où l’homosexualité était purement psychique, comparable à l’érotomanie, mais où le désir charnel disparaissait complètement ou du moins restait inconscient. Ces types-là, Moll les considérait aussi sous l’aspect de dégénérés constitutionnels.

Cette idée trouvait d’autant plus de crédit que de nombreuses observations ont été publiées où l’inversion s’accompagnait de phobies, de doutes, de scrupules, etc.[vii].

Krafft-Ebing distingue différentes formes congénitales d’inversion sexuelle[viii] :

I ° L’hermaphroditisme psychosexuel, où on trouve encore des traces d’hétérosexualité.

2° L’homosexualité proprement dite, caractérisée par l’inclination exclusive pour les individus du même sexe.

3° L’efféminisation et la viraginité, qui sont des inversions sexuelles accompagnées d’inversion corrélative de la sphère psychique.

4° L’androgynie et la gynandrie, caractérisées par la coïncidence de l’inversion sexuelle avec des anomalies importantes du caractère sexuel et en particulier des caractères secondaires.

La théorie constitutionnelle régnait lorsque Freud et ses élèves[ix] apportèrent une théorie psychogénétique de certains cas d’inversion. Leur idée n’était point de nier entièrement ce facteur constitutionnel (chacun sait l’importance que Freud attache à la bisexualité constitutionnelle de notre personnalité), ni d’appliquer leurs vues à tous les cas d’homosexualité, mais seulement de montrer que chez bien des sujets cette inversion se laissait réduire par l’analyse. En 1920, Freud[x] est revenu sur cette question, montrant la complexité du problème homosexuel qui pour lui a trois aspects différents :

1° L’étude des caractères somatiques des organes génitaux (hermaphroditisme physique fruste);

2° Étude des caractères sexuels psychiques (tendances masculines ou féminines) ;

3° Étude du choix de l’objet sexuel.

Freud conclut ainsi (p. 23) : « La psychanalyse n’est pas appelée à résoudre le problème de l’homosexualité. Elle doit se contenter de découvrir les mécanismes psychiques qui ont conduit au choix de l’objet. »

A l’encontre de l’école psychanalytique qui essayait de déterminer les processus psychiques de l’homosexualité, Hirschfeld[xi] cherchait à déterminer les processus biologiques et constitutionnels de l’inversion. Cette différence de vue a donné lieu à toute une polémique[xii] qu’il serait trop long de résumer ici.

Pour le sujet que nous avons l’intention de traiter, nous pouvons faire abstraction de ce problème, puisque nous n’envisageons que les fixations psychiques homosexuelles.

Cette question a été mieux étudiée chez l’homme que chez la femme. Néanmoins, il serait utile de faire une mise au point de l’inversion masculine au point de vue psychanalytique. En gros, nous connaissons trois mécanismes qui président à cette inversion psychique: 1° le garçon qui n’arrive pas à résoudre le complexe d’OEdipe, il reste attaché à sa mère, mais il ne peut la posséder en réalité, il s’identifie à elle et joue ensuite vis-à-vis d’autres hommes un rôle féminin ; 2° pour une raison ou pour une autre, la fixation du garçon sur la mère n’a pas pu avoir lieu et la fixation sur le père persiste ; 3° la peur de la castration est si violente que, pour prévenir cette punition, le garçon renverse l’OEdipe et se soumet passivement au père ou à ses substituts. Ces trois types expliquent surtout les mécanismes d’une homosexualité passive, mais on trouve d’autres formations d’inversion où le rôle de l’homme reste actif, c’est ce qui se passe chez les garçons déçus de la castration de la femme ou chez les hommes du type puissant-impuissant décrit l’an dernier par Laforgue[xiii]. Au reste, il arrive souvent qu’un même homme réalise alternativement le rôle actif ou le rôle passif. C’est le cas, par exemple, du malade de Sadger[xiv] qui recherchait des hommes âgés envers lesquels il se comportait passivement (comme envers le père), des hommes de son âge qui représentaient des substituts de sa mère, et des jeunes gens avec qui il s’identifiait et qu’il cajolait comme il aurait aimé l’être par sa mère.

D’autres points de vue psychogénétiques ont encore été mis en avant, tel celui de Senf[xv]. Cet auteur pense que toute perversion vient d’un des éléments de l’acte sexuel qui a particulièrement frappé l’imagination du malade et qui a été isolé pour devenir le mode de jouissance du sujet. Chez l’homosexuel masculin, ce serait l’attrait de l’érection qui jouerait le rôle principal. Sadger[xvi] a émis une idée voisine eu disant que l’homosexuel surestimait le pénis et avait une déception d’autant plus grande de ne pas le trouver chez l’autre sexe.

Nous ne voulons pas pousser plus avant cette psychologie de l’homosexualité masculine qui, je l’espère, sera le sujet d’un de nos prochains rapports de Congrès, nous voudrions seulement insister sur ce fait que dans l’étude de l’inversion deux problèmes très distincts s’offrent à nous : d’une part, la révolte contre son propre sexe, et, d’autre part, la fixation sur l’autre sexe. Ces deux problèmes nous les retrouvons dans l’étude de l’homosexualité féminine, et ils formeront les deux principaux chapitres de notre rapport.

II. — LA RÉVOLTE CONTRE LA FÉMINITÉ ET LE COMPLEXE DE CASTRATION.

Dans sa pratique psychiatrique ou psychanalytique, chacun de nous a rencontré de ces femmes révoltées contre la féminité. Vous avez encore présent à la mémoire le cas d’Allendy[xvii]. « Mme C…, dit-il, se rappelle avoir souhaité d’être un homme pour éviter son rôle de femme ; elle aurait voulu être un marin conduisant son bateau sur la mer. Elle se rappelle surtout, étant petite, avoir désiré un organe sexuel masculin et s’être amusée à en figurer un avec sa chemise roulée en pointe ». Je pourrais aussi vous rappeler l’observation bien typique de Ferenczi[xviii]. « Cette malade, écrit-il, rêvait souvent de petits hommes noirs malicieux et, dans une de ses fantaisies, elle éprouvait le désir de tous les manger. A cette pensée, elle associa d’une façon toute spontanée l’idée de manger des selles noires, ensuite l’idée de mordre et de déchiqueter l’organe masculin. Par cette absorption, elle sentait dans une certaine mesure tout son corps transformé en un pénis masculin. En tant que tel, elle pouvait, dans ses fantaisies inconscientes, commettre l’acte sexuel avec d’autres femmes. »

Nous pourrions citer d’autres observations, mais nous préférons entrer dans le coeur du sujet.

Avant 1920, plusieurs auteurs avaient parlé du sentiment d’infériorité que créait, chez certaines femmes, la féminité. Mais c’est à Abraham que nous devons la première étude résumant le sujet[xix]. Nous allons exposer succinctement son point de vue.

On trouve chez beaucoup de névrosées le désir conscient ou inconscient d’être homme ; les mobiles que les femmes mettent en avant pour légitimer ce désir sont la plus grande liberté d’action et la plus grande liberté sexuelle dont jouit l’homme. Ce sont là des rationalisations. L’analyse nous apprend que généralement le choc de voir l’organe masculin se produit dans une phase très narcissique où la fillette se dit :

« J’ai dû avoir autrefois un membre comme les garçons, mais on me l’a pris. » Il en résulte que la fillette considère ses organes comme une blessure. Vient ensuite la phase anale et la fillette développe par jalousie de l’agressivité contre l’homme. Dans son inconscient elle essaie de substituer au pénis les matières fécales (voir l’observation de Ferenczi cité plus haut). Malgré cela, la fillette espère toujours que ce membre lui poussera ou que son père lui en donnera un. Au fur et à mesure qu’elle se voit contrainte de renoncer à ses espérances, elle devient plus agressive contre l’homme.

C’est à ce moment que, par identification à la mère, la fillette se met à désirer un enfant du père, comme substitut du pénis. Une sublimation de ce processus peut amener à une vie sexuelle normale, mais elle échoue bien souvent.

En effet, l’idée d’une plaie (vulve) est renforcée par l’arrivée des menstruations et plus tard par celle de la défloration et de l’accouchement. N’acceptant pas la réalité d’une différence anatomique, la femme souvent réactive sa bisexualité- et devient homosexuelle. Son homosexualité peut rester refoulée et ne se manifester dans la conscience que d’une façon sublimée (goûts masculins).

Les réactions se font jour dans deux sens différents :

1° Désir du pénis avec fantaisies diverses réalisant cette envie ;

2° Vengeance à l’égard du sexe masculin. Ces deux tendances ne s’excluent pas l’une l’autre, mais- généralement l’une est plus prononcée que l’autre.

Après avoir montré sous quelles formes symboliques s’extériorise le plus souvent le désir du pénis [l’oeil fixe, le nez, l’appendice, la jambe, les seins, etc.][xx] Abraham passe à l’étude des tendances sadiques contre l’homme. Il montre que dans le vaginisme il n’y a pas seulement l’idée de repousser l’organe masculin, niais aussi, lorsque la pénétration a pu se produire, l’idée de châtrer l’homme et de s’emparer de son organe. On voit aussi des femmes tomber amoureuses d’hommes qui ont été amputés d’un bras ou d’une jambe. Cette amputation, symbole de la castration, leur permet de faire tomber l’agressivité inconsciente.

Beaucoup de ces malades ne se marient pas parce qu’elles ont l’idée que, si elles avaient un mari, elles seraient obsédées par le besoin de lui faire du mal. L’agressivité prend parfois des formes adoucies. La frigidité, par exemple, est une défense de la femme qui tend à rendre l’homme impuissant.

Beaucoup de ces malades attirent des hommes et, lorsqu’elles les ont conquis, les laissent tomber pour avoir la jouissance sadique de leur déception. D’autres, pour atténuer la différence des sexes, choisissent des maris qui ont des tendances très féminines.

Ces malades, en vertu de leur croyance d’être châtrées, ont une grande peur de l’accouchement, des opérations, et même de la défloration. Freud [xxi] a particulièrement analysé cette crainte. Il a montré que, pour l’inconscient, la défloration était l’analogue de l’acte commis avec le père, c’est pourquoi les affects qui lui sont propres se renouvellent dans l’acte de défloration dont le soin a du reste été pendant longtemps laissé à un substitut du père (droit du seigneur). Ces affects sont, d’une part l’attachement profond au père, d’autre part la peur de l’inceste, mais aussi le besoin de vengeance d’un amour déçu et du sentiment de castration. Cette assimilation des organes génitaux avec une plaie explique aussi certaines aménorrhées nerveuses[xxii].

Chez beaucoup de ces femmes on rencontre un narcissisme très prononcé, dont la signification transparaît dans cette phrase d’une malade d’Abraham : « Je voudrais être la plus jolie des femmes pour que tous les hommes me courtisent, et ensuite je leur donnerais à tous un coup de pied. »

Quelques-unes de ces malades déplacent la zone érogène et, tandis qu’elles restent frigides-, elles se montrent amoureuses par la bouche, font jouer à la langue le rôle actif du pénis. C’est ici le lieu de rappeler l’observation de Sachs[xxiii].

Une jeune fille qui souffrait d’un intense complexe de castration avait pour plus ancien souvenir le fait d’avoir mordu un vieux monsieur à l’oreille. Dans l’analyse, elle se rappelle qu’enfant elle avait cru qu’on lui avait arraché le pénis en le mordant. On retrouve cette idée dans les rites de beaucoup de peuples primitifs[xxiv].

L’article d’Abraham eut un grand retentissement. Karen Horney (de Berlin) publia deux articles[xxv] qui devaient en partie confirmer les vues d’Abraham, en partie en restreindre la portée.

L’auteur se demande si biologiquement il est admissible de penser que la moitié de l’humanité souffre de son sexe et si l’envie du pénis ne pourrait pas s’expliquer autrement que par le désir de masculinité, d’autant plus que l’on rencontre aussi cette envie chez des personnes qui semblent avoir échappé à tout traumatisme de l’enfance.

Le garçon chaque fois qu’il urine peut satisfaire sa tendance narcissique d’exhibitionniste en regardant ses organes. La fillette n’a pas cette satisfaction, c’est pourquoi elle reporte son narcissisme sur tout son corps, mais aussi elle envie le garçon pour son privilège. Un autre facteur de cette jalousie réside dans le fait que l’érotique urinaire apporte plus de satisfaction au garçon qu’à la fillette. Le décolleté de la femme est probablement une compensation à l’exhibitionnisme de l’homme dans l’acte d’uriner (voir ma note précédente sur le sein compensant le pénis). Notons encore que l’envie du pénis est accrue par un désir refoulé d’onanisme ; pour le besoin d’uriner, le garçon a la permission de toucher son organe, tandis que le même geste est défendu à la fillette.

K. Horney pense que le désir de la fillette dans la phase prégénitale est ravivé par le désir plus tardif d’un enfant qui lui serait donné par le père. La désillusion de ne pas recevoir cet enfant fait régresser la fillette au désir prégénital du pénis. A ce propos, nous croyons utile de reproduire l’observation que Mme Horney résume dans son travail[xxvi].

 » Ce rapport m’est apparu d’une façon particulièrement claire dans le cas Z…, dans lequel, après la disparition de certains symptômes obsessionnels, persistait une peur tenace de la grossesse, comme dernier symptôme. Le souvenir qui, à côté de l’observation jusqu’à un âge avancé du coït des parents, s’avéra comme le plus important, fut la grossesse de la mère et la naissance d’un frère, alors que la malade avait deux ans. Pendant longtemps, le désir du pénis semblait le point crucial de l’analyse. Le désir du pénis qui se rattachait au père et la haine contre le frère qui l’avait détrônée de sa situation d’enfant unique, dès qu’ils furent découverts, furent discutés avec beaucoup d’émotion dans le conscient. Avec ce désir, surgirent tous les complexes que nous sommes habitués à rencontrer dans ces circonstances, notamment les désirs de vengeance, les fantaisies de castration de l’homme, le refus des travaux et des fonctions de la femme, le refus particulièrement accentué de la grossesse et enfin une forte homosexualité inconsciente. Ce n’est que lorsque l’analyse, aux prises avec les plus fortes résistances, arriva à des couches plus profondes, qu’il devint patent que l’envie du pénis cachait une envie du père. Ce dernier désir avait été déplacé sur le pénis. La haine contre le frère se mua en une haine contre le père parce qu’elle se sentait trompée par lui. La haine se porta aussi contre la mère parce qu’elle avait eu un enfant. Ce n’est que la mise au point de ce déplacement qui résolut l’envie du pénis et les complexes de masculinité, ce qui lui donna par ailleurs la possibilité de devenir entièrement femme. Que s’était-il passé ? Pour le résumer schématiquement nous dirons : 1° que l’envie de l’enfant s’était déplacée sur le frère puis sur les organes du père ; 2° qu’il s’est réalisé le mécanisme décrit par Freud, à savoir qu’en renonçant à l’objet de son amour la malade, par régression, s’est identifiée à l’objet. »

K. Horney pense que si ces femmes n’arrivent pas à l’homosexualité manifeste, c’est qu’elles ne désirent pas tant être- femme que père. En tant que père, la fixation sur un objet devient plus difficile et il se fait une régression vers un stade auto-érotique.

L’identification avec le père de même que le refus de la féminité ne peuvent se faire d’emblée à la suite du désir prégénital du pénis. L’envie de l’organe masculin facilite seulement cette identification. Il faut insister sur le fait qu’au préalable, au moment du désir de l’enfant venant du père, la fillette prend à l’égard de ce dernier une attitude féminine. Ce n’est qu’après la désillusion de l’enfant qui ne lui est pas accordé que se produit la régression narcissique, le refus de la féminité, l’identification avec le père et la réactivation de l’envie du pénis.

Dans son second article, s’appuyant surtout sur un ouvrage de Simmel[xxvii], K. Horney pense que la psychanalyse de la femme a été mesurée avant tout avec la mentalité masculine, et que par là elle a été faussée. Pour appuyer cette thèse, elle constate que l’évolution psychosexuelle de la fille, telle qu’elle est décrite dans la psychanalyse, correspond à l’idée que le garçon se fait d’elle au cours de son évolution. Voici un tableau qui en fait foi.

Évolution de la fille

Représentation du garçon

Pour les deux sexes l’organe masculin joue seul un rôle[xxviii].

Triste constatation de l’absence du pénis.

Croyance qu’elle a possédé un pénis et qu’on le lui a enlevé.

Castration considérée comme punition.

Se sent inférieure (envie du pénis).

N’arrive pas à surmonter ses sentiments de castration et d’infériorité. Doit toujours à nouveau vaincre ses désirs de masculinité.

Voudrait se venger de façon permanente de l’homme à cause de sa puissance.

Représentation que la femme a aussi un pénis.

Observation de l’absence du pénis chez la femme.

Représentation que la femme est un homme qui a été châtré.

Croyance que la femme a été punie, et qu’il est menacé de la même- punition.

Tient la femme pour inférieure.

Ne peut se représenter comment la femme pourrait sortir de cette situation.

Craint l’envie de la femme.

K. Horney cherche ensuite à démontrer que de même que la femme possède l’envie du pénis, l’homme a envie de la maternité ; mais il lui est plus facile de sublimer cette tendance intellectuellement en subvenant à l’entretien de sa famille, qu’il n’est facile à la femme de sublimer son envie du pénis. D’autre part, nous ne devons pas oublier que l’homme a une tendance beaucoup plus forte à mépriser la femme que l’inverse, et ceci pourrait bien être le résultat des tendances inconscientes de l’homme.

K. Horney insiste encore sur la différence qu’il faut faire entre l’envie prégénitale du pénis et les désirs de masculinité. Nous connaissons ces derniers par les analyses d’adultes. Ils sont une représentation secondaire dans laquelle vient s’incorporer tout ce qui a échoué dans le développement de la féminité. C’est alors que par une régression se réveille l’envie du pénis.

Dans ce problème il est important de noter aussi la différence d’action du complexe d’OEdipe dans les deux sexes.

Chez le garçon, en raison de la peur de castration, le renoncement porte uniquement sur l’objet de la sexualité, c’est-à-dire la mère, et la masculinité continue d’être affirmée, elle est même surestimée par réaction à la peur de castration. Nous pouvons le constater chez le garçon dans la période de latence et la période prépubère, mais plus encore à l’âge adulte[xxix].

Chez la femme, au contraire, le renoncement au père est accompagné d’un mouvement de recul devant le rôle de la femme. On a souvent interprété la peur des rapports sexuels chez ces malades, comme une peur de castration, mais l’auteur pense qu’il y a là une simple peur d’un trop gros pénis et le souvenir de désirs incestueux qui investissent la zone vaginale d’un affect de peur et de défense, accompagné, comme chez l’homme, d’un sentiment de culpabilité.

Au reste, l’envie du pénis ne doit pas être considérée seulement du point de vue de la déception. Elle représente, comme l’a montré Abraham[xxx], un amour partiel, un, stade de l’amour objectai. Et si elle présente une grande ténacité chez l’adulte, c’est qu’elle cache souvent une défense pour ne pas retrouver les désirs incestueux à l’égard du père.

Il y a bien des assertions, de ce second article, que l’on pourrait discuter, mais cela nous entraînerait trop loin. Nous nous contenterons d’exposer plus loin les idées d’Hélène Deutsch qui apportent un excellent correctif à celles de K. Horney. Avant, nous désirerions exposer les idées de Bousfield qui se rattachent plus directement à l’article d’Abraham[xxxi]. Bousfield remarque que chez les femmes atteintes d’un complexe de castration on retrouve :

1 ° Un conflit entre le narcissisme et la peur de castration ;

2° Un conflit entre l’exhibitionnisme et la castration.

Un exhibitionnisme exagéré peut être un signe de compensation d’un sentiment de castration. On rencontre aussi une certaine tendance à supprimer toute idée phallique pour ne pas réveiller la blessure du narcissisme. Dans ce cas la pruderie est exagérée comme défense et se heurte à une pulsion contraire d’exhibitionnisme qui sert de compensation. A ce propos, Bousfield raconte l’histoire d’une de ses malades, très prude, souffrant d’un fort complexe de castration, qui faisait de la rétention d’urine pour avoir le plaisir d’uriner à travers un cathéter, qui, dans sa fantaisie, lui servait de pénis. Cette personne, à l’âge de sept ans, avait vu se baigner dans la mer un homme tout nu. Elle s’était demandé si son père était constitué de même, et se souvenant qu’elle avait été très malade à l’âge de deux ans elle pensa que c’était parce qu’on lui avait coupé l’organe. Cette personne n’aimait pas qu’on admire le bas de son corps, même ses jambes. Par contre, elle était fière de sa figure, de ses cheveux et de son buste. Elle avait l’horreur des poils sur le corps, mais se vantait de ses cheveux. Quand elle était fillette, la longueur des poils du pubis lui semblait un équivalent de la puissance phallique, mais c’était un symbole ambivalent qui lui rappelait aussi l’absence de phallus, d’où ce déplacement sur les cheveux.

Bousfield rappelle aussi l’histoire d’une malade qui avait accepté sa castration vis-à-vis de l’homme, mais qui ne pouvait l’accepter vis-à-vis de la femme. Plus une femme montrait de supériorité, ou plus une femme développait une qualité masculine, plus aussi la malade essayait de montrer sa supériorité sur ces femmes et s’efforçait d’agir dans le sens où elle supposait qu’un homme aurait agi en pareil cas.

Bousfield remarque encore que le complexe de castration ne rend pas toujours la femme masculine. Il arrive qu’au contraire cela intensifie sa féminité, elle cherche à agir aussi différemment que possible de l’homme, et accuse des traits de caractère aussi opposé que possible de ceux de l’homme. Une de ses malades disait : « Je déteste les femmes qui singent les hommes ». Ces femmes-là cherchent souvent à décentraliser la libido et à la diffuser sur tout le corps. Elles sexualisent souvent les jambes.

Bousfield montre ensuite qu’il est difficile de savoir exactement ce qui appartient à la masculinité et ce qui appartient à la féminité. Les longs cheveux peuvent aussi bien être un symbole de féminité qu’une réaction de castration.

Béatrice Hinkle[xxxii] avait déjà insisté sur ce fait. Dans son article, elle rappelle que les anciens Égyptiens, comme les Malais des îles Philippines et d’autres peuplades encore, ne considèrent pas que la femme soit inférieure à l’homme.

Les articles d’Abraham, de K. Horney et Bousfield, présentent la psychologie féminine d’un point de vue négatif, du point de vue de l’échec subi. Pour comprendre entièrement le problème de l’homosexualité féminine, il faut aussi rappeler, les étapes positives de la féminité. Personne ne les a mieux analysées que Hélène Deutsch, et nous allons sommairement résumer ses idées[xxxiii].

Dans l’évolution sexuelle de la femme, deux moments sont importants qui n’existent pas dans l’évolution sexuelle de l’homme : I° le renoncement à considérer le clitoris comme l’équivalent du pénis; 2° la découverte d’un nouvel organe génital et le passage de la phase phallique à la phase vaginale.

Le garçon découvre le vagin dans le monde extérieur, et sa découverte entraîne un certain sadisme, à l’encontre de la femme qui le découvre dans son propre corps, avec le plaisir masochiste d’être vaincue par le pénis.

Ce qui achève l’évolution normale de la femme, n’est pas la satisfaction infantile de vouloir le pénis, mais la découverte du vagin comme organe de plaisir, le renoncement du pénis contre la possession réelle et équivalente du vagin. Ce nouvel organe doit devenir une sorte de doublure du moi dans le même sens où Ferenczi[xxxiv] parlait du pénis comme d’une miniature du moi.

L’évolution objectale pour la femme se fait du sein de la mère sur le pénis du père, qui, au début, est un objet de la phase orale. Ce n’est qu’au cours de la phase anale que le pénis perd sa valeur orale et devient un organe de force, un organe sadique, de même que l’acte sexuel est alors compris sadiquement. Dans cette phase, l’anus représente l’organe passif et la colonne fécale l’organe libidinal actif, dans le même sens que le sein de la phase orale. Il en résulte que, par un déplacement de l’investissement libidinal, la colonne fécale prend la même valeur narcissique que le sein dans la phase orale.

Il semblait naturel que le déplacement se fasse vers la troisième ouverture de la femme et que le pénis vienne remplacer le sein ou la colonne fécale, mais ici la femme se heurte au fait qu’une grande partie de l’investissement libidinal se porte sur le clitoris, et la difficulté devient le passage de la phase phallique à la phase vaginale.

La compensation du vagin est d’autant moins satisfaisante pour la femme que cet organe est invisible et insensible. D’autre part le clitoris est trop petit pour être l’objet d’un investissement aussi puissant que celui du pénis.

La menstruation sert de première indication de l’organe érotique du vagin.

Dans le rapport avec le partenaire, la pénétration est un rappel de l’acte de succion au sein maternel et un rappel renforcé du trauma du sevrage. Dans l’équivalence pénis-sein et la succion vaginale, le coït est l’accomplissement de la fantaisie du pénis paternel. Dans le coït, la femme, au point de vue de l’inconscient, est donc à la fois enfant (succions du pénis-sein) et mère (attitude masochiste de la conception infantile sadique du coït), ce qu’elle sera en effet au cours de la grossesse où elle est mère et enfant.

Par là nous voyons qu’en dernier ressort, pour la femme, le coït représente l’incorporation orale du pénis paternel qui ensuite est transformé en enfant (réalisation du désir d’un enfant du père). La différence d’attitude entre l’homme et la femme pourrait se résumer ainsi : « L’homme s’approprie activement une part de la réalité et atteint par ce chemin le bonheur de l’état primitif (le coït étant un symbole du retour dans le sein maternel). La femme en acceptant une attitude passive de l’acte de pénétration introjecte une partie du monde extérieur qu’elle s’incorpore (grossesse).

Dans son rôle de succion et d’incorporation, le vagin ne devient pas le détenteur du pénis mais le détenteur de l’enfant ; pour cette fonction, le vagin ne prend pas ses forces du clitoris mais de l’investissement libidinal de tout le corps. Le vagin est identifié à l’enfant et est investi d’une libido narcissique qui, dans la suite de l’acte (grossesse), sera reportée sur l’enfant. Il devient un second moi, une miniature du moi, à l’instar du pénis pour l’homme. Si la femme réussit à donner cette fonction maternelle au vagin, en renonçant au clitoris (substitut du pénis) elle achève son développement féminin.

Je n’insiste pas sur la fin du travail de la doctoresse Deutsch. Il tient compte surtout de la maternité et cela nous éloignerait de notre sujet.

III. — LE CHOIX DE L’OBJET ET LA FIXATION HOMOSEXUELLE.

Si la révolte contre la féminité et le complexe de castration ont été relativement bien étudiés dans une série de travaux, on ne peut en dire autant du choix de l’objet féminin. Ceci tient à diverses causes. Tout d’abord dans la plupart des fixations homosexuelles sans réalisation lesbienne l’analyse porte avant tout sur le complexe de castration et, celui-ci résolu, la femme renonce ipso facto à son attachement homosexuel sans que: celui-ci soit nécessairement analysé. Ensuite, ces fixations sont souvent inconscientes et passent dans l’esprit de la malade pour de simples amitiés. Le surmoi de toutes ces malades, en vertu de l’agressivité refoulée contre l’homme, est extrêmement exigeant et les sentiments de culpabilité développés à l’excès. Il en résulte que les fixations sont souvent très vagues. Enfin, très peu d’analyses homosexuelles vraies ont été publiées jusqu’ici.

Nous devons cependant rappeler ici quelques travaux. Freud[xxxv] nous a rapporté le fragment d’une observation d’une jeune fille de dix-huit ans, fort jolie et follement amoureuse d’une femme du monde qui avait dix ans de plus qu’elle. La jeune fille avait pris une attitude masculine envers son amie.

Dans sa petite enfance, elle avait transféré son OEdipe sur son frère aîné. L’analyse qui a été très courte n’a rapporté qu’un petit matériel sur la sexualité infantile. Cette femme n’était pas névropathe.

A quatorze ans, elle prit une passion pour un bébé de trois ans qu’elle avait vu dans un parc. (Désir d’être mère elle- même). Mais cela ne dura pas longtemps, elle porta très vite tout son intérêt sur des femmes plus âgées qu’elle. Ce changement dans la fixation objectale de sa libido (seize ans) avait correspondu avec la naissance d’un troisième frère. Ici la femme mondaine n’était qu’une substitution de sa mère.

Au moment de la naissance de ce frère cadet, la jeune fille se trouvait à cette phase de la puberté où se réveille le complexe d’OEdipe infantile. Le désir d’avoir un enfant restait conscient, tandis que le côté incestueux du désir restait inconscient. Au lieu que ce soit elle qui ait l’enfant, ce fut sa rivale détestée inconsciemment, sa mère. Désappointée, elle se détourne de son père et de l’homme en général, repousse sa féminité et cherche une autre voie d’expansion à sa libido. L’homosexualité avait pour but encore de punir son père qui en était d’autant plus affligé qu’elle la pratiquait très ostensiblement.

Sadger[xxxvi] nous donne aussi deux observations de femmes homosexuelles.

La première, âgée de vingt-neuf ans. A l’âge de six ans, elle aimait un garçon aux cheveux roux qui avait coutume de lui uriner dessus. Dans sa petite enfance, elle avait également surpris, à diverses reprises, le coït de ses parents. Plus tard, lorsqu’elle fut mise au courant des phénomènes sexuels, elle eut à la fois un violent désir de coïter avec son père et un dégoût insurmontable à l’idée que le gros organe de son père devrait entrer en elle. Elle se fit des reproches de ses idées incestueuses et sont dégoût se porta sur tous les organes masculins. A quatorze ans, une lettre anonyme lui apprit que son père avait une maîtresse. Depuis ce moment, elle s’éloigna de son père, pour se rapprocher toujours plus de sa mère-. Ceci acheva de fixer sa libido sur le sexe féminin.

Dans l’autre cas, il s’agit d’une jeune fille de dix-sept ans qui avait également surpris le coït de ses parents, qui avait désiré, d’une part l’acte du père et d’autre part jouer le rôle du père vis-à-vis de la mère. C’est à ce moment qu’elle réalise douloureusement qu’elle n’a pas de pénis et qu’elle commence à développer des tendances agressives à l’égard de l’organe de son père pour pouvoir se l’approprier. Ceci nous explique pourquoi le sadisme est si souvent lié à l’homosexualité féminine.

Laforgue et Allendy[xxxvii] (36) nous rapportent une intéressante observation d’homosexuelle psychique. Voici ce qu’ils en disent :

« Elle avait acquis une telle aptitude à prendre la place des autres femmes que partout, dans la rue, dans le métro, elle cherchait à éprouver en elle les sentiments de celles-ci, devenant tour à tour mère, épouse, amante, prostituée, épuisant en imagination toutes les possibilités féminines les plus éloignées de la réalité par peur de l’homme. Ayant grandi avec l’idée que l’amour s’associe à des plaies sanglantes et à la douleur, elle s’imaginait des femmes écrasées par le train, écartelées par un accident et elle se mettait à leur place. » Jones[xxxviii] (37) a dernièrement consacré un article théorique aux premiers stades de la sexualité féminine et au problème de l’homosexualité chez la femme. Nous espérons vivement qu’il publiera le matériel clinique qui a servi de base à son mémoire afin que se multiplient les observations psychanalytiques de lesbiennes, qui aujourd’hui sont encore si rares.

Jones pense que l’on a surestimé la valeur du complexe de castration. On en a fait à tort, parfois, un synonyme de l’extinction complète des désirs sexuels. Il importe de distinguer le complexe de castration, qui ne détruit pas toute la sexualité de l’aphanisis qui représente une suppression complète des désirs, garçons et filles ont beaucoup plus peur de l’aphanisis que du complexe de castration. Évidemment, chez l’homme la suppression des désirs est ressentie avant tout comme une castration typique, tandis que chez la femme elle est avant tout une peur d’être délaissée. Si l’enfant se sent menacé par l’aphanisis, il est obligé de choisir entre ses désirs normaux ou ses désirs oedipiens. Ces derniers l’amènent à une identification avec le parent de sexe opposé. Ces deux modes de réaction nous donneront deux types différents d’homosexuelles.

1° Celles qui gardent leur intérêt pour l’homme, mais qui en même temps désirent être prises pour des hommes. C’est dans ce groupe que se trouvent ces femmes qui se plaignent toujours du sort du sexe faible.

2° Celles qui n’attachent plus aucun intérêt à l’homme et dont la libido est entièrement concentrée sur la femme.

Dans la solution homosexuelle, les personnes deviennent dépendantes de la possession imaginaire de l’organe de l’autre sexe, soit qu’elles s’imaginent le posséder elles-mêmes (second groupe), soit par identification avec une personne de l’autre sexe (premier groupe). En somme, le premier groupe renonce au sujet, tandis que le second renonce à l’objet.

Jones remarque encore que toutes les femmes homosexuelles ont une exagération des tendances orales et des tendances sadiques.

Si le sadisme est prédominant, l’intérêt pour l’homme est maintenu, mais avec le désir que l’on reconnaisse les qualités masculines dont elles font preuve. Ce type montre un ressentiment contre l’homme avec des fantaisies de castration à son égard[xxxix].

Si l’érotique orale est prédominante, l’inversion prend la forme d’une dépendance à l’égard des autres femmes et l’intérêt pour l’homme manque complètement. Le sujet est masculin mais jouit aussi de sa féminité par identification avec une femme féminine qui la satisfait par un substitut de pénis, le plus souvent la langue.

Jones remarque encore qu’il n’est pas possible d’établir une règle fixe sur l’attitude consciente des homosexuelles vis-à-vis des parents ; on rencontre des dispositions positives ou négatives tant envers le père qu’envers la mère; Par contre, dans l’inconscient, Jones a toujours trouvé une forte ambivalence à l’égard des deux parents et une fixation infantile à la mère qui remontait à la phase orale. Elle était plus tard réduite par une fixation au père[xl].

Nous avons achevé l’historique de la question, et si par endroits nous avons exposé des thèses contradictoires sans prendre parti c’est que nous estimons ne pas avoir assez d’expérience pour trancher ces points délicats. Au reste, nous sommes persuadés que les processus qui amènent aux fixations homosexuelles sont nombreux, et toutes les idées précitées nous avons pu les vérifier chez telle ou telle malade, mais elles ne sont pas toutes vraies pour une même malade.

Nous avons été étonné, dans les travaux précités, que les auteurs ne fassent pas plus souvent appel aux mécanismes de projection. Pourtant Freud[xli] a montré le rôle qu’ils jouaient dans l’homosexualité masculine. Il est évident qu’une partie des inverties projettent leur féminité sur une autre femme, tandis qu’une autre partie d’entre elles projettent leur masculinité sur le partenaire. Une même femme peut alternativement projeter sa masculinité et sa féminité. Sadger avait démontré la même chose pour les hommes. En somme, point important, la fixation homosexuelle est à nos yeux bien plus un dédoublement du narcissisme qu’une fixation objectale. (Je parle ici des cas où les pratiques lesbiennes n’ont pas été réalisées.)

Après la période de réactivation du complexe de castration (au sens de Mme Horney), il y a ambivalence inconsciente à l’égard des deux parents et une phase de narcissisme hermaphrodite. Il n’est pas rare que ces personnes exhibent des manières à la fois très masculines et très féminines ; elles mettront de la grâce dans leurs mouvements, aiguiseront leur sensibilité, se montreront coquettes, mais aussi voudront dominer par leur intelligence, se montreront la rivale de l’homme dans les sports, etc. Ces femmes projettent hors d’elles tantôt leur masculinité, tantôt leur féminité, et elles s’attachent à des types de femme opposés à elles. Elles cherchent du reste beaucoup plus à s’identifier à leur partenaire qu’à l’aimer d’une façon objectale. L’objet leur est un miroir, qu’elles investissent d’un narcissisme masculin ou féminin suivant le type de femme qui est devant elles. Ces femmes, très hermaphrodites, ont un masochisme très prononcé (les tendances agressives étant refoulées) et il en résulte qu’elles jouent volontiers un rôle passif vis-à-vis d’autres femmes qui ont eu l’occasion de faire souffrir des hommes. Par là, elles réalisent à la fois leurs désirs sadiques et masochistes, et c’est le plus haut degré d’amour objectai auquel elles parviennent. On a beaucoup dit que la fixation homosexuelle était une protection contre : l’OEdipe, mais avant d’être une protection elle a été une tentative de sortir des désirs oedipiens. Seulement cette fixation rencontre aussi des oppositions de la part du sur moi. Il en résulte souvent une régression au stade anal avec demi-abandon des fixations homosexuelles et fantaisies actives et passives sadiques et masochistes vis-à-vis de l’objet oedipien. Il semble que certaines femmes, dans l’espoir de sortir de leur névrose, parcourent éternellement le cycle OEdipe, homosexualité, régression anale, réveil de l’OEdipe sur le plan anal, etc.

Au reste, les fixations homosexuelles se présentent très différemment suivant que la malade a un ou plusieurs frères et suivant qu’elle a des soeurs ou non. Mais nous ne voulons pas continuer ces considérations théoriques sans apporter un matériel clinique.

Il faudrait pouvoir donner un grand nombre d’observations, mais cela obligerait à résumer trop les associations des malades, et dans ce rapport nous préférons ne pas donner trop de cas mais insister sur certains points de détail.

IV. — OBSERVATION CLINIQUE.

Yvonne a trente et un ans, elle est la fille d’un intellectuel de Suisse romande et d’une mère suédoise. Les deux parents sont psychopathes ; le père surtout a un caractère autoritaire, brutal et avare. Tous les enfants sont psychopathes : une soeur aînée est mariée, elle est frigide et obsédée ; un frère aîné, marié, impuissant, pervers sexuel ; puis vient notre malade et ensuite encore deux frères et une soeur que je connais moins. Les frères du père sont aussi des psychopathes avares.

Yvonne a été élevée en Belgique jusqu’à deux ans et demi ; elle a ensuite habité divers villages de Suisse romande et, en 1927, elle se fixe à Genève pour son analyse. A cinq ans et demi, elle fait une otite grave et passe un certain temps à l’hôpital de Lausanne. A six ans et à treize ans, elle fait des séjours en Suède. A dix ans, puis à douze ans de nouveau, elle interrompt l’école qui lui donne trop de fatigue. A treize ans, elle a ses premières règles en Suède. Depuis, elle reste souvent au lit. A quinze ans, elle fait un court séjour dans la clinique du Dr de Salis, à Berne. A dix-sept ans, elle passe six mois chez le Dr Liengme, puis va un certain temps au collège de La Chaux-de-Fonds. A dix-neuf ans, elle est très maigre et fait souvent de la température. On l’envoie six mois à Leysin. A vingt et un ans, elle refait un séjour en Suède ; à vingt-trois ans passe quatre mois en Allemagne où elle pleure tout le temps ; à vingt-cinq ans elle est soignée pendant plusieurs mois par le Dr Leschinski, à Territet. Envoyée ensuite au bord de la mer pour s’occuper d’enfants, elle est obligée de revenir, après un mois, étant trop faible de santé. Elle suit ensuite l’école sociale à Genève pendant deux ans, mais n’arrive pas à s’engager dans un travail pratique. Voici encore quelques dates importantes de son enfance au point de vue psychanalytique;

Elle se souvient qu’à cinq ans elle a été très vivement impressionnée lorsqu’à l’hôpital on lui a pris sa température vaginale. Elle a déjà, à ce moment, eu l’idée qu’elle était anormalement constituée. De cinq à douze ans, elle a eu de grandes passions pour des garçons de son âge, elle pouvait rester des heures silencieuses à les regarder, les admirant, les trouvant beaux et forts. De six à dix ans, elle a pratiqué un onanisme clitoridien et, à la même époque, elle avait des amies qui étaient « sa chose », comme elle dit. C’étaient de petites esclaves qu’elle obligeait à se déshabiller et dont elle regardait longuement le derrière. « Je n’avais pas envie de les battre, dit- elle, mais bien de les faire pleurer ». Elle obligeait aussi ses amies à faire la maraude. Elle était voleuse et menteuse. Elle n’avait aucun intérêt pour les fillettes qu’elle ne pouvait pas assujettir. Toutes ces manifestations étaient probablement déjà des compensations à son sentiment de castration. A sept ans, elle surprend un coït entre un taureau et une vache et des gamins lui expliquent de quoi il s’agit. Depuis, elle prend un grand intérêt pour les limaces et surtout pour les escargots: dont elle fait un grand élevage « pour les voir se reproduire », disait-elle.

De huit à dix ans, elle fait venir son frère puîné dans les cabinets pour qu’il s’exhibe devant elle. A la même époque, elle a un grand plaisir à voir fouetter les garçons à l’école. A cet âge, elle avait des sortes d’hallucination. Elle voyait souvent un petit faune dont un qui était vert et avait un air narquois. Elle croyait aussi apercevoir sous son lit une très petite fille qui avait de très longues mains. Tandis qu’elle avait neuf ans, sa mère s’absente pour un mois; son père, au lieu d’être tendre avec les enfants, se montre très sévère et énervé. Il les bat et les oblige à aller au lit pour un oui ou pour un non. A partir de ce moment, elle se fixe de nouveau sur sa mère.

Le père et la mère ne vivaient pas dans une chambre commune et Yvonne, de cinq à dix ans, a été dans la chambre de son père. Plus âgée, elle y a habité occasionnellement. A douze ans, elle a eu son dernier amour non refoulé pour un jeune garçon de son âge. A treize ans, quand elle se met au lit pour ne pas aller à l’école, elle lit toutes sortes d’ouvrages qui n’étaient pas de son âge et dans lesquels il y avait même des descriptions de coït. « A cette époque, j’avais des obsessions sexuelles. Dans mon imagination, je déshabillais les garçons tout le temps. Je trouvais que l’école était inutile et qu’il aurait fallu commencer la vie sexuelle tout de suite. »

A dix-huit ans, elle a encore un grand choc en entendant les rapports sexuels de sa soeur aînée et de son beau-frère dans la chambre à côté de la sienne.

Au point de vue clinique, lorsqu’elle entre en analyse, elle présente le tableau d’une grande obsédée. Elle se sent contrainte de penser aux organes de tous les hommes qu’elle rencontre, à l’exception des hommes laids et efféminés qui la dégoûtent. Elle a aussi des phobies, ne peut aborder un homme, se sent malade quand elle voit une femme décolletée ou même simplement les bras nus (équivalence seins, bras, pénis). Elle se sent contrainte de regarder tous les pieds des hommes (équivalence pieds, pénis). Elle ne peut pas marcher à côté d’un homme sans éprouver immédiatement une fatigue telle qu’elle est obligée de renoncer à cette sortie. Elle a envers son père des sentiments de peur, de répugnance et de haine qui sont excessifs. Elle se sent anormale au point de vue sexuel. « Je me sens la sexualité d’un homme, dit-elle, sensualité si forte que cela me semble anormal de ne pas pouvoir faire comme un homme et entrer dans une maison de prostitution pour me satisfaire. »

A certains moments, elle se montre si dissociée et dépersonnalisée qu’elle fait presque l’impression d’une schizophrène. « Je suis terriblement agitée, j’ai une idée qui me gratte le cerveau et que je ne puis trouver. Je voudrais bouger, m’asseoir et me jeter en arrière et recommencer cent fois. Attendez, il me vient un idée… non, elle a disparu. Si j’étais assez grande, je ferais sauter le canapé, mon autre moi s’oppose à ce que je bouge. Je ne sais pas laquelle (de mes personnalités) c’est qui veut bouger. Je ne différencie plus seulement une Suédoise et une Vaudoise. Il y a en tous cas encore une troisième. Je suis beaucoup plus humble maintenant. »

Mais son état obsessif se manifeste surtout dans une grande difficulté à acheter quoi que ce soit et tout particulièrement des vêtements.

« Je ne peux pas me décider à acheter l’étoffe de ma blouse. Je n’arrive pas à attraper mon idée préconçue. Quand je veux me la figurer, elle n’est déjà plus ainsi. J’ai vu une masse d’échantillons, mais ce n’est jamais ça. Si on me la montrait, je saurais la reconnaître, mais on ne me la montre jamais. Je ne la vois pas distinctement, chaque fois que je l’imagine j’arrive à un autre résultat. Je n’arrive pas à me prendre par surprise. Il y a des étoffes que je choisis, et à un autre moment elles me font vomir. J’ai passé trois heures ce matin à hésiter. Je trouve une étoffe trop jaune, je vais jouer du piano et, quand je reviens, je ne la trouve plus si jaune, elle devient pâle et défaillante. Ça me donnerait un air de malade, de mourante. Et puis ça va comme ça toute la journée et ensuite je suis au désespoir. ».

Ou encore : « J’ai acheté des souliers, je me suis trompée. Ils sont trop gros, ils sont pour quelqu’un qui a dix ans de moins que moi. Je ne veux pas les rendre, je ne peux pas toujours rendre ce que j’ai acheté. Je les ai mis aux pieds une trentaine de fois, mais je n’ai pas pu sortir avec. C’est infernal. Je suis à peu près sûre qu’il faut que j’achète n’importe quoi. Je sais ce que je veux, mais je ne l’achète pas, parce que j’ai peur de ce que je conçois, etc. »

Nous ne pouvons pas étudier tous les problèmes que soulève cette analyse, mais nous voudrions aborder ceux qui sont en rapport avec notre sujet.

1° COMPLEXE DE CASTRATION

Ce complexe se manifeste chez Yvonne sous différentes formes et tout d’abord par une grande peur de ses propres organes : « J’ai une peur bleue des organes féminins. Ils ne me paraissent pas naturels, beaucoup moins naturels que ceux de l’homme. » « Quand j’étais au bord de la mer, on m’avait confié une fillette. Je ne pouvais pas la laver entre les jambes. Je ne pouvais regarder cet endroit, ça me faisait mal. » — « Je n’aime pas me baigner parce que je n’aime pas voir mes organes. Je n’aime pas être nue. Il faudrait que je m’aime, alors je saurais aussi m’habiller. Je n’aime pas me regarder parce que je me fais l’impression de quelqu’un de raté. Je trouve que je suis triste à voir: Le corps de l’homme est moins sale. Pourtant, j’aimais le corps d’Annie[xlii] (41), il était blanc et, à certaines époques masculines, j’ai été obsédée par le besoin de voir les organes des femmes. »

Ces quelques associations nous permettent déjà de voir qu’Yvonne n’est pas arrivée à sublimer le narcissisme de la phase phallique de la fillette en un narcissisme qui se reporte sur l’ensemble du corps. Comme toute obsédée, elle garde une attitude ambivalente à l’égard de son propre corps, ce qui la poussera dans des difficultés ultérieures.

Il est naturel que chez une fillette de ce genre les règles aient ravivé l’idée de castration et renforcé la pensée que sa vulve était une blessure : voici quelques annotations typiques « J’étais en Suède quand j’ai eu mes règles pour la première fois. Maman m’avait avertie, mais j’ai eu très peur. Je ne voulais les avoir qu’à la maison, et les mois suivants elles ne sont pas venues. A cette époque Annie m’emmenait dans sa bande de garçons. J’étais si mal à mon aise. J’avais l’impression d’avoir un corps sans tête (castration). C’est là que j’ai eu l’impression, pour la première fois, que je perdais mes cheveux. J’avais un sentiment d’infériorité, de saleté. J’avais l’impression qu’on m’avait battue. »

 » Le sang me rappelle mes règles et aussi l’organe masculin que je me représente rouge, et aussi la guillotine parce que quand on coupe une tête il sort tellement de sang, » (Idée de castration). « Autrefois j’aimais beaucoup le rouge, les coquelicots. » (C’était avant les règles, dans la phase sadique et l’époque de fixation au pénis du taureau qui est pour elle associée à l’idée de rouge).

 » Quand je vais être indisposée, je déteste voir des hommes, ça me donne des règles beaucoup plus fortes, ça me donne des- crampes, ça me fait mal au ventre. Pendant deux ou trois ans, je n’ai pas pu marcher quand j’avais mes règles, j’y pensais tout le temps, j’avais peur de rougir, j’avais peur de perdre mes cheveux, j’avais peur des yeux des gens, même de ceux de maman. Je n’osais regarder personne. »

« Un jour que j’avais mes règles, j’étais raide comme un piquet, aussi bien au lit que debout. Je crois qu’il n’y avait pas une goutte de sang que je perdisse sans m’en apercevoir. Quand j’avais peur, je perdais par jets. C’était affreux. Pendant ces jours, je n’osais pas aller à la selle. Je transpirais de peur. S’il fallait aller aux cabinets, c’était une agonie. Je souffrais affreusement. Je n’osais pas m’endormir parce que je n’osais pas me relâcher. J’aurais tellement voulu m’endormir pour oublier, mais je me disais : quelle horreur, ça va couler. Puis quand ça coulait, j’étais affolée. »

Yvonne raconte ensuite qu’un jour où elle avait ses règles une bonne était venue l’appeler pour qu’elle aide sa mère. Elle n’y était pas allée et n’avait pas osé expliquer pourquoi. Son père est venu, l’a battue et l’a traitée d’égoïste. Elle n’a pas pu lui dire ce qui en était, mais depuis (quatorze ans) elle ne peut plus faire quelque chose en se disant : « Ça aiderait mes parents ». Elle a gardé de ce moment un besoin de vengeance inassouvi.

Chez beaucoup de ces malades où le complexe de castration a ravivé la bisexualité native, on trouve une grande ambivalence au sujet des seins. Les seins bien développés sont une compensation au pénis, mais en même temps un attribut de la femme. Voici ce qu’Yvonne en dit :

« A quatorze ans, j’avais la poitrine bien développée. J’en étais fière. Des camarades se sont moquées de moi et je n’ai rien mangé pendant tout un été. Je crois que plus j’ai refoulé ma sexualité, plus ma poitrine s’est étiolée. »

Le complexe de castration d’Yvonne s’extériorise autrement encore. Voici une fantaisie bien significative.

« Cette nuit, vous étiez assis sur une chaise. J’avais mis ma tête sur vos genoux. Vous étiez devenu diabolique. Vous vouliez me couper la tête avec un couteau de table. J’avais les mains derrière le dos et je disais : Je ne bougerai pas, je mourrai. »

Je rapproche cette fantaisie d’une remarque faite après bien des mois d’analyse. « Aujourd’hui je puis tendre mes bras derrière la tête. » (Symbole d’érection). « Autrefois j’avais toujours peur que vous me les coupiez ». « J’ai peur que vous me battiez si je bouge. J’ai cette idée et je dois être punie. Dans mon imagination je bouge tout le temps. Je vous vois en train de me battre. C’est parce qu’autrefois papa me battait et, quand il ne le faisait pas, c’était tout comme, parce que j’avais peur qu’il le fasse[xliii] (42). »

Je considère que ces trois associations sont très importantes parce qu’elles nous montrent que la femme peut souffrir d’un complexe de castration secondaire qui est exactement surperposable à celui de l’homme. A la suite de sa déception de ne pas posséder un pénis, elle érotise ses jambes, ses bras, ses seins, sa tête et elle en fait autant de symboles phalliques, mais cette usurpation ne se passe pas sans un sentiment de culpabilité qui se traduit par une peur d’une nouvelle castration. Il semble même que, dans sa fantaisie, Yvonne accepte la punition. Cette ambivalence créée par le désir de donner une valeur phallique à un membre et le sentiment de culpabilité qui condamne cette attribution se retrouve dans les tendances exhibitionnistes de ces malades, comme l’a montré Bousfield. Voici, par exemple, ce qu’Yvonne dit de ses jambes : « Il y a la fillette qui voudrait que la jupe soit courte. La fille d’en dessus, plus âgée, trouve qu’elle est assez courte. Une autre dit : Si tu la raccourcis trop, tu ne pourras plus la rallonger. L’autre dit : Tant pis, advienne que pourra. Ça dure des heures ainsi, et je me relève la nuit pour coudre. » « Je souffre d’avoir des petits pieds, quand on me le dit, ça me rend malade. »

L’ambivalence exhibitionniste se manifeste aussi dans la couleur du bas. Si le bas n’est pas foncé, la jambe lui paraît déshabillée.

« Je ne peux pas supporter des bas clairs avec une jupe un peu foncée, c’est comme si on sortait du lit. »

De même qu’Yvonne a déplacé sur le choix de ses habits le problème de l’acceptation ou du refus de sa féminité, elle a transféré cette même question sur diverses difficultés concernant ses dents. En somme, ce problème qui est le motif central de sa névrose s’est mêlé à toutes les autres difficultés qu’Yvonne a rencontrées sur son chemin.

Il y a une dizaine d’années, notre malade avait la première prémolaire gauche cassée. On a dû lui faire un pont et depuis ce moment cette dent s’est légèrement inclinée en avant. Ce manque de parallélisme avec les autres dents a exaspéré Yvonne qui s’est mise à détester sa prémolaire gauche. Par contre, la prémolaire droite est devenue sa dent de prédilection. « Elle était comme une miniature de moi-même. »

Un jour notre malade rêve que sa dent préférée s’est cassée. Ce rêve est accompagné d’une vive angoisse. L’affectivité absolument démesurée qu’elle manifeste alors montre bien qu’il se cache derrière une angoisse de castration. Mais par malheur, quelques semaines plus tard, Yvonne se casse effectivement cette dent en mangeant des pommes de terre rôties. A ce moment, elle devient comme folle, cesse toute occupation, va chez le dentiste qui lui dit qu’il faudra mettre une couronne, et affolée de cette perspective elle se met au lit. Elle ne dort plus; le lendemain elle va chez un autre dentiste qui lui dit qu’on pourrait arranger la chose avec un bloc d’or, mais qu’ultérieurement l’autre facette de la molaire pourrait se casser, ce qui obligerait à enlever la dent.

L’hésitation devient telle que pendant plus de deux mois Yvonne court alternativement chez l’un ou l’autre de ses dentistes sans pouvoir se décider. Une couronne lui semble recouvrir sa personnalité ou encore être un pénis recouvert d’une capote. Enlever la dent serait une castration, ce qui serait pire que tout. La solution la plus agréable serait pour elle le bloc d’or, mais le danger de la castration l’effraie. La dent sous la couronne est un équivalent du clitoris qui est un organe recouvert. Ce serait donc accepter sa féminité, ce qui lui semble impossible. La solution de la couronne coûte aussi moins cher que l’autre, mais se décider sur une question de « bon marché » serait aussi accepter sa pauvreté. Or, la pauvreté c’est encore un équivalent de féminité. (Voir plus loin : pour Yvonne l’argent est un équivalent de la puissance masculine.) Cette hésitation peut encore être une défense contre un complexe anal refoulé. Yvonne associe, en effet, à or l’idée d’une selle d’un enfant dérangé. Elle ne veut pas avoir une selle dans la bouche.

2 ° ENVIE DU PÉNIS

Un pareil sentiment de castration ne va pas sans envie du pénis. Plus d’une association du paragraphe précédent nous l’a déjà montré. Mais voici quelques textes plus explicites encore. « Quand je me représente un acte sexuel, je suis l’homme. Ça me paraît plus intéressant. Il y a aussi une femme en moi, mais elle est plus voilée. Ce qui a contribué à me retourner ainsi, ce sont les gémissements de ma soeur aînée que j’entendais depuis ma chambre. Elle m’a dit qu’elle ne jouissait pas. »

En réalité, le complexe de masculinité est bien antérieur et le souvenir concernant sa soeur est probablement un souvenir- écran d’un acte surpris autrefois entre les parents. Voici encore un rêve bien frappant : « Vous étiez assis les jambes écartées. Il y avait d’autres personnes derrière vous. J’étais un homme et j’avais un coït avec vous. Ce coït s’est renouvelé à plusieurs reprises et me donnait le plus grand plaisir. Soudain, je réalise que je ne suis qu’une femme et je me réveille dans la plus grande anxiété. »

Dans ce rêve, perce déjà, à côté du désir de posséder l’organe masculin, le désir de déposséder l’homme. Cette idée sortira d’une façon plus sadique dans les associations du rêve suivant.

« Je suis une négresse et j’ai devant moi une fillette de six ans. Elle soulève sa robe. Elle avait un organe masculin auquel manquait le gland. Pour qu’elle pût uriner, il fallait qu’elle mette une espèce de dé en peau qui était percé ».

Négresse. — « J’étais tellement honteuse. Je crois que c’est pour cela que j’étais toute noire. A six ans j’avais très envie de l’organe masculin. » (Yvonne ne peut pas donner d’autres associations le premier jour.) Le lendemain : « J’ai compris que j’étais aussi la petite fille du rêve. Je me sens toujours capable d’aller prendre les organes d’un homme, hors de son pantalon, parce que celle (de mes personnalités) qui a envie de le faire ne comprend pas pourquoi ce serait défendu. Quand je regardais les organes de mon frère, je ne les ai pas touchés, je n’aurais pas pu ; j’en aurais eu horreur, mais je pourrais faire des gestes dans ce but, je pourrais essayer, mais ça ne serait pas de sang-froid. Ce serait une impulsion que j’ébaucherais avec épouvante et angoisse. A l’école sociale je devais tout le temps regarder un professeur parce que j’aurais voulu le déboutonner et le toucher. »

En réalité, s’il y a une telle angoisse à commettre cet acte, c’est que c’est de nouveau un acte ambivalent, une sorte de déférence envers l’organe de la puissance et une tendance sadique à l’anéantir. Ceci ressort bien clairement d’associations que la malade rapporte à ce rêve quelques jours plus tard.

 » Je trouve que l’organe masculin est trop long[xliv]. Il faut lui faire du mal, le rendre impuissant, mais pas tout à fait parce qu’alors je serais triste et puis ce serait irrémédiable. (Voir plus haut la même pensée exprimée à propos de la jupe.) C’est une façon de diminuer l’homme et de le repousser. Je ne tiens pas à le faire moi-même, mais je voudrais que ce soit ainsi. Quand, dans mon imagination, j’ai châtré mon père, je suis mortellement triste. C’est ce qui m’arrive dans la vie chaque fois que je ne lui obéis pas. Mais si je lui laisse toute son autorité, j’ai l’impression que c’est moi qui suis écrasée. Pour moi, l’idée de force, de puissance, de capacité à faire le mal, la domination, l’idée de piétiner, sont associées à cet organe. »

Quelle belle profession de foi de l’ambivalence !

Dans certaines fantaisies, elle tette l’organe de son père. Une autre fois, elle s’imagine qu’elle est rentrée dans le sein de sa mère et, tandis qu’elle y était, son père a eu un coït avec sa mère ; Yvonne a profité de cet instant pour mordre l’organe de son père et le châtrer. Elle exprimait par là le désir de n’avoir jamais connu l’organe de son père puisqu’elle le supprime avant que d’être née.

Chez Yvonne, le motif de l’enfant reçu du père (et servant de substitut au pénis) n’a pas fait défaut. « Je n’allais pas à l’école parce que je voulais être mère de mes poupées et parce que je voulais travailler dans le ménage (remplacer ma mère). Comme ce n’était pas mon ménage, je m’ennuyais. Maman l’avait compris et m’avait dit :  » Tu ne voudrais pas que nous adoptions un enfant, c’est toi qui l’aurais ». Mais j’avais déjà perdu le goût de travailler. C’était trop tard pour que je sois ranimée. Jacques (son frère cadet de huit ans) ne voulait pas être mon enfant, il se débat- tait, mais je le possédais quand même. J’étais tellement collante ».

3° AMBIVALENCE A L’ÉGARD DU PÈRE.

Une pareille ambivalence attachée à l’organe du père ne peut aller sans une ambivalence équivalente pour le père lui- même[xlv].

Je voudrais tout d’abord rappeler un rêve du cinquième mois de l’analyse qui montre bien combien Yvonne a de peine: à penser à son père sans penser à son sexe.

« Je vois un grand cheval avec un poulain à côté. Je voulais monter sur le poulain, mais chaque fois le grand cheval m’en empêchait. Il m’empêchait aussi de faire courir le poulain. »

Fragment d’associations ;

« La figure du cheval me rappelle celle de mon père. C’est, sûr qu’il a été un obstacle à ce que je voie d’autres hommes, mais je ne sais pas pourquoi. Quand je le voyais s’habiller, je regardais à travers sa chemise ses organes. J’ai dû avoir peur. Il me semblait qu’ils étaient trop gros pour moi. Quand j’y pense, c’est la fillette de cinq ans qui remonte en moi. Je me souviens qu’à l’âge de treize ans j’ai vu un jour mon père, revenir du jardin, déboutonné, se tenant les organes. Il y avait quelque chose de blanc qui écumait. »

« C’est quand j’ai commencé à me révolter contre mon père que j’aurais voulu être le mari de maman. J’avais quinze ans, c’est à ce moment que j’ai commencé à le battre. Mes coups venaient impulsivement. De quinze à vingt-deux ans, papa m’a battue. Il me semble qu’il me battait sur les organes génitaux. (Projection de son envie de battre l’organe paternel.) En tout cas, ça me faisait une impression directement génitale. Papa m’avait donné de l’argent de poche, mais je le lui rendais. Je ne pouvais rien lui devoir ; je le détestais trop. (C’est encore une difficulté actuelle pour l’achat de ses habits. L’argent représentait aussi la puissance paternelle et elle ne voulait pas l’accepter, cela aurait été accepter sa féminité.) C’est mon père qui m’empêche d’aimer normalement, de penser normalement, de m’habiller normalement. Dès que j’ai des jupes un peu courtes, il est furieux. Papa ne m’aime que quand je suis malade. »

Si nous voyons dans ses associations une révolte formidable consciente et inconsciente contre son père, nous allons trouver dans le rêve suivant un retour à l’ambivalence. Rêve. — « Nous allions nous baigner avec nos pensionnaires. J’avais un vieux costume de bain déchiré. Cette eau était près d’une gaire. A la gare arrivait une locomotive chaude qui devait sauter dans quelques minutes. Je me suis sauvée avec un enfant. Ensuite j’étais seule dans un chemin. Ensuite un ours me poursuivit. Il était tellement gros et comme un aveugle (le père est myope). Puis je me trouve sur un chemin ombragé. Autour de moi des gens qui pique-niquaient, des gens qui étaient un peu comme ma famille. Le chemin descendait dans une gorge avec un gros ruisseau. L’ours me poursuivait toujours. Il marchait sur ses pattes de derrière et avait l’air bête. Tous les gens du pique-nique me regardaient. A ce moment je riais. Je mets une robe blanche et j’enlève mes souliers pour que l’ours ne m’entende pas. Je riais parce qu’il était sur un faux chemin. L’ours avait traversé l’eau et, ensuite, il était vieux. Ensuite j’avais vu une ombre dans l’eau. C’était un fantôme. Il était sorti de l’eau. C’était une naïade, elle avait un grand costume blanc et une pèlerine qui volait. Elle avait les yeux fermés. Elle était comme une somnambule et montait la pente. Nous la regardions. Tout à coup, l’ours la voit, lui court après, et l’attrape. Elle tombe par terre, elle était bien plus morte qu’avant. Elle faisait semblant d’être morte (rit). L’ours était vieux et perverti. Il aurait voulu avoir des relations sexuelles avec elle. Elle était couchée la tête en haut. Elle était morte et ça n’allait pas bien. Non. Au fond je peux bien dire parce que ce n’est qu’un rêve. Il lui a écarté les jambes, mais très peu, parce qu’elle ne voulait pas. Elle faisait l’insensible. Jamais de ma vie je n’ai eu tant de peine à m’exprimer. Ça allait tout le temps en avant ou en arrière parce qu’elle n’écartait pas assez les jambes. Ça ratait, son organe était trop gros. Il grossissait toujours. Puis quelqu’un a pris l’ours et l’a écarté parce qu’il était perverti. »

Sur la première partie du rêve, Yvonne apporte un souvenir d’enfance. Toute la famille avait été se baigner. Ce jour-là elle avait regardé les organes d’une petite fille rousse en pension chez eux. « J’avais aussi trouvé que l’organe de papa était très gros. Je me sacrifie en disant cela. Je ne veux pas parler de l’ours. Je le comprends très mal. J’ai peur que vous me battiez. Je ne dois pas en parler, parce qu’ensuite j’en aurais beaucoup plus peur. Il vaut mieux l’ignorer. Au début l’ours se promenait, ensuite seulement il. me poursuivait. Il avait une patte très grande qui était dressée. Ce qu’il aurait voulu faire de moi avec sa patte quand il m’aurait écrasée, je ne voulais pas le savoir, c’est pourquoi je suis sortie de l’eau en étant somnambule ». — « L’ours ne représente pas tout le temps la même personne, il était d’abord jeune, c’était vous au début, ensuite c’était mon père, mais un père imaginaire, conçu je ne sais pas quand. La scène avec la naïade me gêne beaucoup. L’ours avait un organe comme un étalon. Il était très grand comme un gros bâton. Je ne comprends pas que maman ait pu supporter papa. »

La séance suivante, Yvonne m’annonce qu’elle a vomi en sortant de chez moi. Elle ne dit rien, dit qu’elle a peur de moi et ne veut pas enlever son chapeau. Impossible de la ramener sur le rêve. Ce rêve cache probablement un coït surpris entre les parents. Mais il est plus certainement le reflet de son attitude ambivalente à l’égard de son père. Si ce rêve avait pu être entièrement analysé, je suis certain qu’Yvonne se serait aussi identifiée à l’ours avec le gros organe. C’est parce que ce rêve représente des cycles très divers de l’inconscient que sa symbolique a paru si obscure à Yvonne.

4 ° ATTITUDE AMBIVALENTE ENVERS LA MÈRE ET LA FEMME EN GÉNÉRAL.

Yvonne a une phase sadique orale très accentuée. Elle a été allaitée par sa mère la première semaine de son existence. Puis sa mère a brusquement perdu son lait. A ce moment commence une crise de sevrage extrêmement pénible. Pendant trois mois Yvonne maigrit, refuse toute nourriture, crie pour réclamer le sein ; on est obligé de lui donner tout le temps une téterelle. Plus tard, quand on la lui enlève, c’est un nouveau drame.

Il ne nous a pas été possible de rétablir par l’analyse les diverses phases d’amour et d’agressivité qui se sont succédé chez Yvonne dans son attitude à l’égard de sa mère. Il semble seulement qu’à l’âge de sept ans, à la naissance de Jacques, le benjamin de la famille, l’OEdipe d’Yvonne était déjà renversé. Elle n’a pas de jalousie contre sa mère, mais contre son père. Elle n’aurait pas voulu être la mère, mais le père de Jacques et le mari de sa mère. Ce motif renaît dans le rêve suivant :

 » Tandis que mon père se rasait, j’étais derrière lui en train de m’habiller. Je venais de mettre ma culotte quand je m’aperçois qu’elle n’a pas d’attaches. On aurait pu l’accrocher à une taille, mais je ne voulais pas en mettre. Je décide de mettre un second pantalon qui tiendrait l’autre ».

Père se rase : symbole de castration.

Elle ne veut pas de taille : elle ne veut pas d’habits féminins. Elle met deux pantalons comme les hommes.

Cette première partie du rêve montre qu’Yvonne voudrait châtrer son père pour se mettre à sa place. Voici maintenant la seconde scène du rêve.

« Je vois maman dans un lit ; à côté se trouvait un lit jumeau dans lequel était Annie. J’étais triste à l’idée de la sensualité de maman. »

Annie, amie qui a joué un rôle masculin vis-à-vis d’Yvonne et avec qui elle s’identifie dans ce rêve pour jouer un rôle masculin vis-à-vis de sa mère. Sa mère trop sensuelle n’est ici qu’une projection de son sentiment de culpabilité.

Aujourd’hui ce sont des sentiments ambivalents qui dominent à l’égard de sa mère. « Quand je la vois, toute mon enfance me saute à la tête. Je l’aime tellement et puis elle m’exaspère. Elle m’énerve comme quelqu’un qu’on aime beaucoup et qui meurt entre vos doigts. Ça rend fou. Quand je lui fais des reproches, c’est toujours pour la dresser contre papa. Elle a trop de scrupules. « 

J’ai dit plus haut que les névrosées, dans leurs attirances homosexuelles, cachaient souvent une simple identification avec une autre femme qui était arrivée par son attitude à faire souffrir les hommes. Nous voyons ici qu’Yvonne ne peut pas opérer cette identification avec sa mère et qu’elle se refuse à une identification qui l’obligerait à reconnaître une part de sa féminité. C’est là un des motifs de son ambivalence à l’égard de sa mère. Cette attitude ambivalente à l’égard du père et de la mère lui dicte des attitudes extrêmement diverses à l’égard des femmes. Voici ce qu’elle disait un des premiers jours de son analyse.

« Je déteste les femmes; elles sentent que je ne les aime pas. C’est ce qui fait que j’ai peur d’elles. Je ne m’approche que des femmes qui s’approchent de moi. Je n’aime aucune sorte de femme; les jeunes sont dès rivales; les plus âgées et non mariées me font mal, tellement j’en ai pitié; celles qui sont mariées, je les jalouse. J’aime tellement les hommes qu’il me paraît parfois que je suis un homme. J’ai alors des fantaisies masculines. On m’a pourtant toujours dit que j’étais très féminine (c’est en effet le cas. R. de S.). Quand papa n’est pas là, je deviens le mari de maman. Je sens qu’elle a besoin d’un homme et je m’adapte à ce rôle. »

Au moment où elle extériorisait son complexe de castration, elle avait un autre jugement que voici.

 » Ces temps je trouve tous les hommes laids, leur figure est laide. Je trouve les femmes assez jolies, elles sont très gentilles. C’est juste le contraire d’avant. »

On voit qu’Yvonne, malgré ses complexes de castration et de masculinité, n’a pas entièrement renoncé à son rôle de femme. Dans une multitude de rêves, elle témoigne d’une féminité normale. Mais précisons son attitude dans quelques fixations homosexuelles qu’elle a eues.

Le premier incident important s’est passé à l’âge de dix-huit ans avec Annie, jeune fille très garçonnière. Elles font un séjour ensemble et partagent le même lit.  » Elle me caressait et m’embrassait. Ça me faisait infiniment plaisir. Nous sommes rentrées avec des mines affreuses. Ensuite je n’ai rien mangé pendant des semaines. Je dormais mal. Il y avait une attraction incroyable entre nous. Avec elle j’entrais dans un autre monde. »

Cet incident donna à Yvonne une brusque issue à sa libido toujours refoulée. Mais cela ne devait pas être pour longtemps. Rentrée à la maison, elle déplaça cette affection sur sa soeur aînée. Mais ici l’inceste entrait en jeu et les deux soeurs ne s’embrassaient jamais et ne se caressaient jamais. De plus cette soeur se maria et, la jalousie s’en mêlant, les sentiments devinrent ambivalents.

Depuis lors, Yvonne ne put jamais réaliser une homosexualité avec ses amies, car elle projetait toujours sur elles les sentiments ambivalents qu’elle avait eus à l’égard de sa soeur. Mais en face de deux amies elle avait des désirs de les étreindre, comme si elle était un homme. Elle arrive du reste fort mal à analyser ses impressions dans ce domaine. « Quand je suis avec Jeanne, je ne sais si je l’aime ou si je la déteste, mais je sens que je ne puis plus me marier. Il faudrait que je me marie avec elle. »

Au reste toutes ces manifestations sont empreintes d’un sentiment de culpabilité énorme, comme en témoigne le récit du rêve suivant.

« J’ai une fois rêvé de Jeanne. Il m’ennuie ce rêve maintenant, mais il ne m’avait pas ennuyé au moment même. Elle était au lit. J’étais à côté de son lit. Je l’aimais beaucoup… mais je n’aime pas vous dire ça, parce qu’elle n’a rien fait de semblable. Elle avait… C’est dégoûtant… je ne peux pas dire… Elle avait décroché sa chemise, elle s’est dévêtue, elle voulait que… mais non, c’est affreux ça. Elle a voulu que je regarde ses organes. J’ai compris. Au fond j’aimerais la voir. Je trouvais que c’était elle qui voulait me les montrer. Je lui disais : Je veux bien les voir si tu m’aimes. Je les ai regardés. C’est très sale, c’est dégoûtant. J’avais trouvé que c’était laid, que la fente était plus longue qu’aux autres personnes. »

5° LE COMPLEXE ANAL.

Il ne faut pas oublier qu’Yvonne est une obsédée et c’est pour cette raison que son homosexualité prend aussi un caractère spécial. Il nous faut maintenant revenir à la question des habits. Voici, après un an d’analyse, la conversation que nous eûmes, Yvonne et moi, conversation qui fut le point de départ d’une nouvelle phase de l’analyse.

« Quand vous m’avez dit : Il faut que vous arriviez à acheter ce manteau, ça m’a fait mal entre les jambes.

— Pourquoi entre les jambes ?

— Je ne voudrais pas dire. Ce n’est pas nécessaire. Je ne sais pas… Je ne suis pas sûre… oui, parce que si j’achète, je voudrais aussi des relations sexuelles et alors j’ai un sentiment de perversité. Je dis perversité, parce que je désirerais ces relations avec des hommes de ma famille. Je sens que ce serait mal moralement, mais ce ne serait pas vraiment une perversion. Il y a eu une longue période de ma vie où j’ai acheté des habits pour exciter les hommes de ma famille. Et puis, ça me mettait en colère parce qu’ils me faisaient des remarques. »

Les jours suivants, elle précise et dit que lorsque son frère lui a donné de l’argent, il lui semble être en possession de la puissance virile de son frère et elle ne veut pas s’en défaire.. Elle le veut d’autant moins que ce serait pour acheter un habit féminin, partant, échanger sa virilité contre sa féminité.

Ici la virilité, symbolisée par de l’argent, montre bien qu’il s’agit d’une régression anale, car nous connaissons la valeur fécale de l’argent. Nous renvoyons le lecteur pour toute cette argumentation à l’excellent article du Dr Odier[xlvi].

Au reste, cette interprétation a rappelé deux souvenirs qui montrent bien le rôle de l’érotique anale chez Yvonne. Lorsque, enfant, elle habitait dans la chambre de son père, son lit était placé perpendiculairement à celui de son père. A cet âge elle avait peur, et il s’agissait probablement d’un désir refoulé, que son père ne commette sur elle un coït anal. Certainement se joignait à cette fantaisie l’idée de châtrer son père et de retenir dans son rectum le pénis paternel. Voici l’autre souvenir qui semble confirmer cette façon de voir.

A huit ans, elle est prise d’une telle terreur à l’idée qu’on lui a donné un vermifuge qu’elle oblige sa mère à rester auprès d’elle toute la matinée. Elle précise son angoisse ainsi : « J’avais peur de voir le ver dehors et encore plus peur qu’il ne sorte qu’à moitié. »

Elle-même rapprocha l’idée du ver du pénis de son père.. Garder le ver, c’était garder la masculinité, comme plus tard garder l’argent c’était acquérir la masculinité de son frère. Après avoir sorti ses souvenirs d’enfance, elle avoue que l’anus a pour elle plus d’intérêt que le vagin. Elle s’onanise par l’anus. Il s’est fait une vraie régression sur cette zone érogène. Yvonne ne va pas aux cabinets, mais sur son vase. « Ça me paraîtrait un trop gros sacrifice d’aller directement aux cabinets. Je ne peux pas abandonner mes matières sans les voir. Je me dis souvent : il faudrait regarder s’il n’y a pas des oxyures. Pourtant, je n’ai aucune inquiétude sur mes selles. Les matières ont une valeur de puissance pour moi. C’est par- fois si fort que cela m’empêche d’avoir mes règles. Le déplace- ment est tel que mes règles me paraissent un chien dans un jeu de quilles. »

L’analyse qui n’est point encore achevée n’a pas liquidé ce complexe. Dernièrement encore, Yvonne me donnait les associations suivantes, qui sont bien caractéristiques.

Rêve. —  » Je vois un ver étendu, je le coupe puis je lui creuse le dos en me disant : « Est-ce qu’il supportera encore ça ?  » Il meurt et je me dis : « Ah oui ! il n’a pas supporté. » J’en ai une joie sadique.

Dans ce rêve, elle remplace le ver (organe masculin) par un anus (trou dans le dos).

Associations.— « Je suis mal à l’aise. L’analyse me fait peur. Ça m’énerve dans le dos et c’est le summum de ma peur. Je vous sens arriver dans mon dos. Je pense qu’en me cou- chant sur le dos je ne risque rien, mais alors je serais obligée de rire. Il faudrait que je me bande les yeux, mais j’aurais peur derrière mon bandeau, vous pourriez me surprendre… » Parle ensuite de la peine qu’elle a à renoncer à son transfert sur moi. « Et puis, il faudrait que je renonce à ce que Jacques soit mon enfant. Ce n’est plus un enfant, etc. »

Il est probable que derrière ces associations se cache une théorie anale de la naissance et, par suite, une théorie anale du coït qui aurait pu être déclenchée par la vue du rapport entre le taureau et la vache.

Le problème de l’homosexualité s’intrique aussi dans ce complexe anal. Car, au moment d’acheter la robe, la peur de la dépense (peur de perdre sa virilité) oblige Yvonne à choisir un vêtement qui gardera certains attributs masculins, par compensation à la dépense. Je dis certains attributs parce que, par ailleurs, nous savons que l’habit doit exciter la sexualité du frère aîné et du père, par conséquent doit être essentiellement féminin. Cette contradiction est un des éléments de l’hésitation. Il s’ensuit une régression anale où Yvonne, renonçant à tout achat, se complaît dans les habits vieux et sales.

Cette complexité sexuelle intérieure oblige Yvonne à pro- jeter tantôt sa féminité, tantôt sa masculinité sur d’autres femmes, d’où ce choix de l’objet qui répond tantôt à un type masculin, tantôt à un type féminin.

Nous ne voulons pas allonger ce rapport en exposant d’autres cas cliniques. Si nous avions la place de le faire, nous au- rions l’occasion de montrer que chez chaque malade il y a un important facteur individuel et que l’on ne peut pas donner une formule des fixations homosexuelles, valables pour toutes les névrosées.

CONCLUSIONS

A la base des fixations homosexuelles, il y a toujours une forte bisexualité qui vient de ce que la femme n’a pas pu accepter sa féminité. Ce refus est conditionné par l’idée de castration et l’envie du pénis.

L’envie du pénis a deux étapes : une première dans la toute petite enfance, animée surtout par l’érotique urétrale et le dé- sir d’exhibitionnisme ; une seconde, qui se réveille surtout à partir du moment où la fillette comprend qu’elle n’aura jamais de pénis et que toutes les femmes sont dans ce cas. C’est alors qu’éclot la révolte et que la fillette cherche des compensations à son infériorité (matières fécales, seins, enfant, etc.). Cette révolte peut prendre des chemins assez différents que nous avons étudiés au cours de ce rapport.

Ici, le désir d’un enfant peut être le point de départ d’une identification avec la mère et d’une évolution normale. Mais, si les désirs de masculinité ont été éveillés d’une façon trop forte, cette identification avec une femme devient impossible et la fillette, comme notre malade, s’identifie avec le père pour donner à la mère un enfant.

Suivant les cas, on voit alors que les fixations homosexuel- les correspondent à des projections de la malade. Le plus sou- vent, la névrosée projette sa féminité sur sa mère (voir notre malade et Mme Dupont[xlvii], et ensuite sur d’autres femmes qui continuent de représenter la mère). Mais, presque aussi sou- vent, la malade, par dépit de ne pas pouvoir satisfaire ses tendances masculines, exagère ses qualités féminines, devient narcissiste à l’excès et se mire en quelque sorte dans d’autres fem- mes qui ont à un haut degré le narcissisme féminin. Dans ces cas, la malade, tout en restant femme, projette sa féminité sur d’autres. C’est une identification avec elle-même. Enfin, dans les fixations homosexuelles, nous voyons certaines femmes qui se refusent aux hommes se donner à d’autres femmes qui ont su faire souffrir des hommes. C’est une identification avec leur idéal d’agressivité, avec leur sur-soi, dirait Odier.

Dans mon expérience personnelle, je n’ai jamais rencontré dans les fixations homosexuelles (j’excepte ici les lesbiennes réalisant leur homosexualité) de femmes qui s’attachent à d’autres, qui pour elles représentent l’homme. Je pense que s’il devait se confirmer que ce cas ne se présente pas, cela tiendrait au fait que ces névrosées sont encore ambivalentes et que, si elles présentent des fixations homosexuelles, elles présentent par ailleurs et en même temps des fixations hétérosexuel- les.

Nous avons exposé sommairement un très vaste sujet. Nous sommes bien loin de l’avoir épuisé, mais nous aurons atteint notre but si nous avons pu amener quelques-uns de nos con- frères à s’y intéresser et provoquer ainsi la publication de nouvelles observations cliniques.



[i] RICKMAN : Index Psychanalyticus, 1893-1926, Londres, Hogarth Press, 1928, 276 pages.

[ii] WESTPHAL : Die conträre sexual Empfindung, Symptom eines nevropatischen Zustandes. (L’inversion sexuelle, symptôme d’un état névropathique.) Arch. f. Psychiatrie, t. Il, 1870.

[iii] CHARCOT et MAGNAN : L’inversion du sens génital. Arch. de Neurologie, t. III, 1882, p. 54 ;. ZUCCARELLI : Inversiove congenita dell’instinto sessuale in due donne. Naples 1888. Havelock Ellis, etc.

[iv] O. MULLER : Ein Fall von Gynäkophobie. Zschr. f. Psychiatrie, 1882, p. 94.

[v] CHEVALIER : L’inversion sexuelle. Paris 1893.

[vi] MOLL : L’inversion sexuelle basée sur les documents officiels (Traduction Pactet et Romme, 1893).

[vii] LAURENT : Les bisexués, gynécomastes et hermaphrodites, 1894; FERÉ : L’instinct sexuel. Paris, Alcan 1902, p. 257 et 362.

[viii] KRAFFT-EBING : Psychopathia sexualis. Stuttgart, Enke 1901 (1re édit.).

[ix] FREUD : Drei Abhandlungen zur Sexual theorie. Vienne. Deuticke, 1905. Hysterische Phantasien und ihre Beziehungen zur Bisexualität. Zcitschr. f. Sex. Wien, 1908. Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci, 1910. Psa. Bemerkungen über einen Fall von Paranoia, 1911, etc.

[x] FREUD : Sur la Psychogenèse d’un cas d’homosexualité férninine. Zsch. f. Psa., t. VI, 1920, p. 1 à 24.

[xi] Magnus HIRSCHFEI.D : Die Homosexualität des Mannes und des Weibes. Marcus, Berlin, 1914 (2e éd., 1920, 1067 p.).

[xii] LOEWENFELD : Homosexualität und Strafgesetz. Wiesbaden, 1908 ; STIER : Zur Aetiologie des conträren Sexualgefühls. Monatsschriften f. Psych. u. Neurol., t. XXXII, 1912, p. 221; BLOCH : Sexualleben unserer Zeit ; ROEMER : Die urnische Familie. Amsterdam ; SADGER : Zur Aetiologie der conträren Sexualempfindungen. Med. Klinik, 1909; FERENCZI : Zur Nosologie der männlichen Homosexualität. Zeitschr. f. Psa., t. II, p. 131.

[xiii] LAFORGUE : La Pratique psychanalytique. Revue fr. de Psa., t. II, fasc. 2.

[xiv] SADGER : Allerlei Gedanken zur Psychopathia sexualis. Nette Acrztlche Zentralzeitung, 15 mai 1918.

[xv] R. SENF : Psychosexuelle Intuition. Zeitschrift f. sex. Wissenschaft, t. VI, p. 81.

[xvi] SADGER : Neue Forschungen zur Homosexualität. Berliner Klinik, février 1915, Heft 315.

[xvii] ALLENDY : Un cas d’eczéma. Revue fr. de Psa., t. II, fasc. 2, p. 332.

[xviii] FERENCZI : Gulliver Phantasien. Zeitschr. f. Psa., 1927, p. 383-384.

[xix] ABRAHAM : Aeusserungsformen des weiblichen Kastrationskomplexes. Zeitschr. f. Psa., t. VII, 1921, p. 422-452. Voir aussi JONES : Bemerkungen zu Dr. Abrahams Aeusserungsformen, etc. Zeitschr. f. Psa., t. VIII, 1922, p. 329, et EISLER : même titre, ibidem p. 330. Antérieurement à l’article d’Abraham, il faut citer les deux importants articles de OPHUIJSEN : Beiträge zum männlichkeitskomplex der Frau. Zeitschr. f. Psa., t. IV, 1917, p. 241 et suiv. et STAERKE : Der Kastrationskomplex. Zeitschr. f. Psa., t. VII, 1921, p. 9 à 32.

[xx] Il y aurait un long chapitre à écrire sur ce symbolisme; nous voudrions ici, en passant, relater une théorie de l’acte sexuel d’une de nos malades qui souffrait d’un intense complexe de castration. Cette jeune fille, quoique ayant sur l’acte sexuel des notions exactes depuis plusieurs années, s’est refusée jusqu’à l’âge de dix-huit ans à reconnaître la réalité, et elle s’imaginait que l’acte sexuel devait se passer par les seins. N’ayant point: de pénis, elle ne pouvait accepter ce mode de coït; les seins, au contraire, lui donnaient une supériorité sur le partenaire masculin.

[xxi] FREUD : Der Tabou der Virginität (1918). Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre. Vienne, Deuticke, t. IV.

[xxii] EISLER : article précité.

[xxiii] Hans SACHS : Der Wunsch ein Mann zu sein. Zeitschr. f. Psa., t. VI, 1919, p. 252.

[xxiv] LEWIS : Psychology of the Castration. Complex. Psa. Review., t. XI\ et XV, 1927 et 1928.

[xxv] Karen HORNEY : Zur Genèse des weiblichen Kastrations Komplexes. Zschr. f. Psa., 1923, p. 12 à 26 et Flucht aus der Weiblichkeit. Ibidem t. XII, 1926, p. 360-374.

[xxvi] Nous nous excusons de résumer ici si longuement des travaux connus de ceux qui lisent l’allemand et l’anglais, mais nous croyons nécessaire de le faire pour nos confrères de langue française, d’autant plus que ces mémoires servent de base à un grand nombre de points de » la théorie psychanalytique.

[xxvii] Georg SIMMEL : Philosophische Kultur.

[xxviii] FREUD : Die infantile Genitalorganisation (Ges. Schriften, t. V) a montré que dans les deux sexes il existait un âge où l’enfant ne connaissait qu’un organe génital, celui du garçon. C’est ce qu’il a appelé la phase- phallique.

[xxix] Ceci n’est pas toujours le cas et la peur de la castration peut aussi amener à une disposition homosexuelle chez l’homme. L’opposition de réaction chez le garçon et la fille a du reste été envisagée un peu différemment par Freud qui écrit : « Tandis que l’OEdipe du garçon disparaît par le complexe de castration, l’Œdipe de la fille, au contraire est rendu possible et est introduit par ce. complexe » (l’envie du pénis évoluant en une envie d’avoir un enfant du père). Cette différence est due à la différence anatomique des sexes (voir Freud: Einige Psychische Folgen des anatomischen Geschlechtsunterschieds : Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique des sexes. Zeitsch. f. Psa., t. XI, 1925).

[xxx] ABRAHAM : Versuch einer Entwicklungsgeschichte der Libido. Essai sur l’histoire du développement de la libido. Internat. Psa. Verlag., 1924.

[xxxi] Paul BOUSFIELD (Londres) : The Castration Complex in Women. Psa. Review, t. XI, 1924, p. 121 à 143.

[xxxii] Béatrice HINKLE : On the arbitrary use of the terms « Masculine  » and « Feminine ». Psa. Review, t. VII. 1920, p. 15 à 30.

[xxxiii] Hélène DEUTSCH : Psychanalyse der weiblichen Sexualfunktionen. Zeitschr. f. Psa. 1925.

[xxxiv] FERENCZI : Versuch einer Genitaltheorie. Intern. Psa. Verlag.

[xxxv] FREUD : Uber die Psychogenese eines Falles weiblicher Homosexualität. Zeitschr. f. Psa., t. VI, 1920, p. 1 à 24.

[xxxvi] SADGER : Die Lehre von der Geschlechtsverirrungen. Études sur les déviations de l’instinct sexuel. Leipzig, 1921, p. 173 et 185.

[xxxvii] LAFORGUE et ALLENDY : La Psychanalyse et les Névroses. Paris, Payot, 1924, p. 100, obs. 11.

[xxxviii] JONES : Die erste Entwicklung der weiblichen Sexualität. Zeitschr. f. Psa., t. XVI, p. 11 à 25. Cet article paraît traduit in extenso dans notre revue.

[xxxix] On reconnaîtra ici le type de la fausse victime décrit par Laforgue (voir LAFORGUE : Pratique psychanalytique. Revue fr. de Psa., t. II fasc. II).

[xl] SACHS : Uber einen Antrieb bei der Bildung des weiblichen Uber-Ich. Sur une compulsion dans la formation du surmoi féminin. Zschr. f. Psa., t. XIV, fasc. II, 1028. Sachs a montré que l’érotique orale avec ses tendances sadiques dirigées sur le sein de la mère se reportait ensuite, comme stade ultime de. l’OEdipe, sur le pénis du père. Puis, ne pouvant donner libre cours à ses fantaisies, la fillette se détache du père réel et introjecte le père en elle. A partir de ce moment, son sadisme se retourne contre elle- même. C’est un mécanisme que nous avons pu retrouver de façon très nette chez une homosexuelle très refoulée et il ne doit pas être rare chez ces femmes qui ont toutes, comme l’a montré Jones, une phase sadique orale très prononcée.

[xli] FREUD : Psychoanalytische Bemerkungen über einem autobiographisch verschrichenen Fall von Paranoïa. Jahrbuch f. Psa. Forschungen, t. III, 1911, p. 9-68.

[xlii] Une de ses amies suédoises avec laquelle elle a eu un épisode homosexuel.

[xliii] FREUD : Ein Kind wird geschlagen. Zeitschr. f. Psa., 1919, p. 151-171, et Freud : Le problème économique du masochisme. Revue fr. de Psa., T. 2, fasc. II,. p. 211 et suivantes.

[xliv] Cette impression d’un organe trop gros, qui a été aussi signalée par Karen Horney, vient de ce qu’Yvonne a toujours, en vue l’organe de son père qu’elle venait quand elle était elle-même une petite fille de six ans. A ce propos, il est intéressant de rappeler un souvenir-écran dont elle m’a fait part dans les premières séances de l’analyse. A cinq ans, en sortant de l’hôpital, son père lui a soigné son oreille pendant plus d’un an. « Il me prenait entre ses jambes, dit-elle, et il introduisait un coton dans mon oreille. Mais ses doigts étaient trop gros et me faisaient souvent mal ». Il est bien possible qu’à cet âge déjà où elle pratiquait l’onanisme et où on avait déjà introduit un thermomètre dans sa vulve, ce qui avait provoqué chez elle une grande anxiété, elle ait eu le désir que son père entre ailleurs que dans l’oreille. En tous cas, elle parle toujours des mains avec beaucoup de crainte et un jour elle avoua que, lorsque qu’elle était dans la même chambre que son père, elle aurait voulu attirer les mains de son père contre ses organes. Les mains de son père, elle les trouvait aussi trop grosses.

Au sujet du symbolisme des mains chez Yvonne j’ajoute qu’elle a gardé ses gants pendant les premiers mois de son analyse, ce qui était une façon de ne pas exhiber sa masculinité devant moi. Plus tard, il lui est aussi souvent arrivé de les tenir cachées derrière son dos.

[xlv] Le résultat de cette ambivalence a été qu’à plusieurs reprises Yvonne a cherché à transférer ses sentiments positifs sur ses frères et elle a été successivement amoureuse de tous les trois, mais très rapidement l’agressivité dirigée primitivement contre le père se transférait aussi sur les frères. Depuis l’âge de dix-huit ans, les sentiments amoureux qu’elle a pu avoir pour d’autres jeunes gens n’ont été que des substitutions de ses sentiments pour ses frères; ils étaient accompagnés de sentiments de culpabilité les plus vifs et ils ont tous échoué.

[xlvi] ODIER : L’argent et les névrosés. Rev. fr. de Psa., T. 2, fasc. 4.

[xlvii] ODIER : La névrose obsessionnelle. Revue fr. de Psa., T. 1, fasc. 3.

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