R. Loewenstein: De la passivité phallique chez l’homme (1935)

1935, VIII, 1, p. 36-43. D’après une conférence faite à la Société psychanalytique de Paris, en juin 1934, et une communication au Congrès international de Psychanalyse, à Lucerne, en 1934. In RFP, 1/1987

I: De nombreux travaux psychanalytiques récents ont eu pour objet l’évolution de la fonction génitale, tant chez l’homme que chez la femme. Plus particulièrement, sa première étape, la phase phallique, a été étudiée par plusieurs psychanalystes, à commencer par Freud, et ensuite par Mmes Marie Bonaparte, H. Deutsch, Lampl-de-Groot, Ruth Mack- Brunswick, et par MM. Jones, Fenichel et Rado.

Au cours d’une conversation, Mme Marie Bonaparte me mit au courant de ses recherches sur « la phase phallique passive » chez la fillette. Cette notion, confrontée avec l’évolution de la fonction génitale chez le garçon, me permit de mieux comprendre certaines particularités du comportement génital de nombreux hommes, atteints ou non de troubles de la puissance virile.

Rappelons brièvement les faits, à commencer par ceux du domaine de la pathologie, qui, par leur accentuation même, permettent de bien mettre en relief leurs singularités.

Il est bien connu qu’un grand nombre d’hommes atteints de troubles de la puissance sexuelle ne présentent des inhibitions, telles que la chute de l’érection ou son absence, que dans certaines circonstances, comme par exemple, toutes les fois que leur partenaire montre la moindre manifestation de résistance, et qui ne peuvent accomplir le coït qu’avec une femme non seulement consentante, mais prenant les devants.

L’on sait que, chez ces hommes, l’inhibition provient d’une peur de la castration, et que cette peur est liée à des événements de leur enfance.

Or, très souvent, on trouve, au cours de leur analyse, que ces garçons ont fait une tentative de séduction auprès de leur mère ou de son substitut, tentative ayant rencontré un refus ou une menace. Ces tentatives de séduction ont généralement des caractères puérils, correspondants au stade de leur évolution sexuelle, et qui, aux yeux de l’adulte non prévenu, sont à peine reconnaissables comme actes de séduction. Ainsi, le petit garçon essaie de surprendre sa mère déshabillée, et s’enhardit parfois à vouloir lui toucher les seins, les fesses, et parfois même la région génitale; une forme fréquente de ces tentatives de séduction, c’est la masturbation en présence de la mère, par exemple au moment des soins de toilette, et qui a le sens d’une invite à sa mère à lui toucher la verge. Parfois ces tentatives de séduction prennent une forme paradoxale, méconnaissable au premier abord : le garçon, auquel la masturbation a déjà été interdite sévèrement, se masturbe néanmoins en présence de sa mère, comme pour provoquer une nouvelle interdiction, une menace, voire un châtiment. Le sens de ce comportement est que, en se faisant surprendre et punir, le garçon contraint ainsi sa mère à participer quand même à cette masturbation. Le refus auquel se heurte le petit garçon et la menace de castration qui y est souvent jointe sont fréquemment de ces traumatismes qui contribuent à mettre fin à l’activité génitale infantile.

Or, les inhibitions sexuelles auxquelles nous faisions allusion plus haut se ramènent à ces traumatismes de telle façon que l’adulte semble attendre de la femme la «permission» d’avoir des rapports avec elle, permission nécessaire pour contrebalancer les effets de l’interdiction datant de l’enfance. L’on sait que parfois même il suffit d’une seule de ces « permissions » données à un jeune homme inhibé par une femme remplaçant la « castratrice » de l’enfance, pour libérer définitivement sa génitalité de la « malédiction » dont elle était frappée. Mais, habituellement, les «permissions » données par la femme doivent être réitérées, et aller jusqu’aux importants détails du coït même, tels que l’introduction de la verge pratiquée par les soins de la femme elle-même. Les hommes qui ont besoin de cette activité de la femme prétendent souvent ne rien connaître à la conformation des organes féminins, organes qu’ils n’osent jamais regarder, et ils « oublient » en pratique comment ces organes sont faits si par hasard ils se sont donné la peine de les étudier dans un manuel d’anatomie. Nombreux sont les cas de troubles de la puissance sexuelle dont l’érection fléchit précisément au moment de la pénétration, chez lesquels l’aversion inconsciente des organes de la femme prend la forme de l’horreur du « vagin denté ». Or, il est surprenant que, chez des hommes dont la peur du « vagin denté » fasse disparaître l’érection, la pénétration de la verge dans un organe réellement denté, c’est-à-dire la bouche de la femme, puisse être accompagnée d’érection et d’éjaculation. Parfois cette électivité de l’impuissance vis-à-vis du vagin est soulignée en plus par les faits suivants : lorsque l’homme, n’ayant pu pénétrer normalement et ayant recours à la fellation pour rétablir son érection, tente à nouveau le coït, son érection tombe une fois de plus, et il ne peut parvenir à éjaculer que par des caresses buccales. Ce paradoxe, d’une importance clinique réelle, réclame une explication.

L’un de mes patients m’expliqua l’intégrité relative de son automatisme génital pendant la fellation, automatisme inhibé lors du coït, de la façon suivante : «Je n’ai rien à faire, disait-il, c’est la femme qui fait tout.» Or, cette singulière façon de voir les choses est étayée par le fait que chez la plupart des hommes dont l’automatisme génital est conservé au cours de la fellation, cet automatisme demeure également intact lorsqu’ils se font masturber par une femme. Seule, chez ces hommes, la pénétration active est inhibée.

On est amené à distinguer ainsi chez ces hommes deux formes de la fonction génitale: l’une, active, qui aboutit à la pénétration, au coït; et l’autre, ayant des buts passifs, aspirant à des caresses venant du dehors, que ce soit d’une autre personne ou de la main du sujet même.

Ces deux aspects de la fonction génitale, actif et passif, sont le reflet de deux phases de l’évolution infantile de cette fonction.

En effet, dans toutes les analyses où l’amnésie infantile a pu être levée d’une façon sûre et inéquivoque, nous avons observé que les premières manifestations de la phase phallique étaient représentées par des tendances, des désirs et des actes à buts passifs: faire voir, faire toucher ou toucher soi-même sa verge. Ces manifestations génitales débutent dès la première enfance, comme le savent les psychanalystes. Je tiens, malgré cela, à signaler ici un cas que j’ai pu observer de mes propres yeux, il y a de cela quelques années. Un garçon, âgé alors de 5 mois, se mettait en opistothonos et tendait pour ainsi dire sa verge à sa mère, toutes les fois que celle-ci, en faisant sa toilette, approchait sa main de la région génitale de son enfant, et il poussait à ces moments des grognements de joie accompagnés d’une mimique non équivoque. Cet enfant, qui est actuellement âgé d’une dizaine d’années, est un garçon tout à fait normal, tant physiquement que moralement.

La phase phallique de l’évolution de la libido, dans la grande majorité des cas que nous avons pu analyser, est caractérisée par une fonction des organes génitaux à buts purement passifs. Les buts actifs de la fonction génitale, la pénétration, n’apparaissent que plus tard, et cela souvent sous forme de phantasmes vagues et imprécis. Cependant, une forme de but sexuel, pouvant être considérée comme intermédiaire entre les buts passifs et les buts actifs, celui du frottement de la verge contre des objets ou le corps d’une femme, peut apparaître assez tôt.1

Il conviendrait donc, à notre avis, de distinguer, dans la phase phallique, deux stades : le stade passif et le stade actif. Le stade passif fait son apparition le premier, et englobe même, d’après nos observations, la phase du complexe d’Oedipe. En effet, les buts sexuels des désirs incestueux du petit garçon ont un caractère nettement passif, tout en pouvant coexister avec des buts actifs de pénétration commençant à se faire jour à la même époque. Dans certains cas, l’activité masturbatoire de la puberté débute par des actes génitaux purement passifs2. Ces garçons font subir à leur verge des traitements plus ou moins violents, et parviennent ainsi à l’orgasme, sans aucun simulacre de va-et-vient ou de pénétration. Chez certains d’entre eux, l’évolution peut suivre ensuite un cours normal, mais la plupart resteront des masturbateurs habituels, pour lesquels la masturbation sera toujours une satisfaction plus complète que le coït.

II: L’analyse d’un homme atteint de troubles de la puissance sexuelle, relativement graves, m’a permis de mettre au jour les liens existant entre la passivité phallique et les troubles éjaculatoires. C’est un homme d’une quarantaine d’années, qui affirmait avoir deux sortes d’érections et qui ignora, jusqu’à l’analyse, laquelle des deux était l’érection normale. L’une, celle qui est évidemment normale, caractérisée par une rigidité de la verge entière, qui lui avait permis jadis, rarement, d’avoir des coïts relativement prolongés, et qui se présente encore parfois lorsqu’il se trouve en présence d’une femme. Mais, dès qu’il veut accomplir le coït, et ses partenaires sont actuellement des prostituées, l’érection tombe, pour être remplacée par l’autre forme d’érection, caractérisée par un gonflement considérable du gland seul, et la flaccidité du reste de la verge. Cette forme d’érection, de pseudo-érection, rend toute pénétration impossible, mais elle n’empêche pas la fellation, à laquelle il a recours alors généralement. La fellation permet à l’automatisme génital de se dérouler jusqu’au bout, mais, chose importante, l’éjaculation qui s’ensuit est extrêmement rapide et ne se fait pas en saccades, comme c’est le cas normalement, mais d’un seul jet. Or, cette éjaculation a lieu précisément lorsque l’automatisme génital se déroule d’un bout à l’autre, grâce à des excitations de nature purement passive.

Dans d’autres cas encore, nous avons pu observer que, aux excitations génitales purement passives, correspond une éjaculation rapide non saccadée d’un seul jet, éjaculation accompagnée d’un orgasme plutôt faible, même un peu pénible.

Je ne citerai, de plusieurs cas observés, qu’un exemple qui me paraît particulièrement probant; c’est celui d’un homme chez qui, suivant la nature des excitations, l’éjaculation et l’orgasme pouvaient avoir soit le caractère normal, soit le caractère « asthénique » (selon l’expression de M. S. Higier) que nous venons de décrire. Cet homme réussissait à avoir l’un ou l’autre orgasme, suivant qu’il restait immobile jusqu’au bout sous les caresses de la femme, ou bien que, sentant l’orgasme approcher, il se livrait à des mouvements de va-et-vient qui, eux, entraînaient l’orgasme normal.

Or, le lien qui unit cette sorte de troubles éjaculatoires aux cas d’éjaculation précoce caractérisés est évident. Pour ce qui est de cette dernière affection, les travaux d’Abraham ont nettement établi que l’éjaculation précoce est en rapport étroit avec l’érotisme urétral de ces sujets. L’éjaculation asthénique étant, pour l’inconscient de ces hommes, un équivalent de la miction. Les travaux de MM. Ferenczi, W. Reich et Fenichel ont nettement établi l’empreinte des stades prégénitaux de la libido sur certains troubles de la fonction génitale.

L’influence que peuvent avoir les stades prégénitaux de la libido sur l’évolution de la fonction génitale, ainsi que sur ses troubles ultérieurs, tient à notre avis à cette particularité, qu’elle s’exerce sur une période de la fonction génitale où cette dernière a des buts essentiellement passifs, c’est-àdire que les organes génitaux du garçon dans cette période de leur évolution ne se comportent en somme pas autrement que toute autre zone érogène, comme par exemple le mamelon de la femme, ou encore mieux le clitoris, organes érectiles comme la verge de l’enfant, dont la fonction érogène a des buts purement passifs, ceux d’être caressés. C’est dans cette particularité que réside, à notre avis, la différence entre le stade passif de la période phallique et son stade actif. Avec l’apparition de ce dernier commence la primauté des organes génitaux sur les autres zones érogènes extra-génitales.

Nous avons vu tout à l’heure quelle importance avait le mouvement de va-et-vient de la verge, c’est-à-dire la tendance à la pénétration, pour différencier les formes active et passive de la fonction génitale. Ce fait nous ramène au lien qui existe, dans l’inconscient, entre les mouvements du corps, et particulièrement la marche, et la fonction génitale. Dans une communication, faite à la Société psychanalytique de Berlin, en 1924. J’ai signalé l’identité pour l’inconscient de la station debout, de l’apprentissage de la marche, la coordination et la maîtrise des mouvements du corps d’une part, et d’autre part de la fonction génitale active mâle.

Il n’est pas impossible que, pour le stade actif de la phase phallique, l’inconscient prenne pour modèle cette profonde modification, qui s’opère dans l’être humain vis-à-vis du monde extérieur, avec l’apprentissage de la marche. En effet, d’immobile et passif, le petit être humain, capable de se mouvoir, de se rapprocher des objets, devient actif. Un changement analogue, sur un autre plan, s’effectue en effet, au cours du passage au stade phallique actif, et plus particulièrement encore au stade de la primauté des organes génitaux, changement dans l’attitude libidinale et psychologique vis-à-vis des objets.

III: Il convient de préciser davantage la place que tient le stade phallique passif dans l’évolution de la libido et dans ces troubles. Le terme de passivité, que nous avons employé, s’applique aux buts sexuels inhérents à la fonction génitale de cette époque. Ce terme ne devrait donc pas être confondu avec son acception générale dans le sens de passivité féminine. En effet, le stade phallique passif existe chez les garçons ayant cependant une attitude et un comportement sexuel masculin agressifs, et dont l’évolution une fois achevée atteindra à la virilité normale. La passivité phallique, chez le garçon du moins, nous semble être de nature exclusivement érotique et identique au comportement des zones érogènes en général. Mais, secondairement, se produit l’interférence entre l’activité et la passivité phalliques d’une part, et d’autre part entre l’agressivité et le masochisme. Et cela de telle sorte que le refoulement de l’agression entraîne une régression de la fonction génitale vers un mode passif, renforcée cette fois par l’appoint du masochisme.

L’importance du sadisme refoulé, dans la pathogenèse de l’éjaculation précoce, signalée par Abraham, explique la régression vers le mode phallique passif caractéristique du comportement génital de ce trouble. Dans d’autres cas où l’érotisme urétral beaucoup plus faible ne prédispose pas le sujet à cette dernière forme d’affection, les troubles de la puissance sexuelle peuvent aussi être schématiquement caractérisés par une régression vers un comportement génital à but passif.

En effet, le tableau clinique de la grande majorité des hommes atteints de troubles de la puissance ne se borne pas à l’inhibition de la génitalité normale, mais se traduit aussi par la conservation ou la réapparition de satisfactions génitales sur le mode passif.

Le complexe de castration, principal facteur pathogène de l’éclosion des troubles de l’activité génitale normale, semble exercer ainsi dans la grande majorité des cas une action élective. Il inhibe la fonction génitale normale tout en épargnant l’exercice du mode passif de cette fonction. A notre avis, un dernier point encore peut être relevé dans le rôle de cette bipartition de la phase phallique chez l’homme.

Le résultat de certaines analyses nous fait penser que la fixation au stade phallique passif peut présenter une prédisposition à l’homosexualité d’un certain genre. Nous entendons par là l’homosexualité passive qui se traduit uniquement par des satisfactions génitales et à laquelle tout désir et toute satisfaction d’ordre anal paraissent étrangers. Les désirs de ces homosexuels, qu’on pourrait appeler phalliques, culminent dans des phantasmes dont le schéma est le suivant : leur verge, petite, est touchée par une grande verge, appartenant à l’homme aimé. Il est aisé de voir que ce phantasme dérive des désirs du complexe d’Oedipe dit renversé, passif, auquel la passivité phallique semble ainsi créer une affinité particulière.


Notes:

1 Nous connaissons le cas d’un homme chez lequel cette activité masturbatoire s’est étendue d’une façon ininterrompue de l’âge de 2 ans et demi jusqu’à l’âge adulte. retour

2 Mme Ruth Mack-Brunswick dans sa remarquable communication au Congrès international de Psychanalyse à Lucerne, en 1934, a exposé des vues au sujet de la phase phallique chez le garçon, qui concordent entièrement avec les nôtres. Elle place néanmoins l’âge de l’apparition du désir de pénétration plus tard que nous, vers la puberté seulement. retour

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