Joël Bernat : « L’éternel retour des contre-cultures, une nécessité »

La contre-culture est le plus souvent définie comme prenant son essor dans les sociétés industrielles capitalistes au cours des années soixante. Une telle définition, tout en étant juste, semble aussi réductrice et surtout occulter une dimension essentielle du phénomène de « contre ». En effet, rien dans ce mouvement ne semble bien original dans le fond, et l’histoire nous en montre de multiples exemples. Dès lors, la question est bien plus du côté de ce qui est en tension, et de l’éventuelle nécessité de ce « contre ».

Conférence faite le samedi 7 juin 2014 à l’Université Toulouse le Mirail, pour le Colloque international : « Contre-cultures » et littératures de langue allemande de 1960 à nos jours : entre subversion et utopies, organisé par les Laboratoires CREG et CEGIL, Achim Geisenhanslüke, Yves Hiel, Nadia Lapchine, Françoise Lartillot (éd), publié in Genèses de textes / Textgenesen. n°8/9: Contre-cultures et littératures de langue allemande depuis 1960. Entre Utopies et subversion, Peter Lang, Berne, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Warzawa, Wien, 2017.

 

« Je suis né dans les prairies,

là où les vents soufflent librement

et où rien n’arrête la lumière du soleil.

Je suis né là où il n’y a pas de barrières… »

Geronimo[1]

 

Je tiens à vous remercier de votre invitation, bien sûr, mais aussi pour autre chose de plus personnel, lié au fait de mon âge : le thème de ce colloque m’a amené à revisiter un temps particulier, celui de mon adolescence, et d’ainsi mesurer combien je fus imprégné de certaines notions, presque à mon insu, et combien ces influences ont pu faire destin en moi sur bien des plans. Alors, merci pour ce voyage que vous m’offrez !

Introduction

La conscience historique, au sens de Windelband[2], est un exercice coûteux et difficile, d’autant plus qu’il vient mettre à mal une conscience de notre histoire propre et son contexte vécu. Sans ce détour par l’inscription dans un temps plus vaste, nous restons dans la certitude que notre temps vécu est différent des temps qui nous ont précédés.

Ainsi en va-t-il avec la notion de contre-culture que certains ont côtoyée, d’où cette impression d’un mouvement nouveau et puissant : peut-être le fut-il mais pour notre seule histoire, peut-être le fut-il aussi pour soi d’autant plus si nous étions adolescents, c’est-à-dire en construction d’identité.

Je souhaite montrer qu’une contre-culture n’est qu’une incessante répétition d’une pensée et surtout d’un acte, afin de saisir ce qui se joue en arrière-plan et qui mène à cette répétition.

I Quelques principes de la contre-culture des sixties

Pour rappel, selon une définition anthropologique et sociologique, la culture est l’ensemble de mentalités, de mœurs, de normes, de valeurs et des aspects matériels d’un groupe d’humains. Ainsi toutes les cultures sont également respectables et la civilisation occidentale n’est qu’une simple culture locale.

Quant au terme de contre-culture, c’est un concept, c’est-à-dire que le mot donne une impression d’unité là où il recouvre une multitude de choses.

La Guerre Froide

En premier lieu, nous devons nous souvenir du contexte général : nous sommes dans la suite de la Seconde Guerre Mondiale mais pas dans la paix puisqu’il y a les guerres d’Indochine, de Corée, du Viêt-Nam, d’Algérie, etc., mais surtout, je pense, le plus important et le plus oublié de nos jours est le climat créé par la Guerre Froide, forme de menace permanente de destruction totale de la Terre et des humains, menace entre les mains de deux hommes, un Soviétique et un Américain. D’autres formes de guerres se déroulent aussi à l’intérieur des pays et, par exemple aux USA, règne entre autre une ségrégation raciale assez féroce[3] ou une chasse aux sorcières[4]. Le contexte d’alors n’est vraiment pas celui d’une paix. Ainsi naissent des mouvements qui anticipent la contre-culture à venir, que ce soient, pour les plus connus, la beat generation ou le rock’n’roll et leurs attaques, en premier lieu, des mœurs puritaines, car Éros est fréquemment le moteur des mouvements de contestation[5]. Attaques et luttes contre la guerre, pour les droits des femmes, les drogues, et une autre interprétation du rêve américain.

Le phénomène n’est pas, évidemment, exclusivement américain. En 1958 en Angleterre, entre 60 et 100 000 étudiants et pacifistes convergent vers Trafalgar Square, lors d’un acte de désobéissance civile[6], pour l’une des premières manifestations anti-nucléaire ; de là émergera l’un des premiers groupes contre-culturels promouvant un symbole de paix et de liberté[7], adopté ensuite par le mouvement hippie[8]. Le mouvement contre-culturel prendra plus d’ampleur durant l’intervention militaire américaine au Viêt-Nam en 1964[9].

Il est d’usage de penser que l’essentiel du mouvement contre-culturel eut lieu entre les années 1965 et 1972. Mais s’il semble focalisé sur la question atomique entre autres, il reprend ou prolonge un mouvement précédent.

La Beat Generation

La Beat Generation, qui a précédé la contre-culture des sixties, en a déterminé ou rappelé des principes essentiels : celui par exemple de retrouver le jaillissement pur de la pensée, le souffle avant que la pensée ne construise et ordonne académiquement. Et ce souffle ne peut que mettre fin à la conscience conditionnée d’une culture[10].

Ce terme de Beat Generation fut employé pour la première fois en 1948 par Jack Kerouac pour décrire son cercle d’amis. Le mot beat désignait depuis le XIXe siècle un vagabond du rail voyageant clandestinement à bord des wagons de marchandises. Peu à peu ce mot a pris le sens que lui ont donné les jazzmen noirs : beat en vint à signifier une manière de traverser la vie. Être beat devint « être foutu, à bout de souffle, exténué ». Le « beat » (« pulsation ») est aussi le « rythme » en musique.

Le terme beatnik, forgé à partir du mot beat et du nom du satellite russe Sputnik, était initialement péjoratif en cherchant à faire croire que les beats étaient une communauté de communistes illuminés en pleine période de maccarthysme.

La Beat Generation témoigne également d’un attachement profond aux grands espaces, à la nature et aux spiritualités chamaniques dans lesquelles l’homme est partie intégrante du Cosmos, au service de la Nature (position par exemple des Indiens d’Amérique[11]) et non l’inverse.

Au-delà de la variété des thèmes et contenus discursifs, des points communs sont repérables et résumables à quelques impératifs d’actions. Impératifs d’actions car une des grande particularité de ce mouvement de contre est bien plus d’agir que de dire ou de théoriser quelque utopie, même si des utopies sont à la source des actions. La contre-culture me semble être bien plus qu’un contre-discours, c’est un agir, un agir contre, et c’est peut-être justement en cela qu’elle est « dérangeante » et jugée subversive. Je vais essayer de décrire cet agir contre selon trois principes ou trois injonctions d’action parmi d’autres possibles.

1 : « Do it ! »

J’emprunte la première injonction à Jerry Rubin[12] (1938-1994) qui organisa les premières manifestations contre la guerre du Viêt-Nam et co-fonda le mouvement Yippies (Youth International Party), avec notamment Abbie Hoffman[13]. Un de ses slogans énonce que : « Une société qui abolit toute aventure, fait de l’abolition de cette société la seule aventure possible[14]. » Et c’est sur ce chemin qu’il s’est engagé en pratiquant l’activisme[15], au sens d’un agir hic et nunc, contre les discours, afin de créer son paradis en toute indépendance. Donc pas ou peu de discours, mais des actes contre l’utopie du dire et donc ses mensonges, car seul l’agir serait réel. Cela repose sur une opposition binaire classique : nature contre culture, otium contre negotium, individu contre masse et machines, etc.

Il s’agit de renverser les rapports de forces par une subversion systématique[16] afin de rendre à la société son vrai visage en lui ôtant son smoking pour dévoiler le porc sadique qui se cache en dessous. Dans la mythologie Yippie, le cochon représente les institutions de l’Amérike (le k est une référence à l’Amérique du KKK, le Ku Klux Klan) et Rubin a présenté Pigasus, un porcelet, aux élections présidentielles américaines, en précisant que ces animaux n’ont rien à voir avec les bêtes sauvages du gouvernement. Ou bien se rendre à une conférence communiste (il était un militant d’extrême gauche) et pendant son temps de parole faire écouter les Beatles à l’assemblée… Soit une apologie de l’activisme, la subversion pour la subversion, rien que la subversion, au point d’être convoqué plusieurs fois par la Commission des affaires anti-américaines (grande orchestratrice de la chasse aux sorcières). A chaque fois, il en fit une fête.

Il y a un envers à cet activisme, que lui reprocherons les Diggers de San Francisco[17] : d’être exactement pareil que les personnes qu’il combat, de manipuler les foules sans aucun scrupule, une manière de jouer avec l’intégrité physique des autres sans leur consentement[18].

Activisme qui ne va pas sans nous évoquer une position pulsionnelle et son expression libérée des refoulements culturels, et qui n’a que peu à voir avec ce que proposait Thoreau, « récupéré » pour l’occasion : « Retrouves l’être originel non fragmenté. C’est une source sauvage qui vibre bien au-delà des cadres d’une culture qui, plus que jamais, ne l’aperçoit dans son intégrité, tant elle le canalise en des formes convenues, destinées à être reproduites[19]. »

2 : « Do it now ! »

Une deuxième injonction serait : « do it now[20] ! », c’est-à-dire non pas attendre l’avènement de jours meilleurs, car la vie c’est : maintenant ; non pas attendre un Âge d’Or ou un Paradis, mais le vivre maintenant[21]. C’est la contestation d’un pouvoir dont rien n’est attendu, pour construire quelque chose à côté, une alternative immédiate (et donc pas par une solution politique). Certes, l’on pourrait penser qu’il y a un espoir utopiste de construire un paradis terrestre, un « nouveau ciel et une nouvelle terre » comme le dit Koszack, une société jugée plus ou moins anarchique du fait de son idéal anti-autoritaire, libertaire, ultra démocratique (comme si l’on ne pouvait pas s’extraire de cette dualité). Cette urgence de la vie pensée authentique va se justifier par le recours à des théories telle celle de Wilhelm Reich et son idée de révolution authentique afin de retrouver sa nature en accord avec des règles biologiques et non plus morales ou économiques.

Mais on retrouve aussi dans cette démarche un slogan, apparu en 1955 : « Live fast, love hard, die young », dont James Dean, mort cette année-là, devint l’icône[22]. Ou, plus tard, la chanson de Bob Dylan en 1963, « The Times they are a-changin[23]’ » fut une sorte d’hymne de l’époque.

A côté d’une démarche individuelle se formèrent des groupes : un exemple :

Les White Panters

Le White Panther Party, qui eut pour leader le poète hippie John Sinclair, se développa à partir de 1968 pour devenir, de son propre aveu, une organisation politique consacrée à la stratégie d’« un assaut total sur la culture par tous les moyens nécessaires » et deux ans plus tard, le FBI le considérait comme « potentiellement la plus grande et la plus dangereuse des organisations révolutionnaires aux États-Unis ». La vitrine de ce mouvement était un groupe, le MC5, c’est-à-dire « motor city five[24] » dont les concerts commençaient par une harangue de J. C. Crawford dont l’essentiel était : vous avez cinq secondes pour décider si vous êtes le problème ou si vous êtes la solution[25] !

Ce mouvement est un exemple de quelques fractions de la contre culture évoluant, à partir d’idéologies apolitiques, vers des positions radicales extrémistes, c’est-à-dire tombant dans le système qui était dénoncé : c’est un destin classique de l’institutionnalisation d’un groupe.

3 : « Do it yourself ! »

La troisième injonction serait : « Do it yourself ! », qui deviendra la devise aussi bien des Hackers que celle du mouvement punk anticonsumériste. Non pas attendre qu’un pouvoir change la société, la construise autrement selon des critères humains, mais prendre ce pouvoir et faire sa propre révolution car un changement de conscience doit entraîner un changement de mode de vie[26] en opposition à l’économie capitaliste, qui n’est qu’une économie de masse, d’où le recours tout fait par certains au marxisme : mais dans ce cas-là ce n’est plus une démarche individuelle. Timothy Leary[27] en donne une définition : « Hippie est un label d’établissement pour un processus d’évolution profond, invisible et underground. Pour chaque hippie pieds nus, garni de fleurs et de perles, il y a un millier d’autres membres invisibles de l’underground branché. Les gens qui règlent leurs vies par leur propre vision intérieure, se marginalisent de la comédie télévisée qui est la “vie américaine”. »

Il s’agit donc de l’opposition de l’individu contre la massification, qui peut se faire par le primat du sensoriel, du plaisir, contre les primats du rationnel, de la gestion et de la consommation. Par exemple le recours à la drogue est posé comme acte de rupture, underground, anti technologie[28]. C’est le primat d’une sensorialité qui s’exprime aussi bien dans des démarches politiques qu’artistiques telles que, par exemple, le free jazz. Cette opposition fondamentale masse / individu reçoit de multiples illustrations telles que Soleil vert, un roman d’Harry Harrison (1966) porté à l’écran par Robert Fleischer en 1973, ou encore la publicité pour Woodstock en 1969 : « Trois jours de paix et de musique. Des centaines d’hectares à parcourir. Promène-toi pendant trois jours sans voir un gratte-ciel ou un feu rouge. Fais voler un cerf-volant. Fais-toi bronzer. Cuisine toi-même tes repas et respire de l’air pur. »

Autant de moyens dont le but est de réinstaurer une conscience individuelle, c’est-à-dire une identité personnelle à retrouver ou trouver, contre une conscience de masse qui impose un mode d’appartenance à un groupe à la place d’une identité.

4 : Quelques modes de récupération

Ce conflit culture / contre-culture va produire en toute logique des modes de répression et de récupération afin de réinstaurer une conscience de masse.

Si la contre-culture s’est appuyée ou a récupérée d’anciens mouvements pour se fonder ou se justifier[29], il y a parallèlement des tentatives de récupération ou de normalisation, voire de déni de son importance, c’est-à-dire des tentatives de la réintroduire dans le système qu’elle critiquait, et cela de différentes façons, afin d’atténuer la portée de son message. En un mot, il s’agit, consciemment ou pas, de renverser un mouvement : conscience individuelle versus conscience de masse. Ainsi, au Big Brother d’Orwell[30] répond Sur la route de Kerouac[31].

Voici quelques exemples d’argumentations et de méthode de récupération.

Utopie

La contre-culture serait le fruit d’une utopie[32] ; affirmation qui fait débat par exemple entre Roszack[33] qui le soutient et Bloch[34] qui le refuse. Mais dire « utopie » est une façon de réduire une pensée à une forme, à une surface, et la juger depuis un autre référent et d’en évacuer la visée ; c’est supprimer l’acte en le réduisant à un dire ou à sa forme. L’acte d’une contre-culture est celui d’une quête identitaire en résistant au refoulement qui aliène à des appartenances.

Ce jugement quasi diagnostique, s’il est en partie vrai, produit souvent un effet éliminatoire voire péjoratif, qui n’intègre pas, par exemple, la nécessité de l’utopie comme moteur d’action ou d’invention, une forme de projet, de quêtes organisatrices, pour n’en retenir que le pire : une douce rêverie, un peu hallucinée. Soit une position qui privilégie une forme imaginaire contre le fond.

Par ailleurs, c’est perdre de vue que l’utopie n’est jamais première, elle est toujours une réaction à un constat mélancolique ou dépressif sur le monde environnant, et cette création d’utopie est ainsi une action anti-mélancolique[35], une forme de Pharmakon : l’utopie fait partie d’un dualisme, membre inséparable du couple mélancolie – utopie.

Et puis : est-ce la contre-culture qui est utopique ou bien le rêve américain ? Ou les deux, en fait. Et même une anti-utopie est une utopie. De même qu’une utopie au pouvoir n’est curieusement plus considérée comme utopie…

Théorie

Une réduction théorique telle celle du post-modernisme : tout est culture, ce qui met un terme à la question ! Cela abrase complètement le contenu et l’acte d’une contre-culture (c’est quasiment un interdit de penser).

Politique

La tentative de re-politiser le mouvement contre-culturel réintroduit, réintègre le mouvement dans le système qu’il dénonce fut-ce en lui trouvant une place en marge ; c’est la démarche de Heath[36] qui oppose la dimension politique à celle de la psychologie : mais cette re-politisation de la contre-culture la supprime, la re-massifie en un discours global, ce qui occulte la vraie visée identitaire, pour en faire une lutte contre la bourgeoisie, c’est-à-dire une lutte de classes et non plus une tentative de s’extraire d’une morale : or, ce n’est pas l’objet bourgeois qui est la vraie cible mais ce qu’il représente d’aliéné, de figé, d’institué, de massifié. Cette tendance confond l’illustration et le fond. Ainsi la révolution sexuelle et sa libération attendue est refoulée en problème de classes (ce sera le constat vécu de Wilhelm Reich par exemple).

Consommation

La récupération de la contre-culture par l’économie qu’elle attaque et qui va la transformer en mode et objet de consommation : une nouvelle culture qui deviendra un nouveau produit de consommation[37] : par exemple, le mouvement hippie sera vite une mode, par rapport aux freaks[38].

Sixties

Réduire la contre-culture au phénomène d’une époque, aux seules années soixante, crée un problème : en effet, si c’est bien le temps d’apparition de la notion, de cette dénomination, ce n’est pas celui de l’apparition du phénomène. Cette réduction occulte la dimension principale, observable particulièrement après les guerres (aussi bien de 1870, 1914, 1939, du Viêt-Nam, de la guerre froide, etc.) et donc en réaction à celles-ci et leurs instigateurs[39]. Réaction de tous temps, contre les grandes massifications armées, politiques, ou religieuses.

Société

Ou en faire un phénomène de société : c’est une approche sociologique moderne des années soixante mais cet objet de la sociologie a permis aussi d’instituer la sociologie qui prit son essor à cette époque : une sorte de banalisation des questions de fond.

Morale

Le rejet par un jugement moral : c’est une dégénérescence (drogue, rock, sexe, anti-consommation, etc., ce qui est un vieil argument de refoulement : par exemple les Libertins[40].

Psychologie

Une récupération morale et psychologique : la contre-culture ne serait que la manifestation d’une crise d’adolescence selon l’habituel : « Il faut bien que jeunesse se fasse ». Or la dite crise d’adolescence a pour principe majeur de se poser en s’opposant, c’est-à-dire un moment de construction identitaire par différenciation au-delà ou en deçà des formes et théories que cela peut revêtir. Il n’y a là qu’une apparence de rupture et cette pensée là ne fait que masquer le dualisme en tension. Et dire crise[41] refoule cette visée et transforme le souhait d’identité propre en symptôme ou désordre public, pensée au service de la société et son vœu de massification. De plus, ce diagnostic refoule une autre dimension : en effet, s’agit-il de l’adolescence d’un individu ou celle d’un mouvement ? Adolescence d’un moment pro-créatif d’une nouvelle science ou d’un nouvel art, avant intégration ?

Une telle position ignore la nécessité de l’adversaire, de l’ennemi : en effet, l’ennemi est nécessaire pour tracer une frontière entre moi et non-moi, et sa menace, réelle ou supposée, est l’outil qui crée cet espace propre.

Bref, soit autant de modes de non reconnaissance et de résistance au nouveau et au changement, tout cela sur le mode d’une opposition binaire conflictuelle : culture – nature où la culture est sensée organiser et donner sens elle seule aux humains, sous prétexte d’en faire des animaux sociaux[42], sous le domination de la seule Raison.

Cette opposition binaire amène à un autre commentaire sur l’ambiguïté du mot contre qui peut signifier aussi bien « tout opposé » que « tout proche » Par exemple : « je suis contre toi », ne prend sens qu’en fonction du contexte. Ceci est valable en français comme en allemand (Gegen), mais pas en anglais où le terme counter est univoque : il n’a en effet que le sens d’opposition. Dès lors, counter impose une représentation sur la base d’une coupure, un clivage, une radicale opposition, et donc supprime le fait que culture établie et contre-culture sont en fait en un dualisme fondamental, chaque élément nourrissant l’autre[43]. Il en va ainsi de même dans l’histoire individuelle de l’humain, qui se différencie et se construit selon le principe du se poser en s’opposant (par exemple aux parents, c’est-à-dire à la génération précédente, celle qui détient un pouvoir et sa morale).

II Des cycles contre-culturels : une éternelle répétition

Toute culture fut d’abord une contre-culture qui s’est posée, imposée en s’opposant à un ordre culturel établi. Puis elle s’institue, s’académise et subit ensuite une autre contre-culture, celle d’une nouvelle génération. Il y a là un cycle et une nécessité identitaire générationnelle.

Si la contre-culture est, dans les années soixante, un mouvement de l’individu contre les massifications et les grandes puissances (USA, URSS, capitalisme et communisme) ou contre le dictat des technologies[44] (c’est son aspect politico-économique), les contre-cultures furent, depuis toujours, un mouvement aussi contre les institutionnalisations et les académismes : en cela, il n’y a rien de nouveau, étant en présence d’un cycle permanent : quelque chose de nouveau s’institue contre l’établi, le rigidifié, mais qui est jugé provocateur ou subversif[45], puis fini par s’établir, s’instituer et donc se rigidifier, ce qui implique à son tour qu’un mouvement nouveau devra s’ériger en contre, etc. D’une certaine façon, pour qu’une nouvelle génération existe, elle doit supplanter la précédente, c’est-à-dire la « tuer » imaginairement, et c’est cet acte qui institue. Lutte des générations, meurtre fondateur (se poser en s’opposant, se différencier) qui sera refoulé c’est-à-dire ce que traduit le terme contre : c’est une adresse du discours et des agirs, son intention. Cette fonction du contre est donc fondatrice, et pour cela un adversaire est nécessaire[46].

Les exemples ne manquent pas :

– à la fin du XIXe, le choc de la première exposition impressionniste, ou à Vienne, en 1870, les opéras de Wagner comme signe de ralliement de la jeunesse subversive (alors qu’aujourd’hui ces opéras représentent l’académique) ou le mouvement sécessionniste ; les discours sont en fait toujours les mêmes ;

– ou encore le romantisme[47], l’avant-garde, l’anti-art, l’impressionnisme, l’art-nouveau, le dadaïsme, le surréalisme, etc., eurent tous la même action voire le même discours.

Il y a là un cycle d’institution / destitution qui touche tout groupe ou société à l’image de la vie humaine, et cela depuis tous temps. En effet, Platon[48] reprenant la mythologie d’Hésiode[49] décrivait déjà de tels cycles quant aux régimes politiques : partant de ceux où commande un seul (la monarchie dégénérant en tyrannie), se poursuivant avec ceux où commandent plusieurs (l’aristocratie dégénérant en oligarchie), et s’achevant avec ceux où tous commandent (la démocratie dégénérant en anarchie) : la démocratie ne peut que s’attribuer à elle-même ce qu’elle mérite, à savoir sa dissolution, sa chute dans la tyrannie, et ramenant par la monarchie et ainsi de suite.

Ceci pour ce qui en est des cycles, c’est-à-dire d’une série de dualisme et de renversements successifs.

III Utopies des Âges d’Or : des Paradis, avant, après ou maintenant

Une contre-culture est héritière d’une longue tradition dont un des référents explicite ou non, est souvent le même, outre la question sexuelle : il y a eu ou il y aura un Âge d’Or, croyance ou espoir qui s’alimente aussi des contes de fées qui ont nourris notre enfance. Ces grandes utopies des Âges d’Or seraient une sorte de contes de fées pour grands.

La quête d’une conscience individuelle s’associe avec une construction particulière en lien avec la croyance d’un état respectant, entre autres, l’individualité. On en trouve la trace de tous temps, que l’on pense par exemple aux Cyniques[50] de l’antiquité, les Diggers anglais du XVIIe, les communautés de flibustiers ou celle des hippies, etc. comme autant de tentatives de réaliser cet idéal[51]. Quant à William Burroughs, il a écrit sur Libertalia[52].

Le mythe de l’âge d’or

L’âge d’or fait référence à une époque idéale selon trois directions :

– en arrière, référence à un passé idéalisé, dans un trajet individuel ou dans l’histoire de l’humanité, où les difficultés du présent sont vécues comme la perte d’une pureté ou d’une intégrité primitive : par exemple l’Eden biblique ou le premier mythe d’un âge d’or que nous connaissons, celui d’Hésiode, au VIIIe ou au VIIe siècle av. J.-C. Soit une utopie qui se présente comme historique où la perte résulte d’une faute et devient cause de culpabilité ;

– vers l’avant, anticipation d’un avenir radieux largement utilisé par le discours religieux, politique et publicitaire. Soit une utopie présentée comme destin, but, en un paradis perdu puis espéré[53] ;

– au présent : la découverte progressive du monde, par exemple depuis le XVIe siècle, et le voyage, qui permettent de faire savoir ou de faire croire qu’il existe d’autres civilisations, d’autres pays qui peuvent avoir maintenu cet état : c’est le mythe du bon sauvage ou de l’Eldorado, qui vont alimenter les utopies occidentales.

Il y a des ingrédients requis pour construire ce mythe :

  • au niveau imaginaire : une supposée « pureté des origines[54]». ;
  • au niveau de la pensée : retrouver l’esprit de pères imaginés comme fondateurs (un socialisme premier, etc.), et supposés détenteurs d’une vérité ;
  • au niveau social : un état de nature est recherché, état d’avant la faute, lorsque ni maladies ni travaux ne venaient entacher la vie de l’homme. Il y a donc une sorte de culte de l’innocence, du primitif, du naturel, auquel s’ajoute le rejet de la culture, considérée comme une dégénérescence, idée entretenue, entre autres, par Rousseau.

À la ville corruptrice, sale, délétère, empoisonnée par l’argent (la Babylone biblique), s’opposent les valeurs de la terre (imagerie et thème repris par Pétain par exemple), solide et authentique. Il y a là une condamnation de la civilisation et du profit que l’on retrouve chez des hommes aussi divers que Rousseau, Proudhon, Drumont, ce qui démontre la puissance unificatrice de ce mythe.

L’évolution d’une société occasionne une perte de repères dans l’histoire ontologique de l’individu ; les noyaux de solidarités communautaires, clos sur eux-mêmes, qui caractérisaient la société rurale, ont été brisés (fêtes de village unificatrices).

La pensée de David Henry Thoreau (1817-1862)

C’est dans ce mouvement que s’inscrivait Thoreau dont la pensée novatrice a inspiré les mouvements contestataires du XXè siècle. Il prônait un déconditionnement culturel et un retour à la contemplation de la nature favorisant la transformation de soi, car, pétri par la société, l’individu est inscrit dans un processus de reproduction sociale qui le prive de liberté. C’est la transmission culturelle qui le dépossède de lui-même et l’empêche d’accéder à la vraie vie. Par un arrachement de soi vis-à-vis du monde social, l’individu brise le moule de la culture ; il sort des cadres et parvient au socle universel de l’existence. Éliminant les besoins superflus dictés par son environnement culturel, il se purifie et se libère de l’aliénation sociale. En échappant à un modèle de culture dominante, l’individu doit pourtant se garder de recréer un nouveau modèle. Contemplant la nature, espace où se déploie la diversité de la vie, il accède à la transcendance, homogénéise son rapport au monde, s’ouvre à l’altérité et à la totalité de ce qui existe. Thèse bien influencée par la pensée des Indiens d’Amérique.

Conclusions

Il nous a semblé important de réinscrire le mouvement contre-culturel comme partie constitutive d’un ensemble qui compose et crée une société, le danger étant, en créant un concept, d’extraire la chose de son contexte. Le phénomène contre-culturel est l’élément d’un dualisme ou de plusieurs, que l’on pourrait ainsi définir :

Un dualisme temporel

Une contre-culture n’est pas une utopie : dans sa forme oui, dans son fond non, dans son dire, oui, dans son acte, non, car cet acte est fondateur ou esquisse un nouveau, et, en ce sens, s’inscrit dans un dualisme générationnel, ou temporel. La simple observation nous montre que toute nouveauté, à partir du moment où elle s’institue, connaît un temps de vie dynamique puis un temps de dépérissement, ce qui nous donne l’impression qu’il existe un processus mortifère d’institutionnalisation, à l’instar de la vie humaine. Dès lors pouvons-nous penser que toute nouveauté appelle aussi à sa propre fin, à s’effondrer sur elle-même, que ce soit une pensée ou une société[55]. Cela est donc la source d’une lutte de générations, donc incessante et nécessaire, l’idée nouvelle paraissant, aux yeux de l’ancienne, une utopie, celle d’un Âge d’Or ou d’un Nouvel Âge, ce qui vient nier sa force motrice.

Par ailleurs, une contre-culture est un contrepoids, tel une sorte de bouffon, qui a pour fonction d’empêcher une culture de devenir une dictature ou une pensée unique : ce serait donc une nécessité. Mais en faire quelque chose de sérieux serait en faire immédiatement une culture et donc en pervertir le rôle et la fonction, et ce serait ainsi opérer une récupération qui viendrait nier sa fonction d’équilibre.

Une contre-culture est l’élément d’un binôme, d’une dialectique : culture et contre-culture, il est impossible – ou dangereux – d’en supprimer un des termes.

Un dualisme du nouveau et de l’institué

Une contre-culture pose la question du nouveau et de sa réception :

  • est-ce parce que c’est du nouveau, que cela suscite une résistance au changement ?
  • l’on peut aussi différencier :
    • le nouveau de masse qui s’inscrit dans la norme et l’enrichit, comme suite de l’existant,
    • du nouveau individuel, donc pensé contre la norme, en rupture par rapport à l’existant ?

Car le nouveau est souvent perçu comme menace qui viendrait rompre un équilibre, équilibre qui, par ailleurs, évolue vers une rigidification.

Un dualisme spatial

Une contre-culture permet, en traçant un territoire nouveau conquis sur l’ancien, que la culture trace aussi le sien par différenciation : c’est un dualisme disons spatial, territorial, qui a une fonction identitaire[56], sur la base des espaces moi / non-moi.

Ce qui amène à un autre espace : l’individuel et le collectif.

Un dualisme d’existence (individu ou appartenance à une masse)

Soit l’éternelle question de l’être : est-il libre ou aliéné ? Question qui se pose ou s’impose à l’individu lorsqu’il prend conscience de la masse et des effets de massification, notamment après les guerres, et ceux de la technologie (la Machine), l’Académique. Alors :

  • soit il rentre dans une confrontation, un conflit binaire, mais dans ce cas il ne fait que le contraire, ce qui maintient l’aliénation[57]; en ayant recours à d’anciens systèmes tout faits qui lui font faire l’économie d’une démarche individuelle : philosophies orientales, sectes et croyances, New Age, extrêmes gauches, etc. ;
  • soit il s’invente, se créé lui-même pour ne pas être défini par une norme (comme celle par exemple de la théorie du genre) : ici l’on retrouve des penseurs anti-masse tel que Wilhelm Reich ou Jung luttant contre la Science statistique, ou encore Flaubert[58] qui définissait le XIXe siècle comme modernité mettant fin à l’unité individu – société et posant la condition humaine comme seul fondement de l’art.

Bien sûr, cette troisième voie passe pour un refus de soumission.

Une contre-culture me semble indissociable de la question de l’être et est animée par une question fondamentale : peut-il exister une société ou un groupe qui respecterait l’identité et la conscience individuelle ? Cette question amène ceux qui se la posent à se tourner soit vers les utopies, des constructions intellectuelles tant sur la cité idéale[59] que sur une « révolution authentique », soir vers les mythes de l’Âge d’Or et de l’État de Nature, constructions plus ou moins imaginaires. Ce sont des quêtes d’une voie tierce pour s’extraire d’un dualisme apparemment insoluble entre individu et société et entre identité et appartenance.

Je finirais en donnant la parole à un écrivain, Ievgueni (Eugène) Zamiatine :

Le monde se développe uniquement en fonction des hérésies, en fonction de ceux qui rejettent le présent, apparemment inébranlable et infaillible. Seuls les hérétiques découvrent des horizons nouveaux dans la science, dans l’art, dans la vie sociale ; seuls les hérétiques, rejetant le présent au nom de l’avenir, sont l’éternel ferment de la vie et assurent l’infini mouvement en avant de la vie[60].

Notes :

[1] Voir chez La découverte/poche, 2003, les Mémoires de Geronimo, chef Apache (1829-1909). Autre exemple de la sagesse indienne : « Quand le dernier arbre aura été abattu, Quand la dernière rivière aura été empoisonnée, Quand le dernier poisson aura été péché, Alors, on saura que l’argent ne se mange pas. »

[2] Wilhelm Windelband, discours de 1894 à Strasbourg : Histoire et Science de la Nature in Études philosophiques, janvier-mars 2000, Philosophie allemande, PUF.

[3] Voir les lois de ségrégation et le Ku-Klux-Klan.

[4] Voir le Maccarthisme des années cinquante par exemple.

[5] Voir Joël Bernat, D’une logique cyclique d’apparition des mouvements intellectuels et artistiques in Années vingt – années soixante : réseau du sens – réseaux des sens, sous la dir. de F. Lartillot & Axel Gelhaus, Bern, Peter Lang, 2009, pp 11-27.

[6] Référence directe au texte de Henry David Thoreau (1817-1862), La désobéissance civile (1849), Paris, Mille et Une Nuits, n°114, 1996, paru trois cent ans après le Discours de la servitude volontaire, Paris, Mille et Une Nuits, 1997, écrit en 1549 à dix-huit ans par Étienne de La Boétie, une sorte de prédécesseur.

[7] Le célèbre symbole du Peace and Love fut créé pour l’occasion par Gerald Holtom qui réinterpréta la Croix de Néron (en souvenir du massacre des chrétiens qu’il avait commandité) et la Croix de Satan (qui œuvre pour la mort de l’humanité) ; Holtom y associé les signes du sémaphore classique : N pour Nuclear et D pour desarmament. Ce symbole est une sorte de négatif de celui qui indique le danger de radioactivité.

[8] Et son fameux slogan : “make love, not war”.

[9] E. D. Hirsch, The Dictionary of Cultural Literacy, Houghton Mifflin,‎ 1993, 419 p. : « Le mouvement de contestation culturel aux USA a débuté dans les années 1960 et a touché l’Europe avant son déclin dans les années 1970… fondamentalement, une protestation plus culturelle que politique. »

[10] Voir les thèses et textes de William Burroughs.

[11] « Les Indiens d’Amérique sont une ancienne civilisation, et leurs perspectives en ces temps anciens étaient tout à fait différentes de celle de nos contemporains. Je leur ai enseigné à percevoir le monde en tant qu’Un Organisme Entier. J’ai enseigné aux personnes à respecter chaque vie, leur ai enseigné à vivre et à agir parfaitement sur la Terre, ne dérangeant pas l’harmonie, l’équilibre et la beauté de l’environnement. Depuis son enfance, un Indien apprenait à écouter afin de comprendre le monde autour de lui – le Soleil, les étoiles, le vent, la forêt, les rivières, les lacs et les animaux… Les Indiens ont appris à suivre les lois de la nature dans leur vie; ils ont compris qu’en violant ces lois on cause de la douleur inutile à la vie.

« Contrairement aux Européens modernes, ils ne se sont pas ‘emprisonnés’ eux-mêmes dans des maisons en pierre, n’étaient pas ‘enchaînés’ par des dogmes au sujet de la structure du monde. Les Indiens estimaient qu’ils étaient une partie intégrale de la nature; leur maison était la forêt illimitée, les montagnes rocheuses, les lacs bleus et les chutes d’eau. L’état de fusion avec la nature était très naturel pour eux.

« Traversant une rivière sur une pirogue, marchant sur des sentiers en forêt, les Indiens se sentaient un avec le vent, l’eau, les montagnes, les oiseaux… Depuis le jeune âge, ils savaient que le corps n’était qu’un petit fragment dans le monde de la matière, qu’il n’était pas plus important que les pins se balançant dans le vent, que les nuages flottants dans le ciel, que les écureuils gambadant dans les arbres ou les poissons nageant dans les eaux… » : Quanah Parker dit Aigle Blanc, 1852-1911, chef Comanche.

[12] Voir Jerry Rubin, Do It ! Scénarios de la révolution, Seuil, 1973.

[13] Abbie Hoffman (1936-1989) était un anarchiste américain, icône du courant révolutionnaire entre 1960 et 1970.

[14] Ibid.

[15] L’activisme est un autre terme pour désigner l’action directe qui consiste à agir par soi-même, de façon à peser directement sur un problème auquel on peut être confronté, et sans avoir besoin du recours aux personnalités politiques, bureaucrates, etc. L’action directe veut placer la conscience morale au-dessus de la loi officielle.

[16] Du latin subvertere, renverser. Soit une certaine interprétation du renversement des valeurs de Nietzsche.

[17] Collectif contre-culturel anarchiste de à San Francisco, entre 1966 et 1969, précurseur de collectifs actuels tels Food not bombs ; C’est en distribuant de la nourriture aux divers marginaux pendant la période du Flower Power que ce collectif a montré la cohérence de son combat.

[18] À la fin de la guerre du Viêt-Nam, Rubin devient un important entrepreneur et homme d’affaires, typique Yuppie des années quatre-vingt (il fut l’un des premiers investisseurs de l’entreprise Apple), et fervent républicain reaganien. Interrogé sur l’incohérence de son parcours, il répondait que « le monde a changé, nous devons changer aussi » et que « la création de richesses est la seule vraie révolution américaine »…

[19] Henry Thoreau (cf. note 6).

[20] Je reprends la formule qui sert d’intitulé à une fondation de Thimothy Leary qui publie entre autres des textes sur les drogues et leur mode d’emploi.

[21] Selon une déformation interprétative de la formule d’Horace: Carpe Diem ! in Odes, I, 11, 8, A Leuconoé, qui en fait une formule hédoniste et non plus épicurienne.

[22] Chanson de Faron Young reprise par Eddie Cochran, qui, comme James Dean, mourut jeune d’un accident de voiture…

[23] « Les temps changent », écrit par Bob Dylan, dans l’album The Times they are a-changin de 1964. Par exemple : « Venez pères et mères // De tous les coins du pays // Et arrêtez de critiquer // Ce que vous êtes incapables de comprendre // Vos fils et vos filles // échappent à votre autorité // Votre vieille route prend // Rapidement de l’âge // S’il vous plait sortez de la nouvelle // Si vous êtes incapables de donner un coup de main // Car les temps sont en train de changer. »

[24] Motor city désigne Detroit, la capitale américaine de la construction automobile.

[25] “Brothers and sisters, I wanna see a sea of hands out there… I want everybody to kick up some noise , I wanna hear some revolution… Brothers and sisters, the time has come for each and every one of you to decide whether you are going to be the problem or you are going to be the solution! You must choose , brothers , you must choose. It takes five seconds, five seconds of decision, five seconds to realize your purpose here on the planet. It takes five seconds to realize that its time to move, it’s time to get down with it. Brothers, it’s time to testify. And I want to know – are you ready to testify ? Are you ready !! I give you a testimonial. THE MC5 !!”

[26] Sur le modèle aussi du Sapere Aude ! de Kant in Qu’est-ce que les Lumières, in Raulet Gérard, Aufklärung, Garnier Flammarion 1995.

[27] Timothy Leary, La politique de l’extase (1968), Fayard, 1973.

[28] Ce recours au sensoriel n’est pas nouveau. Voir Paul Valéry et le manque de sensoriel dans la raison, par exemple Note (ou de l’Européen) in Œuvres, Tome I, Gallimard, La Pléïade, 1957.

[29] En recourant par exemple à Thoreau, Nietzsche, Reich, Jung, etc.

[30] Georges Orwell, 1984 (1948), Gallimard, 1970, ou encore La ferme des animaux (1945), Champs libre, 1981, textes qui avec celui d’Aldous Huxley, Le meilleur des mondes (1931), Pocket, ont magistralement “emprunté” sur le Nous autres d’Ievgueni Zamiatine (1884-1937), écrit en 1920, publié chez Gallimard, 1979. Orwell ne le cachera pas.

[31] Jack Kerouac, Sur la route (1957), Gallimard, 1960.

[32] Le mot en lui-même relèverait d’un Witz ou porterait une double direction : en effet, utopie est formé du grec ou-topos, qui signifie en aucun lieu ou bien lieu du bonheur (du grec eu : « bien, heureusement » et topos : « lieu, endroit »).

[33] Theodor Roszack, Vers une contre-culture (1970), Stock 2001.

[34] Voir la notion d’utopie concrète d’Ernst Bloch in L’esprit de l’utopie, Gallimard, 1977, ainsi que Steven Jezo-Vannier, Contre-Culture(s). Des anonymes à Prométhée, Ed. Le mot et le reste, 2013.

[35] Voir les Romantiques par exemple.

[36] Joseph Heath & Andrew Potter, Révolte Consommée : le Mythe de la Contre-Culture, Naïve, 2005, p.53.

[37] Voir par exemple Hanna Arendt, La crise de la culture, Huit exercices de pensée politique, Folio essais (n°113), Gallimard, 1989.

[38] Freaks: mot anglais qui signifie monstre humain. Le mot prend une connotation politique et culturelle aux États-Unis des années 1960. En particulier pendant l’âge d’or de la contre-culture hippie sur la côte ouest, de nombreux adolescents et jeunes adultes, déçus par l’austérité morale et politique de l’après-guerre, par le mode de vie banlieusard américain et donc aussi par les mouvements de gauche de leur époque, se définissent eux-mêmes comme des freaks. Le légendaire musicien et compositeur américain Frank Zappa et son groupe The Mothers of Invention ont été au cœur de ce mouvement au milieu des années 1960 sur la scène musicale de Los Angeles et de San Francisco. Les membres du Weather Underground rédigeront leur manifeste et déclaration de guerre à l’état américain par la phrase : Tous les freaks sont des révolutionnaires, et tous les révolutionnaires sont des freaks. Lors de la première des concerts de Mothers of Invention, les membres de l’auditoire ont été invités à Freak Out! (qui sera par la suite le titre de leur premier album), ce qui signifie s’exprimer librement, que ce soit par la danse, le cri, ou pulvériser de la crème fouettée sur un membre du groupe. Cette mentalité freak influence des groupes de musique des générations ultérieures dans des champs très divers (free jazz, musique contemporaine, rhythm and blues, zeuhl, etc.)

[39] Sous la forme du sexuel contre la mort instituée, l’immobilisme.

[40] A l’origine, le Libertin (du latin libertinus, « esclave qui vient d’être libéré » ou « affranchi ») remet en cause les dogmes établis, c’est un libre penseur (un libertin de l’esprit) dans la mesure où il est affranchi, en particulier, de la métaphysique et de l’éthique religieuse (incarné par le Dom Juan de Molière) avant d’être ensuite réduit à un trousseur de jupons.

[41] Crise dont l’intensité est proportionnelle à la surdité de l’environnement.

[42] Voir l’opposition des Surréalistes contre l’exposition coloniale de 1931.

[43] Dans les années soixante-dix, Pierre Bourdieu définira la culture en tant qu’instrument de domination utilisé par la classe dominante. La culture sert à se distinguer de la masse et à assurer la reproduction sociale. Elle est perçue comme étant un moyen supplémentaire d’oppression de la classe dirigeante sur les masses populaires.

[44] Cf. Joël Bernat : Mystique contre pessimisme : le cas Jung, à paraître, et D’une logique cyclique d’apparition des mouvements intellectuels et artistiques (cf. note 5).

[45] Vers 1900, la psychiatrie diagnostiquait l’artiste en tant que dégénéré supérieur, appellation que l’on retrouve dans les années soixante.

[46] Voir Jaques Elliott : Des systèmes sociaux comme défenses contre l’angoisse dépressive et l’angoisse de persécution. Contribution à l’étude psychanalytique des processus sociaux in Psychologie sociale : textes fondamentaux anglais et américains, réunis par André Lévy, Dunod 1978.

[47] Alfred de Musset a défini le mal du siècle comme la crise d’identité et manque de rêves et de visions. Baudelaire promeut le spleen ; il se sent mal à l’aise, esclave d’une génération de découragement, de désillusion : c’est une forme de contre-culture. Face à la réalité de la société, les Romantiques sont envahis par une sensation d’étouffement, de dégoût, de déception. Alors, par la mélancolie et l’ironie de la poésie, ils désirent changer un monde éprouvé creux et aride. Ils luttent contre la corruption de la société, contre le mensonge, le faux-semblant et mettent en évidence le caractère cruel et solitaire d’une société pervertie, préférant les marionnettes passives aux individus actifs, les masques à la vérité.

[48] Platon, La République, Leçon IV, 557a-558c & VIII, 445 et 544 sq.; ; Gorgias, 508a, chez Garnier Flammarion.

[49] Hésiode, Théogonie, La naissance du monde et des dieux, et Les travaux et les jours, éditions Rivages.

[50] Le Cynisme est une attitude face à la vie provenant d’une école philosophique de la Grèce antique, fondée par Antisthène, et connue principalement pour les propos et les actions spectaculaires de son disciple le plus célèbre, Diogène de Sinope. Cette école a tenté un renversement des valeurs dominantes du moment, enseignant la désinvolture et l’humilité aux grands et aux puissants de la Grèce antique. Radicalement matérialistes et anticonformistes, les Cyniques, et à leur tête Diogène, proposaient une autre pratique de la philosophie et de la vie en général, subversive et jubilatoire. L’école cynique prône la vertu et la sagesse, qualités qu’on ne peut atteindre que par la liberté. Cette liberté, étape nécessaire à un état vertueux et non finalité en soi, se veut radicale face aux conventions communément admises, dans un souci constant de se rapprocher de la Nature.

[51] Il y eut aussi les Phalanstères, ensemble de logements organisés autour d’une cour couverte centrale, lieu de vie communautaire. Pour Charles Fourier, le phalanstère est une sorte d’hôtel coopératif pouvant accueillir quatre cents familles au milieu d’un domaine de quatre cents hectares où l’on cultive les fruits et les fleurs avant tout.

[52] William Burroughs, Les cités de la nuit écarlate (1981), Christian Bourgois, 1981. Libertalia est le nom d’une colonie libertaire fondée sous Louis XIV par des pirates sur l’île de Madagascar. La devise de ces hommes, organisés en république, était « Générosité, Reconnaissance, Justice, Fidélité ». Mais il y eut aussi Jean Lafitte (1774 – 1858) était un pirate qui a créé son propre Royaume de Barataria près de La Nouvelle-Orléans et aurait rencontré Karl Marx puis financé la parution du Capital.

[53] Jean Delumeau, Le Jardin des délices, vol. I de Histoire du Paradis, Hachette Littératures, collection Pluriel, 1992.

[54] Telle la supposée innocence de l’enfant ou d’Adam et Ève projetée sur une société. Voir la notion de révolution authentique de Wilhelm Reich par exemple in La Fonction de l’orgasme (1952), L’Arche, 1970 ou La révolution sexuelle (1936), Plon, 1968.

[55] Voir Bence Szabolcsi : Les cigognes d’Aquilée. De l’effondrement des cultures, Édition de l’Aube, 1993.

[56] Une identité n’est jamais définitivement acquise, elle réclame une élaboration permanente.

[57] Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, Seuil, coll. Points, 1968 : « L’enfant très jeune est comme le primitif : ses cinq sens sont utilisés et ont trouvé un équilibre. Mais les technologies changent cet équilibre ainsi que les sociétés. L’éducation développe un sens en particulier. Hier c’était la vue, par l’alphabet et l’imprimerie. Depuis plusieurs décennies, c’est l’ouïe. Et désormais, c’est notre système nerveux central. Video-Boy a été élevé par la télévision. Sa perception est programmée autrement, par un autre média. »

[58] Gustave Flaubert, Lettres à Louise Collet, Magnard, 2003.

[59] Thomas More et son Utopia par exemple.

[60] Eugène Zamiatine dans un Essai sur Julius Robert von Mayer, cité par Jorge Semprun dans sa préface à Nous autres, d’Eugène Zamiatine. Voir aussi L’inondation, Solin, 1990.

© Les textes édités sur ce site sont la propriété de leur auteur. Le code de la propriété intellectuelle n’autorise, aux termes de l’article L122-5, que les reproductions strictement destinées à l’usage privé. Tout autre usage impose d’obtenir l’autorisation de l’auteur.

Ce contenu a été publié dans Individu, sujet, identité, institution, masse, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Merci de taper les caractères de l'image Captcha dans le champ

Please type the characters of this captcha image in the input box

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.