Il me semble important de rappeler la position de Freud sur cette question, position qui ne changera pas. De plus, il fait, lui, la différence entre ce que la théorie peut tenter d’expliquer, et l’individu. Dans un ajout de 1915 dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle, il précise que, d’une part, tous les hommes ont fait un choix d’objet homosexuel inconscient et que, d’autre part, l’intérêt hétérosexuel exclusif ne va pas de soi et mérite lui aussi question. Question bien peu abordée… Nous donnons ici trois exemples.
1 : 1903 : Réponse au Zeit
Freud répond au journal Die Zeit de Vienne qui lui demande son avis au moment où une personnalité de la vie économique autrichienne vient d’être traduite en justice pour fait d’homosexualité :
« L’homosexuel ne relève pas du tribunal et j’ai même la ferme conviction que les homosexuels ne doivent pas être traités comme des gens malades, car une orientation sexuelle perverse n’est pas une maladie. Cela ne nous obligerait-il pas, en effet, à caractériser comme malades de nombreux grands penseurs et savants que nous admirons précisément en raison de leur santé mentale ? ».
Freud restera fidèle à cette argumentation notamment dans les Trois essais sur la théorie sexuelle, paru deux années plus tard, où il récuse les prétentions de la psychiatrie à pathologiser l’homosexualité et à en faire un signe de dégénérescence.
2 : 1921, lettre circulaire adressée au Comité secret
Dans une lettre du 1er décembre 1921 – qui du reste ne figure pas dans la Correspondance complète !!! – Jones informe Freud de son refus d’accepter, au sein de l’Association psychanalytique néerlandaise, un médecin récemment emprisonné pour homosexualité. Dix jours plus tard, dans une lettre circulaire adressée au Comité secret, Freud et Rank répondent sans ambiguïté :
« Votre question, cher Ernest, concernant l’adhésion éventuelle d’homosexuels a été examinée par nous et nous sommes en désaccord avec vous. En effet, nous ne pouvons exclure de telles personnes sans autres raisons suffisantes et nous ne sommes pas d’accord avec leur poursuite légale. Nous avons le sentiment que la décision dans de tels cas devrait dépendre de l’examen complet des autres qualités du candidat. »
Pour plus de développements, voir : Le Corre L., 2009, «Existe-t-il des psychanalystes lesbiennes?», Journal des anthropologues, 116-117, p 351-357.
3 : Lettre de Freud à Mrs N.N… (1935)
In Correspondance, 1873-1939, Paris, Gallimard, 1966, p. 461.
En réponse à une mère américaine s’inquiétant de l’orientation sexuelle de son fils.
Vienne IX, Berggasse 19, le 9 avril 1935.
Dear Mrs … [lettre 279, écrite en anglais]
« Je crois comprendre d’après votre lettre que votre fils est homosexuel. J’ai été frappé du fait que vous ne mentionnez pas vous-même ce terme dans les informations que vous me donnez à son sujet. Puis-je vous demander pourquoi vous l’évitez ? L’homosexualité n’est évidemment pas un avantage, mais il n’y a là rien dont on doive avoir honte, ce n’est ni un vice, ni un avilissement et on ne saurait la qualifier de maladie ; nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle, provoquée par un certain arrêt du développement sexuel. Plusieurs individus, hautement respectables, des temps anciens et modernes ont été homosexuels et, parmi eux, on trouve quelques-uns des plus grands hommes (Platon, Michel-Ange, Léonard de Vinci, etc.). C’est une grande injustice de persécuter l’homosexualité comme un crime – et c’est aussi une cruauté. Si vous ne me croyez pas, lisez les livres d’Havelock Ellis.
« En me demandant s’il m’est possible de vous venir en aide, vous voulez sans doute demander si je puis supprimer l’homosexualité et faire qu’une hétérosexualité normale la remplace. La réponse est que, d’une manière générale, nous ne pouvons promettre d’y arriver. Dans un certain nombre de cas, nous parvenons à développer les germes étiolés des tendances hétérosexuelles qui existent chez tout homosexuel; dans la plupart des cas, la chose n’est plus possible. Tout dépend de la nature et de l’âge du sujet. Le résultat du traitement reste imprévisible.
« Ce que la psychanalyse peut faire pour votre fils se situe à un niveau différent. S’il est malheureux, névrosé, déchiré par des conflits, inhibé dans sa vie sociale, alors la psychanalyse peut lui apporter l’harmonie, la paix de l’esprit, une pleine activité qu’il demeure homosexuel ou qu’il change.
« Si vous vous décidez à le faire analyser par moi – et je ne pense pas que vous le voudrez – il serait obligé de venir à Vienne que je n’ai pas l’intention de quitter. Ne négligez pas, de toute façon, de me faire parvenir votre réponse.
« Bien sincèrement à vous et avec mes meilleurs vœux.
« Freud. »
P.-S. – Je n’ai eu aucune difficulté à lire votre écriture. J’espère qu’il ne vous sera pas plus difficile de lire la mienne et mon anglais.
Voilà qui tombe bien ! tant il est vrai qu’il est toujours utile de revenir aux sources devant une difficulté . Notre difficulté dans un petit groupe de travail sur le projet de loi « mariage pour tous »nous a fait justement revenir à Freud après des apports et détours intéressants par S. Agacinski, D. Mendez,N.Heinich(sociologues ou philosophes)parce que ce qui est occulté, c’est bien ce que nous avons à penser de l’homosexualité .Le problème c’est que, malgré tout , schématisé comme ici ou lu dans le texte des 3 essais,le concept n’est pas très clair .Il n’a peut être pas à être clarifié mais abandonné ? l’homosexualité n’existe pas , sauf au pluriel , différente pour chacun ?…
Oui, il y a des homosexualités comme il y a des hétérosexualités. Et ainsi que Freud l’écrivait, le fait de devenir hétérosexuel reste assez mystérieux… de même que le devenir femme ou le devenir homme!
donc, il y a de quoi travailler…
bien à vous
JB