Marie Bonaparte : « Le Cas de Madame Lefebvre » (1927)

Un cas de psychose meurtrière abordé par la psychanalyse, in Revue française de psychanalyse, T. I, n° 1, 1927, pp. 149-198.

I. – Les faits

Les renseignements biographiques nouveaux, comme les détails, par lesquels peut différer le récit du crime des versions recueillies à l’instruction ou aux débats, je les dois à Mme Lefebvre elle-même. Je pus en effet l’aller voir, avec ses avocats, Mrs Python et Kah, accompagnés de Mme Kah, à la prison de Lille, le 14 janvier 1927, et m’entretenir avec elle plus de quatre heures. Elle ignorait mon identité, on me présenta comme « une personne s’intéressant à la psychologie » et projetant d’écrire sur elle une étude.

Mme Lefebvre, née Marie-Félicité-Élise Lemaire, naquit à Fromelles, dans le Nord, le 13 novembre 1864. Elle appartenait à une honorable famille de grands cultivateurs ; son père, Charles-François Lemaire, possédait et exploitait de nombreuses terres. Sa mère, Nathalie-Sidonie Waymel, était d’une famille connue du Nord. Deux ans après Marie naissaient son frère, Charles-François ; dix-huit mois plus tard sa sœur Nelly. Une dernière sœur, Louise, devait naître en 1874.

La petite Marie Lemaire grandit à la campagne. Son premier souvenir est relatif à sa grand’mère paternelle. Elle se voit toute petite — elle ne saurait dire quel âge précis — marchant dehors auprès de sa grand’mère, qu’elle dit avoir adorée. Le grand-père et la grand’mère paternels de Marie Lemaire étaient en effet venus habiter, les dernières années de leur vie, la maison de leur fils Charles. Ils habitaient un logement à part, étaient chez eux, mais les repas étaient pris en commun. « Et jamais, dit Mme Lefebvre insistant sur ce point, il n’y eut de disputes, car dans notre famille on était entre gens bien élevés et l’on savait quel respect et quels égards sont dus aux parents. »

A six ans, Marie Lemaire fut mise en pension au couvent de Fournes. Elle semble avoir gardé bon souvenir du couvent. Il y avait, dans ce couvent, des enfants de la campagne ; « ces dames » s’occupaient beaucoup individuellement des enfants. Mme Lefebvre ne se souvient pas d’avoir aimé particulièrement une maîtresse ou une camarade.

Elle rentrait l’été, pour les grandes, vacances, chez ses parents. Elle avait perdu, eu 1869 ou 1870, ses chers grands-parents. L’amour de son père semble désormais seul avoir dominé son enfance. Elle vante la bonté paternelle, parle beaucoup moins de sa mère. Son père était sévère bien que très bon. Mais sa mère aurait été plus sévère encore. « Quand on faisait, dit pittoresquement Mme Lefebvre, un pet de travers, on l’aurait été dire à mon père, à ma mère jamais. Et notre père alors nous disait : N’allez pas le répéter à votre mère ! »

Dans ces séjours d’été chez ses parents, la petite Marie jouait au jardin avec son frère et sa sœur. Nelly avait une poupée qu’elle aimait fort. Marie ne jouait pas beaucoup avec des poupées elle-même, mais confectionnait avec ardeur des vêtements pour celle de sa sœur. On jouait surtout aux pompes religieuses. Le petit Charles était le prêtre et officiait. On se confessait à lui, il disait la messe. On organisait dans le jardin des processions. Et les poulets crevés, on les enterrait, dans des boîtes à cigares, en un cimetière fait exprès, après des bénédictions solennelles, et sur leur tombe on dressait de petites croix ornées de couronnes de pâquerettes. Tels étaient les jeux des petits Lemaire.

Marie aimait aussi lire les livres de la Bibliothèque Rose, « Les Petites Filles Modèles » en particulier, où les excentricités de la méchante Mme Fichini, belle-mère de Sophie, la ravissaient. On jouait à représenter des scènes dans lesquelles figurait cette dame. L’une des sœurs se déguisait afin de la représenter.

A douze ans, Marie fut retirée du couvent de Fournes et mise en pension chez les Bernardines à Esquesmes. Il y avait là davantage de pensionnaires. Bien que celles-ci fussent d’un milieu plus élevé, on s’y occupait moins individuellement des élèves.

Marie avait fait sa première communion avec la ferveur voulue, car de tous temps elle fut pieuse. Elle n’a pas souvenir d’une crise mystique particulière à ce moment. Elle dit simplement avoir fait sa première communion « comme on doit la faire », comme on, la fait dans une famille telle que la sienne.

Mais un peu avant treize ans et demi, époque de la première menstruation, Marie commença à souffrir dans sa santé. Elle fut prise d’une diarrhée qui la tourmentait sans cesse, et qui dura tout le temps où s’établirent les menstrues. Cet établissement fut difficile, et dura jusqu’à dix-huit ans, avec des irrégularités, des suppressions des règles parfois pendant cinq à six mois. L’équilibre nerveux était fortement troublé ; la jeune fille était devenue triste sans cause visible et avait, pour des raisons d’apparence futile, des crises de larmes. Par exemple, dit Marie Lefebvre, « pour une simple observation faite par Maman ».

A seize ans et demi, Marie fut retirée de pension et reprise chez ses parents, qui habitaient Fournes depuis deux ou trois ans.

Elle resta là jusqu’à son mariage. En 1888, elle épousait Guillaume Lefebvre, qui exerçait la profession de brasseur, rue de Lannoy, à Roubaix. Il y aurait déjà eu une alliance entre les familles Lefebvre et Lemaire. Guillaume et Marie, en unissant leurs vies et leurs biens, se constituaient un avoir conjugal de plusieurs millions. C’était un mariage de convenance arrangé par les parents.

Guillaume Lefebvre, né le 31 juillet 1854, était de dix ans plus âgé que sa femme. Marie abordait le mariage dans un état d’ignorance complète de ses réalités. Elle souffrit beaucoup, au début, de la révélation des réalités charnelles, et bien que s’y accoutumant peu à peu, n’aima jamais les rapprochements conjugaux, s’y prêtant d’abord par devoir.

Elle devint enceinte et souffrit, pendant sa grossesse, de divers malaises, principalement de douleurs dans les reins. Elle accoucha prématurément, à six mois et demi, d’une fille qui ne put vivre et qu’elle dit regretter. Elle eut, le 31 août 1890, son premier fils, André, puis le 24 mai 1892, son second fils, Charles. Elle dut rester étendue sur une chaise- longue une grande partie du temps de sa grossesse. Elle nourrit ses deux fils, comme elle avait été elle-même nourrie par sa mère, pendant quelques mois, au bout desquels ce fut sa mère qui lui dit : « C’est assez, il ne faut pas nourrir plus longtemps ». Elle n’eut plus ensuite d’autre enfant bien qu’ayant été prête, dit-elle, ainsi que son mari, à en accueillir volontiers d’autres.

Elle se consacra dès lors à ses deux enfants, qui prirent, dans sa vie étroite de bourgeoise rangée, à côté des soins au mari et à la maison, la première place.

Le ménage Lefebvre, qui vécut dix ans à Roubaix, rue de Lannoy, puis de 1898 à 1923 Boulevard Gambetta, dans la même ville, n’y fréquentait pas beaucoup de monde, tout replié sur la vie de famille. Le ménage était connu pour son économie extrême, qualifiée par beaucoup d’avarice. Mme Lefebvre, très pieuse, allait souvent dès la première heure à la messe. Mais quand le petit Charles eut six ans, il tomba malade d’une maladie fébrile qui lui laissa des troubles atrophiques et moteurs (anryotrophie type Charcot-Marie, voir certificat du Dr Sicard au dossier). Mme Lefebvre se consacra alors à cet enfant, le soignant jour et nuit, et s’attachant à lui comme savent le faire les mères aux enfants touchés par une infirmité. André seul demeurait valide, grandissait, étudiait, faisait son droit et s’apprêtait à devenir notaire, à l’exemple de son oncle Charles Lemaire.

C’est alors que, vers les approches de la ménopause, aux environs de 48 ans, en 1912, Mme Lefebvre commença à se sentir plus sérieusement atteinte dans sa santé. Elle devint la proie de troubles nerveux diffus et divers, tête perdue, nerfs tordus et, symptôme qui allait empoisonner sa vie, d’une constipation opiniâtre, contrastant singulièrement avec la diarrhée de la puberté. Cette constipation était tenace au point de ne pas céder pendant quinze jours parfois. Et les « coliques hépatiques » bientôt devaient commencer, les contractions d’estomac, et toutes ces sensations douloureuses diffuses de ptose dont la description, avec celle des troubles nerveux divers, emplira désormais les « journaux » ou cahiers de notes de Mme Lefebvre : « Ordonnancier », cahier dit le « Studieux » ou cahier dit de  » Bon secours ». (Voir le dossier.)

C’est alors que Mme Lefebvre tomba entre les mains des médecins qui, ainsi qu’il advient aux hypocondriaques et aux psychopathes en général, ne purent pour elle pas grand chose. Le halo psychique, condition de son mal, auréolant un noyau de mal physique, ne pouvait être dissipé par les médicaments, bromure, valériane, phytine ou autres, ni par’ quelques douches, ni quelques cures à Vichy.

Et le martyre de l’hypocondriaque commença. Insomnies, nerfs tordus, organes descendus (le médecin dé Vichy ou de Châtelguyon avait diagnostiqué la chute d’un rein, qui s’étendit aussitôt, dans l’esprit — sinon le corps — de Mme Lefebvre, à presque tous ses organes, entraînés, dit-elle, les uns par les autres) : tels sont les termes qui, tel un obsédant et douloureux refrain, reviennent dans toutes ses plaintes et tous ses écrits. Le ménage fit désormais chambre à part. La vie conjugale physique fut interrompue. L’amitié, seule vraie base de l’accord conjugal entre M. et Mme Lefebvre, subsista.

Mme Lefebvre, dès le début de son mal nouveau, encore très diffus, avait entrepris une cure à la maison de santé de Bon Secours, en Belgique. Elle y resta le printemps de 1912, revint chez elle, puis retomba malade et retourna à Bon Secours pour encore tout l’automne. Enfin elle revint chez elle, un peu améliorée, non guérie. C’est alors seulement que commencèrent les  » coliques hépatiques », les symptômes psychopathiques, avec la constipation, ayant d’abord occupé le premier plan, et seuls nécessité les séjours à Bon Secours. Maintenant les vaines courses et consultations de médecins en médecins, et les cures à Vichy ou ailleurs se succédèrent.

En 1914, Mme Lefebvre subit l’occupation allemande et n’obtint qu’en 1917 d’être évacuée avec son fils Charles, malade, tandis qu’André était au front et s’y comportait en brave. Elle partit pour le Midi de la France et apprit là la mort de son père, resté dans le Nord et âgé de 84 ans. Elle eut de la peine d’être loin lors de la mort de son père, qu’elle aimait tant. Sa mère survivait et ne devait s’éteindre, à 80 ans, qu’en 1920, avant sa plus jeune sœur Louise, en 1921, et son frère Charles, en 1922.

Mme Lefebvre resta dans le Midi jusqu’après la fin de la guerre, et rentra à Roubaix au début de 1919.

Cependant, son état de santé continuait à être mauvais. Les consultations ; les ordonnances recommencèrent à se succéder. Enfin le ménage Lefebvre décida, afin de procurer quelque calme à la malade, de quitter la ville et de faire construire une maison Boulevard de Roubaix, à Hem.

Le ménage s’installa dans cette maison en juin 1923. André Lefebvre, de son côté, ayant acheté l’étude du notaire de Fournes, y faisait bâtir et s’installait à Fournes, seul.

En 1924, André faisait, lui-même âgé de 34 ans, par des amis, la connaissance d ‘Antoinette Mulle, jeune fille d’une trentaine d’années, fille d’un brasseur de Laimoy, et qui avait, après la mort de son père, pris part avec beaucoup d’activité et de compétence à la direction de la Société Mulle, possédée en commun par Mme Vve Mulle et ses enfants Henri, Joseph, et Antoinette.

Mme Lefebvre ne s’opposa pas au mariage de son fils, bien que l’envisageant sans enthousiasme. André se fiança. Huit jours avant le mariage éclatait entre la belle-mère et la future bru la première scène (voir la déposition de Mme Mulle mère).

C’était à l’église. Mme Lefebvre s’approcha d’Antoinette et lui reprocha aigrement d’accaparer sans cesse l’automobile de la famille pour se promener avec son fiancé.

Le mariage eut cependant lieu. Pendant le voyagé de noces, écourté de six à quatre semaines, sous prétexte d’économie, d’affaires à Fournes, par Mme Lefebvre mère, André n’écrivit à celle-ci que des cartes postales. Il s’attira par là une aigre lettre de remontrances de sa mère sur le « respect dû aux parents », respect auquel ces simples cartes étaient un grave manquement. C’est pendant ce voyage de noces, me dit Mme Lefebvre, qu’elle apprit qu’Antoinette Mulle, ainsi que son frère Henri, auraient eu l’intention de faire un procès à leur mère, après la mort de leur père. « Qu’est-ce qui s’est introduit dans notre famille », pensa-t-elle. Et c’est au retour de ce’ voyage de noces, dans la première visite que lui firent les jeunes époux, qu’elle dit ne pas vouloir d’enfants « de cette race » (paroles à moi de Mme Lefebvre) « de cette espèce ». (Déposition de Mme Mulle mère.) On connaît aussi les pénibles épisodes de la broche en fausses perles et du mobilier de salon en soie rouge. La broche avait été choisie comme cadeau de noces, à sa bru, par Mme Lefebvre, qui ne prévint pas celui-ci que les perles étaient fausses. Antoinette ne le découvrit que le jour où elle porta la broche chez un bijoutier afin de lui faire mettre une fermeture de sûreté.

Le mobilier de soie rouge, évalué par Mme Lefebvre un assez haut prix dans la dot d’André, était tellement usagé qu’il dut être remisé par le jeune ménage au deuxième étage. En ne le voyant pas dans le salon de son fils, Mme Lefebvre mère fit une pénible scène. « Des bêtises ! » dit-elle aujourd’hui en haussant les épaules quand on lui reparle de ces faits.

Et c’étaient aussi sans cesse des remontrances sur les dépenses : sa bru n’aurait pas dû avoir de bonne, faire elle-même la pâtisserie, mettre des nappes rouges sur la table afin de payer moins de blanchissage, ne faire qu’un plat en famille, ne pas ajouter un œuf dans la sauce blanche, etc. (Voir déposition de Mme Mulle mère.)

Mme Lefebvre se rendit si insupportable que sa bru décida, dès février 1925, six mois après le mariage, de ne plus la voir. Seul André alla, chaque semaine, déjeuner chez ses parents à Hem.

C’est alors, en mars, qu’Antoinette devint grosse. André, comme pressentant d’instinct la situation entre lui et sa mère, n’en aurait prévenu que son père, et ceci fin avril ou mai. Une obscurité règne sur la façon dont Mme Lefebvre entendit, pour la première fois, parler de la grossesse de sa bru. Mais il est probable que dès lors lui en parvint une rumeur, bien qu’aujourd’hui elle le nie.

Au début de juin, le 4, elle eut la première idée d’achat de revolver et alla chez un armurier de Lille, afin d’en acquérir un, se disant déléguée par son mari, lui-même inquiété par des vols dans le voisinage, et une porte, chez eux., fermant mal. L’armurier fit signer à Mme Lefebvre une demande d’autorisation préfectorale d’acquérir un revolver, mais Mme Lefebvre, devant le lendemain partir à Vichy, n’eut pas le temps, avant son départ, d’obtenir cette arme.

Mme Lefebvre séjourna à Vichy, à la villa Paisible, du 5 au 24 juin. C’est là qu’elle reçut confirmation de la grossesse de sa bru. Et sa cure terminée, comme « il lui restait un jour, dit-elle, avant de rentrer à Roubaix, elle chercha comment employer cette journée. »

L’idée d’aller à Lyon voir la Foire, qui l’aurait tentée un moment, semble inventée après coup et faire partie du système de défense, assez pauvre en vérité, de Mme Lefebvre. Des personnes dans le train lui auraient, dit-elle, conseillé de descendre à Saint-Etienne. Toujours est-il qu’elle s’y arrêta. « pour visiter la ville », mais qu’elle n’alla qu’à la manufacture d’armes et y acheta un revolver « souvenir », dit-elle au procès, « de voyage ».

Munie de son revolver, Mme Lefebvre repartit le lendemain pour Hem. Là, son mari ne fut pas, paraît-il, très enchanté de cette acquisition. Elle se fit montrer un jour le maniement du revolver par son fils André, son mari n’aimant pas tirer. Elle tira elle-même.

Et ce furent alors « les tentatives de réconciliation » avec sa bru, provoquées par elle-même. Le 16 août, la promenade en auto à Arras. C’est là, dans l’auto, que sa bru lui aurait dit la phrase qu’elle me cita à plusieurs reprises comme la plus impardonnable, la plus mortelle injure : « Vous m’avez. Et bien, maintenant, il faut compter avec moi ». L’absence de respect, d’égards — c’est le refrain monotone que répète sans cesse, à propos de tous les souvenirs de sa bru, Mme Lefebvre, — se marque, à son avis, de façon éclatante dans ce simple propos.

La réconciliation ne fut pas obtenue ce jour-là. Le fils, qui conduisait l’auto, dut faire monter à côté de lui sa femme, pour la soustraire à l’attitude hostile de sa mère — peut-être, qui sait ? armée dès ce jour de son revolver.

C’était un dimanche. Le dimanche suivant, 23 août, André recevait une lettre de sa mère lui demandant s’il viendrait, le mercredi suivant, comme d’habitude, à Lille, et si sa femme l’accompagnerait. Il détruisit cette lettre, qui contenait des choses, dit-il, de nature à froisser sa femme, et n’y répondit pas.

Le mercredi suivant, 26 août 1925, il venait avec sa femme- à Lille, et après avoir déjeuné seul à Hem chez ses parents, revint à Lille avec son père, qui voulait aller à la Bourse, et sa mère, qui y voulait faire une visite. Au cours de cette visite, Mme Lefebvre était calme, comme d’ordinaire. (Voir déposition de Mme Roger Salembier.) André Lefebvre retrouva sa mère sur la place Rihour, où il avait garé l’automobile, et causant tranquillement avec sa femme.

Mme Lefebvre dit alors avoir quelqu’un à rencontrer hors la porte de Béthune. Elle prend place, derrière son fils, à gauche de sa bru, toutes deux assises à l’arrière sous la capote rabattue de la torpédo Ford.

André les mène d’abord jusqu’à la place Ronde, et là arrête l’auto, tandis que sa femme va à pied faire une course et que lui-même s’occupe, chez un imprimeur, d’une question d’affiches. Mme Lefebvre attend seule dans l’auto. C’est à ce moment sans doute qu’elle sortit de son étui le revolver emporté de Hem. Puis l’auto repart et prend, après avoir passé la porte de Béthune, la route de Fournes. Mais Mme Lefebvre prie soudain son fils d’obliquer à droite par le chemin de la Solitude pour aller, prétexte-t-elle, au presbytère de Loos « afin de faire dire des messes pour son mari blessé au doigt et pour le repos de l’âme de ses parents ».

L’auto retourne en arrière et s’engage dans le chemin de la Solitude. Juste avant le deuxième réverbère, où le chemin fait un tournant, elle demande — me dit-elle — à son fils d’arrêter, sous prétexte d’un petit besoin à satisfaire. [Mme Lefebvre disait au procès avoir demandé l’arrêt de l’auto après le coup de revolver. Pavillon Olivier, puis, aucun médecin ne s’y trouvant, l’hôpital. Il était six heures du soir.]

Et comme la voiture s’arrête, elle sort son revolver, l’applique sur la tempe gauche de sa bru, qui détourne la tête regardant à ce moment sur la route, et avec une implacable sûreté, la tue net d’une balle qui traverse droit le crâne d’une tempe à l’autre.

Le fils se retourne, voit sa femme couverte de sang. « Maman, qu’est-ce que tu fais ? Qu’as-tu fait ? » Après avoir pris puis rendu le revolver, il remet l’auto en marche, passe l’octroi, avec derrière lui sa femme ensanglantée retombée sur sa mère, qui la soutient et l’empêche de tomber aux cahots de la vieille Ford. En dix minutes, on gagne le Pavillon Olivier, puis, aucun médecin ne s’y trouvant, l’hôpital. Il était six heures du soir.

Et les dépositions du concierge de l’hôpital et du Commissaire de police Christol ont évoqué la scène tragique de la belle-mère meurtrière, « assise sur la troisième marche de l’escalier de l’hôpital » impassible, absente, comme étrangère à ce qui se passait là, tandis qu’à quelques pas, sur une civière, était étendu devant elle le corps de sa victime.

Cette nuit-là, Mme Lefebvre couchait en prison.

II. – La répercussion

Le crime de Mme Lefebvre, tuant ainsi froidement d’un coup de revolver sa bru enceinte de cinq mois et demi, inspira une horreur immense.

Mme Lefebvre fut jugée, l’année suivante, en octobre 1926, aux assises de Douai, et condamnée à mort.

La foule, pendant les débats des assises de Douai, hurlait à la mort. Mme Lefebvre n’était-elle pas « la plus antipathique des accusées ? ». Depuis un an déjà, depuis le soir du drame, le peuple réclamait pour elle l’échafaud.

Bile avait, en effet, commis un crime d’une horreur antique : tuer pour l’amour d’un fils comme d’autres pour l’amour d’un amant ; une senteur d’inceste flottait autour de drame. On chuchotait même dans le peuple qu’elle aurait eu avec son fils des rapports charnels.

Bile était de plus, depuis le crime – ce que la foule ne pardonne pas ! – d’une étrange impassibilité ; le remords ne la brisait, ne la courbait pas ; elle n’avait pas eu un mot de pitié pour sa victime.

Elle était vieille ; la grâce de la jeunesse ne plaidait pas pour elle.

Elle était avare : le bruit des gros sous entassés et les dépenses mesquines – contraste ! – reprochées à sa bru révoltaient.

Elle était riche, et des rumeurs de corruption possible de la justice circulaient. On allait peut-être « la faire passer pour folle », la soustrayant ainsi au juste châtiment. Aussi le rapport des experts du tribunal avait-il conclu à la pleine et entière responsabilité.

Que faire en effet d’une semblable accusée ? La déclarer irresponsable, c’était lui ouvrir l’asile, d’où l’on peut ressortir sur certificats médicaux sanctionnés par le Préfet, pour rentrer droit dans sa famille. Le sentiment de « justice » du peuple ne l’eût pas accepté.

Et le public fut déçu par la grâce présidentielle qui, en décembre 1926, commua, pour Mme Lefebvre comme pour toutes les femmes en France depuis tant d’années, la peine de mort en celle de la réclusion perpétuelle.

Le crime de Mme Lefebvre inspira autant d’intérêt que d’horreur. Les journaux étaient pleins de l’affaire. Le Figaro ouvrit une enquête auprès de médecins, juristes, psychologues, sur les mobiles principaux qui incitent les criminels au crime. Les réponses en sont inutiles à noter : toutes plus vagues et « à côté » les unes queues autres.

Il est plus intéressant de reprendre l’examen des rapports, au procès, des experts.

Les experts officiels du Tribunal, les Docteurs Râviart, Rogues de Fursac et Logre, avaient, dans leur rapport médicolégal, après un compte-rendu détaillé du dossier et de leur examen mental de l’accusée, compte-rendu qui semblait appeler une autre conclusion, conclu à sa responsabilité-pleine et entière. Ils écartaient la folie, et expliquaient le crime de Mme Lefebvre par le « caractère un peu particulier » de celle- ci. File aurait agi, disaient-ils, sous l’empire d’une conception archaïque de la famille : le matriarcat. Le « Pater familias », à Rome, n’avait-il pas droit de vie et de mort sur les siens ? De même, Mme Lefebvre. Dépouillée par l’intrusion d’une nouvelle venue assez autoritaire, disaient-ils, de son côté, de l’autorité jusqu’alors absolue dont elle jouissait sur sa famille, elle se serait attribué le droit de supprimer l’intruse et l’aurait fait sans émoi, sans remords, comme le Pater familias antique. N’avait-elle pas dit à l’instruction : – « J’avais l’impression de faire mon devoir. » Ainsi Mme Lefebvre, de par l’alliage d’un caractère « un peu particulier » avec une conception archaïque de la famille, serait devenue criminelle, ce qui eût laissé, concluaient les experts, entiers son libre arbitre et sa responsabilité.

La contre-expertise du Docteur Voivenel et la consultation du Docteur Maurice de Fleury, suscitées par la défense, apportaient une conclusion opposée. Mme Lefebvre avait, d’après eux, une constitution « paranoïaque » sur laquelle s’était développée une psychose de revendication, de ce type de folie raisonnante séparé par Sérieux et Capgras du délire d’interprétation. Ces malades conservent la mémoire, la faculté raisonnante à un haut degré, ce qui fait illusion aux profanes sur leur intégrité mentale. Mais en un point leur raison est troublée, en ce qui touche à la faculté dite de jugement. Une idée prévalente douée d’un « affect » puissant s’étant établie en eux et y devenant dominante, tout ce qui touche à cette idée prévalente perd ses proportions. Ainsi de tous les dires de Mme Lefebvre relatifs à sa bru. Mme Lefebvre est incapable de préciser contre celle-ci un grief sérieux. Des paroles insignifiantes lui semblent des offenses justiciables du coup de revolver. Et la sûreté de l’exécution, le soulagement suivant le crime, l’absence de remords : autant de signes cliniques de la psychose de revendication, telle qu’elle fut décrite par les auteurs, par Sérieux et Capgras, et par d’autres, tel le Docteur Logre lui-même, ainsi que le releva Maurice de Fleury

Mais le jury qui juge avec son « bon sens » et ignore la psychiatrie, le jury, émanation de ce même peuple qui hurlait aux portes du Tribunal de Douai, le jury qui pouvait étayer sur l’autorité des experts officiels son indignation et son dégoût immenses d’une telle meurtrière, devait rester sourd à la voix des contre-experts et voter la culpabilité sans circonstances atténuantes, entraînant le verdict de mort.

III – Le thème

Le Docteur Voivenel, dans une conférence faite le 13 janvier 1927 à l’Hôtel des Sociétés savantes, au « Faubourg », rapporta, plus nettement que dans sa contre-expertise, le crime de Mme Lefebvre au complexe d’Œdipe.

Dans sa contre-expertise, il n’avait, en effet, eu qu’à mettre en valeur le fait de la folie raisonnante et non le dynamisme psychologique de Mme Lefebvre. Il était plus libre dans une conférence d’exposer la « densité psychologique » du drame.

Le complexe d’Œdipe, d’après Freud, est — je n’ai pas besoin de le rappeler — cet état du sentiment, de l’instinct, chez l’enfant, qui le pousse sexuellement vers le parent dû sexe opposé, avec — contrepartie logique — désir de mort dirigé contre le parent de même sexe, considéré comme un rival. Ce complexe, vivant dans toute sa réalité sexuelle — désirs de contact physique et de satisfaction d’ordre sensuel — existe aussi chez le parent, mais chez celui-ci atténué, assourdi de par la longue contrainte de la censure sociale. Le père préfère sa fille, la mère son garçon. Parfois les barrières millénaires de la censure sociale s’écroulent et le crime d’Œdipe — inceste ou meurtre — sur la répression duquel s’édifia la civilisation, est à nouveau réalisé.

Le crime œdipien, chez Mme Lefebvre, le crime œdipien retourné, non d’Œdipe, mais de Jocaste, est tellement évident qu’il faut toute l’horreur qu’inspire l’ « inceste » pour que le nom de l’inceste n’ait, dans une enquête telle que celle du Figaro, par exemple, auprès de médecins, juristes, psychologues, etc. pas même été prononcé.

Le peuple avait un sens plus juste de la chose, quand il chuchotait, à Douai, à Lille ou à Paris, le secret terrible : un amour charnel entre la mère et son fils. Il se trompait sur le fait : rien de réel, de conscient, ne se passa entre cette mère et ce fils d’une famille bourgeoise où la plus stricte et étroite morale régnait. Mais le peuple avait là le pressentiment du drame déroulé dans l’inconscient de ces êtres, et exprimait à sa façon crue et simpliste cette vérité que Mme Lefebvre, c’est Jocaste qui a tué.

Le caractère œdipien de ce drame est d’ailleurs ce qui lui donna sa portée et sa répercussion immenses dans l’esprit des hommes. Sans savoir pourquoi, tout le monde s’intéressait à l’affaire Lefebvre. C’est que, dans toute mère, tout au fond de l’inconscient, il y a, bien qu’inexprimé, un peu de Jocaste et de Mme Lefebvre. Le drame de la Solitude, est de ceux qui savent exprimer une des manières d’être éternelles de l’inconscient humain.

Nous n’avons, sur l’enfance « œdipienne » de Mme Lefebvre, que de vagues lueurs. Le dossier ne nous en apprend à peu près rien, et, dans une conversation de quatre heures ne se peut analyser une vie et en remonter le cours. Mais je pus comprendre, malgré les affirmations répétées de Mme Lefebvre que, dans sa famille, on savait « le respect et les égards dus aux parents « , je pus voir que Mme Lefebvre avait adoré son père et eu pour sa mère un attachement bien plus douteux. Elle ne parle de celle-ci qu’avec convention, froideur, raconte qu’on ne lui avouait pas quand « on faisait un pet de travers », qu’on la craignait, qu’elle n’était pas commode. L’instruction du procès nous avait appris que cette mère était dotée d’une avarice égale à celle de sa fille — comme elle l’était d’ailleurs des « coliques hépatiques » futures de celle-ci. Bref, cette mère ne semble pas avoir été aimée tendrement par l’enfant, et il est probable qu’un sentiment inverse, de haine véritable aujourd’hui inavouée, oubliée par la vieille femme dévote qu’est Mme Lefebvre, vécut dans le cœur de la petite fille rivale de sa mère.

C’est à deux ans que la petite fille, jusque-là seule en possession de l’intérêt, de l’affection de ses parents, dut subir l’arrivée d’un nouveau venu, son rival dans leur cœur. C’est alors, en effet, que naquit son unique frère, et nous savons, par les analyses, quelle révolution est pour un enfant la naissance d’une sœur ou d’un frère.

L’enfant, qui se sentait jusque-là le centre du monde, voit le nouveau venu prendre sa place dans le cœur comme au sein maternels. Que dire quand le nouveau venu est un frère forcément préféré par la mère ; la fille plus âgée peut ne jamais pardonner à la mère cette trahison du cœur et du sein maternels.

C’est sans doute alors que Mme Lefebvre se détacha profondément de sa mère et reporta sur son père — portée par l’instinct de son sexe — toute la force infantile de sa libido ; mais peu à peu, comme le nouveau venu était lui-même un garçon, devait glisser sur lui un peu de cette libido, et le frère devenir le grand ami de sa sœur aînée.

Quand la petite fille eut près de quatre ans, allait lui naître une petite sœur, alors, à tous points de vue, intruse dans le petit, menace qu’elle constituait déjà avec son petit frère.

La vue de la mère enceinte, grosse, dut, dans l’enfant déjà âgée de presque quatre ans, éveiller contre celle-ci une hostilité instinctive, devineresse du sens de cet embonpoint insolite. Les analyses de gens névrosés ou non sont pleines de ces souvenirs : l’enfant devine parfaitement le sens de l’embonpoint de la mère enceinte, et trouve celui-ci à juste titre inquiétant (Voir l’analyse du petit Hans dans Freud, « Analyse der Phobie eines fünfjährigen Knaben », Gesammelte Werke. Vol. VIII).

Mme Lefebvre, à en juger par sa future réaction contre sa bru enceinte, dut ressentir tout particulièrement cette grossesse de sa mère, enceinte de sa petite sœur.

Nous ne savons pas, et Mme Lefebvre ne le sait sans doute plus elle-même, comment, enfant, elle réagit à la naissance même de Nelly, cette petite sœur. Mais un souvenir ultérieur nous éclaire sur les sentiments que devait lui inspirer dès lors cette petite rivale.

Freud a analysé un souvenir d’enfance de Goethe, rapporté par celui-ci dans « Dichtung und Wahrheit » (Freud, Gesammelte Werke, Vol. X). Goethe, en un endroit, y parle des maladies de l’enfance et de son petit frère, plus jeune que lui de près de 4 ans et mort à 6 ans ; en un autre, il rapporte comment un jour, avant cette époque, à l’instigation des voisins, il précipita par la fenêtre, dans la rue, de la grande et de la petite vaisselle, prenant un infini plaisir à la voir s’y briser en mille éclats. Cet acte apparaît comme un « acte-symbole » exprimant le désir qu’aurait eu alors Goethe enfant, jusque-là seul possesseur du cœur maternel, de précipiter aussi dehors son petit frère et de s’en débarrasser.

Or nous retrouvons, dans les souvenirs d’enfance de Mme Lefebvre, un acte-symbole de valeur certes égale. Elle me rapporta en effet à deux reprisés et en riant de plaisir à ce souvenir, que son jeu principal, dans l’enfance, était d’enterrer les poulets — c’est-à-dire les poussins crevés. C’est son frère, dit-elle, qui jouait avec elle à ce jeu et en aurait même eu l’idée ; la petite sœur Nelly semblait y prendre une part très secondaire. Ce jeu suivait un strict cérémonial : les poussins étaient couchés dans des boîtes à cigares (ils ne devaient pas être bien gros pour pouvoir y tenir) ; le petit Charles, jouant le prêtre, récitait ensuite sur le « cercueil » les prières des morts, faisait le service funèbre, et le tout était enterré en grande pompe dans le jardin. On dressait une croix sur la tombe, on l’ornait de couronnes de fleurs, de pâquerettes.

Le sens de ce jeu, analytiquement, apparaît assez clair. Il devait exprimer le désir de la mort de la petite sœur, représentée dans l’inconscient par le petit poussin. On la renvoyait dans la boîte d’où elle était si malencontreusement sortie, on l’enfermait à nouveau dans le sein de la Terre-Mère. Et Dieu lui-même, projection agrandie du père, était complice, comme l’enfant l’eût désiré, à l’égal du petit frère qui récitait le service funèbre, et partageait sans aucun doute les sentiments hostiles, envers la petite intruse, de sa plus grande sœur.

La même réaction se retrouve d’ailleurs plus tard en Mme Lefebvre, priant Dieu, au temps de ses ennuis, de « reprendre sa bru » (voir dossier du procès et rapports des experts) et avait besoin, au moment du meurtre, de la présence auprès d’elle de son fils.

Nous savons, par les analyses, combien le désir d’avoir un enfant de leur père est souvent intense chez les petites filles. Le désir d’épouser leur père est un des désirs les plus fréquemment même exprimés par elles. Elles voudraient en tout prendre la place de la mère, dont elles sont jalouses. Il est probable que Mme Lefebvre en voulut mortellement à sa mère pendant que celle-ci était enceinte de sa petite sœur, et après la naissance de celle-ci.

Je ne parle pas ici de la naissance de la plus jeune de toutes, les sœurs, Louise, née quand Marie avait déjà six ans, c’est-à-dire trop tard pour avoir pu provoquer en Marie autre chose que la répétition d’une réaction primitive plus ancienne.

Il reste à parler des rapports de Marie Lemaire à ses grands- parents. Nous savons que ceux-ci habitèrent avec leur fils, Charles Lemaire, père de Mme Lefebvre, les dernières années de leur vie. Et ceci dut être décisif pour créer les manières de sentir de Mme Lefebvre.

Le premier souvenir de Mme Lefebvre est en effet celui-ci : elle, enfant, marchant auprès de sa grand-mère. Ce premier souvenir doit être un « souvenir-écran », comme tous nos premiers souvenirs, recouvrir et représenter un état très important de l’affectivité de l’enfant.

Mme Lefebvre parle de cette grand ‘mère, mère de son père, sur un ton d’amour attendri qui contraste avec celui, assez sec, dont elle parle de sa propre mère. Cette grand’mère semble lui avoir inspiré la seule affection attendrie dont elle ait été Capable pour une femme. Elle la perdit, comme son grand- père, quand elle avait six ans, âge auquel elle entra elle-même au couvent de Fournes. Elle insiste aujourd’hui sur l’harmonie régnant entre sa mère, son père et les parents de celui-ci ; elle sourit en pensant au paradis familial, constitué par son père entouré de ses parents, et où elle grandit. La grand- mère avait, pour la petite Marie, un avantage immense sur la mère : elle ne commettait pas le crime d’introduire d’autres enfants, frères ou sœurs, dans la maison, elle ne devenait pas enceinte ; elle n’était pas la femme du père, place convoitée par l’enfant. Elle était bonne et menait l’enfant promener en la tenant par la main. Si Marie s’identifia à sa mère comme femme du père — et même par l’avarice et les « coliques hépatiques » — elle s’identifia aussi à sa grand’mère. Et le vieux souvenir ineffable du paradis familial, où souriait la grand’mère auprès du fils pourtant marié, né dut pas rester étranger à la genèse, plus tard, des prétentions de Mme Lefebvre à régner sur le ménage de son propre fils.

En résumé, Mme Lefebvre, grandie sous le signe d’un amour extrême du père dut éprouver, dans l’enfance, la jalousie inhérente à un complexe d’Œdipe très actif, si très refoulé sous le « respect dû aux parents » et l’éducation religieuse. Elle transféra un peu de l’amour porté au père sur son petit frère, et de la jalousie portée à sa mère sur sa petite sœur. Elle aima sa grand’mère, lui fut reconnaissante de n’être pas la femme du père, de n’être pas celle qui porte les autres enfants du père.

Ce motif de la grossesse, péniblement ressentie, de la mère, dut être très fort dans l’enfance de Marie Lemaire. C’est ce motif, refoulé dans l’inconscient qui devait ressurgir plus tard, et armer la main qui commit le crime. Car Mme Lefebvre ne commença à penser au revolver qu’en apprenant la grossesse de sa bru. Jusque-là, quoique la haïssant et la persécutant, elle l’avait supportée. Mais en mai 1925, Mme Lefebvre entend dire que sa bru pourrait être enceinte : elle va alors chez l’armurier, à Lille, chercher un revolver. Vu le temps nécessaire à établir l’autorisation préfectorale, elle ne peut obtenir l’arme avant de partir à Vichy. C’est là qu’elle a confirmation de la grossesse de sa bru. Alors, avant de rentrer dans le Nord, elle va à Saint- Etienne pour y acheter le revolver.

Jusqu’à quel point, en cherchant à l’acheter et en l’achetant, Mme Lefebvre avait-elle déjà l’intention consciente de tuer ? Nul ne le saura jamais, sans doute plus même elle. Mais ce qui est certain, c’est que l’inconscient de la future criminelle dès lors savait, et avec une implacable logique poussait le conscient à chacun des gestes successifs pouvant assurer l’exécution finale du dessein meurtrier. Ainsi s’éclairent les « mensonges » de Mme Lefebvre relatifs à ses rêves. Il semble en effet très douteux que les rêves qu’elle conta aux experts officiels, rêves qu’elle prétendit avoir rêvé les jours précédant le crime, et où elle étranglait et noyait sa bru, n’aient jamais vraiment été « rêvés » ; ils semblent imaginés après coup en vue de la défense. Mme Lefebvre, interrogée par moi de façon plus pressante, ne put jamais arriver à préciser l’un de ces rêves et resta, dans le vague. « Je la noyais… » fait-elle d’un geste évasif. Elle ne put d’ailleurs me conter aucun rêve d’aucune époque de sa vie, elle qui, pourtant, pendant les douze années de son hypocondrie, de 48 à 60 ans, dit avoir été tourmentée par les plus intenses cauchemars. Elle ne conte que ces rêves imprécis, sans aucun détail : « Je la noyais… » et réveillée ensuite, dit-elle, elle pouvait se rendormir, soulagée, après s’être couchée, la fenêtre grande ouverte, sur le plancher.

Il est assez difficile de croire que ces rêves aient été vraiment rêvés. Mais, nous le savons par les analyses d’œuvres littéraires (voir « Der Wahn uud die Träume in Jensens Gradiva », Freud, Gesammelte Werke, Vol. IX), un rêve, qu’il soit rêvé ou imaginé, possède la même valeur comme révélation de l’inconscient de qui le rêve ou l’imagine. Et quand Mme Lefebvre conte un rêve, sans doute inventé après coup, pour se justifier par l’idée obsédante de la noyade de sa bru, elle ne fait que traduire une réalité profonde de ce psychisme impérieux, qu’il se soit traduit en rêves ou non, qui lui commanda son crime.

Elle alla même, dans la conversation qu’elle eut avec moi, plus loin, et me conta ce qu’elle n’avait pas dit aux experts ; elle aurait rêvé, me dit-elle, la nuit précédant le crime, tout ce qui eut lieu le jour suivant : la course en auto, le revolver emporté, le coup tiré, au même endroit du chemin de la Solitude. L’invention était évidente et cependant rien ne correspond à la réalité psychique comme ce rêve inventé qui est une manière de dire : « Mon crime était peint d’avance en moi et il y avait, au fond de mon âme, comme un mystérieux œil au-dedans fixé qui n’avait qu’à regarder pour copier fidèlement ce qui y était ».

Chaque moment du drame était pré-ordonné et devait être reproduit avec exactitude et minutie.

IV. – Le mode

On a dit que Mme Lefebvre avait tué par avarice, parce qu’elle trouvait sa bru trop dépensière. Elle se défend violemment contre cette accusation, et elle n’a pas tort.

Mme Lefebvre était certes d’une avarice notoire. Cependant son avarice n’était pas dans sa vie une constante, ainsi que les experts l’ont souligné. Mme Lefebvre était, comme d’ailleurs en général les avares, avare dans beaucoup de cas, mais parfois large dans d’autres.

Quand il était question de sa santé ou de celle des siens, de son mari ou de ses fils, elle dépensait, n’hésitait pas à aller consulter les plus grands médecins, à suivre des cures dispendieuses. Mais dans tout ce qui regardait sa bru, Mme Lefebvre, pourtant riche de plusieurs millions, manifestait une avarice extrême, sordide, au point de donner l’impression à certains d’être pathologique.

Elle commença par faire dans une église une scène à sa future bru, à propos de l’auto que celle-ci prenait trop souvent avec son fiancé, ce qui occasionnait trop de dépenses. Elle raccourcit le voyage de noces sous prétexte que plus long il coûterait trop cher, ferait faire des pertes d’argent à son fils à propos de sa maison, de son étude ; elle aurait reproché aux jeunes époux d’avoir pris pour ce voyage de noces des premières classes. Elle persécutait sa belle-fille, pourtant peu dépensière elle-même (60.000 francs d’économies sur près de 100.000 francs de revenu la première année du mariage, voir dossier), à propos de dépenses minimes : d’une nappe sur la table, d’un gâteau acheté chez le pâtissier, d’un œuf dans la sauce blanche. Elle eût voulu que sa belle-fille n’eût pas de bonne. Il est certain que la plus minime dépense engagée par sa bru ou par son fils pour celle-ci, touchait au vif la belle-mère et la mettait hors d’elle-même.

La disproportion entre la violence des reproches et l’exigüité de la dépense frappa le public et le révolta. D’où l’idée de l’ « avarice pathologique ».

Mais cette disproportion cesse d’exister pour qui connaît la loi du « déplacement de l’affect ». Nous avons appris, par l’analyse surtout des obsédés, que les instincts et les complexes mal refoulés se servent de ce mécanisme pour tourner le refoulement et reparaître dans la conscience sous forme de Symptômes. L’interdiction que leur fit la censure de revenir au jour, ils la tournent en n’y reparaissant pas sous leur vrai visage, en empruntant une autre figure, insignifiante en apparence. Mais ce qui s’agite et vit sous le masque est trahi par l’intensité de l’émoi disproportionné, à l’apparente cause de cet émoi. Il semble absurde en vérité qu’une multimillionnaire comme Mme Lefebvre fasse, par exemple, une remontrance ou une scène à sa bru « pour un œuf de plus dans la sauce blanche ». (Déposition de Mme Vve Mulle). Mais cette absurdité cesse dès qu’on a compris que l’œuf en question n’est que symbole d’une autre chose, autrement importante.

Tout argent dépensé par le fils pour sa femme est, pour la belle-mère, sujet à intense douleur, que ce soit pour acheter un gâteau, un œuf ou faire blanchir une nappe. Car tout argent dépensé est un don, un don transposant, sur le mode de la régression anale, le don d’amour.

Nous avons appris, par les travaux de Freud et de ses disciples, tel Abraham, l’importance des phases prégénitales de la libido [Dr Karl Abraham, „Versuch einer Entwicklungsgeschichte der Libido“, 1924, Internationaler Psychaualytischer Verlag, Leipzig, Wien, Zurich.] L’érotique anale, avec ses deux moments (perdre d’abord les « fèces », puis les retenir, ce qui équivaut à la première notion humaine de la « possession », de la « propriété ») domine la seconde phase du développement de la libido chez l’enfant, celle qui succède à l’orale, et est ranimée, chez certains psychopathes, sous des influences diverses, – par la régression. Or Mme Lefebvre subit,’ avec une particulière violence, la régression de la ménopause, si fréquente chez la femme, à ce moment où se tarit en elle la source de la génitalité et où les sécrétions internes sont profondément modifiées. Son hypocondrie en porte témoignage, cette hypocondrie dont elle fut la proie à partir de 48 ans.

On ne saurait exagérer l’importance, dans l’histoire de Mme Lefebvre, de son hypocondrie. Les experts officiels ont tenté, pour les besoins de la cause, de la ramener à de simples « malaises physiques », mais tout psychanalyste, tout psychiatre, et même beaucoup de médecins savent que l’hypocondrie est essentiellement constituée par un vaste « halo » psychique auréolant un noyau physique, proportionnellement très petit.

L’hypocondrie, d’après Freud (voir : „Zur Einführung des Narzismus“, Gesammelte Werke, Vol. VI) exprimerait un retour de la libido sur le sujet même, serait une « névrose narcissique actuelle » exprimée dans le langage organique. L’hypocondriaque, devenu incapable de porter son intérêt, sa libido, sur les objets extérieurs, retourne celle-ci sur ses propres organes, qui servent désormais à exprimer toute sa vie instinctive érotique. L’hypocondrie serait d’ailleurs souvent un stade préliminaire des psychoses paranoïaques ; nous verrons plus loin combien le cas de Mme Lefebvre justifie ces vues de Freud.

Cette régression de la libido sur le sujet lui-même est très favorisée quand le sujet n’a jamais pu, au cours du développement, parvenir au stade génital.

Or Mme Lefebvre, sous l’influence d’une éducation religieuse outrepassant ses buts, d’une répression excessive et précoce de l’instinct, ne put sans doute jamais atteindre au vrai stade génital. Il peut être pénible de parler, dans un article, de la vie intime d’une vivante, mais on ne peut même tenter une étude analytique de cette criminelle sans mentionner les renseignements qu’il fut possible de recueillir à ce sujet.

Mme Lefebvre semble avoir été une frigide psychique soumise aux rapprochements d’un mariage de convenance par simple devoir. Les réalités charnelles, que jeune fille elle ignorait, lui furent pénible surprise, et ce ne fut que peu à peu que  » cela alla mieux ». Mais, ainsi qu’il arrive aux frigides psychiques, elle ne sait pas trop de quoi on lui parle quand on lui demandé le sens de ces mots. Et, ainsi qu’il arrive à ces frigides, elle a perdu tout souvenir de l’onanisme infantile, pourtant si général. Or, les analyses de frigides psychiques nous le montrent, l’impossibilité du retour de la fonction et l’amnésie de la sensation sont conditionnées par un même facteur de refoulement. On voit d’ailleurs souvent, au cours des analyses ou au cours de la vie, l’amnésie de l’onanisme infantile disparaître au moment précis du retour de la sensation génitale.

Le « cela alla mieux » de Mme Lefebvre se rapporte-il à une sorte d’ombre d’orgasme difficile à imaginer pour qui possède intégralement cette fonction physiologique, ou bien ne désigne-t-il que le « plaisir préliminaire » ? Elle admet bien le souvenir d’une sorte de frissonnement, mais comme une chose saris aucun intérêt, et il est permis de penser que la satisfaction pleine, l’orgasme, dût lui rester inaccessible. Car elle dit : « Il est des choses dont je n’avais jamais envie, ce qui désappointait mon mari ».

Mme Lefebvre eut cependant trois grossesses, la stérilité étant sans rapport réel avec la frigidité. Et comme sa libido n’avait pas trouvé d’issue normale dans le mariage, et comme sa vertu, sa religion, sa tendance à la régression lui interdisaient toute recherche d’amour hors mariage, tous, ses instincts, ses sentiments se fixèrent sur l’enfant. Le sens que le fils peut avoir pour les mères, nous l’étudierons plus loin. Nous remarquerons ici qu’une longue vie d’épargne sentimentale était condition du crime final de Mme Lefebvre, et que son crime et sa vertu sont fonction du même facteur.

Mme Lefebvre aima ses deux fils avec une ardeur renfermée et absolue. Cet amour permis par l’Église devait emplir son cœur étroit. Quand son second fils, Charles, à six ans, tomba malade, jour et nuit elle le soignait. Elle n’a pas assez de mots de louange pour son fils André, si doux, si bon, qu’il supportait même sa femme, dit-elle en souriant de ce sourire qui fit horreur à l’audience, lorsque la mère vit ce fils paraître comme témoin et murmura : « Mon pauvre enfant ! »

Mme Lefebvre n’aime que sa famille, les êtres dans les veines desquels coule aussi son propre sang. Son mari aussi, donné qu’il fut par ses parents, par l’Église couronnée par Dieu le Père. Car Mme Lefebvre, qui ne parvint jamais au stade génital, ne peut aimer que sur le mode narcissique, possessif, correspondant au stade sadique-anal auquel elle est fixée et vers lequel, à la ménopause, elle fit une régression intense.

Je sais que cette partie est la plus obscure de cet essai. On voit fatalement moins clair en abordant les régions ténébreuses des stades prégénitaux de la libido. Mais certaines régions, bien que ténébreuses, n’en existent pas moins, et l’on peut essayer, aidé de quelques lueurs, de les explorer quelque peu.

L’obscurité régnant en ces régions du psychisme n’est pas mieux illustrée que par un extrait textuel des cahiers de Mme Lefebvre, de ces cahiers où, à partir de la ménopause, dans ses crises d’hypocondrie, elle notait ses sensations pénibles.

Je choisis la célèbre pièce 300 du dossier, citée aussi par le Docteur Voivenel dans sa contre-expertise.

Pièce 300. — Au dos d’un billet de mort adressé à M. et Mme Guillaume Lefebvre, à Hem (c’est-à-dire en ou après 1923, année où le ménage se transporta à Hem).

 » Nerfs tirent, croquent, se tordent, sensibles, font mal, fatigue, jamais force. Nerfs tirent, battent, détendus. A peau resserrée, remontée comme les ressorts d’une montre. Relâchement des nerfs raidis, gonflés — contractions, crampes, pas de forces — agitation, tourmentés, se tirent comme un filet — sensible, agacée, parle seule ou… (mot illisible) — après tombent, plus de forces… (mot illisible) contractions estomac, irritation, impressionnabilité. Nerfs sensibles, estomac tordu, contractions. Obligée reposer sur les repas, car après tout est agité. Névralgie, rhumatisme, foie, estomac, organe descendu — muscles relâchés. Que faut-il faire pour les fortifier, jambes molles, muscles tombent et nerfs affaiblis. Vapeurs, vertiges, débilité, fièvre nuque, lombes — suis obligée de ne plus faire un mouvement. Rester couchée après le souper, sans quoi pas dormir. Agitée, ne puis pas même lire ni travailler, dors difficilement. Tête ne tient plus sur les épaules, muscles et nerfs relâchés, nerfs raidis, estomac, convulsions, fièvre, rhumatisme, pas de nerfs stables. Estomac tordu, fièvre, contraction lombes, dépression, fatigue, voir neurasthénie, agitation, névrose, mariage enfants. »

Le Docteur Voivenel se servit de cet extrait pour souligner l’hypocondrie. Nous croyons que l’on pourrait y trouver bien davantage —- mais on ne peut voir, nous le répétons, que très confusément dans les ténèbres de la régression prégénitale.

D’autres extraits des notes de Mme Lefebvre, des cahiers dits de Bon secours, l’Ordonnancier ou le Studieux, nous montrent ses préoccupations intestinales, la hantise de la constipation, de la purge, impliquant la prédominance, chez Hypocondriaque, des préoccupations de l’ordre anal. Certes les coliques hépatiques, la ptose des organes, la constipation, chez Mme Lefebvre, n’étaient pas tout entières imaginaires. Mais l’immense halo psychique les auréolant en faisait seul de l’hypocondrie.

La pièce 300 s’étend, elle, avec complaisance sur la contraction des nerfs tirés, tordus, etc.. Ce motif revient d’ailleurs : sans cesse dans les cahiers ou notes de Mme Lefebvre. On peut se demander jusqu’à quel point les sensations que son inconscient groupait autour de ses troubles organiques ne reproduisaient pas pour l’inconscient les lourdeurs de la grossesse et les douleurs de l’accouchement ? (Je dois cette suggestion au Dr Laforgue.) Il est même question de contraction des lombes. Et l’on a beaucoup remarqué à la fin les mots de mariage et enfants, on a épilogué pour savoir s’ils devaient être lus ensemble signifiant : « mariage d’enfants » ou  » mariage, enfants »… se rapportant, pour Mme Lefebvre, au mariage de ses enfants ou au sien et à ses propres enfantements.

Freud, dans « Zur Einfuhrung des Narzismus », émet l’hypothèse que les sensations de modifications dans les organes de l’hypocondriaque auraient, transférés à d’autres organes, pour prototype les changements organiques qu’éprouvent les organes génitaux pendant l’érection. Mais la grossesse aussi donne aux femmes la sensation interne de modifications organiques, et d’un « organe qui pousse, qui croît », et l’accouchement est une sensation génitale intense. Tous deux- peuvent dans l’inconscient servir d’aliment aux obscures et tenaces sensations hypocondriaques.

Cette hypothèse est d’autant plus en harmonie avec les conceptions freudiennes que les analyses, montrent l’équivalence, pour l’inconscient, de l’enfant et du pénis. L’enfant est le remplaçant pour la femme du pénis qui lui manque, ainsi que nous le montrerons plus loin. Et au domaine prégénital de l’érotique anale, où justement Mme Lefebvre, dans son hypocondrie, avait régressé, l’équivalence existe entre Fèces = Or = Pénis = Enfant. (Voir Freud, « Charakter und Analerotik », etc. Gesammelte Werke, vol. V.)

Or, chez Mme Lefebvre, cette équivalence est évidente. Sa jalousie éclate d’abord sur le mode franchement anal : il ne faut pas que son fils donne de son argent à une autre femme. L’argent est même assimilé là, suivant le mode d’expression de l’inconscient, à n’importe quelle sécrétion corporelle : Fèces = Sperme. Elle ne peut évidemment supporter le don que fait à la jeune épouse le jeune époux dans l’ombre des nuits, et sa jalousie s’exprime sur le mode avare, mode anal. Elle aime son fils également sur le mode anal, le mode possessif (possessivité orale-anale opposée à l’oblativité génitale de Laforgue, Codet et Pichon). Elle veut le posséder, le garder avec la même obstination que le petit bébé parfois retient ses fasces. Il peut être intéressant ici de rappeler que chez Mme Lefebvre, sous une influence sans doute endocrinienne, le flux ou la rétention intestinaux suivirent parallèlement le flux ou l’arrêt des menstrues (diarrhée à la puberté, constipation à la ménopause).

Et le rapport existant, pour la femme en général, entre le fils qu’elle aura, à l’âge adulte et son infantile complexe de castration est, chez Mme Lefebvre particulièrement visible.

Les analyses nous ont appris avec quelle douleur, quel sentiment d’infériorité la toute petite fille réagit à la découverte de la différence des sexes. Elle se voit dépourvue d’un organe, elle a quelque chose de moins que les garçons, et partage avec eux dès lors le mépris qu’ils ont de la femme, et dans lequel elle s’englobe elle-même. Elle se console un temps avec l’idée que « ça poussera un jour », idée qui laissa des traces en divers dires populaires (Je cite de mémoire, dans Montaigne, l’histoire des jeunes filles à qui le membre viril peut pousser si elles sautent un trop large fossé.) Mais quand la fille enfin doit se résigner, devant l’évidence de la réalité, à être la créature châtrée, une compensation lui est donnée. La petite fille pressent, du tréfonds de son être, qu’en elle un jour « poussera autre chose ». Et ainsi le désir de l’enfant, chez la femme du moins ayant subi la juste évolution féminine, vient remplacer le désir du pénis.

Mme Lefebvre semble avoir subi cette évolution. L’enfant semble avoir comblé son être, par ailleurs non parvenu au plein stade génital. Nous n’entrerons pas ici dans les considérations ayant trait aux parts relatives, dans la génitalité finale de la femme, des érotiques uréthrale et anale (clitoris et vagin). Nous dirons simplement que la femme n’a pas droit, comme l’homme, dans l’acquisition de sa pleine génitalité, à l’abandon presque total de son érotique anale, le vagin n’étant, suivant l’expression que Mme Lou Andréas-Salomé, qu’une annexe « louée à l’anus ».

Mme Lefebvre, malgré son arrêt sur la voie de la pleine génitalité, put être une mère passionnée, sur le mode anal. Elle aima ses enfants en bourgeoise rangée, avare et ménagère, sans un regard vers le dehors. Elle aima ses fils avec l’ardeur initiale inconsciente dérivant des premiers complexes de la vie infantile. Ses fils étaient, suivant les lois profondes de l’inconscient, pour elle l’équivalent dû pénis regretté.

Et elle réagit contre la perte, la prise d’un de ces fils, de par une autre, avec la sauvagerie primitive inhérente au stade où sévissent chez l’enfant les primitifs complexes. Sans doute, dans l’enfance, la répression de la première période de sexualité infantile et la menace, réalisée chez la petite fille, de castration, pour ce péché, émanèrent-elles, chez Marie Lemaire, d’une femme, de sa mère sans doute. La femme est souvent, pour l’enfant, la castratrice, celle qui réfrène la sexualité par la menace de castration. Chez la petite fille, la castration pour l’inconscient étant réalisée, elle attribue aisément celle-ci à la mère qui fait les enfants. L’inconscient de Marie Lemaire dut de bonne heure, de ce fait, considérer la mère comme la « voleuse ». C’est d’ailleurs de « vols » que Mme Lefebvre devait plus tard prendre prétexte pour acheter son revolver. Le rattachement du crime de Mme Lefebvre au complexe de castration s’appuie sur d’autres indices. Le mode même du meurtre qu’elle choisit en témoigne. Elle ne pensa même pas, me dit-elle, à une autre manière de donner la mort à sa belle- fille que par le revolver, n’eut pas l’idée, par exemple, de l’empoisonner. Cela eût pourtant pu passer plus inaperçu. Mais le revolver s’imposa à elle et nous connaissons, par les analyses, le sens symbolique phallique du revolver.

Un besoin de reproduire la complicité ancienne du petit frère, quand autrefois elle enterrait avec lui les poussins, se retrouve d’ailleurs ici dans la demande que fit Mme Lefebvre à son fils André de lui montrer lui-même le maniement du revolver avec lequel elle devait, quelques semaines plus tard, à ses côtés, abattre sa propre femme.

Il serait trop long de rechercher les divers symbolismes pouvant se retrouver dans le drame du Chemin de la Solitude. On peut mentionner le motif de la clef se trouvant associée deux fois, au cours des interrogatoires, à celui du revolver. Mme Lefebvre a dit s’être aperçue, en quittant Vichy pour Saint- Etienne, dès l’arrêt à Saint-Germain-des-Fossés, avoir perdu une clef ou ses clefs. De même, au moment de quitter Hem, le jour du drame, elle a dit au procès avoir pris le revolver dans un tiroir où elle cherchait une clef perdue. Ces assertions, la dernière surtout, sont d’une vérité douteuse. A moi, Mme Lefebvre dit avoir cherché, le jour du drame, des bijoux dans le tiroir où elle prit le revolver. Mais ces deux versions- différentes ne font que confirmer le même sens profond dont elles émanent. Les bijoux ont un sens nettement anal, la clef est, comme le revolver, symbole génital fréquent. La castration — clef perdue — compensée par le revolver retrouvé, se passe (clef = bijoux) sur le mode anal. Ne pas oublier non plus que la clef est le sceptre de la ménagère, le symbole de son règne sur le foyer.

Le symbolisme de l’automobile est aussi à retenir. C’est à propos de l’auto que Mme Lefebvre fit à sa belle-fille la première scène dans une église. C’est dans la même auto qu’elle la tua. Or, nous savons, de par nombre d’analyses comparées de rêves, le sens symbolique qu’a la promenade avec quelqu’un en voiture, en auto, équivalent pour l’inconscient de relations sexuelles. Mme Lefebvre était jalouse de son fils allant en auto avec une autre femme comme elle l’était des dépenses faites pour cette autre femme, et cela avait le même sens symbolique.

Aussi intéressant est le symbolisme de l’œuf, Mme Lefebvre, qui n’aime pas le lait, aime les œufs. Or le lait symboliquement rappelle sans doute, pour elle, la mère, les œufs plutôt le père (œuf = testicules en langage vulgaire) et ce qui en vient : l’œuf qui contient l’enfant donné par le père. Mme Lefebvre reproche violemment un œuf dans la sauce blanche payé avec l’argent de son fils, c’est-à-dire l’enfant futur donné par son sperme à une autre femme.

Curieux du point de vue symbolique est encore le propos tenu par Mme Lefebvre, d’après M. Pollion (voir dossier, pièce 116 de la procédure). La rencontrant trois jours avant le crime, le matin, comme ce voisin lui disait : « Bonjour, Madame, eh bien, encore aujourd’hui nous n’aurons pas de beau temps ! », elle aurait répondu : « Les dahlias n’ont pas de fleurs, les carottes sont toutes petites et tout… et tout… » ce qui fit penser à ce monsieur que cette dame était folle. Or, du point de vue analytique, ces paroles étranges sont pleinement justifiées et peuvent fort bien exprimer de façon symbolique la préoccupation alors obsédante de Mme Lefebvre : ne pas permettre à la grossesse de sa bru de venir à terme. Les dahlias = l’enfant, ne doivent pas fleurir et les carottes enterrées sous terre = le fœtus dans l’utérus, sont toutes petites… Certes, n’ayant pas analysé Mme Lefebvre, nous ne pouvons rien affirmer, mais cette présomption, bien que devant faire sourire tous ceux qui ne sont pas familiarisés avec les expressions Symboliques pro- propres à l’inconscient, n’est pas invraisemblable.

Ainsi j’ai tenté d’exprimer les idées à moi suggérées par ce qu’il me fut possible d’apprendre de Mme Lefebvre. Le dynamisme qui la mena au crime, le thème passionnel, se dégage avec assez de clarté. Le mode sur lequel ce thème se développa apparaît moins net, se perdant dans les ténèbres de la régression narcissique.

V. – La psychose

Mme Lefebvre, depuis qu’elle est en prison, se porte bien, autrement bien, dit-elle, que depuis treize ans. Elle dort presque toute la longue nuit des prisonniers sur sa dure paillasse, elle qui pendant tant d’années, quand elle était maîtresse chez elle et y possédait un bon lit, ne pouvait dormir, malgré les soporifiques, se réveillant sans cesse en sursaut d’affreux cauchemars dès qu’elle était assoupie, et ne pouvait se rendormir qu’étendue sur le sol, ayant ouvert grandes les fenêtres.

Elle goûta ce sommeil béni dès le soir du crime, la première nuit qu’elle passa en prison. Et le contraste lui sembla grand avec les nuits précédentes où, sous l’empire de l’idée obsédante, croissante, atroce, dit-elle, des ennuis causés par sa belle-fille, qui la hantaient depuis tant de mois, elle ne pouvait dormir. Le calme aussitôt était survenu, après l’acte libérateur, ce calme qui, à l’hôpital où André Lefebvre avait conduit sa femme morte, avait déjà frappé le concierge et le commissaire.

Mme Lefebvre dit aujourd’hui : « J’étais atterrée ». Non : elle était délivrée. Les conditions psychiques dans lesquelles elle agit le proclament. Elle me déclara, répétant, amplifiant ce qu’elle avait déjà dit au juge d’instruction : « C’est curieux, j’avais l’impression de faire mon devoir. Je ne devais pas avoir toute ma tête à moi… Je l’ai tuée comme on arrache une mauvaise herbe, un mauvais grain, comme on abat une bête féroce… » Et on a l’impression que depuis lors, au fond d’elle-même, elle n’a pas beaucoup changé d’avis. Mais quand on lui demande en quoi consistait la férocité de la bête, elle ne peut, à peu près, rien dire. « Elle avait voulu faire un procès à sa mère… Elle me dit, pensez donc, en auto : Vous m’avez. Eh bien maintenant il faut compter avec moi ». C’est tout. Mme Lefebvre, interrogée plusieurs fois à ce sujet au cours des quatre heures et quart que je passai avec elle, ne put me dire autre chose.

« Je n’ai pas pensé à mon fils, m’explique-t-elle, mais à moi seule pour supprimer mes ennuis », mes « chagrinités » disait- elle au procès. Et elle y a réussi ! « Que voulez-vous, me dit- elle, ce n’est pas étonnant que j’aille bien maintenant : je n’ai plus d’ennuis. » Ainsi s’exprime, avec sur le visage une étrange sérénité, cette vieille femme qui eût pu finir sa vie entre les siens, un mari, des fils aimés et est condamnée à là réclusion perpétuelle.

C’est que Mme Lefebvre, au fond d’elle-même, ne parvient pas, malgré toute sa piété, à sentir qu’elle a mal fait. Le remords lui est radicalement étranger. Elle regrette bien les tristesses, les souffrances occasionnées à sa propre famille. Elle déplore d’avoir été condamnée à mort, ce qui est un déshonneur pour sa famille, « Les gendarmes, me déclara-t-elle, me disaient : vous aurez dix, douze ans de prison. Je ne m’attendais pas à cela ! Pensez donc, une condamnation à mort ! »

Mais la victime, mais la famille de la victime ne la touchent absolument en rien. Si elle prie chaque jour pour sa victime, c’est sur l’ordre de l’aumônier. Et ces prières, les premiers temps, sortaient avec tant de difficulté, la mettaient tellement  » à la nage » qu’elle ne les pouvait réciter qu’en plein air, dans la cour de la prison.

Tout son être, en effet, acquiesça à son acte : ce n’est pas en vain que durant un an, tout son être avait repoussé, ainsi qu’un corps intrus, étranger, cette belle-fille d’une race différente, des enfants desquels elle ne voulait pas.

« On m’a tant répété que ce que j’avais fait était mal », dit encore Mme Lefebvre, « que j’ai peu à peu fini par le comprendre « . L’étrangeté consiste justement en ce qu’on ait eu besoin de le lui dire. Mais on a eu beau le lui répéter, on voit que Mme Lefebvre ne sent pas encore, et ne sentira sans doute jamais, pourquoi ce qu’elle a fait est qualifié « mal » par les hommes.

Elle a évidemment l’impression que Dieu est de son parti. Ne le priait-elle pas de la délivrer de son tourment, de sa belle- fille ? Et maintenant que, suivant les termes qu’elle employa à l’instruction « elle s’est fait justice elle-même » elle déclare, elle écrit que « rien n’arrive donc sans la volonté de Dieu ».

Mais aucune parole ne permet de pénétrer plus avant dans le psychisme de Mme Lefebvre que celle-ci : « J’avais l’impression de faire mon devoir ». Ce n’est pas seulement un droit, c’est un devoir qu’elle exerçait en abattant sa belle-fille « comme- une bête féroce ».

Mme Lefebvre, évidemment, considérait que celle-ci avait commis un crime méritant la mort. D’où l’expression « d’avoir fait justice ». Quel crime ? Les propos tenus en voiture : il faut compter avec moi ? Cela semble minime et pourtant cela ne l’est pas ! Car cela veut dire :  » Je suis là ». Et c’est là le crime. La jeune femme étrangère vint et vola le fils. Nous étudierons plus loin la surdétermination de ce vol. Étudions d’abord l’absence étrange, en la dévote bourgeoise, de remords, de conscience morale.

C’est ce trait qui révolta peut-être le plus le peuple et le jury : ils y virent une abominable maîtrise de soi. Et c’est pourtant ce même trait qui est — nous le verrons plus loin — l’une des signatures du pathologique.

Voici un an et demi que Mme Lefebvre est en prison et elle continue à s’y bien porter. La « guérison par le crime » semble se consolider. La seule beauté de cette petite femme au visage ordinaire et fripé, au menton hérissé de poils, aux dents irrégulières, aux yeux bleu gris ternes, ce sont ses abondants cheveux, blonds encore malgré l’âge. Or, depuis son incarcération, sous une influence mystérieuse, ces cheveux, au lieu de blanchir, ont foncé, bien qu’on ne puisse soupçonner la bourgeoise austère qu’était Mme Lefebvre de les avoir autrefois décolorés, ni la direction de la prison d’introduire un coiffeur pour les teindre. Et Mme Lefebvre ne se plaint plus que de très petites douleurs hépatiques, ne réclame plus de médicaments, de purges continuelles, comme autrefois. Le halo psychique de l’hypocondrie s’est éteint, il ne reste plus que le noyau physique. Et cela au point qu’une tumeur du sein, qui se déclara voici un an, laisse Mme Lefebvre absolument indifférente. Cette femme qui, durant douze ans, courut tous les médecins pour des « nerfs tordus, des organes descendus », pour de ces maux qu’on dit « imaginaires », ne se préoccupe pas d’un cancer au sein (Diagnostic des experts du tribunal : squirre). « Je crus, me dit-elle, d’abord que c’était le frottement de la paillasse qui avait occasionné cela ». « Cela est bien moins désagréable, me répondit-elle, que mes maux passés. » Et quand ses avocats lui disent qu’elle devra montrer cela « à son arrivée à Haguenau, au médecin de la maison centrale », elle semble à peine les écouter.

C’est que Mme Lefebvre maintenant est heureuse, heureuse d’un calme que rien ne peut troubler et qu’elle ne connut pas de longtemps « Je n’ai plus d’ennuis » répète-t-elle comme une chose évidente pour tout le monde. Elle semble vraiment avoir tué ses ennuis avec sa belle-fille, ainsi qu’elle l’escomptait.

Devant une pareille attitude, on a l’impression de l’anormal. La mémoire, la logique ont beau être intactes et même fort développées, l’enchaînement des souvenirs, des idées se dérouler avec une précision, une sûreté remarquables, on sent que Mme Lefebvre n’est pas de notre race. On pense au mot de Schiller : « Tout autrement que dans les autres têtes humaines se peint dans cette tête l’univers. »

C’est ce que les experts du tribunal ont nommé : « caractère assez particulier » et ceux de la défense : « constitution paranoïaque ».

Il est difficile de ne pas se ranger, après avoir causé tout une après-midi avec Mme Lefebvre, à l’avis des experts de la défense, qui pourtant n’avaient pas été admis à l’examiner personnellement. Mme Lefebvre semble présenter en effet tous les caractères d’une folie raisonnante, ou délire partiel, du type de la « revendication » telle que l’ont décrite Sérieux et Capgras, dans le bel ouvrage où ils distinguent cette psychose de celle d’interprétation. [Les Folies raisonnantes, par les Drs Sérieux et Capgras, Paris, Félix Alcan, 1909.]

« Le délire de revendication, écrivent Sérieux et Capgras (L. c. page 246) peut être défini une psychose systématisée chronique caractérisée par la prédominance exclusive d’une idée fixe qui s’impose à l’esprit d’une façon obsédante, oriente seule l’activité tout entière dans un sens manifestement pathologique et l’exalte en raison même des obstacles rencontrés Cet état de monoïdéisme, de prévalence morbide… n’aboutit pas à la démence. »

Les auteurs distinguent ensuite deux variétés de délire de revendication : 1° le délire de revendication égocentrique ; 2° le délire de revendication altruiste.

Ils poursuivent : « Dans les cas types de la première variété, à la base de la psychose se trouve un fait déterminé, soit un dommage réel (le dommage réel, chez Mme Lefebvre, est le vol de son fils par une autre femme, vol non reconnu pleinement par le conscient) soit une prétention sans fondement (la prétention sans fondement chez Mme Lefebvre est le respect, les égards, qu’elle réclame sans cesse d’une bru qui ne semble pas lui avoir particulièrement manqué. Nous verrons plus loin que ce grief n’est que le déplacement du premier : le vol du fils), le malade ne vise qu’à la satisfaction de ses désirs égoïstes, à la défense de ses propres intérêts (Je n’ai pas pensé à mon fils, mais à moi seule, me dit Mme Lefebvre). Il est généralement l’ennemi d’une personnalité déterminée, par laquelle il se croit lésé, ou de la société qui ne donne pas satisfaction à ses revendications (processifs, certains artistes ou littérateurs incompris, certains persécuteurs hypocondriaques, amoureux, etc.) »

Nous ne parlerons pas ici des revendicateurs altruistes (inventeurs, réformateurs, prophètes, thaumaturges) parmi lesquels Mme Lefebvre ne saurait évidemment être rangée,

Sérieux et Capgras poursuivent (p. 251) : « Malgré leur diversité apparente — qui tient uniquement aux modes différents de réactions — tous les revendicateurs sont identiques ; leur psychose est caractérisée par deux signes constants : l’idée prévalente, l’exaltation intellectuelle… quelques-uns témoignent pourtant d’aptitudes remarquables : imagination brillante, mémoire sûre, raisonnements habiles. Nombre d’entre eux enfin, surtout parmi les revendicateurs égocentriques, sont dénués de toute notion du bien et du mal : ils commettent des indélicatesses, des abus de confiance, des escroqueries, tout en ayant sans cesse à la bouche les mots de probité, de conscience et d’honneur. Un malade de Kraepelin trouvait extrêmement préjudiciable le retard d’une carte postale, tandis qu’un inceste, le détournement d’une somme d’argent n’étaient que peccadilles. Les plus violents se plaisent à vanter leur douceur et tel qui a commis une tentative de meurtre s’étonne que l’on relève un si futile épisode dans une vie toute de bonté et de charité !

1° Les revendicateurs sont des obsédés (Au sens d’idée obsédante et non d’obsession – Zwang en allemand – névrotique.). La lutte pour le droit, telle, est leur devise (Je me suis fait justice, dit Mme Lefebvre au procès). L’idée qui les tyrannise, ne leur laisse plus un instant de repos (Mme Lefebvre était obsédée jour et nuit par les ennuis que lui causait sa bru. Son fils Charles lui dit un jour : Maman, tu en deviendras folle !) : ils veulent « accomplir leur tâche jusqu’au bout ». Si au début leurs discours et leurs démarches semblent ne tenir que de la passion, à mesure qu’ils s’exaltent, le désir de faire triompher, leur cause n’a plus de frein et les subjugue complètement, le caractère morbide devient évident (Mme Lefebvre insistant pour obtenir de sa bru le respect dû aux parents).

« Il s’agit là, non pas d’un simple état passionnel, non pas d’une revendication légitime de droits injustement lésés, mais bien d’une « haine maladive » (Morel), d’une obsession de joui- en jour plus tyrannique et pour la satisfaction de laquelle le revendicateur, négligeant sa profession, sans souci, de l’avenir et de ses véritables intérêts, tout entier à sa soif de vengeance, n’hésite pas à sacrifier sa fortune, sa famille, sa liberté et sa vie même. (Mme Lefebvre risquant l’échafaud ou la réclusion perpétuelle.)

 » Toute résistance extérieure détermine une lutte, parfois angoissante, comparable à celle que provoque la résistance intérieure dans les crises d’obsession-impulsion. Une malade, à la suite d’un jugement prétendu injuste, resta obsédée et angoissée durant trois mois, puis finit « pour se soulager du poids épouvantable qui étouffait sa poitrine » par se livrer à des voies de fait sur le juge. Et les auteurs rappellent Louvel, l’assassin du duc de Berry « roulant dans une tête étroite une pensée mal comprise et souffrant jusqu’à ce que sa main fatale l’ait déchargé par un crime du poids et du maigre de son idée (Lamartine) ».

 » Non moins caractéristique — poursuivent Sérieux et Capgras — que l’irrésistibilité de l’idée obsédante est le sentiment de soulagement qui suit sa satisfaction. Le persécuteur homicide, en voyant sa victime à terre, goûte un sentiment de triomphe et retrouve le calme de l’esprit au moins pour un certain temps (R.-Leroy). » Sérieux et Capgras traitent ensuite de la « force maniaque » qui pousse les revendicateurs, « maniaques raisonnants », à agir malgré eux. Or, Mme Lefebvre, d’après les certificats médicaux fournis au procès, semble avoir montré des phénomènes de cyclothymie. (Certificat du Docteur Jean Faidherbe, du 9 octobre 1925.) On ne saurait aisément nier que Mme Lefebvre présente, de façon frappante, les caractères propres au délire de revendication, tel que l’ont décrit Sérieux et Capgras.

Le cas de Mme Lefebvre ne répond pas aussi bien à la description donnée par Kraepelin de ses « quérulants », Kraepelin n’ayant pas tracé de séparation tranchée, ainsi que firent Sérieux et Capgras, entre les revendicateurs égocentristes ou altruistes. En tous cas, lorsqu’on ose classer une psycho-névrose, il conviendrait toujours, pour la clarté, dans l’état discordant actuel de la classification psychiatrique, de faire suivre les termes la désignant du nom d’auteur qui la décrivit et la nomma, ainsi qu’on fait pour les animaux et les plantes en zoologie et en botanique.

[Le Dr Voivenel, dans sa contre-expertise dit : « Mme Lefebvre, comme Œdipe dans son destin, était enfermée dans la constitution psychopathique dite paranoïaque ». (Page 23 de la dactylographie.)

Sérieux et Capgras (1. c. p. 8, note 1) réservent en effet le terme de paranoïa aux deux formes de folie raisonnante ou délire partiel appelés par eux délire d’interprétation et délire de revendication.

D’autre part, Kraepelin (voir Psychiatrie, Leipzig 1915, vol. IV, Klinische psychiatrie III. Teil ; p. 1399, P. I533 et suiv. et p. 1712) retire l’appellation de paranoïa au délire de revendication pour lui appliquer le seul nom de « Querulantenwahn ».

D’autres diront encore que la forme morbide présentée par Mme Lefebvre n’est qu’un état « paranoïde ».

Et que ce n’est même pas de la revendication, des auteurs comme Kraepelin, Sérieux et Capgras, n’ayant pas expressément mentionné les revendicateurs purement familiaux, dont la revendication ne dépasse pas le champ étroit de la famille.

Comme d’un « caractère un peu particulier » (les experts officiels) à une psychose caractérisée, il y a « toute une échelle de nuances », chacun pourra attribuer à Mme Lefebvre le degré de « folie » qu’il voudra.

Pour nous, sans entrer dans ces subtiles discussions de mots, l’état psychique de Mme Lefebvre semble assez anormal, la désadaptation sociale, la perte « de la fonction du réel » (Janet) y apparaissent assez complètes, pour qu’on puisse le qualifier de psychose.]

Mais même lorsqu’on a cru pouvoir classer une forme d’aliénation mentale, quand on en a même démonté en partie le dynamisme psychologique, ainsi que nous l’avons tenté dans les deux chapitres précédents traitant du thème et du mode sur lequel agit, en Mme Lefebvre, la force de la libido, il reste une inconnue immense.

Car nous avons tous, en notre enfance, aimé ou haï nos parents, d’après le thème d’Œdipe, et les vestiges de ce complexe universel, qui doit être surmonté vers la cinquième année, demeurent, en nous tous, plus ou moins vivants. Nous avons tous et toutes, dans l’enfance, été soumis au « complexe de castration ».

Tout le monde, d’autre part, ne parvient pas à la pleine génitalité, surtout parmi les femmes. Donc, le revolver mis à part, combien d’histoires de femmes ressemblent à celle de Mme Lefebvre !

Freud nous a cependant donné un repère nous permettant de nous orienter quelque peu dans ces ténèbres. Les psychoses se distinguent, nous montre-t-il (Cas du Président Schreber, etc..) par la régression de la libido au stade du narcissisme. Le « psychosé », à l’opposé du névrosé, perd la faculté de faire des « investissements », avec sa libido, des objets extérieurs (Objektbesetzungen) ; sa libido fait retour sur lui-même et perd contact avec la réalité, le monde extérieur. C’est un- état de narcissisme secondaire, le narcissisme primaire originel étant celui du tout petit enfant encore au sein de sa mère. Le narcissisme n’est d’ailleurs jamais totalement vaincu en aucun de nous, le degré qu’en possède un homme normal veste simplement compatible de par sa quantité avec l’adaptation sociale, il ne l’est plus chez celui qui est atteint de psychose, et le divorce, chez celui-ci, d’avec le monde extérieur, peut-être plus ou moins complet.

Les « interprétateurs » de Sérieux et Capgras — « persécutés » de tant d’autres auteurs — manifestent tous plus ou moins de délire des grandeurs, ce qui est la signature même de leur narcissisme. Ils se voient, se sentent d’une importance démesurée par rapport à l’ensemble de l’univers. Et ceci, de par le retour que leur libido a fait sur leur moi seul. Ils peuvent en arriver, sous l’influence d’une psychose aggravée, (Dementia paranoïdes de Kraepelin chez le Président Schreber, voir Freud, Ges. Werke. vol. VIII.) à imaginer l’univers entier comme détruit (Weltuntergangsphantasie de Schreber) et eux seuls survivants. C’est le cas limite du délire des grandeurs.

Mais revenons aux persécutés ou revendicants, demeurés « raisonnants ». Chez ceux-ci et ceux-là, le contact avec la réalité est loin d’être entièrement perdu. Il est conservé par ce qui ne touche pas aux « leitmotivs » de la psychose, et ces malades raisonnent fort bien. Ils ne semblent frappés que dans leur « jugement » et ceci quand ils abordent ce qui est en rapport avec leur système délirant.

Freud a montré le rôle, dans le délire de persécution, de la composante homosexuelle de la libido. La régression au stade du narcissisme serait parallèle, chez ces malades, à une reviviscence de la composante homosexuelle que nous portons tous plus ou moins refoulée en nous depuis l’enfance. Les- persécutés hommes seraient tous persécutés par des hommes, ce qui équivaut à dire « poursuivis » sexuellement en imagination, par des hommes ; — les’ persécutées femmes le seraient-elles aussi en général, par une femme dissimulée derrière leur persécuteur masculin ? Cette dernière hypothèse relative à la femme persécutrice reste à confronter avec des observations nombreuses.

Le délire de revendication ne semble pas, si l’on en juge d’après Mme Lefebvre, correspondre à cette modalité de régression. La régression narcissique, chez Mme Lefebvre, fut aussi intense et évidente : l’hypocondrie de la ménopause, conditionnée sans doute par des troubles endocriniens ; l’investissement par la libido des propres organes du sujet. Mais il semble difficile de prétendre que Mme Lefebvre ait été, dans l’inconscient, amoureuse de sa belle-fille.

C’est à un autre moment primordial du stade narcissique que devrait, semble-t-il, être rattaché le délire de revendication tel qu’il apparaît chez Mme Lefebvre : au complexe de castration. Jusqu’à quel point ce rattachement de la revendication au complexe de castration est-il général chez l’homme et chez la femme, d’autres recherches seules le montreront. L’âge tardif où se manifeste d’ordinaire la psychose de revendication (voir Kraepelin 1. c. p. 1541) âge où l’homme se sent frappé ou menacé dans sa puissance génitale, parlerait d’ailleurs en faveur de cette thèse.

Mme Lefebvre fut, dans son inconscient, décidée au crime par un événement extérieur décisif : la fécondation, la grossesse de sa belle-fille. Les premiers mois du mariage, bien que la haïssant d’une façon croissante, elle la supportait : mais dès qu’elle soupçonne la fécondation, elle cherche à acheter le révolver ; dès qu’elle est assurée de la grossesse, elle l’achète. C’est la grossesse de sa belle-fille que l’inconscient de Mme Lefebvre ne peut supporter. Rapprochons ce fait évident des formes qu’avaient prises, chez Mme Lefebvre, les idées hypocondriaques inaugurées par la ménopause. A ce moment où la malade ne pouvait plus, de par l’arrêt définitif de la fonction génitale, concevoir, ses descriptions de troubles, de douleurs organiques notées sur ses cahiers ou sur des billets de mort rappellent toutes des lourdeurs de grossesse ou des contractions d’accouchement. Mme Lefebvre semble, au moment où elle cessait d’être femme, s’être raccrochée désespérément à sa maternité, — sa féminité amoureuse ne s’étant jamais vraiment épanouie ! —et ceci sous forme de « fantasmes de grossesse » transcrits sur le mode anal. Car toutes ces lourdeurs d’organes se rapportent à peu près exclusivement aux organes propres ou annexes au tube digestif : intestin, estomac, foie, (rein aussi). On nous objectera que ce sont justement les organes susceptibles de ptose. Je ne recherche pas de quelle grandeur était, au centre de ce halo psychique, le noyau du mal réel organique : le halo psychique était tel que ce noyau presque y disparaît. Les certificats médicaux de l’époque mettent, d’ailleurs, tous au premier plan les troubles psychopathiques.

Mme Lefebvre vécut donc douze ans, de 48 à 60 ans, sa libido repliée sur ses propres organes, principalement occupée dans son inconscient à enfanter des fantasmes de grossesse sur le mode anal.

Elle semble n’avoir cependant jamais cessé d’aimer son mari, surtout ses enfants. Aujourd’hui encore, en prison, elle est intarissable sur le chapitre des bonnes qui, en son absence du foyer, doivent les soigner. Mais sa libido, tournée vers le dehors, son « investissement des objets », de tout temps chez elle de couleur domestique, pouvait de moins en moins franchir le seuil de sa maison. Elle sortit de moins en moins, se confina, à Hem, dans son intérieur, son « narcissisme », pourrait-on dire « familial », s’outra. Cet investissement des objets sur le mode narcissique dut être, dans la psychopathie de Mme Lefebvre, la « tentative de guérison » (Heilungsversuch de Freud) que Freud, dans les psychoses, a mise en relief et qui en constitue la physionomie extérieure. La libido, d’abord tournée en dedans, cherche à s’extérioriser à nouveau, mais ne le peut plus que sur le mode des stades prégénitaux où elle a déjà régressé. Et la « tentative de guérison » est alors vouée, en présence de la réalité, à une faillite.

C’est sur un mode possessif, avide, avare à l’excès, que Mme Lefebvre aima alors son mari, ses deux fils. Le mari ne lui pouvait être enlevé, pas plus que sou fils Charles, gardé à elle de par sa maladie. Seul son fils André, en 1923, quitte la maison et va s’établir notaire à Fournes : première blessure. En 1924, il se marie : seconde blessure, plus douloureuse, à laquelle la mère réagit par les disputes toujours plus aiguës avec sa bru. L’état psychopathique de Mme Lefebvre en est aggravé : la tentative de guérison manquée se poursuit, le complexe d’Œdipe infantile refoulé se ranime, Mme Lefebvre aspire de plus en plus à ce fils qu’elle n’a plus tout à elle, elle pense jour et nuit aux ennuis, aux « chagrinités » que lui cause sa belle-fille qui l’en sépare, au point que son fils Charles lui dit que, si elle ne cesse d’y penser, elle en deviendra folle. L’état reste cependant encore supportable.

Mais Antoinette est fécondée. Alors, dans l’inconscient de Mme Lefebvre a lieu quelque chose que nous ne saurons jamais et qui fait tout à coup franchir, à cette riche bourgeoise scrupuleuse et rangée, la frontière au-delà de laquelle on devient criminel.

Elle ne peut supporter la grossesse de sa belle-fille, cette vieille femme qui depuis douze ans doit se contenter de fantasmes hypocondriaques de grossesse. Pourquoi ? Nous en pouvons entrevoir le dynamisme, un peu la topique — pas du tout l’économie.

1° Le dynamisme. — Dans l’inconscient de la petite fille, le complexe de castration a un autre sort que dans celui du petit garçon. Le garçon tremble pour le phallus qu’il a, et doit s’habituer, pour devenir homme, à courir les risques et braver les menaces ; la fille doit se résigner de bonne heure au manque définitif du phallus, à être la femme, l’être châtré. Mais l’inconscient ignore le renoncement, et la nature offre à la fille, à la femme, une compensation : l’enfant en place du pénis. Quand la petite fille a appris à renoncer — espérance infantile oubliée — à ce que le pénis lui pousse un jour, tout son instinct sait déjà qu’en compensation quelque chose d’autre poussera un jour en elle : l’enfant qu’elle aime à l’avance sous la forme de la poupée.

Et la conception primitive et générale de la mère phallique est alors peu à peu remplacée par celle de la mère genitrix, chargée du poids de l’enfant, et dont pour cela on est jalouse.

Mme Lefebvre ne put supporter que sa belle-fille eût, et de son fils ! ce qui à elle lui manquait : l’enfant, ersatz du pénis. L’horreur de la grossesse des autres femmes est d’ailleurs, chez elle, un trait profond : Mme Lefebvre, qui fut malade quand on découvrit la faillite d’un membre de sa famille directe ou par alliance, faillite remontant, paraît-il, à 1808 ou 48, et qui ne voulait pas aller à la maison centrale de Rennes, où elle rencontrerait Mme Bessarabo, « cette vilaine femme qui. a tué son mari », me déclara « femmes très honnêtes », « très comme il faut » deux avorteuses qui doivent être avec elle transférées à Haguenau. Elle me dit que son fils Charles, malgré son amyotrophie, eût pu, d’après un certain médecin, se marier, à condition « d’épouser une femme plus âgée, qui n’eût pas eu trop d’exigences », — qui sans doute eût été stérile.

Ce qui se passa dans l’inconscient de Mme Lefebvre, sous l’influence de la grossesse de sa bru, reste fort obscur. On peut, cependant pressentir qu’elle ne put supporter qu’une autre eût « volé » le pénis de son fils, de ce fils que les mères, dans, leur inconscient, jugent être leur propre pénis enfin poussé, Elle ne put supporter que ce pénis filial fût devenu dans sa bru, ce fœtus, équivalent du pénis initial de la mère phallique. L’assimilation de la mère phallique à la mère enceinte semble dans ce cas très étroite.

Le prétexte même que Mme Lefebvre me dit avoir pris pour faire arrêter l’auto, au moment de tuer, se rattache à l’érotique uréthrale, comme aussi le mode choisi par elle de donner la mort, le revolver. Et quand les experts officiels du tribunal parlent, en Mme Lefebvre, de la survivance archaïque du  » matriarcat », ils n’ont pas tort, car en son inconscient survivait en effet l’idéal infantile, archaïque, de la mère phallique, auquel seulement plus tard, dans l’inconscient de la petite- fille, l’idéal de la mère enceinte vient se superposer.

Si, nous détournant maintenant du présent, nous jetons un coup d’œil en arrière sur l’enfance de Marie Lemaire, nous pouvons entrevoir ceci : la réaction qu’elle eût vis-à-vis de sa bru enceinte, réaction extériorisée par le coup de revolver, dut être la reproduction d’une réaction très ancienne vis-à-vis de sa mère, enceinte deux fois dans sa petite enfance, d’abord de son frère Charles (né quand Marie avait deux ans), puis de sa sœur Nelfy (née quand Marie avait presque quatre ans). Cette dernière naissance surtout dut provoquer en la petite Marie la réaction typique qu’elle devait reproduire si tragiquement plus tard.

La jalousie de la mère dut être intense, de cette mère à laquelle, sous l’influence de son complexe d’Œdipe en plein épanouissement, et de son complexe de castration naissant, elle eût voulu se substituer. Elle dut avoir contre elle des désirs de mort.

Ces désirs de mort se transférèrent plus tard, avec la complicité du petit frère Charles, sans aucun doute également jaloux de la petite Nelly, sur cette petite sœur. Et en le petit Charles, Marie trouvait ainsi un complice. N’était-ce pas lui, me contât-elle, qui eut l’idée du jeu de l’enterrement religieux des poussins crevés auquel elle sourit encore ? A eux deux, petit couple assassin par l’inconsciente intention, ils jouaient ainsi à l’enterrement de la petite intruse, de leur petite sœur.

On objectera que beaucoup d’enfants ont joué à ce même jeu sans pour cela plus tard commettre de crime. Je connus moi- même des enfants charmants, aujourd’hui devenus des jeunes gens aussi normaux que possible, qui prenaient aussi plaisir à enterrer avec pompe les poussins crevés de leur poulailler. Mme de Ségur, dans les Petites Filles Modèles, livre favori de Mme Lefebvre enfant, rapporte l’enterrement de « Mimi » le rouge-gorge, récit qui put contribuer à inspirer le jeu. Mais je n’ai cherché, en soulignant ce jeu chez Marie Lemaire, qu’à montrer le dynamisme de son inconscient, dynamisme qu’elle peut partager avec d’autres. Les forces qui refoulent ou libèrent ces dynamismes intérieurs, communs à beaucoup, déterminent, plus tard, la conduite-extérieure d’un individu suivant leur direction et leur intensité. Chez la plupart d’entre nous, de tels dynamismes restent heureusement inhibés. Tout ce que l’on peut voir à ce sujet chez Mme Lefebvre est ceci : la régression aux stades prégénitaux, datant de la ménopause, la revendication développée plus tard sur ce fond, et se rattachant au complexe de castration, n’avaient pas suffi à faire de Mme Lefebvre une criminelle. Mais à tout ceci s’ajoute soudain, avec la grossesse de sa belle-fille, une reviviscence, d’une intensité inusitée, de l’antique complexe d’Œdipe vécu dans l’enfance, en présence de la mère enceinte du père. Et c’est l’appoint de ce puissant dynamisme — qu’il nous est malheureusement impossible de doser — qui permit aux instincts primitifs meurtriers de triompher, chez la vieille bourgeoise, de toutes les inhibitions les ayant jusqu’alors entravés.

2. La topique. « J’avais, me dit Mme Lefebvre, l’impression, en tuant, de faire mon devoir. » C’est dire que, chez cette femme par ailleurs dévote et scrupuleuse (« Je ne sais comment j’ai pu en arriver là, écrit Mme Lefebvre le 29 décembre 1925 à son mari et à son fils Charles, moi qui me reprochais amèrement lorsqu’il m’arrivait sans y penser de dire un peu de mal du prochain — très peu de chose ») le surmoi vint se confondre ici avec le ça. L’impératif catégorique, dicté par le surmoi, se trouva alors en réalité dicté par le ça. La topographie de l’âme étant ainsi modifiée, il n’y eut plus conflit, il y eut crime, l’inconscient, le conscient et la conscience étant alors d’accord.

Je n’agiterai pas ici la question de savoir quelles modifications une régression dans le ça entraîne dans le surmoi. Je me contenterai d’un parallèle entre le crime de Mme Lefebvre et les jeux de la petite Marie Lemaire.

Le petit frère Charles, qui jouait avec celle-ci à l’enterrement des poussins crevés, avait, me dit-elle, pris l’initiative de ce jeu. Ce petit frère, héritier, dans ce complexe d’Œdipe minuscule sur l’échelle fraternelle, du grand complexe d’Œdipe sur l’échelle paternelle, était donc le complice, l’instigateur, des actes symboliques funèbres. Il permettait, il ordonnait les funérailles symboliques de la petite sœur représentée par le poussin.

De même, plus tard, Dieu, père projeté dans l’immensité, père agrandi comme le frère était père amenuisé, permet à Mme Lefebvre, — davantage — lui paraît ordonner son crime. Elle eut l’impression, en prenant le revolver, de faire son devoir, et elle n’est pas encore bien persuadée, cela se voit, qu’elle ne l’ait pas fait.

Son fils André, dont la présence dans l’auto lors du crime lui avait sans doute aussi été commandée par la présence autrefois, à l’enterrement des poussins, du petit Charles, Mme Lefebvre, depuis qu’elle est en prison, ne lui a pas écrit une seule fois, bien que les lettres depuis longtemps ne lui soient plus interdites. Elle veut encore moins le voir ; quand ses avocats lui dirent, devant moi, qu’elle pourrait maintenant recevoir sa visite, elle réagit avec une sorte d’effroi : « Non, fit-elle, non, pas maintenant. J’aime mieux pas. Plus tard, plus tard, quand je serai là-bas. » On dirait que, depuis le crime réalisé, celui pour qui il fut fait lui apparaît comme une sorte de complice, pour l’inconscient, (tel le petit frère Charles enterrant les poussins) complice qu’elle craint de revoir. Elle semble avoir retiré maintenant sa libido de son fils pour la reporter sur Dieu, ce père agrandi. « Je passerai, écrit-elle à son mari le 18 mars 1926 (pièce 252) mes derniers jours comme Madeleine au pied de la croix. »

Mais cependant Mme Lefebvre, contrairement à ce qu’on rapporta dans les journaux de la visite que je lui fis, n’envisage pas volontiers le remariage de son fils. Comme-nous lui demandions, ses avocats et moi, si les rumeurs qui couraient à ce sujet étaient fondées, elle répondit avec indignation : « Ah ! non, il en a assez ! Il attendra bien une paire d’années ! »

[Le docteur Loewenstein me fait remarquer que l’identification à la mère dut contribuer à créer chez Mme Lefebvre l’absence de remords. De même, en effet, que la petite fille aimait à s’identifier avec la méchante Mme Fichini oui battait Sophie, Mme Lefebvre put plus tard s’identifier à la mère dominatrice qui châtie.]

Revenons à la première question posée par ce chapitre.

Pourquoi Mme Lefebvre, depuis son crime, depuis qu’elle est en prison, se porte-t-elle bien ? Qu’est-ce qui l’a guérie, le crime ou le châtiment ? Question difficile à résoudre, car lorsqu’elle tua, lucide malgré son délire, elle n’ignorait pas que le châtiment s’ensuivrait, et nous savons, par l’analyse des névrosés, combien les punitions sont parfois appelées par le surmoi du malade et leur procurent d’amères mais profondes satisfactions.

Mais le cas de Mme Lefebvre n’est pas une simple névrose, il est à ranger parmi les psychoses avec tout le trouble qu’apporte, dans l’économie de l’âme, la régression narcissique qu’implique la psychose-. Et le surmoi de Mme Lefebvre, resté distinct du ça pour les actes ordinaires et menus de la vie, semble s’être, en grande partie sous l’empire d’une attirance souveraine des complexes les plus profonds de ce ça, agrégé au ça au point de ne s’en pouvoir presque pas discerner.

D’après cela, ce qui eût soulagé Mme Lefebvre et lui eût rendu la santé serait l’acte plus encore que le châtiment, satisfaisant à la fois et aux exigences de son instinct (ça) et aux commandements de son Dieu (surmoi) aux pieds duquel elle se déclare heureuse de finir sa vie.

Cependant, peut-on dire que la satisfaction d’être châtiée soit étrangère à sa guérison quand on l’entend parler avec complaisance de sa dure paillasse, du brouet des prisonniers, et des fils de fer des couronnes mortuaires auxquelles travaillent tout le jour les prisonnières et qui lui abîment les mains, et quand on lui voit tendre, avec un sourire, ces mains effroyablement abîmées et noircies ?

3°. — Reste le problème économique. Il nous faut l’avouer : l’économie de l’âme qui peut transformer une bourgeoise aussi rangée en une aussi odieuse criminelle nous échappe à peu près complètement. Nous savons d’ailleurs fort peu de l’économie et même de la topique de l’âme des criminels, si par ailleurs leur dynamisme nous est assez accessible, chacun de nous portant, dans son inconscient, à peu près le même dynamisme.

Mais chez nous le crime reste inhibé, refoulé au point que la plupart d’entre nous se récrieront avec indignation en lisant l’assertion précédente. Tandis que chez le criminel certaines inhibitions des vieux instincts ancestraux ou manquent, ou tombent dans des circonstances ou sous des influences difficiles à définir, et qui chez nous n’auraient pas le même effet. Les mêmes complexes avec lesquels nous parvenons à nous adapter à la vie sociale deviennent chez eux virulents, sans doute en vertu d’une question de terrain.

C’est dire que le facteur constitutionnel, le facteur économique, les causes les plus profondes du crime nous échappent à peu près entièrement et restent inaccessibles à l’analyse.

VI. – La justice et le déterminisme

L’article 64 du Code Pénal français s’exprime ainsi : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » Cet article, qui a son analogue dans la plupart des codes pénaux, pose ainsi le problème de l’irresponsabilité possible des criminels, impliquant leur responsabilité dans tous les cas où il ne s’applique pas.

Les experts du tribunal de Douai, les Docteurs Raviart, Rogues de Fursac et Logre, déclarèrent — contrairement aux contre-experts de la défense — Mme Lefebvre saine d’esprit et pleinement responsable. Ce diagnostic, insoutenable du point de vue purement scientifique, l’est cependant parfaitement du point de vue social.

Notre Code Pénal, comme d’ailleurs celui de tous les pays, est en effet bâti sur l’idée surannée, à vieille base religieuse, du libre-arbitre humain. De ce fait, seuls sont justiciables des tribunaux et punissables d’après le Code, les hommes en possession de leur libre arbitre, de leur raison. Les fous échappent à la justice, ne relèvent que des asiles, et un criminel expertisé « fou » échappe par cela même à l’action de la justice, au jugement, à la répression, et va droit à Pasile.

Une fois qu’il y est, que se passe-t-il ? La loi de 1838, qui règle la législation des aliénés, se préoccupa de garantir, contre les internements arbitraires, la liberté individuelle. Deux certificats médicaux — celui d’un médecin plus celui du directeur de l’asile —, sont nécessaires pour l’internement, mais pour la sortie de l’asile, le certificat du médecin de l’asile, sanctionné de plus par le Préfet si l’aliéné est interné d’office, suffit. Le Préfet s’éclaire, il est vrai, aussi d’avis médicaux. Mais l’on sait ce que pourrait résister un Préfet à qui des médecins, des experts, des gens de l’art viendraient affirmer qu’un aliéné est enfin guéri et reste injustement détenu au- delà du temps nécessaire.

C’est dire que si Mme Lefebvre, ainsi qu’elle l’eût mérité, avait été déclarée aliénée, sa famille fût sans doute arrivée, au bout d’un temps plus ou moins long, à la reprendre.

Ainsi, non seulement sous la pression de la foule du Nord, qui voulait ; pour la riche bourgeoise si froidement, odieusement homicide, voir se dresser, fût-ce symboliquement, l’échafaud, mais aussi sous la pression d’une quasi-nécessité sociale, dérivée d’une législation pénale surannée où l’aliéné n’a pas de place, les experts du Tribunal conclurent à la responsabilité.

Car responsable ou irresponsable, au sens légal, a perdu son sens : il faudrait dire plutôt emprisonnable ou intenable. Cela seul serait juste et rendrait la pensée profonde à laquelle obéissent parfois, dans des cas semblables, les experts médicaux auprès des tribunaux.

La place de Mme Lefebvre certes n’est pas à la prison : elle est à l’asile. Mais l’asile ne pouvait refermer sur elle ses portes, parce qu’il eût pu trop facilement les rouvrir.

Mme Lefebvre appartient d’ailleurs à cette catégorie de « fous » que le public se refuse à considérer comme tels, parce qu’ils ont pleinement conservé la lucidité, la mémoire et la raison. Les revendicateurs font souvent illusion, et contredisent l’idée que le populaire a de la folie. C’est ce qui permit aux experts leur affirmation de la pleine responsabilité. C’est ce qui fit dire à André Lefebvre lui-même — pourtant intéressé à ce que sa mère « passât pour folle » — au fils répondant à cette question de Mme Henri Mulle : « Est-ce que tu crois que ta mère est folle et, si on te posait la question sous la foi du serment, oserais-tu le dire ?» — « Évidemment non, répondit André, je ne pourrais pas dire qu’elle est folle ». (Déposition de M. Henri Mulle, pièce 98 de la procédure.) Et l’accusation se servit de ce propos, tout comme si André Lefebvre eût été un éminent expert en psychiatrie.

L’idée que se fait le public d’un fou et qui implique égarement de la raison, n’est pas, en effet, compatible avec la conception du revendicateur raisonnant du type Lefebvre. Et la démence au sens où l’entendait le législateur de l’article 64 du Code pénal, rédigé au début du siècle passé, en un temps où la folie raisonnante n’était pas reconnue, qui la définira ? L’arbitraire ne peut que régner dans l’interprétation de cette loi et dans les expertises médico-légales qui en dérivent, suivant le sens plus ou moins étendu, et pas plus conforme au sens légal primitif qu’au terme psychiatrique actuel de démence, où chaque expert entendra ce mot de démence.

C’est ainsi que les experts officiels purent terminer leur rapport par ces mots : « Mme Lefebvre n’était à aucun degré en état de démence au temps de l’action, dans le sens de l’article 64 du Code Pénal. » Car le sens où l’article 64 entend le terme de démence reste affaire d’appréciation.

Chez les revendicants, là psychose et le caractère proprement dits sont d’ailleurs tellement confondus qu’il n’est pas aisé de les distinguer.

Tandis que l’interprétateur peut aisément trahir sa folie par l’étrangeté, l’absurdité de ses interprétations, le revendicateur ne donne pas en général cette impression nettement délirante. Il semble souvent simplement réagir avec exagération aux déceptions de la vie.

« Le délire de revendication, écrivent Sérieux et Capgras (L. C. page 258.) est moins un « délire » que la manifestation d’une personnalité psychopathique ». Et plus loin (page 262) : « Le délire de revendication est un état morbide continu du caractère (Arnaud). »

C’est cette allure du délire de revendication qui a permis aux experts officiels d’inscrire et la psychose et le caractère de Mme Lefebvre sous la seule étiquette de « caractère un peu particulier ».

Le déterminisme dont nous avons peu à peu reconnu le règne dans la nature, nous avons dû, plus lentement encore, apprendre à voir qu’il s’étend jusqu’en nous. Pas plus que les fous de leur folie, nous ne sommes, nous, les « normaux », responsables de notre caractère, et chacun de nos gestes, de nos mots, de nos pensées, est aussi étroitement déterminé que, dans les espaces célestes, les mouvements des planètes et des soleils.

La psychanalyse a démontré de façon éclatante ce déterminisme absolu qui règne au fond de nous. Il est impossible, à qui la connaît et la comprend, de parler encore de « libre- arbitre ».

Mais la justice des hommes en parle encore, et réclame au nom de la responsabilité humaine le châtiment des coupables.

La justice des hommes ne serait-elle pas plutôt la vengeance des hommes, et quand ceux-ci réclament la justice ne réclament-ils pas plutôt l’application de la vieille loi du talion ? Si le peuple tient tellement, par exemple, au maintien de la peine de mort, pourtant d’une exemplarité assez douteuse dans l’état actuel de nos sociétés, où le crime se réfugie de plus en plus parmi les inadaptés n’ayant pas le sens du réel qui les environne, ne serait-ce pas moins par souci de sa propre protection que comme à la dernière prérogative royale qui lui reste, en temps de paix, de verser impunément, parce que collectivement, le sang ? Et le sang du criminel ! c’est-à-dire de celui que tout au fond de lui, inconsciemment, les instincts primitifs refoulés et insatisfaits du peuple envient.

Bien qu’il soit souhaitable que la justice soit plus sereine, ce serait utopie de croire que la justice sociale le devienne. Car la justice sociale, rendue au nom du peuple, pourra malaisément être lavée des passions populaires qui la colorent.

Il est pourtant permis de rêver une législation un peu meilleure. L’article 64 du Code Pénal, interprété à la lumière des idées scientifiques et déterministes actuelles, pourrait annuler doublement l’ensemble, la totalité du Code pénal. Car démence au sens juridique doit être aujourd’hui pris dans une acception très élargie et quand nous accomplissons la moindre action, n’obéissons-nous pas tous — et pas seulement les fous ! — « à la contrainte de forces auxquelles nous ne pouvons résister ? » Aucun criminel ne devrait donc être puni si l’on continue à exiger pour le châtier qu’il soit responsable.

Mais là gît justement l’erreur. Plus un criminel est « irresponsable » au sens juridique, c’est-à-dire plus il est fou, plus il est dangereux — tout en étant, d’après la loi, de moins en moins punissable. Le mot de responsabilité devrait donc être rayé du Code. Et il conviendrait de remplacer — si la science en général et la science psychiatrique en particulier n’étaient encore si incertaines — les verdicts par des diagnostics.

Le jury populaire, qui sauva les accusés de l’arbitraire du pouvoir, les a soumis aux passions du peuple, qui les acquitte ou les condamne sans les comprendre. Un jury médical serait idéalement préférable, mais pratiquement peut-être encore pire de par les jalousies et les controverses régnant dans la profession. On pourrait du moins, après les expertises, interner les fous criminels sur un jugement, dont la modalité resterait à déterminer, dans des asiles-prisons, dont l’appellation elle- même serait un compromis entre le châtiment (prison) qu’exige le peuple pour le criminel, et l’asile que réclame la science pour le fou. De ces établissements le criminel ne pourrait ressortir aussi que sur jugement. Cette réforme a été, ces dernières années, réclamée souvent.

Je ne suis pas spécialiste de la législation comparée des aliénés criminels dans les divers pays. L’étude de ce seul point de droit suffirait d’ailleurs à emplir un gros volume. Mais je sais qu’aucun Code Pénal, en ce qui regarde cette question, n’est en harmonie avec les constatations actuelles de la science.

Il est certain qu’actuellement le criminel aliéné, ce qui équivaut sans doute à dire le criminel tout court, n’a nulle part de place. La répression s’inspira, et s’inspire encore, de l’idée archaïque de punir, chère au peuple. C’est pourquoi, à presque tous les grands procès criminels contemporains, le peuple est hanté de la crainte « qu’on veuille faire passer ce misérable pour fou », ce qui équivaut aux yeux populaires à innocenter le criminel. L’internement pour cause de folie semble au peuple, appliqué au criminel, un brevet injuste d’innocence.

L’idée de punir le criminel est expression de la soif cruelle qui engendra la loi du talion, mais fut génératrice pourtant, au début, de la morale de par la peur des représailles. Mais à mesure que cette morale se constituait, l’idée de châtier le criminel fut parfois remplacée, au cours des siècles chrétiens, par celle de l’amender. Sauver les criminels fut une utopie que certains poursuivent d’ailleurs encore.

La science a de plus en plus dépouillé de son sens l’idée de châtier le criminel. Mme Lefebvre, par exemple, est-elle vraiment châtiée, qui est plus heureuse et dort mieux, sur sa paillasse de prison, que dans son bon lit de bourgeoise ?

Quant à l’amélioration des criminels, il faut singulièrement s’illusionner sur les complexes qui mènent les hommes et constituent leur caractère pour beaucoup y croire. Il n’y a, en réalité, qu’un seul traitement rationnel à appliquer aux criminels : les mettre hors d’état de nuire. Pour les moins fous, si l’on veut, on pourrait conserver la prison, mais moins malpropre qu’elle n’est. Pour les autres, créer des asiles-prisons où l’on n’entrerait et d’où l’on ne sortirait que sur jugement motivé, réservant l’asile tout court aux fous non criminels.

L’obstacle à ce traitement rationnel des criminels reste le peuple qui ne cesse de réclamer « le châtiment du coupable ».

L’idéal serait évidemment la prophylaxie sociale : faire plus souvent à temps diagnostic et pronostic et interner le plus grand nombre possible de candidats criminels. Mais quel médecin, parmi tous ceux qu’elle consulta, eût osé interner, avant son crime, Mme Lefebvre ? On eut crié à l’attentat contre la liberté individuelle.

 

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2 réponses à Marie Bonaparte : « Le Cas de Madame Lefebvre » (1927)

  1. Etienne 1892 dit :

    Merci pour la reprise de cet article.
    Histoire et analyse fascinante, représentative d’une époque qui n’est plus (achat libre du revolver de la manufacture de St Etienne, système de pensée, mainmise familiale, …).
    On trouve une image de ce meurtre dans le Petit Journal Illustré n° 1812 du 13 septembre 1925 (voir ici pour l’image: https://2img.net/h/farm9.staticflickr.com/8474/8089501501_9bbaa28567_c.jpg ), qui serait parfaite pour illustrer cet article.

    • Joel Bernat dit :

      Bonjour ! et merci pour votre mot et l’illustration que je vais tenter de mettre dans l’article.
      Oui, il y a des choses bien intéressantes chez Marie Bonaparte à qui certains ont, pour des raisons « politiques », fait mauvaise réputation.
      JB

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