André Green : « Sur la mère phallique »

« Et parce qu’une âme gouverne deux corps,

comment l’on voit la mère désirer une nourriture

et l’enfant en être marqué. »

LÉONARD (Carnets), cité par FREUD.

« J’ai toujours été frappé de voir, soit au cours de traitements, soit dans les conversations avec des collègues, soit encore dans les séminaires de contrôle, combien la notion de la crainte de la femme phallique est tout ensemble des plus répandues et des plus malaisées à appréhender. Je pense tout particulièrement à l’air ébahi de certains jeunes analystes en contrôle lorsque la mère phallique venait pour la première fois sur le tapis. Il semblait qu’ils n’eussent jamais entendu évoquer une notion de ce genre ni vécu ce phénomène dans leur propre analyse. C’est pour cette raison qu’il m’a paru utile de chercher à préciser cette notion et les raisons de la crainte inconsciente qu’inspire à l’homme la mère phallique »[i]. Ainsi s’exprimait John Leuba en 1949 dans un des rares articles de la littérature sur la mère phallique, malgré la multiplicité, la constance, l’insistance des allusions à son sujet. Car les temps ont bien changé. Les jeunes élèves ébahis ont entendu la leçon et sont devenus nos maîtres ; ils ont nourri ceux qu’ils avaient la charge d’instruire à la mamelle de la mère phallique.

Aujourd’hui la question s’inverse. Elle nous conduirait plutôt, devant l’envahissement de la notion, à nous interroger sur la place qu’il est légitime de faire à ce personnage de premier plan dans un enseignement freudien. Tout au moins de rendre compte de l’importance qu’il a prise, non seulement chez nous, mais partout dans la littérature psychanalytique, les psychanalystes français ayant suivi le mouvement général, plus qu’ils ne l’ont provoqué.

Une première explication, extérieure à l’expérience psychanalytique, ne nous retiendra pas longtemps. D’inspiration culturaliste, elle verra dans l’évolution de la condition féminine depuis Freud une modification propre à influencer l’inconscient. L’indiscutable phallicisation de la femme dans notre culture, donc de la mère, est bien insuffisante pour en rendre compte. Elle ne se manifeste significativement à l’enfant qu’une fois que sont déjà formées les notions de la différence sexuelle. En outre le comblement de l’écart de la différence sexuelle par suite de l’intense activité féminine en ce domaine tendrait plutôt à mettre en évidence aux yeux de l’enfant le désir de la mère de partager, au mieux, ou de s’identifier, le plus souvent, aux attributs du père. Elle ferait donc ressortir encore davantage un manque chez la mère. En outre, ce qui est subsumé sous la rubrique de la mère phallique ne concerne pas tellement la possession par la femme d’un pénis comme l’homme, mais se réfère à une image, nous le verrons, redoutable, menaçante, inquiétante.

Les autres explications seraient intérieures à l’évolution de la psychanalyse. Il était naturel que l’analyse de l’inconscient de l’enfant qu’on peut croire plus perméable que celui de l’adulte jette plus de lumière sur les phases préoedipiennes où la mère occupe le centre de l’univers infantile et prend de ce fait, dans la métapsychologie, une place plus importante que celle que Freud lui fait jouer explicitement. Ainsi les psychanalystes d’enfants — chez nous surtout Lebovici et ses collaborateurs — sont-ils à l’une des sources qui ont valorisé cette notion.

Dans une inspiration différente, davantage axée sur l’observation des phénomènes de transfert dans l’optique de la clinique psychanalytique, ceux qui s’intéressent à la relation d’objet se sont appuyés d’une part sur l’analyse des névroses classiques (névrose obsessionnelle, phobie, hystérie) au-delà des couches déjà mises en évidence par les premiers analystes et d’autre part sur les névroses atypiques à fortes fixations prégénitales, à la connaissance desquelles Bouvet a beaucoup contribué. Le présent essai se voudrait, dans un type de pensée quelque peu différent, le prolongement de ces travaux, dont Marty et Fain ont esquissé avec bonheur les caractéristiques, dans leur communication au Congrès international de Psychanalyse de Copenhague de 1959[ii].

Mais si je cherchais, au-delà de ces courants récents, une source plus haut située, il me paraît indiscutable que j’y rencontrerais Melanie Klein. Si nous ne comportons parmi nous aucun disciple avoué de Melanie Klein et si beaucoup d’entre nous prennent leurs distances à l’égard de son oeuvre, la théorisation qui se fit jour sous des plumes diverses ces dernières années me paraît lui devoir beaucoup[iii].

Je vais essayer de raccorder ce mouvement récent avec la théorie freudienne, dont on sait qu’elle accorde au père une position que la mère — fût-elle phallique — ne lui dispute pas. Mon effort n’est du reste ni le premier ni le seul et l’on sait que de récentes tentatives s’efforcent de le réintroduire à sa place primitive.

FREUD ET LE FÉTICHISME

Si l’on ne se contente pas des pages où Freud parle de la castration féminine, c’est-à-dire celles où la mère est représentée implicitement pourvue d’un pénis, et si l’on ne tient compte que des circonstances où il a explicitement mentionné l’existence d’un pénis maternel, on est conduit à revenir sur les cas de l’homosexualité masculine (Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci) et surtout du fétichisme[iv].

La découverte du fétichisme ne fut pas faite d’un seul coup mais en plusieurs étapes de 1905 à 1927, date de l’article princeps où Freud fut sûrement stimulé par les publications d’Abraham. Si le fétichisme occupe une place privilégiée dans ce problème, cela tient à plusieurs raisons. C’est d’une part un phénomène normal ; il est la conséquence de la surestimation de l’objet sexuel qui pousse au désir de s’en approprier une partie ; c’est d’autre part une perversion accessible à l’analyse car elle est souvent présente chez le névrosé. Beaucoup parmi les perversions sont nées de la prévalence d’une pulsion partielle ; ici les caractères de l’élaboration perverse sont plus nettement présents, intéressant plusieurs types de pulsions. Au départ Freud est surtout frappé par la valeur substitutive du fétiche qui vient remplacer une partie du corps ; on dirait aujourd’hui sa valeur paradigmatique. En fait c’est bien d’un investissement de la totalité du corps qu’il s’agit, la partie substituée vaut pour le tout. Ou plus exactement c’est comme si cette partie est ce qui donne au tout son prix, sa valeur. Celle-ci sauvée, la totalité l’est en même temps.

Bruno à la puberté pénétrait dans la chambre de sa grand-mère et se masturbait contre une de ses fourrures qu’il extrayait d’une armoire. Le fantasme qu’accompagnait la masturbation était celui d’une femme entièrement recouverte de poils, à l’exception des extrémités.

On peut penser que le fantasme pourrait ici communiquer avec un souvenir écran, ce que Freud reconnaîtra dans le fétichisme en 1927. Il est devenu classique de considérer que le fétiche remplace le pénis manquant de la mère. Mais il arrive parfois que la valeur substitutive du fétiche s’arrête à l’une des étapes qui jalonnent la chaîne signifiante qui le relie au pénis de la mère. Ainsi peut-il se raccorder par la voie de l’érotisme anal aux fèces. Et Freud de relever le goût des fétichistes pour les odeurs fortes. C’est ce sur quoi Abraham insistera en 1910. Ici se conjoignent fétichisme et homosexualité, puisque le fétiche peut avoir une fonction de pénétration anale[v].

C’est à propos de Léonard que Freud, en 1910, fait état de la divinité maternelle figurée sous l’apparence de l’oiseau aux seins de femme porteur d’une queue érigée. Et de souligner à propos de l’homosexualité le rôle de ce fantasme de mère phallique. Ici on peut remarquer que cette image, bien proche d’une imago, n’est pas qu’une représentation féminine pourvue d’un pénis, mais une figure qui annonce la fonction prédatrice de la mère phallique — telle qu’Abraham en particulier, la décrivit.

Une quinzaine d’années avaient été nécessaires pour aboutir à l’article de référence sur le fétichisme (1927) où sont rassemblées et précisées les données déjà entr’aperçues par Freud auparavant. L’accent est mis sur : — la valeur symbolique du fétiche : « le fétiche est le substitut du phallus de la femme (celui de la mère) dont le petit garçon crut à l’existence et qu’il ne souhaite pas abandonner » ;

— le moment qu’il marque : il naît au « dernier moment où une femme peut être considérée comme phallique ». Sa survenue est donc le signe que quelque processus aura été interrompu, dont le fétiche va prendre la place ;

— la mutation qui l’accompagne impliquant un déplacement de valeur ; — le jugement qui le connote, sous la dépendance d’un refoulement partiel : l’affect et le représentant de la pulsion sont dissociés. Freud propose le terme de Verleugnung[vi] — traduit en français selon les auteurs par désaveu ou déni qui porte sur la représentation — pour indiquer la différence avec le refoulement ordinaire (Verdrängung), où seul l’affect est refoulé. Le fétiche est à la fois le véhicule de l’affirmation de la castration et celui de sa négation. La mère est et n’est pas châtrée (II).

C’est cette ambiguïté qui amènera Freud à revenir par deux fois — peu de temps avant sa mort sur le clivage du Moi dans le processus de défense (1938) où le sujet reconnaît et repousse à la fois la castration comme le montre le cas du fétichisme (III). Ce clivage du Moi est à l’oeuvre dans le processus d’identification. Car parfois le sujet s’identifie à l’agresseur qui inflige la castration à la mère ; il adopte alors à l’égard du fétiche une attitude sadique, voire directement castratrice (coupeurs de tresses) ; ou alors il s’identifie à l’objet de son désir et aime dans le fétiche le témoin d’une intégrité morphologique de l’objet aussi parfaite que la sienne, en allant même jusqu’à vivre par lui l’amour que voua le désir féminin à l’objet qui lui manque.

Mais ce travail de 1938 porte une notation qui a son prix. Qu’elle ait été formulée à cette date — où Freud avait certes eu déjà connaissance des travaux de M. Klein — lui donne toute son importance. La peur de la castration par le père est niée par une régression à la phase orale : l’enfant s’y voit dévoré par lui. Deux faits sont donc ici à relever.

1. La castration y demeure la prérogative du père et l’existence d’un contenu oral n’invite pas à faire intervenir automatiquement le personnage nourricier c’est-à-dire la mère ;

2. La régression orale est en fait une régression du type topique, où un mode de représentation (la castration) est remplacé par un autre (la dévoration) sans que ce dernier y soit considéré comme plus redoutable sous prétexte qu’il remonte plus haut dans le développement.

Plus précisément encore, Freud affirme que la dévoration est un procédé de castration dont le but reste la destruction des organes génitaux par les dents[vii].

La même position est adoptée par Freud dans son court article sur La tête de Méduse de 1922 (publication posthume). L’horreur profonde qu’elle suscite, horreur que Freud compare à celle qui peut accompagner la chute de l’autel ou du trône, et qui ne le cède en rien aux terreurs du monde de Melanie Klein, tient aux liens qu’elle évoque avec la décollation et partant la castration. Son destin est de celer dans l’inconscient la cause de cet effroi et de la remplacer par la peur qu’inspirent les serpents qui foisonnent dans la chevelure. La castration est autant de fois niée qu’il y a de serpents, chacun d’eux figurant un pénis là où pourrait s’évoquer son absence ou la trace de sa coupure. Le spectateur figé, revivant cette mutilation à la vue de cette horrible vision, accomplit une fois encore cette négation. Dans l’étonnement qui le cloue sur place et le rend de marbre, il retrouve l’état d’érection et de spasme qui le protège contre la peur de la perte du pouvoir phallique. Nous voilà ramenés à ce mouvement d’affirmation et de négation dont nous parlions plus haut à propos du fétichisme, comme s’il était quasiment inévitable que la perception du manque de l’organe phallique se traduise dans le double registre de la positivité et de la négativité.

J’ai trouvé dans mes traitements de patients masculins une position fétichiste plus ou moins transitoire, dans un grand nombre de cas. Lorsque celle-ci n’existe pas à l’état de réalisation, elle accompagne au moins le fantasme masturbatoire. J’ai déjà mentionné le cas de Bruno qui se masturbait dans une fourrure de sa grand-mère en imaginant être au contact d’une femme abondamment poilue de la tête aux pieds.

Julien fortement marqué par une homosexualité latente, atteint d’éjaculation précoce et d’impuissance fréquente, ajoute au cérémonial de ses masturbations anales, où il retrouve les jouissances des lavements que sa mère lui administrait, le secours d’un mouchoir sale, objet élu et irremplaçable.

Jérémie dont il sera question plus tard se masturbait dans une chaussette sale.

La relation du fétiche avec l’analité est claire dans ces cas.

Roland, phobique, lui aussi menacé par une homosexualité latente qu’il reconnaîtra dans son analyse — voit parfois en fantasme la tête de sa mère, suspendue en l’air, comme décapitée et séparée du corps. Il organisait des fantasmes orophalliques autour d’un vêtement de sa mère dont le contact pelucheux et doux lui donnait un sentiment d’indicible jouissance.

Armand, caractère obsessionnel et narcissique, à fortes fixations orales et anales imagine dans ses fantasmes que la femme de son désir a revêtu son pyjama et qu’il l’oblige par la force à le quitter ; avec les femmes son désir sexuel est réduit à néant, depuis le traumatisme d’un divorce consécutif aux infidélités de sa femme. Il bute en fantasme dans l’abord de ses partenaires sur la culotte dont il les revêt imaginairement. Qu’en faire ? Comment l’ôter ? Comme s’il n’avait jamais eu aucune relation sexuelle antérieure. Il est à noter que la croyance en l’existence du pénis féminin était si forte chez lui, qu’étant enfant, une fille s’étant exhibée à lui, il ne voulut pas en croire ses yeux, même à une seconde exposition et en fit état à ses parents tant il ne pouvait y souscrire. C’était le fils d’une mère castratrice, jeune hystérectomisée à la suite d’une fausse couche, constamment garnie d’une protection qui barrait l’antre d’un orifice qui resta pour lui caverneux, ravin d’immondices.

Dans bien des cas le fétiche, comme Lacan l’a soutenu, est à la fois le représentant et le voile du pénis. Il est le paravent du danger, la barrière au-delà de laquelle le gouffre se devine, limite dernière avant la révélation de l’Autre féminin — mais il est aussi corps sécable, pelure qui se détache. Dans la mesure où il épouse le segment qu’il moule, il recouvre le pénis, signe la possibilité de son manque et ouvre sur une fente avide.

Repérons maintenant les axes qui permettent l’articulation de la théorisation de Freud :

— la valeur de représentant du fétiche, et le rôle joué par la représentation ;

— la dissociation du refoulement qui se retrouve dans le clivage du Moi, avec le déni et le désaveu ;

— la coexistence de l’affirmation et de la négation de la réalité de la castration ;

— le père comme agent de la castration ;

— la régression possible vers des formes orales qui maintiennent néanmoins la problématique de la castration ;

— le recours à la métaphore.

PRÉCURSEURS ET ÉPIGONES DE MELANIE KLEIN

Dès les premières élaborations sur le fétichisme s’annoncent de divers côtés des contestations plus ou moins avouées sur la conception que se fait l’enfant des organes génitaux féminins selon Freud. Ferenczi (1913) (1923) souligne la valeur de compromis de certaines fantaisies concernant les organes génitaux féminins où ceux-ci sont représentés à la fois comme cavité et comme organe pénien. Ainsi on trouve ce dernier chez certains patients, imaginé court et gros et pourvu d’un urètre pénétrable, ou encore sous la forme d’un pénis anal creux, ou encore en forme d’anguille enroulée[viii].

Mais c’est avec Abraham que s’amorce nettement le tournant en 1922, avec l’article sur L’araignée comme symbole onirique. Ici est nettement formulée pour la première fois la représentation de la mauvaise mère chargée de projections sadiques « une mère formée comme un homme et qui effraye le garçon par son organe mâle et le plaisir qu’elle prend à attaquer ». L’araignée ici comme dans l’objet fétiche est la mère entière et le sexe masculin qui lui est attribué. Le tout et la partie. Enfin point non négligeable, le pénis est représenté encastré dans les organes génitaux féminins. L’investissement sadique prend le pas sur l’investissement érotique de l’organe viril et la réassurance par l’hallucination externe du pénis remplacé par sa situation cavitaire. « Le sentiment du patient à l’égard des araignées ne peut être mieux décrit que sous le nom d’inquiétante étrangeté » (IV). Il n’est pas inutile de situer cet article un an après Au-delà du principe de plaisir (c’est-à-dire de l’introduction de la pulsion de mort par Freud) et cinq ans avant l’article sur le fétichisme. En outre, on décèle clairement la racine des conceptions kleiniennes dont Jones se fera le défenseur et l’ambassadeur après que celle-ci se fut installée en Angleterre en 1926.

Dans ses travaux sur le Premier développement de la sexualité féminine (1927) et Sur la phase phallique (1932)[ix] (V), Jones prend position contre les thèses freudiennes ; il y postule l’établissement de connexions orogénitales directes. La connaissance précoce du vagin peut être assumée par l’existence de relations inférées entre la bouche, l’anus et le vagin par le biais de l’identification à la mère. Les fixations pathologiques sont dues à l’intensité du sadisme oral projeté. La crainte majeure est celle de l’anéantissement par la mère et l’extinction de tout désir (aphanisis). La menace de castration est conçue comme partielle et secondaire dans le temps et en importance. Elle n’a la valeur que d’une formation réactionnelle : sacrifice de la partie pour sauver le tout. Jones est ici en accord avec une phalange d’auteurs féminins que domine de haut la figure de Melanie Klein.

Freud consacre une de ses Nouvelles Conférences à la sexualité féminine (1932). A le lire attentivement, on s’aperçoit qu’il ne conteste pas l’exactitude de ce qui est avancé au niveau des faits. Son article se terminera même sur une proposition qui va en partie dans le sens de ses contradicteurs. « Toutefois c’est la phase préoedipienne d’attachement tendre (à la mère) qui exerce sur l’avenir de la femme la plus grande influence. » Il consent à reconnaître le rôle majeur de l’agressivité. Mais il demeure inébranlable sur la question de l’envie du pénis et la crainte de la castration qui semblent avoir dans sa pensée une autre importance que celle d’une recension descriptive de faits cliniques. On ne saurait assez insister sur l’atmosphère de schisme potentiel qui régna durant ces années entre Vienne cité mère de la psychanalyse et Londres qui déjà se posait en rivale. L’enjeu était de taille, au point que Jones est amené à y revenir dans son travail Sur la phase phallique (1932). Selon Jones l’enfant insiste pour que la mère ait un pénis car il a moins peur que celle-ci soit pourvue d’un sexe mâle que femelle par crainte de pénétrer à l’intérieur. L’idée de la vulve précède la castration « s’il n’y avait pas de cavité dangereuse à pénétrer il n’y aurait pas eu de peur de la castration. » On voit ici la différence. Freud insiste sur le manque, la possibilité d’être privé de la part de soi qui est liée au plaisir et à la jouissance.

Jones déduit l’angoisse d’une positivité : les qualités effrayantes de la vulve. On ne peut ici que se référer directement à la source qui inspire Jones en citant M. Klein : « C’est le pénis incorporé qui est la cause d’une grande part du trouble, le pénis qui est entré dans le corps de la mère et a été avalé par le dragon ou les dragons qui hantent les régions cloacales. » On voit du reste que la position de Melanie Klein est plus proche de Freud qu’on le croirait car le pénis figure dans cette version où l’angoisse ne naît pas des seuls dangers liés à la forme vulvaire. Il est temps d’envisager plus précisément la conception kleinienne.

LE SYSTÈME MYTHOLOGIQUE DE MELANIE KLEIN ET SON INTERPRÉTATION

Ce serait une erreur de déduire du titre que nous donnons à ce chapitre que nous nous rangeons parmi les contempteurs de Melanie Klein. Elle déplace l’accent, on le sait, vers la relation orale au sein qui est non seulement la première, mais le prototype de toutes les autres. Cette relation mère-enfant primitive, comme modèle des relations ultérieures, relègue la castration au second plan. Il est impossible de comprendre la place de la « femme au pénis » en faisant abstraction des étapes qui la précèdent. La position initiale est celle du splitting, du clivage — que nous retrouvons ici, mais en position inaugurale. Il signe la mobilisation d’un groupe de pulsions contre l’autre qui amène la distinction entre bon et mauvais objet — ce qui n’est pas sans retentir sur le Moi qui lui aussi subit de ce fait le clivage. Le manque de satisfaction orale a pour conséquence la genèse de fantasmes, d’aspirer le sein, de le vider de son contenu et de se l’approprier, ce transfert total de substance se faisant par la voie de l’introjection. L’importance du sadisme oral pèse de tout son poids sur cette relation, car l’identification introjective rapproche sous le même chef l’objet incorporé et le sujet incorporant. Mais c’est surtout avec l’entrée en jeu du sadisme anal qu’apparaît la modification qui nous intéresse. La toute-puissance des fèces et le support trouvé dans la projection amènent avec eux les désirs d’effraction du corps maternel qui contient le pénis du père. Nous voyons donc que cette apparition du pénis du père est ici liée à l’extension à d’autres objets de la relation d’abord établie au niveau du sein. Cette extension va faire communiquer étroitement fantasme oral et fantasme de scène primitive, par le moyen de la « femme au pénis ».

« A mon avis si le garçon éprouve dans les couches les plus profondes de son psychisme une peur aussi terrible de sa mère qu’il considère comme castratrice et s’il entretient l’idée, étroitement liée à cette peur de la « femme au pénis », c’est qu’il craint en sa mère une personne dont le corps recèle le pénis du père ; ce qu’il redoute c’est le pénis du père à l’intérieur du corps de la mère. »

… « la crainte du pénis imaginaire[x] constitue une étape intermédiaire dans le processus du déplacement. De cette manière le garçon atténue la peur que lui inspire le pénis contenu dans le corps de la mère car c’est en effet une peur tout à fait insurmontable, car à ce stade la partie est encore considérée comme un tout et le pénis tient lieu de la personne du père. Ainsi le pénis contenu à l’intérieur du corps de la mère représente le père et la mère réunis en une seule personne et cette combinaison prend une signification particulièrement menaçante. »

On connaît les critiques très virulentes adressées au kleinisme et dont certaines sont justifiées. Je les rappellerai en les groupant sous trois rubriques.

La première est d’ordre chronologique ; on ne peut accepter sans autre preuve que les assertions de l’auteur que les enfants puissent, à l’âge où Melanie Klein fait intervenir ces phénomènes, vivre des élaborations aussi complexes. On sait comment Lebovici et Diatkine ont répondu à cette critique en faisant l’hypothèse de la réélaboration ultérieure sous forme hallucinatoire de vécus primitifs[xi].

La deuxième serait celle d’une confusion entre formes régressives et étapes du développement. L’enfant n’est pas un psychotique. Il y a des enfants, des psychotiques, des enfants psychotiques, sans qu’on soit autorisé à tout mettre dans le même panier.

Un troisième argument est d’ordre historique. Tout est dit au départ, sans que les événements ultérieurs y jouent la moindre part.

Enfin une quatrième catégorie d’objections fait intervenir la réalité. Melanie Klein ne tiendrait compte ni du Moi, ni de la réalité, confondant objet et fantasme d’objet (Pasche et Renard)[xii]. Cet argument est juste et discutable à la fois, car ce qui nous frappe est au contraire dans le système kleinien la façon dont il est parfois fait appel à la réalité, comme un deus ex machina en contradiction avec le mouvement général de sa théorisation. Ce tir de barrage ne doit pas nous faire oublier que toutes ces critiques rejoignent étrangement celles qui furent faites à Freud par les adversaires de la psychanalyse[xiii]. Essayons donc d’en tirer la meilleure part.

Le clivage initial, le splitting entre bon et mauvais objet est le signe de la structuration primitive de la relation mère-enfant. Il ne correspond pas d’une façon réaliste à la séparation de ces deux êtres, mais pourrait être un mode par lequel se signifient pour le sujet la présence et l’absence maternelles, le plein et le manque. Winnicott voudrait faire précéder le clivage du sentiment continu d’existence[xiv]. En fait à l’opposition décrite par Klein peut répondre celle que Winnicott lui préfère : existence-annihilation. Sa valeur est ici d’instaurer la relation d’objet partiel — ce qui veut dire que s’ouvre la possibilité pour l’enfant de se lier à un trait de la relation maternelle qui ne prendra sa signification que par son absence ou son négatif (VI). Totalité ou partie ? En fait au sein d’une union dont les échanges sont totaux, se fixe une relation à une partie qui sert de repère au désir de l’enfant.

Le manichéisme primitif de Melanie Klein est le premier mouvement par lequel Tout ou Rien peuvent être signifiés en désir accompli ou non accompli. Cette alternance qui est aussi, dans sa bipolarité contradictoire, une équivalence, se manifeste essentiellement par le mode économique des échanges. Ou l’objet est parfaitement plein, turgescent, empli des biens qui manquent au sujet, ici exclu ou fondu dans l’objet — ou le sujet se suffit à lui-même, ayant dissous l’objet, ou l’ayant chassé de son horizon avec l’introjection de ce que visait son désir. L’identification se produit ici sur le mode primaire. Ce n’est pas seulement le plus et le moins qui doivent alors être repérés et articulés, c’est la décharge spécifique au mode primaire qui vaut d’être relevée. Avaler et détruire sont les deux aspects solidaires d’une même réalité biface. Dans ces transactions, le plein de l’un correspond au vide de l’autre. L’introjection du bon objet peut être suivie d’effet bienfaisant ; elle n’en transforme pas moins celui-ci en mauvais objet, puisque le voilà vidé de sa substance, c’est-à-dire de sa richesse. Ce n’est pas encore la projection, bien qu’il s’agisse d’une attribution imaginaire de ce que vit l’Autre. C’est le simple vécu de mouvement, le sentiment de circulation de l’échange ou la perception de différence qui amène l’enfant à concevoir.que le sein lui est aussi nécessaire qu’il est nécessaire au sein (VII). Les impressions négatives sont aussi indispensables que les positives. Le désir naît de la faim mais si celle-ci n’est pas assouvie, c’est la mort et la fin du désir. La refente dans le sujet de ce clivage entre le bon et le mauvais qui rompt l’unité du Moi est contemporaine de la formation d’un Moi idéal précoce qui aura à sa charge l’appréhension sur un mode préimaginaire du fonctionnement du sujet se manifestant dans le manque et la plénitude et organisant autour du manque les ébauches des fantasmes premiers. Ce qui s’organise ainsi indique que la relation n’est ni pleine, ni complète, ni définitive car la mère possède plus qu’elle ne donne et qu’on ne retient jamais assez, ni suffisamment longtemps ce qu’on aura réussi à s’approprier d’elle. Dans le moment où l’on est séparé de la mère se constitue l’hallucination de ce que fut le mouvement d’union, par un effet de dédoublement, non à proprement parler spéculaire, mais sous forme de captation, d’appel vers un ailleurs et un autrefois confondus, que le fantasme mettra en scène ou le rêve; le tiers apparaîtra ainsi soit sous la forme d’un sujet, soit en une forme dédoublée où le sujet se verra sous les traits d’un Autre, s’excluant ainsi de sa représentation. C’est ici qu’apparaît le pénis du père. Cette introduction modifie les significations en présence dans la situation et le régime des échanges :

— elle constitue le sujet dans son dégagement du circuit relationnel oscillant ;

— elle favorise la position spéculaire par rapport à l’économie de mouvement ;

— elle spécifie la relation à la mère par rapport au père;

— elle nécessite dans l’investissement le commencement d’une orientation externe.

Si la mère peut encore ici figurer un état de plénitude ou de comblement et qu’elle a ce qu’elle désire, c’est bien parce qu’un autre le lui donne, par le signifiant du désir, dont l’enfant n’est que le délégué et auquel elle s’adresse au-delà de lui. C’est par lui que l’enfant est signifié dans le désir de la mère. C’est par lui que l’enfant se signifie dans son désir pour sa mère.

Le fantasme oral cède donc la place au fantasme de scène primitive, où l’enfant peut s’identifier à l’un des deux parents accouplés, ou y occuper, à son insu, la place du spectateur, se fixant ainsi en position tierce. La scène primitive serait alors le premier accomplissement véritable de la projection du sujet et le dernier terme de l’investigation analytique. Dès que l’enfant sort du monde des échanges totaux, celui de l’interpénétration mutuelle, de l’emboîtement complémentaire dans le contact avec l’objet (que ce soit dans la satisfaction ou l’insatisfaction) ce qui compte est la simultanéité où les termes sont interchangeables. Dès que cette forme de relation ouvre sur une perspective nouvelle, l’enfant continuera de se sentir l’objet du désir de la mère, mais seulement comme représentant de celui-ci, le signifiant fondamental de celui-ci, venant à la mère par le don d’un Autre[xv] (VIII).

L’érotisme sphinctérien joue un rôle non négligeable en cette évolution. Le passage du manque créé par la faim et l’absence de sein au manque créé par la perte des fèces, par le sentiment d’évidement est le corrélat de la présence du pénis du père dans le ventre de la mère qui, lui, conserve le contenu de l’incorporation. La valeur agressive des excreta permet à l’enfant de s’identifier à l’agent pénétrant. La résistance du corps de la mère qui cesse d’être cet organisme poreux — et qui répond à la consistance acquise par le sujet de façon parallèle — invite à la projection comme mode offensif d’effraction. Cette orientation projective — avec l’intense activité psychique qui l’accompagne — est orientation vers l’objet. Projeter, c’est se jeter en avant, aller chercher la signification hors de soi, interpeller l’objet, concevoir le monde comme investigation et investissement.

Ultérieurement la différence anatomique entre les sexes viendra jouer son rôle, comme Melanie Klein l’a perçu. La possession d’un pénis, organe externe, par le garçon qui investit le sexe en son apparence et son extériorité oriente l’activité pulsionnelle vers le dehors dans l’investigation du monde, tandis que la fille, qui ne suit pas le garçon dans ce mouvement d’identification masculine, sera plus centrée sur les rapports qu’elle entretiendra avec un monde intérieur et caché et ne sera assurée de sa victoire que lorsqu’elle aura détourné l’objet de son investissement sexuel, ouvert sur le dehors, et sera parvenue à le fixer auprès d’elle.

La fantasmagorie kleinienne se déploie sur le double registre des pulsions génitales et prégénitales et des pulsions de vie et de mort. Mais, selon nous, il faut surtout distinguer : le régime des échanges et les modes représentatifs des conflits pulsionnels. Melanie Klein insiste sur le caractère ineffable du vécu de l’enfant. Son effort se comprend comme une tentative pour traduire en langage d’adulte ce qu’elle infère d’une phénoménologie du premier âge autrement inintelligible. Il n’y a pas là matière à critique mais plutôt à réflexion. Le monde de l’enfant est signifié sur le mode verbal qui articule en groupes de représentations ce qui ne l’était qu’en succession (mais alors peut-on parler d’articulation ?) de mouvements. Nous savons en psychanalyse la stérilité d’une interprétation en termes de forces. Nous sommes condamnés à la fantasmagorie. Le sentiment de vérité de la théorisation kleinienne, au moins en ce qui concerne le psychotique, oblige à admettre ses découvertes, à deux rectifications près.

La première est qu’il faut comprendre le fonctionnement total du système sous le mode du processus primaire. On sait la difficulté à appréhender ce fonctionnement que Freud décrit contradictoirement et simultanément comme entièrement inorganisé et cependant siège de processus, comme la condensation et le déplacement, qui impliquent une organisation. Le clivage, puis l’introjection-projection nous paraissent constituer les axes fondamentaux de la symbolisation qui rendront possibles, en un autre temps, condensation et déplacement.

La deuxième est qu’il faut considérer la fantasmagorie comme la connotation représentative (IX) d’une situation dont la réalité est de l’ordre de l’économie relationnelle. C’est peu de dire, comme Lebovici et Diatkine, qu’elle en est une réélaboration ultérieure. Elle est son inscription au plan du fantasme par suite d’un travail, de même que la pulsion est travail imposé au psychique par suite de son lien avec le corporel. Cette fantasmagorie colle au mode économique, elle nous le rend maniable et nous permet d’accéder au processus primaire.

Freud nous apprend qu’avant l’installation du refoulement, des défenses primitives sont à l’oeuvre : retournement contre soi, retournement en son contraire. La construction kleinienne nous paraît admissible si nous considérons que le retournement en son contraire pourrait rendre compte de la transformation du bon en mauvais et vice versa et que le retournement contre soi s’illustrerait dans le mouvement de flux et de reflux pulsionnel qui parcourt l’unité mère-enfant (X). Les axes de coordonnées du système kleinien, tel que je l’interprète, comprennent :

— la prévalence du mode des échanges, vers la décharge en termes de mouvement ;

— la connotation représentative, la fantasmagorie permettant de signifier et d’articuler le vécu de mouvement ;

— la prédominance des affects sur les représentations;

— la triangulation précoce.

L’OBJET TRANSITIONNEL ET LE DOMAINE DE L’ILLUSION

Nous mesurons ici toute la différence avec le système freudien. Contrairement à ceux qui se tiennent à mi-chemin entre elle et Freud, Melanie Klein, comme Freud, ne se propose pas de faire une description, issue d’un protocole, une recension compilatoire des faits. Elle propose une structure. On a pu chercher dans une inspiration génétique à donner une cohérence et une vraisemblance au système kleinien. Je ne suis pas sûr que ce soit sous cet angle que l’on y arrive, ni que l’on en tire le meilleur. Le point de vue génétique peut lui-même être discuté chez Freud. Friedjung soumettant à Freud le cas d’un enfant fétichiste âgé de neuf mois s’entendit répondre que ce comportement était sans doute en rapport avec le fait que l’enfant avait pu observer la mère nue (ce qui était du reste le cas). En fait il n’est pas inexact de soutenir, comme Wulff et Winnicott l’ont bien montré, que la relation au sein peut constituer le prélude à la relation fétichiste[xvi]. L’objet transitionnel, comme le fétichisme chez les jeunes enfants, témoigne comme le soutient Winnicott, de l’existence d’un secteur dans la relation mère-enfant dit de l’illusion. « Le fait de n’être pas le sein (ou la mère) bien qu’il soit réel est aussi important que le fait qu’il représente le sein (ou la mère). » Le fétichisme sert ce domaine du Moi — sous l’influence de la menace du manque que laisse profiler la castration — par l’illusion qui permet d’y parer. Mais c’est la castration qui donne son sens à cette mise en scène. L’équivalence entre le sein et le pénis, ce n’est pas sous la plume de Melanie Klein — qui le reconnaît d’ailleurs — qu’on la trouve décrite pour la première fois, c’est sous celle de Freud, et en particulier dans son travail sur Léonard. La relation à la mère phallique n’est pas ce qui est antérieur à la castration, cette relation se signifie à travers elle, parce que la castration n’est pas seulement un événement individuel, mais transindividuel. La castration transforme cette peur d’ « on ne sait quoi » en angoisse de perte du membre viril. Cette peur d’ « on ne sait quoi » réapparaîtra sous cette forme lors du désinvestissement de la représentation qui connote la charge affective. Mais cette peur d’ « on ne sait quoi » ne prendra son sens que d’être rapportée à cette perte possible.

La fonction de l’objet transitionnel est présente aussi bien à la phase anale du développement. Le pénis fécal est un attribut des deux sexes ; la castration anale, ressentie dans le manque qui prive le sujet de la jouissance de son produit, est vécue dans les deux sexes. La valeur métaphorique des fèces, où se matérialise le désir d’enfant, va jouer un rôle analogue à celui que jouait le sein dans le champ de l’illusion. Il est tout aussi important que l’excrément soit et ne soit pas l’enfant ou le pénis. Freud, dans son article sur la transformation des pulsions dans l’érotisme anal, montre la commune relation qui unit fèces, cadeau et enfant, dans la catégorie de la « petite chose pouvant être détachée du corps ». L’enfant, ici encore, tient sa signification du désir de la mère. L’envie du pénis ne se dépasse pas. Le désir de réintégrer le produit demeure en la mère, comme la tentation d’un passé où elle se sentait comblée narcissiquement durant la grossesse. Si l’enfant reste en une telle position auprès de la mère, s’il n’est pas vécu comme ce qui a été donné par le père à la mère et que celle-ci lui rend, il risque d’avoir grand mal à rencontrer jamais son image, captif du désir maternel. Ce passage de l’intérieur vers l’extérieur, qui coïncide avec la naissance, modèle le désir, l’engage à trouver son objet, non en son corps propre, ou dans l’attente d’un enfant vainement espéré, mais dans le monde où les entreprises l’appellent à tenter sa conquête et sa délivrance des mains de l’Autre qui le possède.

La pénétration par la mère phallique à la phase anale n’a pas que des effets délabrants, les seuls qu’on se plaise à décrire, elle est aussi, dans sa fonction aliénante, fantasme de remplissement narcissique, introjection anale qui suit l’introjection orale, accession à une autosuffisance, qui invite au repli. Ici encore l’issue vers le dehors déplace vers le pénis, vers l’investissement dans le monde et la menace de la castration.

La discussion entre Freud et Jones sur la conception des organes génitaux féminins eut le tort de placer sur le plan du réalisme une question qui n’en relève pas. Au reste nous avons vu que Melanie Klein est plus proche de Freud que bien d’autres puisqu’elle fait figurer le pénis du père à l’intérieur du corps maternel, hypothèse que Freud a admise, puisqu’elle est mentionnée par lui dans l’analyse d’un contenu onirique dans les Nouvelles Conférences.

Melanie Klein aurait-elle raison sur le plan d’une certaine clinique que cela ne changerait rien au problème. De deux choses l’une : ou l’on admet que la clinique est le sol sur quoi nous nous appuyons pour construire la métapsychologie après l’avoir analysée et interprétée, ou nous nous livrons à une vue phénoménologique des choses en nous fiant à la lettre du matériel, renonçant à l’analyse. L’opposition de Melanie Klein à Freud n’est pas celle de la clinique à la théorie, mais d’une théorie à une autre théorie. Les deux doivent être passées au crible de l’exégèse et de la discussion. La primauté du phallus chez Freud est le fondement de la théorie, comme la menace de castration, l’organisateur de son système. Dès lors la question du désir féminin tombe sous sa coupe, comme celui du désir de l’homme. Et c’est ce qui a permis à Freud de se retrouver tout à fait en pays de connaissance — sans qu’on puisse le moins du monde voir sortir de son casque à ce moment la figure armée de Melanie Klein — avec Léonard lorsque celui-ci écrivait en ses Carnets la phrase qui servit d’exergue à notre travail : « Et parce qu’une âme gouverne deux corps, comment l’on vit la mère désirer une nourriture et l’enfant en être marqué » (XI)[xvii] .

ASPECTS CLINIQUES ET CONFIGURATIONS OEDIPIENNES

La confrontation des théorisations divergentes de Freud et de Melanie Klein devrait pouvoir nous éclairer sur les problèmes posés par la clinique psychanalytique de l’imago de la mère phallique. Pourquoi dans les analyses certaines mères apparaissent-elles plus phalliques que d’autres ? Y a-t-il univocité ou plurivocité d’aspects ? Alors que la plupart des auteurs s’attachent à l’étude du niveau de fixation (dans les étapes prégénitales) ou à celle du Moi, j’aborderai cette étude sous l’angle des configurations oedipiennes.

J’envisagerai au départ la mère de schizophrène. Ce sera la seule dont je parlerai en me référant non seulement à la façon dont elle apparaît à travers l’investigation du psychotique, mais aussi à l’observation directe. J’aurais beaucoup à en dire, ayant autrefois entrepris, dans une perspective psychopathologique, cependant plus psychiatrique que psychanalytique, l’étude du milieu familial des schizophrènes[xviii]. A l’époque j’ai surtout mis en évidence la double conjonction de la défiguration du rôle maternel et l’annihilation de la figure paternelle. Tout le monde connaît, depuis les observations devenues classiques, les relations dyadiques que de telles mères entretiennent avec leur enfant. Ce qui m’a surtout paru remarquable, c’est que les manifestations les plus pathologiques étaient électivement localisées dans les relations avec l’enfant — objet le plus proche et le plus cher — contrastant avec, par exemple, des relations sociales assez adaptées. Il est trop simple de penser qu’il s’agit d’une relation surinvestie érotiquement. On a pu soutenir que la schizophrénie était une maladie familiale dont seul le patient présentait la forme cliniquement apparente. Celui-ci ne faisait que refléter le déséquilibre familial total. La cellule familiale vivait sur le mode d’une surprenante solidarité (pseudo-mutualité de Wynne, fonctionnement réciproque) impliquant un processus synergique. Cette solidarité comporte l’exclusion du père, dont l’accès au fils doit être interdit, avec parfois l’acceptation sinon la complicité de celui-ci. Cette situation est grosse de conséquences, en ce qu’elle ne laisse que peu de place au déplacement, ou ne permet celui-ci qu’en l’isolant de sa valeur par rapport au père, mettant ces tentatives totalement entre parenthèses.

Les observations de Murray Bowen (observation de familles hospitalisées), lui ont permis de décrire les deux traits suivants :

— un sentiment chez la mère devient une réalité chez l’enfant;

— le soma d’une personne est en relation avec la psyché de l’autre.

Ils signent un échange d’identifications, qui porte la marque du mode primaire. Nous retrouvons ici ce transfert de charges, qui peut être total d’un sujet à l’autre, ou bien procéder d’un registre (soma) à l’autre (psyché). Il est tout aussi important de souligner les variations énergétiques qui vont alternativement de l’hébétude stuporeuse à la toute-puissance mégalomaniaque. Ces observations sont complétées et éclairées par la théorisation de G. Bateson[xix] sur le double lien. Le langage du schizophrène est, comme Freud l’a bien montré, investi par le processus primaire, siège des processus de condensation et de déplacement tels qu’ils se produisent au niveau de l’imaginaire onirique. Mais en outre Bateson montre comment la signification oscille entre des propositions contradictoires et incompatibles, sans possibilité de choix, écartelée entre des messages qui s’excluent les uns les autres[xx]. Ainsi l’enfant sent-il que l’amour de sa mère est conditionnellement lié à sa soumission absolue à elle, d’où toute individualité lui est refusée. Accepte-t-il la demande maternelle que sous-tend le désir de réintégration de son produit qu’il disparaît, sauvant l’amour dont il a besoin pour sa survie, mais s’anéantissant dans la survie. La refuserait-il qu’il survivrait, sans amour, donc sans possibilité de survie. Aucun de ces deux choix n’est possible. Mais ici encore nous insisterons sur le caractère massif de l’échange qui ne permet aucune solution tierce.

L’effet de comblement, voire de devancement de toute demande (Winnicott), la réponse constituée par une satisfaction anticipée et souvent infléchie d’un écart minime, mais qui en dénature la signification, tendent à faire chuter le sujet dans les circuits itératifs et oscillants de la relation narcissique qui conduit à l’adoption de deux issues. Soit le blocage total des introjections (solution de l’hébéphréno-catatonique), soit la constitution forcée du tiers forclos, qui ne se produit que par scission du Moi, dédoublement du sujet dans une relation persécutive ; ce personnage peut reconstituer la mère dont le sujet cherche à se délivrer en vain, ou alors le sujet s’abandonne au sauveur providentiel dont il voudrait être aimé. L’abord du tiers terme de la figure paternelle ne se dégage pas du défilé maternel.

Un schizophrène disait : « Mon père ? Je ne pourrai rien vous en dire de mon point de vue, je ne pourrai que vous en donner l’image qu’en a ma mère. » Un autre patient me racontait comment quand sa mère persécutée fut internée, alors qu’il cherchait à faire sa prière en disant le « Notre Père » il entendait la voisine du dessus crier : « C’est moi, c’est moi. »

Le schizophrène est une réplique identificatoire d’une mère qui nourrit le fantasme d’une complétude qu’elle a vécue. Elle aura perçu intuitivement de façon remarquable le même fantasme en miroir chez l’enfant et lui aura donné le support d’une réalisation possible par ce qu’elle lui aura permis de percevoir d’elle. Elle combat ce qu’elle anticipe de son désir jusqu’à la séduction sexuelle, le soudant à elle à jamais.

Le refoulement de la réalité n’est possible, laissant le champ au principe de plaisir que pour autant que le sujet est assuré de trouver en ses lieu et place ce complément dont il dépend et qui s’offre à lui demeurer indispensable éternellement contre une obligatoire et nécessaire soudure. Le schizophrène entretient avec sa mère une relation close où échangeant leur manque ils paraissent l’annuler, en un narcissisme unique d’où sont exclus dans le même mouvement la réalité et l’image paternelle. Ici l’imago de la mère phallique est constituée par la totalité qu’ils forment, sans que l’on puisse confiner cette imago à l’un ou l’autre terme (XII).

La clinique nous apprend par certains cas que l’enfant peut ressentir à travers d’autres configurations familiales que sa naissance et son existence ne furent pas marquées du sceau du désir de la mère pour le père. Ainsi dans l’homosexualité — tout au moins dans certaines de ses formes — (dans le cas auquel je pense la mère elle-même était une homosexuelle active) la mère vise par l’instauration de ses objets d’amours (ses partenaires homosexuelles) à ce que ce soit le père qui manque de quelque chose mais non elle. L’enfant se sent ici moins lieu d’une médiation entre ce qui fut donné par le père et reçu par la mère, mais comme le support pénétrable (analement) du phallicisme maternel, ce qui aboutit à la négation de la possession d’un pénis.

Julien, dont j’ai déjà parlé plus haut au sujet de la nécessaire possession du mouchoir sale qui accompagne ses masturbations anales où il retrouve le souvenir des lavements administrés par sa mère, cherchera dans sa vie sexuelle hétéro-érotique à s’identifier à la jouissance féminine, en introduisant des suppositoires dans l’anus de ses maîtresses. L’homme, le père est ainsi exclu du rapport sexuel qui se déroule entre une mère phallique et un petit garçon dépourvu de valeur phallique, seulement pourvu d’un anus. Lors d’un rêve, il se voit déshabillant sa maîtresse (anorexique et aménorrhéique) lui tend à boire des cornues remplies de vin. Celle-ci avance la bouche en cul de poule et par une transformation subite, l’orifice buccal devient anus. Elle reçoit le breuvage, semble éprouver un plaisir intense et lui-même à ce moment jouit, éjacule et se réveille.

Lorsque la mère mène un combat actif contre le père, elle lutte pour raffermir la dénégation de sa castration et le maintien fantasmatique de sa puissance phallique. Cette lutte donnera aux fantasmes de scène primitive une allure particulièrement angoissante, où la femme et l’homme sont engagés dans un conflit guerrier dont le pénis est l’enjeu. Les mères amazones s’offrent aux regards de l’enfant, réalisant pour celui-ci une véritable attaque par les yeux. L’enfant se voit pris dans le conflit de la scène primitive. Non seulement il n’a de cesse qu’il s’identifie alternativement à chacun de ses partenaires, mais son choix définitif dans l’identification indiquera de qui il veut être le prisonnier, l’objet du désir. Car tout comme le pénis il est l’enjeu du combat. Si le père est le plus souvent le castrateur, la mère peut apparaître pourvue d’une avidité insatiable que matérialisera la prévalence des contenus oraux parfois. Celle-ci recherchera moins le sexe paternel aux yeux de l’enfant que le moyen de se débarrasser de celui-ci comme elle se refuse à reconnaître la possession du pénis par le garçon. Nous y reviendrons avec l’observation de Jérémie.

La plus subtile des situations est souvent celle où l’étroitesse de certains liens érotiques tient un troisième protagoniste exclu de la situation. Parfois ce peut être le cas de ces parents « plus époux que parents » qui laissent à l’écart l’enfant. Celui-ci ne peut accéder au niveau phallique, il ne peut que rester le substitut d’un pénis trop petit — le déplacement métaphorique ne s’est pas accompli. L’envie du pénis n’intéresse que le pénis, non ses équivalents[xxi]. Cependant cette forme d’exclusion m’a paru moins fréquente, et moins grosse de conséquences que celle où c’est le père qui est exclu. A la différence de la schizophrénie, la relation ici établie n’est ni symbiotique, ni close, mais se situe au niveau narcissique phallique. L’enfant est promu par sa mère à un niveau de désir et d’aspirations à réaliser, que le père ne sut jamais atteindre selon la mère. L’enfant est essentiellement de la chair, du côté de la mère. Seules ses faiblesses le rattachent à la lignée du père. Mais, en contrepartie de cet amour, il faut que l’enfant soit constamment haussé jusqu’aux exigences les plus insatiables d’un Idéal du Moi sans mesure — donc d’une demande narcissique exorbitante. Chacun des objets qu’il investira devra posséder la même perfection pour être digne de lui. Autant dire que la castration féminine est inacceptable. J’ai décrit dans un travail antérieur[xxii] une configuration de ce genre. Une des conséquences les moins prévisibles de cette situation, et j’ai pu le remarquer en bien des cas, est de pousser le garçon objet d’un tel investissement maternel — dont la valeur érotique et incestueuse est perçue par l’enfant et terriblement redoutée par lui — vers le père exclu, la demande s’adressant alors toujours au manque qu’il laisse ouvert. L’homosexualité étant alors très fortement refoulée, car elle est objet d’un interdit que fait peser la mère. Il ne reste plus que le narcissisme comme refuge dernier.

(1)

(2)

Je rappelle le rêve court mais suggestif d’un patient qui a vécu cette situation. Il est au lit avec sa femme et pratique sur elle une fellation, celle-ci étant en possession d’une verge. Au fur et à mesure que le rêve progresse, il se rend compte avec surprise que c’est son propre pénis qu’il est en train de sucer. Le terme élidé ici est sans doute celui de la relation homosexuelle — moyen terme entre la négation de la castration féminine et l’investissement spéculaire.

Tels sont les principaux aspects qu’il m’a été donné d’observer dans mon expérience. Ce ne sont probablement pas les seules configurations possibles (XIII). Il me faut insister sur un point important. Je ne prétends pas décrire ici des situations qui joueraient au niveau du réel, mais ce qui nous est présenté dans le champ de nos observations à travers nos patients. Cependant si le niveau de l’analyse est celui de la projection, rien ne serait plus faux que de croire qu’il n’y a aucune vérité dans le propos de nos patients[xxiii]. Ils sont loin de s’en apercevoir. Ils ne se présentent pas toujours comme victimes de la situation. Le plus frappant est souvent de voir le peu d’importance qu’ils paraissent accorder à des événements significatifs que le premier venu jugerait au moins troublants. C’est, bien entendu, parce que certains bénéfices sont satisfaits à travers eux, mais surtout par l’effet de la dénégation de l’inconscient. Si ces configurations sont vraies — plus vraies que réelles — c’est qu’elles sont à la jonction des fantasmes des enfants et des parents et qu’elles nous renseignent sur les correspondances, les moyens de passage et de communication, les effets de tromperie, de ces organisations combinées. La valeur des observations que je soumets ici tient à l’existence de ces situations triangulaires où les caractéristiques phalliques de la mère et leur influence sur l’enfant produisent leurs effets non dans un rapport direct, mais mis en perspective par rapport au père dans une dialectique des relations métaphoriques entre le pénis et ses substituts.

Du côté du patient la rencontre avec les fantasmes maternels est peu contestable :

— le psychotique prend appui sur la dépendance maternelle qui lui permet la prolongation des délices — peut-être chèrement payées mais néanmoins délicieuses — du narcissisme primaire où le refoulement de la réalité permet la prolongation du règne du principe de plaisir là où le Moi vit au zénith de la mégalomanie. L’OEdipe est ainsi avorté et rejeté et la castration avec lui ;

— l’homosexuel poursuit cette quête de réussir, là où le père échoua, à se constituer en objet de désir pour la mère sans la disputer au père, puisque le désir de la mère n’y est pas intéressé ;

— le narcissique qui échappe à l’avidité féminine prend prétexte de cette voracité pour justifier un mode d’investissement où seule comptera sa satisfaction, l’objet n’existant plus que pour alimenter et soutenir une image de soi toujours menacée au niveau de ses idéaux ;

— le masochique[xxiv] enfin s’anéantit ou feint de le faire devant la mère guerrière, pour mieux sauver son sexe du dommage agressif que lui ferait subir son père s’il était affronté, le sujet ne se contentant pas d’assister au spectacle de scènes de violences entre ses parents.

On voit que dans tous ces cas, par un transfert de valeurs et de significations, le père cesse d’apparaître comme le personnage de l’agresseur ou du possesseur du droit de jouissance de la mère ce qui permet d’amorcer une inversion générale des positions oedipiennes plus ou moins accentuées dans sa visée selon les cas :

— du principe de réalité au principe de plaisir ;

— du lien objectai au lien narcissique ;

— de l’activité à la passivité ;

— de l’érotisme à l’agressivité.

Cette inversion est corollaire du changement de signe du phallus déféré du père à la mère et d’une relation close où le père est le témoin manquant. Que ces positions recoupent parfois les descriptions d’autres auteurs qui ont abordé la question par des angles différents de la clinique psychanalytique (fixations prégénitales de Bouvet), cela ne saurait étonner. Il m’a cependant paru digne d’intérêt d’en préciser les contours pour les circuits de relations présents dans les configurations oedipiennes, au carrefour de la rencontre entre Freud et Melanie Klein.

CAS DE JÉRÉMIE

Jérémie vint me trouver pour que j’entreprenne son analyse[xxv]. Il se plaignait de phobies multiples à caractère obsédant : crainte de s’évanouir en public, de regarder les gens dans les yeux, du bruit, etc., accompagnées de tendances dépressives graves avec idées de suicide, d’anxiété intense avec tentatives de contrôle d’une agressivité considérable qu’on voyait filtrer dans le discours derrière une rigidité apparente et un contact flou et par des tics d’allure stéréotypée. Ce tableau fut suffisamment inquiétant pour qu’ait été évoqué par un membre très averti de notre société le diagnostic de schizophrénie incipiens — ou de possibilité d’évolution schizophrénique. Je l’ignorais lorsque je décidai de tenter quand même l’analyse — bien que j’ai été inquiété par cette présentation — en me fondant sur le contact que j’avais eu avec lui — et peut-être aussi sur l’impression de profonde souffrance qu’il me fit.

D’emblée les premières séances prirent un tour orageux, d’une affectivité débordante. Dès le départ j’eus le sentiment qu’il avait trouvé l’occasion de revivre avec moi les relations martyrisantes qui avaient marqué sa vie. Il insista d’entrée de jeu sur le sadisme de son père, sa méchanceté, la façon dont celui-ci battait sa mère — ce qui à ses yeux le rendait responsable du départ de celle ci du foyer qui aboutit peu après à la déportation d’où elle ne revint jamais. Il avait neuf ans alors. Il fit état ensuite de sa propre souffrance dans la cohabitation forcée qu’il dut endurer avec le père jusqu’à l’adolescence. Enfin à une séance — quelques mois après le début de la cure — revint « le » souvenir. Il m’explique alors comment, un jour, alors qu’il était couché auprès de sa mère, dont il partageait le lit, le père couchant à part, celle-ci lui dit : « Tiens, puisque tu veux voir comment sont faites les femmes, regarde ! » Et écartant les jambes, elle lui montra son vagin en l’invitant à y mettre le doigt. Ce qu’il n’osa faire, frappé d’une vive angoisse. Son traumatisme, dont l’importance était évidente, finit cependant par jouer le rôle d’un alibi qui masquait totalement son désir pour sa mère. Il se voulait ainsi victime de ses deux parents, le père sadique, la mère perverse.

Au cours d’une de ces séances dramatiques, il développa son fantasme du vagin féminin comme une espèce de gouffre rempli de chairs sanguinolentes, de lanières découpées et entrelacées, et pourvu d’un stylet tranchant qui s’introduirait dans son propre sexe comme une sonde le ferait. Il évoqua le contact avec la pieuvre des Travailleurs de la mer. A la suite de cette scène d’exhibition du vagin il se souvint plus tard qu’il fut séparé de sa mère sur l’intervention probable du père. Peu après, sa mère faisait une tentative de suicide. Il changea de lit mais ce fut pour coucher avec son père. C’est à la suite de ces événements que la mère les abandonna tous deux, d’une façon brutale et imprévue. Il fut alors — en cette période de guerre — placé en institution et au bout de quelque temps dut être hospitalisé et opéré (sondé) pour une mastoïdite, après quoi il retrouva son père.

L’analyse, après une phase d’amélioration superficielle, prit un tour dramatique. Il était épouvanté par la moindre de ses réussites. Le sentiment de conflit qui accompagnait toutes ses relations lui rendait la vie impossible en société, ses relations sociales se restreignaient. Ses séances étaient une suite de récriminations auto-accusatrices. En fait il se tenait maintenant pour responsable de la tentative de suicide de sa mère et du départ qui précéda de peu sa déportation. Néanmoins il eut une relation féminine et put avoir des rapports sexuels pour la première fois avec une femme qui n’était pas une prostituée. Mais au cours de la période où il fréquentait cette jeune fille, celle-ci dut être opérée de l’appendicite, et un jour qu’il lui rendit visite, il eut le fantasme de mettre le doigt dans sa plaie escomptant de cette action tirer un plaisir extrême. Je pus alors lui montrer en saisissant l’occasion fournie par ce rapprochement que si angoissante que pût être l’offre de sa mère son désir était bien de savoir comment elle était conformée et même de pénétrer en elle avec violence. Ceci recoupait les souvenirs qu’il avait évoqués de sa curiosité sexuelle qui le poussait à chercher à voir ce qu’on pouvait deviner de ce qui se trouvait sous la gaine de sa mère et des crises de colère qui l’envahissaient lorsque celle-ci ne cédait pas à son désir de l’accompagner aux toilettes. Progressivement le thème de la castration du pénis féminin vint au-devant de la scène dans ses rêves. Il s’identifia, dans sa conception de la genèse de cette castration infligée par le père à la mère, à l’agresseur soit qu’il se voyait en rêve pénétrant le corps des femmes avec des instruments tranchants, soit qu’il eût le fantasme de leur arracher leur sac dans la rue. A ce moment prit naissance une pratique sexuelle à laquelle il était très attaché. Il abordait dans l’obscurité des salles de cinéma des jeunes femmes souvent accompagnées, et les caressait durant le spectacle. Pendant longtemps les caresses n’osaient aller plus haut que la naissance de la cuisse, comme arrêtées dans leur progression par un barrage infranchissable. En fin de compte il éprouva un jour un intense sentiment de plénitude et de possession complète atteignant à la jouissance lorsqu’il se permit d’arracher un bout de combinaison à l’une de ses partenaires. Mais il ne pouvait cependant, avec ces femmes pourtant consentantes, ni aller plus loin, ni entamer un début de dialogue. On ne sera pas étonné lorsque je rapporterai que cette phase fut caractérisée par un transfert homosexuel d’une extrême vivacité entraînant provocations incessantes, Jérémie me regardant pendant les séances, quittant le divan, circulant dans mon cabinet, protestant que la situation couchée le féminisait. Le langage prit une forme de plus en plus inanalysable et incohérente. Je fus obligé d’intervenir fermement en essayant de ne pas répondre à ses provocations. A certains moments critiques il me disait : « Je mène un combat sans espoir contre vous. » Ce qui voulait dire en clair qu’il mettait tout en oeuvre pour faire obstacle à sa guérison.

La confusion imagoïque était extrême chez ce patient à tel point que le vécu relatif à l’un ou l’autre des deux parents devenait interchangeable[xxvi]. L’essentiel était pour lui de tirer maintenant de cette situation tous les délices masochiques qu’elle pouvait offrir. Aucun aménagement n’était acceptable. Toute mesure positive était reçue comme une frustration : « Ça c’est de la psychothérapie, me disait-il (il en avait déjà eu). Si vous avez recours à cela c’est que vous désespérez de me guérir, c’est que je suis incurable et il ne me reste plus qu’à me tuer. »

Interpréter sa fixation masochique envers moi c’était le chasser. « Comment vous quitterais-je pour une femme — qui peut me garantir qu’elle ne partira pas, puisque ma mère l’a bien fait ?» Il y avait cependant une différence importante en ce qui concerne sa relation à sa mère. Il avait eu avec elle le sentiment d’une distance, d’une froideur insurmontable, malgré l’intimité de leurs rapports. Il se rappelle son inquiétude et son désespoir lorsqu’il l’entendait dans la cuisine tenir d’étranges soliloques. « Comme si je n’étais pas là, comme si je ne comptais pas. » Il se souvient qu’on lui a rapporté qu’il n’avait pas prononcé un mot avant quatre ans. Sa culpabilité vis-à-vis de sa mère lui apparut lorsqu’il se rendit compte de son identification naissante à son père, harcelant, tracassant l’inaccessible mère, ce qui avait entraîné l’exhibition, la tentative de suicide, l’abandon, la mort. Il se souvient de son attitude de prostration lorsqu’il fut clair qu’elle était partie à jamais et du serment qu’il se fit alors de ne plus jamais tirer aucun plaisir de l’existence et de se faire le plus petit, le plus humble, le plus effacé, le plus anonyme.

Je pus à l’occasion d’un mouvement de transfert lui montrer comment il vivait sa relation avec moi sous deux aspects. Il se sentait tantôt comme une partie de moi, partie détestée par moi que je cherchais à éliminer et expulser comme il était pour sa mère une partie manquante d’elle-même qu’elle haïssait mais dont elle ne pouvait se passer, comme elle avait refusé de voir en lui un don du père, mais le voulait présent en sa possession à son contact ; tantôt il ne pouvait être devant moi et pour moi qu’un objet de souffrance — un souffre-douleur — voué à mon plaisir cruel, livré à moi comme à son père qui le pénétrerait sadiquement.

Cette intervention eut un effet certain. Il put commencer à prendre quelque recul, mais s’épouvantant de chaque indice qui lui donnait la preuve qu’il pouvait se passer de moi. Son autonomie était associée à ma mort. Tout effort de libération soulevait une angoisse. Ainsi envoyé régulièrement en mission dans un pays limitrophe, il écourtait son séjour en pensant prétexter que son père, victime d’un accident d’auto, avait eu les deux jambes coupées.

Il prit conscience de ce que pouvait signifier pour lui la séparation d’avec sa mère. Cette signification était multiple : décroissance de la culpabilité expiatoire et perte de l’inversion de signe du plaisir, c’est-à-dire des satisfactions masochiques. Ici s’interrompait le dialogue impitoyable qui se poursuivait entre eux, elle lui lançant : « Tu me le payeras toute ta vie », lui répondant ° « Vois ce que tu fais de moi. » En outre il vivait la crainte de l’abandon par moi, comme si j’avais été incapable de supporter qu’il vive de son existence propre sans m’être attaché par des chaînes. La perte de l’identification à la mère prendrait ici la signification d’une terminaison de son deuil et avec lui de sa fixation à elle.

Par cette observation je compris la signification phallique de l’enfant pour la mère, mais aussi que ce phallus pouvait être objet de haine autant que de désir, ce qui me fit penser que la mère phallique est celle qui ne veut pas du phallus.

INVESTISSEMENT ET MÈRE PHALLIQUE : HYPOTHÈSE MÉTAPSYCHOLOGIQUE

Nous venons de voir les différences d’expression de l’imago de la mère phallique dans les diverses configurations où elle est présente. Ces formes variées nous paraissent tantôt illustrer la thèse freudienne où la castration est la crainte majeure, tantôt la thèse kleinienne où la crainte est liée à l’imago de la mère phallique. En fait, nous avons montré que, dans le cas où c’est la mère phallique plus que la castration qui était redoutée, tout s’était passé comme si un changement de signe venait affecter l’ensemble des termes du système freudien et que cette inversion se trouvait être congruente avec le système kleinien. On peut rendre compte de ces différences par les divers modes d’investissement. Freud nous enseigne la solidarité des trois points de vue dont l’ensemble forme la métapsychologie[xxvii] d’un phénomène : économique, topique, dynamique. Or il nous semble, si ces trois points de vue sont toujours liés, s’ils ne sont en fait que trois angles différents pour envisager un même phénomène, qu’il existe des prévalences entre eux.

La prévalence du type économique ou énergétique est celle à laquelle nous ont introduits les descriptions et les théorisations les plus récentes : relation fusionnelle à la mère, rapprocher avec un objet aussi indispensable que dangereux, etc. Ce sur quoi on insiste ici est le retour d’un état qu’on interprète en termes de régression ou de vécu archaïque, qui ne peut s’installer que si un transfert de charges l’accompagne — un accomplissement du désir qui en abolit jusqu’à la représentation qui le connote. Dans l’investissement originaire le fantasme primitif de l’identification primaire (Stein)[xxviii] n’est pas représentable. C’est ce qui entraîne une circulation des investissements, une « fermentation » des images, elles-mêmes perpétuellement modifiées par les échanges, en un mot par le régime économique des investissements. Aucune description ne fait état du danger encouru par le sujet du rapprocher avec le personnage phallique. Ceci est déduit par l’analyste. Ce qui caractérise la relation est son atmosphère particulière, qui laisse l’affect fibre et flottant, coupé des représentations fantasmatiques. La dépersonnalisation telle que la décrit Bouvet est le plus souvent accompagnée d’un contenu d’indicibilité. « Je me sens transformée en une force même pas figurée, je suis tout entière une force en mouvement qui ne va nulle part et je n’ai pas de limites, je suis le monde et le monde est moi, et le monde est une force comme moi. » Ceci explique que tout le système théorique de Bouvet ne soit compréhensible qu’en termes de mouvement; la distance à l’objet n’est pas un concept topographique mais énergétique.

Lorsque Grunberger décrit le vécu oral élationnel[xxix], Nacht et Viderman le monde préobjectal[xxx], ils situent une des relations toujours mieux appréhendées par le transfert — ici au sens littéral —,vécu comme un transport, ou un mode d’échange. Ils ne font, somme toute, que donner les équivalents positifs et bénéfiques des

effets attribués au personnage phallique. Alors surgit une question : aurions-nous affaire à une identité entre la mère orale et la mère phallique ? Pourquoi en ce cas l’appeler phallique ? Une perspective qui se réclamerait du réalisme est insoutenable puisque à cette phase il ne saurait être question du phallus. Faut-il alors adopter l’explication d’un retour en arrière des projections réveillées par le conflit de castration, puisque en fin de compte nos patients ont toujours au moment où nous les prenons en charge atteint et dépassé le conflit oedipien. Précairement sans doute — mais indéniablement. A moins de penser que cette mère est phallique pour son enfant parce que l’enfant prend sa place dans son désir de s’identifier avec ce qui lui manque et dont il est le substitut c’est-à-dire le phallus. L’enfant réintègre la mère au cours des échanges comme son phallus et il est réintégré par elle concurremment.

C. Luquet a insisté, après Loewenstein, sur cette réceptivité concave d’attente qui est dénuée pour la mère — pour la femme — de tout contenu représentatif. Le retournement pulsionnel, l’infléchissement, est un transfert de charge auquel doit préluder, comme Pasche et Mallet l’ont indiqué, le désinvestissement représentatif car la libération de l’énergie libidinale afférente à la représentation est bloquée pour toute autre utilisation non asservie à la forme figurée par le désir.

A ce type d’investissement s’oppose l’investissement, que nous appellerons synonymement, topique ou représentatif. C’est surtout ici que se rangent les cas où la mère phallique, ou plus exactement le phallus maternel est présent comme forme. La complétude n’est plus ici exprimée par le retour à un état, à des retrouvailles impossibles dans des renversements permanents, mais par la perception imaginaire d’une figure intégralement entière. Le mode d’investissement topique ou représentatif est le résultat de la captation imaginaire[xxxi]. Ce qui était vécu comme état ineffable où les relations du tout à la partie se télescopaient dans leur rencontre ou se scindaient définitivement dans leur séparation passe aux mains des pouvoirs de séduction de la forme comme parfaite, inaltérée, intégrale. Ceci est déjà halluciné dans la rencontre avec la mère, où l’enfant est porté par celle-ci, comme l’authentifie le miroir, puis sous les formes variées du narcissisme secondaire, comme reprise de l’image de soi, porteuse de ses idéaux. Cette captation opère dans le champ même du plaisir par la valorisation de la forme phallique. L’objet phallique est alors représentable comme objet de désir. Objet partiel, il le demeure, mais avec des rapports au tout nettement modifiés. Il reste ouvert à l’échange, à la substitution. Il sert à une fonction de complément variée qui peut avoir lieu sans entraîner derrière soi la totalité à laquelle il apparaît. Il peut s’affecter à la pénétration d’une cavité — anale le plus souvent — être tentation, convoitise pour le regard, fascination, effroi. Il peut se faire fouet ou caresse — main ou étoffe. Il demeure avant tout objet substituable

— ouvrant la voie au déplacement. Ce n’est pas pour rien qu’on signale, depuis des horizons théoriques différents, son lien avec l’analité, sa contemporanéité avec le sadisme anal. Pour Melanie Klein cela serait intimement lié au désir de l’effraction du corps maternel pour y voir les objets qu’il recèle. Pour Freud cela est signe, par le fétichisme, d’un changement de valeur dans l’ordre de la représentation. La représentation ne peut s’opérer ou s’insérer que là où le phallus n’est pas. Elle ne recouvre pas l’objet qui fut à cette place tel qu’il fut, mais donne la représentation isolée de ce qui manque à la figure perçue pour qu’elle soit complète, détachée de l’ensemble où elle est attendue. Ce qui laisserait à penser — conjoignant Freud et Melanie Klein — que ce n’est pas le phallus seul qui est en cause dans la représentation de ce où il vient à manquer, le corps de la mère, mais la figure totale du père.

Le troisième type d’investissement, dynamique signe l’insuffisance de la séduction imaginaire. Il ne s’agit pas tant de s’assurer des modes d’accession au réel mais de se faire à cette idée que le monde visible est toujours tromperie. La question ne se pose plus de chercher le phallus là où il paraît manquer de visu, car de le posséder ne garantit pas contre sa perte. Force est donc de chercher dans le monde ce qui est caché, soustrait au regard. Ce qui permet de retrouver l’appartenance du pouvoir, de la jouissance de l’autorité non dans des signes mais dans des signifiants. Si l’autre n’est pas le sexe châtré, mais différent, c’est en ce qu’il détient — à sa manière — sa part du phallus — dans un rapport différent. L’union de la femme et de l’homme fait apparaître entre eux des liens et des règles. La Loi. La possession du phallus par la femme n’est que potentielle eu égard à l’enfant qu’elle mit au monde, comme celle de l’homme ne se soutient que d’être soumise à ce qui a barre sur lui, dans les oeuvres du génie humain.

C’est en ce sens que Freud souligne l’aspect indépassable du complexe de castration chez l’homme et de l’envie du pénis chez la femme ; la tranquille certitude de la bonne conscience, le comblement par les jouissances de la vie, la suffisance — à se suffire de ce qu’on a — ne sont pas le dépassement de la castration, mais la vraie castration en ce qu’ils renoncent à l’investigation, au déchiffrage et à la transformation du monde.

A notre sens aucune analyse n’a atteint son but qui n’ouvre vers cette indépassable condition et son acceptation qui débouche sur la sublimation comme interrogation de la réalité du monde et du sujet. Car ce que le sujet vient chercher chez nous au-delà de la souffrance, de l’angoisse, de la solitude, c’est leur cessation sans doute, mais encore davantage le pourquoi de la souffrance, de l’angoisse, de la solitude. Ce que nous lui donnons, ce n’est pas la jouissance, la béatitude, l’extase, mais la possibilité de trouver les moyens d’une interrogation renouvelée de lui et du monde à l’aide de ce qu’il aura appris avec notre médiation.

Ces trois modes d’investissement sont bien entendu simultanés. Ils opèrent ensemble en étroite synergie. Nous n’avons décrit que des prévalences sous les formes que notre hypothèse métapsychologique a suggérées. Nous y avons aussi repéré un certain mode de successivité, le mode économique prévalent répondant aux formes premières de l’investissement et le mode dynamique aux formes les plus achevées. Comment marquer maintenant les passages entre ces trois types ? Nous formulons ici une hypothèse accessoire selon laquelle les deux aspects du refoulement pourraient jouer un rôle dans cette évolution.

Le refoulement originaire s’institue entre le mode économique prévalent et le mode topique ou représentatif. Son action sépare le refoulé primordial du reste de l’activité psychique d’une barrière infranchissable. Les représentations y sont liées à des échanges qui à ce niveau sont sujets à des transformations telles que seuls les procédés de symbolisation primordiale — condensation et déplacement — permettent de les appréhender. Lorsque le sujet en analyse entre en communication avec le domaine de l’inconscient, ce n’est pas la représentation qui accompagne la prise de conscience qui le frappe, mais la qualité de l’affect qui situe cette récupération; guère comme un souvenir, mais comme le contact avec une certaine réalité perceptible à travers un transfert de charge.

Le refoulement secondaire s’institue entre le mode topique prévalent et le mode dynamique prévalent. Sa levée permet la reprise par le Moi de contenus représentatifs à l’investissement imaginaire, figuré par un fantasme, le souvenir d’une scène reprojetée. Mais ici encore ce seront les procédés de la symbolisation qui permettront la mise en ordre des significations représentées.

Ainsi pouvons-nous attribuer à la mère phallique du premier mode le statut d’une imago, tandis que celle appartenant au deuxième mode appartiendrait à la structure de la représentation, et serait de l’ordre de l’image. Il est possible que le fantasme coiffe ces deux modes d’organisation. Quant au mode dynamique, il est celui où la différence des sexes n’est plus sous la coupe de l’affect, ou de la représentation, mais du concept (XIV).

PHALLUS MATERNEL ET PHALLUS PATERNEL

La théorie freudienne peut présenter les apparences de la contradiction à soutenir à la fois la différence des sexes, la bisexualité et la primauté du phallus. Bisexualité et différence des sexes signifient que l’individu porte en lui la complémentarité de l’autre sexe et l’incomplétude du sien. La disposition bisexuelle permet la coexistence du désir et de l’identification. Mais cette bisexualité ferait tourner le sujet en rond si rien ne venait le tirer de ce cercle vicieux. La primauté du phallus ordonne les échanges de la bisexualité : qui le possède ne peut se targuer de le conserver et risque de le perdre (ce qui le porte au pôle opposé de son sexe), qui ne le possède pas ne peut cesser de le désirer — en faisant son deuil de son désir — (ce qui le fait aspirer au pôle opposé de son sexe).

La crainte de l’homme de perdre son pénis le pousse à le remplacer par ses équivalents. Le désir de la femme de parvenir à sa conquête la pousse vers qui paraît le tenir et dont elle attend qu’il le lui donne sous de nombreuses formes, dont l’enfant est souvent la plus achevée, sans que cet acquis réponde forcément à sa demande[xxxii].

Le phallus maternel apparaît, à mon avis, comme imago toujours rattachée au corps — c’est-à-dire que la conception que l’enfant en a est toujours solidaire dans ses effets — bénéfiques ou maléfiques — de son insertion charnelle. A l’intérieur du corps qui alimente sa curiosité, la scoptophilie est liée à l’élucidation du contenu du corps maternel et de ses trésors (exemple : Léonard) mais elle ne fait que fournir l’énergie de la sublimation, le moteur de celle-ci. A l’extérieur du corps le pénis évoque sa privation possible au niveau même où sa place est marquée par le manque. Dans les deux situations est rompue l’unité narcissique du sujet (XV). Dans le premier cas le mode d’investissement économique prévaut, et dans le second le mode topique mais aussi bien dans l’un que dans l’autre se reflète le désir d’intégrité narcissique du corps entier ou de la partie qui en symbolise le pénis, cependant en proportions exactement inverses. L’intérieur du corps de la mère est le support d’un narcissisme fondamental pour le sujet, comme la présence du pénis est le signifiant fondamental de cette intégrité. Le phallus paternel, s’il s’oriente vers la mère, ne renvoie pas directement à elle mais à la nécessité de l’investissement du social par les voies de la sublimation. Le fantasme d’union avec la mère, ou le désir de s’assurer de l’intégrité du corps féminin est ici remplacé par l’avènement du Surmoi qui transforme l’interdit de l’union avec la mère en voie d’accès aux règles institutionnelles qui gouvernent le monde humain; comme tel il est sous la dépendance du mode dynamique (historique et conflictuel) prévalent d’investissement (XVI).

Ces remarques théoriques ont une incidence sur la technique de la relation duelle dans la cure. Si pour Bouvet[xxxiii] la dépersonnalisation comme rencontre avec le personnage phallique est le point critique où la plupart des cures, sinon toutes, doivent être conduites, il faut analyser cette situation plus précisément. Le rapprocher fusionnel générateur de la dépersonnalisation comme fantasme terminal n’a de valeur qu’à cause des remaniements qu’il est susceptible d’entraîner : le sujet démantelé reçoit le phallus de l’analyste et s’en trouve régénéré par les effets de l’introjection conservatrice. Mais si c’était le même phallus que celui tant redouté du personnage phallique, on ne s’explique pas pourquoi le jeu des introjections et des projections ne continuerait pas indéfiniment. L’hypothèse que je fais est qu’ici le phallus introjecté est celui d’un tiers, de celui jusque-là exclu de cette relation duelle, maintenant réintroduit, admis à y participer. Relisons ce que Bouvet écrit dans son rapport sur la dépersonnalisation[xxxiv] sur l’attitude de l’analyste à ces moments : il y insiste sur la modification de la qualité du contact qu’il imprime à la relation ; changement de ton dans la voix, manifestation de sa présence, réassurance du patient. Ce qui n’a pas pour but essentiel de diminuer l’importance des projections — comment une attitude extérieure pourrait-elle influencer la force des objets internes ? — mais de signifier que, dans la relation captive que vit le sujet, un autre se manifeste, qui n’est pas l’image réelle de l’analyste mais le personnage de l’absent qui est hors des limites du cabinet analytique.

Dans un autre texte Bouvet fait état des difficultés d’introjection de l’image du père semblable à celles décrites pour l’image de la mère. « Ce que l’on décrit habituellement en affirmant que les personnages parentaux ne sont pas différenciés et qu’à travers une forme oedipienne le sujet a un rapport binaire avec le personnage phallique. » Cependant comme souvent il tempère ou équilibre ce qui vient d’être avancé. « Mais en réalité les choses sont infiniment plus complexes et il faudrait insister sur l’allégement de la situation relationnelle du seul fait que le père y était mêlé comme objet distinct (action médiatrice du père, Lacan) »[xxxv]. Ceci rencontre ce que Nacht et Viderman écrivent sur les dangers que comportent les régressions transférentielles incontrôlées ou abandonnées à elles-mêmes, en tant qu’elles ne sont pas médiatisées par un élément tiers.

Ainsi s’expliquerait le point avancé par Bouvet, du retour du conflit oedipien à la fin de la cure chez l’analysé, comme s’il ne pouvait y avoir de fin d’analyse sur une structure autre que triangulaire, qui est celle même impliquée dans toutes les relations du sujet.

La séduction dans l’analyse d’un retour aux origines nous fait penser tout naturellement — confondant profond et précoce (Winnicott)[xxxvi] — qu’au départ règne la terreur, mais que la fin du voyage sera plus clémente ou plus douce — quand nous serons grands. Avec la rencontre avec la mère phallique nous toucherions le fond, le soubassement de l’être. Freud pourtant nous indique une autre voie et c’est sur cela que je terminerai.

L’ « inquiétante étrangeté » se manifeste pour ce qui fut à la fois le plus connu, le plus familier, l’intime d’un autrefois révolu et aussi pour ce qui est caché, dissimulé. C’est la résurgence de ce qui aurait dû rester enfoui qui engendre le malaise troublant qui nous envahit devant l’insolite. Un contact immédiat ou chargé d’images qui rappelle celui d’une rencontre avec l’autre, où les limites de chacun sont abolies, dans une relation en miroir où l’appartenance des formes, des pensées, des actes est incertaine, comme s’ils étaient partagés en doubles. Ce n’est pas qu’ici soit vécu un état qui porterait une marque originelle. Ce qui s’évoque au contraire est le sentiment d’une retrouvaille, d’une répétition, d’un retour du semblable qui franchit les barrières du refoulement. La différence entre déjà connu et jamais connu s’abolit. Ainsi se produit le passage du familier à l’étranger. Cette relation qui rappelle le narcissisme primitif, le refoulement l’a rendue autre, étrangère au Moi, aliénée. La méconnaissance à l’oeuvre dans le refoulement a changé le signe des significations. Ainsi de l’inquiétante étrangeté devant les organes génitaux féminins : « Cet étrangement inquiétant est cependant l’orée de l’antique patrie des enfants des hommes, de l’endroit où chacun a dû séjourner d’abord. On le dit parfois en plaisant Liebste ist Heimweh (l’amour est le mal du pays) et quand quelqu’un rêve d’une localité ou d’un paysage et pense en rêve, je connais cela, j’ai déjà été ici, l’interprétation est autorisée à remplacer ce lieu par les organes génitaux ou le corps maternels. Ainsi en ce cas encore l’unheimlich est ce qui autrefois était heimisch, de tous temps familier. Mais le préfixe un placé devant ce mot est la marque du refoulement »[xxxvii] (XVII).

L’inquiétante étrangeté qui transforme le séjour maternel en lieu d’angoisse, c’est la castration qui la commande. On dit souvent de nos jours que cette castration est une défense contre l’anxiété primitive. On ne s’arrête pas devant l’hypothèse selon laquelle l’effroi devant la figure du père et sa menace pousse à doter tout ce qui lui préexiste du signe de l’angoisse. Il n’est pas sûr qu’il soit plus avantageux de perdre la partie pour sauver le tout quand la partie est justement ce qui permet de signifier le tout. La castration n’est pas l’expression d’une transcription réaliste des faits, elle est une donnée structurale du désir de l’homme — liée à sa situation anthropologique et à son destin. Si on lui préfère l’optique réaliste, on sera sans cesse conduit à la recherche d’une peur toujours antérieure qui conduira toujours à remonter au ventre maternel. C’est pourquoi Freud d’abord intéressé par l’hypothèse de Rank, l’abandonna. Suivre Rank c’était se condamner à plus ou moins longue échéance à suivre ensuite Jung dans la nuit des temps immémoriaux. Si l’on s’efforce de traduire ce que l’on croit avoir été le développement selon une perspective — opposée à celle de Melanie Klein — soucieuse de rigueur chronologique — c’est certes là une entreprise digne d’intérêt. Mais est-ce là suivre la ligne tracée par Freud ? Son but fut peut-être avant tout de qualifier l’homme à travers l’OEdipe — à travers sa relation au père et à la mère — par le sceau qu’impriment en lui le désir du phallus et son inéluctable échec.

La marge qui reste à combler est encore large de cette impénétrabilité de l’humain dans la nuit de son passé. Freud ne fit-il pas preuve de plus de modestie lorsqu’il écrivit : « De la solitude, du silence, de l’obscurité, nous ne pouvons rien dire si ce n’est que ce sont là vraiment les éléments auxquels se rattache l’angoisse infantile qui jamais ne disparaît tout entière chez la plupart des hommes »[xxxviii].

APPENDICE

I. — Je fais ici allusion aux travaux de Lacan et de son école. Ceux-ci ont été exposés dans ses articles, mais surtout dans ses séminaires[xxxix]. Voir aussi la recension qui en a été faite par J.-B. Pontalis pour les séminaires concernant « la relation d’objet » et celui sur « les formations de l’inconscient ».

II. — A réfléchir sur les caractéristiques que Freud désigne ici, on ne peut pas ne pas voir que ce qui l’intéresse tout autant que l’élucidation d’un problème clinique, voire psychopathologique, est le fonctionnement des catégories de la pensée. On pourrait y retrouver la référence à la synchronie, à la diachronie dans les deux premiers traits ; la métaphore et l’introduction dans les deux derniers d’une forme de jugement où affirmation et négation coexistent. Ceci prouve bien que l’on est fondé à prolonger aujourd’hui ce type de recherche ou de formulation sans encourir le reproche d’intellectualisation.

III. — En réalité ce dont Freud a eu l’intuition à la fin de sa vie dans l’accent qu’il a mis sur le Moi et les encouragements qu’il a prodigués à ceux qui s’intéressaient à son fonctionnement ne visait pas seulement la conception devenue classique des mécanismes de défense, tels que le livre d’Anna Freud les a décrits mais aussi l’étude des divers modes de contre-investissement : Verwerfung (à peine mentionnée par lui mais qu’il faut distinguer sous le terme de rejet si l’on n’aime pas le terme de forclusion), verdrängung (refoulement), verleugnüng (déni ou désaveu) et verneinung (négation ou dénégation). Le clivage — l’Ichspaltung dont parle Freud, a bien une fonction essentielle dans cette optique et la Verleugnung du fétichisme l’illustre.

IV. — On voit encore ici quelque accent de « vérité phénoménologique » que portent les observations d’Abraham, tout ce qui le sépare de Freud. Abraham observe et traduit. Freud analyse. Pour Abraham l’étranger c’est l’inquiétant. Pour Freud l’étranger c’est le familier. Le ventre maternel est à la fois le séjour le plus craint — lieu de la castration première — et le plus familier.

V. — La discussion qui va suivre, déjà évoquée par Lacan dans ses séminaires, a depuis été reprise en diverses circonstances, en particulier par Janine Chasseguet-Smirgel dans ses travaux sur la sexualité féminine et sur l’OEdipe féminin (voir Recherches récentes sur la sexualité féminine). Elle est maintenant facilitée, pour le lecteur français, par la traduction des articles de Jones dans le numéro de La Psychanalyse (vol. 7), consacré à la sexualité féminine. Ces travaux et les traductions n’existant pas en 1962, nous nous sommes cru autorisés à y consacrer notre attention.

VI. — La formulation que nous employons ici ne serait pas exactement la même, nous dirions moins que l’enfant se lie, se constitue, etc., plutôt que le sujet est lié, est constitué par la relation établie. Il est cette relation, plus qu’il ne la fait. Celle-ci l’institue.

VIL — Freud dit dans « la sexualité féminine » qu’on ne saurait dire, dans la relation orale, si l’enfant tète la mère ou si celle-ci est tétée par l’enfant.

VIII. — Il n’est pas nécessaire de souligner ce que cette version du développement doit à la conception de Lacan, dont on ne peut cependant dire si elle se réfère de lui, qu’elle en est le reflet. Il est probable qu’aujourd’hui nous l’aurions formulée différemment, en identifiant le sujet à la chaîne des opérations impliquées dans le processus d’échange.

IX. — Le texte initial portait l’accolement représentatif.

X. — Nous reviendrons ultérieurement sur cette hypothèse métapsychologique dans un travail sur le narcissisme. Voir « Le narcissisme primaire, structure ou état », dans l’Inconscient, nos 1 et 2, P.U.F.

XL — La toute dernière partie de ce chapitre ne figurait pas exactement sous cette forme dans la version présentée en 1962.

XII. — Il va sans dire que nous ne voulons nullement impliquer ici une schizophrénogenèse maternelle, mais décrire et analyser une relation. Le sujet schizophrène en est partie prenante. L’observation des mères de schizophrènes, par le fait qu’elles « collent » admirablement avec la psychose, permet d’appréhender cette réalité biface que forme le couple mère-enfant. Elle offre surtout de l’intérêt dans la mesure où elle permet de saisir le mouvement qui fait communiquer les deux versants d’un fantasme inconscient. Voir depuis 1962 les travaux de P. Aulagnier sur la Psychose.

XIII. — Mon matériel ne comporte que des cas masculins. Bien entendu l’influence de la mère phallique sur la fille est aussi prépondérante. Je crois même que ce sont les mêmes configurations que l’on retrouve, avec les mêmes effets. La dévalorisation de l’image paternelle, le maintien des effets de la fixation maternelle et la conviction réaffirmée par la mère que le père n’a rien de plus que la mère qui puisse répondre à la demande de la fille, y sont fréquemment retrouvés.

XIV. — Cette hypothèse métapsychologique du rôle joué par les refoulements originaire et secondaires nous semble devoir être davantage précisée. C’est ce que nous avons abordé dans un travail sur le narcissisme, cf. L’Inconscient, P.U.F., nos I et 2. Mon travail de 1962 était sans doute encore influencé par les discussions qui se sont tenues autour du rapport de Laplanche et Leclaire sur l’Inconscient aux Journées de Bonneval de 1960.

XV. — Grunberger a soutenu aussi la notion du phallus comme intégrité narcissique.

XVI. — Faut-il ici préciser que cette théorisation ne veut pas dire que nous vouons la femme à n’être qu’une mère, un corps, alors que nous réservons l’accès aux sphères supérieures de l’existence sociale aux seuls hommes. Nous ne sommes amenés à le préciser que parce qu’on a pu soutenir que la pensée freudienne sur la castration féminine y conduisait. Que le plein épanouissement de la femme passe par l’accomplissement d’un certain nombre de tâches dont l’homme avait autrefois le monopole ne change rien à la question du désir féminin, ni ne peut abolir cette différence qui donne à la femme la possibilité de la grossesse et de la maternité — voie interdite à la jouissance de l’homme — et qu’elle place sa relation à son enfant sur un plan jamais accessible à l’homme.

XVII. — Je dirai pour me résumer, après cette citation de Freud, que je pense qu’il faut distinguer — pour les relier ensuite par des éléments métapsychologiques communs — entre les deux figures d’imago de mère phallique décrites par Melanie Klein et Freud. La théorisation de Klein et des auteurs qui, de près ou de loin, s’y rattachent, en l’avouant ou pas, fait intervenir cette imago non au niveau de la représentation, mais à celui du mode des échanges et intéresse essentiellement la structure narcissique du sujet. L’action beaucoup plus nettement spécifiée de pénétration par le phallus de la mère me paraît intéresser la rupture du narcissisme et ne me semble pas plus spécifique que d’autres modes, tels l’évidement du sujet, son aspiration, sa vampirisation, etc. L’autre structure, celle décrite par Freud pour le fétichisme, garde sa valeur de clé signifiante, autour de quoi s’ordonne la symbolisation, fondée sur le conflit et l’opposition des termes, qui met en jeu la différence des sexes. Entre ces deux structures existent de nombreux intermédiaires, ils ne prennent leur sens que d’être rattachés à l’un ou l’autre type. Ainsi les aspects relevés plus haut de pénétration par la mère phallique sont le résultat de l’inversion du sens des affects dans leur destination du père à la mère et du plaisir en douleur — par exemple. Toute autre optique qui amènerait à considérer les contenus du matériel présenté par les patients, plus ou moins à la lettre, me paraît relever d’une technique interprétative qui supprime le travail d’élaboration de la pulsion au Moi et le rôle du refoulement et des défenses. Je l’appelle traduction simultanée. La position de Freud dans l’article sur l’Inquiétante étrangeté me renforce dans mon opinion que cette voie est l’opposée de celle qu’il a indiquée. Il se peut qu’il ait eu tort. Ce sera aux partisans des points de vue modernes de montrer que leur théorisation rend compte de plus de faits, suscite plus de réflexion, enrichit davantage. Jusque-là je continuerai de me référer à la construction freudienne.



[i] John LEUBA, Sur la mère phallique, Revue française de Psychanalyse, 1949.

[ii] P. MARTY et M. FAIN, Aspects fonctionnels et rôle structurant de l’investissement homosexuel au cours des traitements psychanalytiques d’adultes, Revue française de Psychanalyse, 1959, XXIII, p. 607.

[iii] Il me reste à dire un mot de ceux qui font profession de ne s’appuyer que sur la seule clinique. L’oreille reçoit différemment ce que dit l’analysé lorsque les yeux ont préalablement incorporé une vision nouvelle de ce qu’il projette sur l’analyste et que la lecture a fait naître. Ceux qui craignent que les subtilités trop adroites de la théorie ne déforment la vérité toute crue n’en restent pas moins en communication avec les théoriciens dont ils se méfient. Au lieu d’être influencés par la lecture, ils le sont par l’écoute de leurs collègues. Et lorsque la parole de l’analysé leur parvient, ils sont tout aussi contaminés par le mal qu’ils veulent éviter. Mais ils n’en savent souvent rien.

[iv] Voir en particulier : Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905), Le fétichisme (1927), Le clivage du Moi dans le processus défensif (1938).

[v] Le cas rapporté par Abraham de fétichisme du corset et du pied (chaussure) montre qu’il était fort près de l’idée de la pénétration par la mère phallique. Cf. L’araignée symbole onirique, Œuvres complètes, t. II, p. 141, trad. I. BARANDE, Payot, édit.

[vi] Pour la discussion sur la Verleugnung, cf. G. ROSOLATO, Étude des perversions sexuelles à partir du fétichisme, dans l’ouvrage collectif Le désir et la perversion, Ed. du Seuil, 1967. Ce travail nous est parvenu après la rédaction de notre article.

[vii] Pasche a insisté à plusieurs reprises — contre l’opinion actuellement répandue (Gillespie, Glover, Nacht, Diatkine et Favreau) sur le niveau de la régression dans la perversion : le retour à des phases antérieures de l’organisation libidinale n’intervenant qu’après coup, défensivement, l’interchangeabilité des pulsions partielles, autant que celle des objets prégénitaux, ayant pour fonction de court-circuiter la castration.

[viii] FERENCZI, Contributions to Psychoanalysis.

[ix] E. JONES, Papers on Psychoanalysis.

[x] Melanie KLEIN parle ici du pénis maternel dans la conception freudienne classique. Ces deux citations sont extraites de La psychanalyse des enfants, trad. J.-B. BOULANGER.

[xi] « Études des fantasmes chez l’enfant ». On consultera aussi la critique classique de GLOVER, An examination of the Klein system.

[xii] « Réalité de l’objet et point de vue économique ».

[xiii] J’ai souvent été frappé par la charge affective dont se coloraient les propos de certains contradicteurs de M. Klein. Des expressions telles que : je ne peux pas supporter ça, ça me révulse, etc. On peut ici évoquer Freud citant Charcot : « Ça n’empêche pas d’exister. »

[xiv] « Rapport sur la relation mère-enfant », Congrès international de Psychanalyse d’Édimbourg, 1961.

[xv] Certes on peut aussi soutenir avec Lebovici et Diatkine que l’enfant attribue au père des désirs identiques aux siens, ce qui le conduit à redouter ce pénis incorporé en la mère. Mais c’est à notre avis en tant que cette présence témoigne de la part de la mère une impossibilité de l’enfant à emplir entièrement son désir qui poussera ce dernier vers cet ailleurs ou cet au-delà où il rencontrera le phallus paternel.

[xvi] WULFF, Fetichism and object choice in early childhood, Psychoanalytic Quarterly, 1946, 15, p. 450. WINNICOTT, Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, Int. J. of Psychoanalysis, 1953, XXXIV, 88, trad. par R. LEFORT et V. SMIRNOFF, dans La psychanalyse, 5, p. 21.

[xvii] Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci.

[xviii] Thèse de médecine, Paris, 1957, dactylographiée. Voir aussi l’Encéphale, 1962, p. 5.

[xix] Pour les travaux de M. BOWEN et G. BATESON, cf. The etiology of schizophrenia, édité par D. Jackson Basic Books, 1960, p. 346 et p. 373.

[xx] Bateson oppose message et métamessage, ce dernier souvent de nature non linguistique.

[xxi] Évidemment c’est souvent l’enfant qui vit son pénis comme toujours insuffisant à combler le désir de la mère, mais la situation décrite plus haut se rencontre aussi.

[xxii] Une variante de la position phallique narcissique, Revue fr. de Psychanalyse, 1963, XXVII, p. 115.

[xxiii] Freud dans ses oeuvres terminales — voir en particulier « Constructions en analyse » insiste sur le noyau de vérité à la base de la déformation inconsciente.

[xxiv] Le masochisme dont nous parlons ici est celui qu’il est donné à l’analyste d’observer dans les cures de patients prépsychotiques, dont nous avons abordé l’étude avec Pierre MALE dans un travail antérieur sur Les préschizophrénies de l’adolescence.

[xxv] ) En 1958.

[xxvi] Il disait parfois sa langue  » fourchant « : mon mère, ma père, etc.

[xxvii] Cf. Métapsychologie.

[xxviii] L’identification primaire, Congrès des Psychanalystes de Langues romanes, 1961.

[xxix] GRUNBERGER, Considérations sur l’oralité et la relation d’objet orale, Revue fr. de Psychanalyse, 1960, p. 177.

[xxx] S. NACHT et S. VIDERMAN, Du monde préobjectal dans la relation transférentielle, Revue fr. de Psychanalyse, 1959, XXIII, p. 555.

[xxxi] Terme du vocabulaire de Lacan.

[xxxii] Nous pensons ici à l’objection souvent faite selon laquelle les femmes qui ont des enfants n’assouvissent pas pour autant leur envie du pénis.

[xxxiii] Cf. BOUVET, La clinique psychanalytique, dans La psychanalyse d’aujourd’hui, 1956, p. 40 et suiv.

[xxxiv] BOUVET, Dépersonnalisation et relation d’objet, Revue fr. de Psychanalyse, 1960, XXIV, p. 449, chap. VII, surtout p. 591 et suiv.

[xxxv] La clinique psychanalytique, loc. cit., p. 72.

[xxxvi] WINNICOTT, Communication au Congrès international de Psychanalyse, 1957.

[xxxvii] L’inquiétante étrangeté dans Essais de psychanalyse appliquée, Gallimard, édit.. p. 200.

[xxxviii] L’inquiétante étrangeté, loc. cit., p. 211.

[xxxix] Depuis dans la collection de ses articles portant le titre Écrits (éd. Le Seuil).

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