« Effroi, peur, angoisse » (Schreck, Furcht & Angst) chez Freud (Joël Bernat)

Un exemple du travail d’élaboration psychique selon la conception de Freud« Effroi, peur, angoisse » (Schreck, Furcht, Angst) chez Freud (Joël Bernat)

 Ces trois termes offrent un exemple du processus d’élaboration (voir Entstellung) tel que Freud a pu le définir. Rappelons aussi qu’en tant qu’affects, ils sont donc éprouvés par le moi.

 aEffroi / Schreck

 Nous savons combien l’effroi est central dans l’expérience de la découverte de la différence des sexes, pour le garçon. Et combien cet affect aura tout un destin psychique, tel que Freud le montrera au long de ses écrits, notamment dans l’un des derniers : « Le clivage du moi dans les processus de défense »[1].

Selon la dernière conception de l’angoisse[2], à partir de 1920, l’effroi (Schreck) est une réaction de détresse psychique (Hilflosigkeit) du moi face à une situation de danger à laquelle il n’était pas préparé. C’est donc un état de surprise, débordant le pare-excitations, surprise que le moi subit, passivement, car sans défenses. Ceci a constitué pour certains la définition du « traumatisme ». Freud a relié cet état à celui de la période d’immaturité du moi, c’est-à-dire, le temps de la détresse psychique que l’effroi répète.

Plusieurs destins psychiques sont possibles à partir de là. Pour exemple :

– la situation d’effroi compose le noyau d’un traumatisme psychique (une des solutions, à laquelle le moi peut recourir par la suite, consiste en la répétition de la scène d’effroi mais en inversant les places : le moi devient l’acteur de l’effroi – par exemple, dans l’exhibitionnisme) ;

– soit la situation de « surprise » et d’effroi est rejetée (voir Verwerfung), et fera dès lors retour sous forme, par exemple, d’hallucination : c’est le cas, chez l’ « Homme aux Loups », avec « l’hallucination du doigt coupé »[3] ;

– soit le moi, en se développant, va pouvoir élaborer cet affect d’effroi selon les phases suivantes : peur, puis angoisse.

 b – Peur / Furcht

 La peur est une première élaboration psychique de l’effroi car elle attribue un objet défini au danger, le figurant ou le représentant : l’effroi est ainsi mis à distance. L’éprouvé est celui d’un danger mais désormais lié à cet objet et sa proximité, ou bien du danger de la perte de cet objet et donc de sa fonction de protection, d’écran.

Avec la peur, le moi est ainsi préparé à la situation de danger. Freud a relié la peur à la phase de dépendance (à l’objet) de la première année, puis à la phase phallique lorsque cet objet est le pénis (et c’est alors le danger de castration). L’objet « pénis » de même que l’objet « loup » sont des exemples d’un objet qui a la particularité de regrouper toutes les angoisses fragmentaires et les menaces, en une forme de synthèse : le gain est qu’il n’y a plus qu’une seule menace et un seul objet de peur.

La situation de peur est ainsi une situation où la détresse et le danger sont reconnus, remémorés ou attendus mais sans déborder le moi puisque contenus dans, ou cadrés par, un objet. Donc, non plus le danger de l’effroi et de la détresse psychique, mais celui de la perte d’objet – et donc de sa protection.

 c – Angoisse / Angst

 L’angoisse est l’élaboration de la peur et donc une préparation au danger : le moi est ici dans une position active, c’est lui qui a la fonction de provoquer l’affect d’angoisse, qui est ainsi une alerte et une anticipation du danger, une prévention de la menace. À ce niveau d’élaboration, la situation de détresse psychique est évitée, ainsi que la menace de perte de l’objet, même si l’affect d’angoisse en porte la trace mnésique. De plus, cette détresse originaire est ici reproduite activement par le moi : il n’est plus débordé et traumatisé (disons, en passant, que l’angoisse n’est pas un mal, une maladie ainsi qu’une tendance actuelle l’impose).

 d – D’autres élaborations

 Mais le moi peut renforcer cette position par une nouvelle élaboration, par exemple dans la phobie : une conduite supplémentaire d’évitement de la situation d’angoisse. Il est évident que le « souci » du moi sera l’évitement de l’angoisse, soit par des élaborations contra-phobiques, des demandes d’anxiolytiques, etc.

Rappelons avec Freud que la première condition introduite par le moi pour déterminer l’angoisse est le danger de la perte de la perception de l’objet (observable dans l’angoisse dite du huitième mois) : c’est cette dimension, pour le garçon, qui opère dans la perception de la différence des sexes : il ne retrouve pas la perception de son pénis (comme objet protecteur rassemblant toutes les menaces) : c’est alors la condition de l’effroi. Cette perte de la perception sera par la suite assimilée à la perte de l’objet ou sa peur (perte du pénis sous l’effet de la menace de castration) ; l’angoisse est, quant à elle, la réaction au danger que comporterait cette perte, puis à la perte même de l’objet.

 Avec ces trois affects (effroi, peur, angoisse), nous avons une illustration du travail d’élaboration de la psyché en organisations successives du système de défense du moi, mettant de plus en plus à distance le danger, le premier pas étant la création de l’objet, entre moi et monde, dans une fonction de frontière pare-excitations, et le second pas étant le déplacement du danger vers la menace.


[1] 1938 : “Le clivage du moi dans les processus de défense”, GW XVII, 59-62 (Die Ichspaltung im Abwehrvorgang), in Studienausgabe III 389 ; SE XXXII, 275-278 ; Névrose, psychose et perversion, P.U.F. 1973 ; Nouvelle revue de psychanalyse, 2, 25-28, 1970 ; Résultats, idées, problèmes, II, Paris, P.U.F., 1985.

[2] 1920 : “Au-delà du principe de plaisir”, in Essais de psychanalyse, Payot 1981, p. 50, et 1924 : Inhibition, symptôme et angoisse, P.U.F. 1971.

[3] 1914, “Extrait de l’histoire d’une névrose infantile : l’homme aux loups”, GW XII, 29-157 (Aus der Geschichte einer infantilen Neurose), Studienausgabe VIII 125, SE XVII, 7-122 ;.  in Cinq psychanalyses, Paris, P.U.F. 1954, 325-420 ; Œuvres complètes, XIII, Paris, P.U.F., 1988 ; L’Homme aux Loups, P.U.F. Quadrige, 1990.

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