Joël Bernat : « Séminaire sur Karen Horney »

Karen Horney, analysante de Karl Abraham, fait partie de la première génération d’analystes-femmes dont l’apport sur la question de la sexualité féminine fut très important lors de sa période berlinoise, avant de migrer aux USA où elle s’est tournée vers le culturalisme.

  1. 1922 « De la genèse du complexe de castration chez la femme » / 2. 1926 « La fuite devant la féminité. Le complexe de masculinité chez la femme vu par l’homme et par la femme » / 3. 1926 « La féminité inhibée » / 4. 1932 « La phobie de la femme » / 5. 1933 « La négation du vagin » / Autres textes / Résumés
  1. 1922 « De la genèse du complexe de castration chez la femme »

Dans ce texte (in La psychologie de la femme, pbp Payot, 1969, pp. 30-47), Karen Horney (KH) critique la thèse de Freud selon laquelle l’envie du pénis serait responsable des fantasmes de castration chez la femme. Pour cela, elle s’appuie le plus souvent sur l’expérience clinique et les observations – ce que ne fait pas Helene Deutsch à qui elle lui reproche.

La manifestation la plus fréquente de l’envie du pénis est d’uriner comme un garçon ou un homme (et de se mesurer ainsi à lui : la longueur du jet est imaginée comme égale à la puissance de l’organe et la longueur du pénis). Ce désir du pénis est lié aux trois composants suivants :

  1. l’érotisme uréthral qui est lié à une survalorisation narcissique des processus excrétoires, selon un envie de toute-puissance. Cela allié du sadisme à ces fonctions (ainsi sont-elles dotées du pouvoir imaginaire de destruction et aussi en lien avec la sensation de contrôle). Voir la note p. 32. Puis l’on passe de la longueur du jet d’urine à celle du jet de sperme, à la puissance éjaculatrice (de là deux destins possibles selon l’investissement du jet ou de l’organe ou des deux) ;
  2. une scotophilie active et passive : en urinant, les garçons sont dans une exhibition de l’organe. De plus voit-il comment il est fait, ce que la fille ne peut pas, ses organes étant cachés (et l’éducation le renforce via pudeur, honte, gêne, pruderie, voile, etc.). Ce qui implique une question quant à l’envie du pénis :
    1. porte-t-elle sur l’organe en tant que tel ;
    2. ou bien sur le visible et la possibilité d’exhibition ? (ici peut-on penser au maquillage, la séduction et la vêture comme substituts, voire le corps même comme pénis) ;
    3. Avec son envers : la peur d’être vue (en se masturbant ou dans certaines phobies du sommeil où l’on peut être vue à son insu), culpabilité qui vient contrer le désir d’être vue, visible (par le père par exemple).

Cette situation anatomique aurait quelques conséquences psychiques. Par exemple, que l’homme soit porté à l’investigation (externe) découlerait de cette première satisfaction par rapport à la fille, ce qui lui permet de poursuivre vers l’extérieur et la fille, à l’inverse, vers l’intérieur ;

  1. un lien avec un désir onaniste refoulé : le garçon a la permission de tenir son pénis quand il urine (donc d’y toucher puis de se toucher), ce qui n’est pas le cas de la fillette : pour uriner, elle est portée ou accroupie : cela fait destin ;
    1. de là un possible sentiment d’injustice : les garçons peuvent se toucher et masturber, pas elles, d’où parfois une attitude compulsive maintenue (Freud le justifie comme entraînement de la pulsion d’emprise puisqu’ils auront ensuite à s’emparer de la femme… donc les filles n’ont surtout pas besoin, d’où la nécessité de leur interdire la masturbation…) ;
    2. il y a un effet sur la féminité. Mais ici, masculinité signifie « liberté sexuelle de se toucher » et féminité son « impossibilité ». Là encore, un sentiment d’injustice.

KH va alors poser une grosse question : « le complexe de castration a-t-il vraiment un lien avec l’envie du pénis ? » Pour y répondre, elle va former la notion de : forme de la libido d’objet :

Le complexe de l’envie du pénis peut se surmonter sans aucuns détriments, ce de deux façons en passant de l’envie du pénis narcissique – autoérotique :

  • au désir de la femme pour l’homme (ou le père) selon son identification avec sa mère ;
  • au désir d’enfant.

En revanche, le fantasme féminin primitif de viol par l’homme ou le père. Est une expression du complexe de castration. Par exemple, certaines l’édifie sur la base de l’identification amoureuse ou hostile avec leur mère et ainsi, fantasmatiquement, sont convaincues d’avoir subies une relation sexuelle avec leur père. Ce qui permet d’éviter une profonde déception.

Désir de jouer le rôle du père pour satisfaire aux prétentions à la masculinité, c’est aussi une façon de pouvoir continuer à désirer la mère. C’est surtout une des racines du complexe de castration. C’est lorsque la relation d’amour féminin fort et total pour le père est déçue que le rôle féminin est abandonné.

Freud : le doute s’origine dans celui de douter de la capacité d’aimer du sujet (haine).

  1. 1926 « La fuite devant la féminité. Le complexe de masculinité chez la femme vu par l’homme et par la femme »

Ici, KH (in La psychologie de la femme, pbp Payot, 1969, p. 48-65) critique la thèse du clitoris comme étant phallique ainsi que la phase phallique posée comme postulat. Pour elle, c’est un raisonnement a posteriori qui crée une envie du pénis primitive. Pour KH, l’envie du pénis n’est pas anormale mais est l’expression de l’attraction mutuelle et du désir pour l’autre sexe.

Les premiers analystes étant des hommes, ils ont dégagé une psychologie masculine, jusqu’à ce que Freud découvre quelque chose de spécifiquement féminin : l’envie du pénis, dont la portée s’est accrue avec l’hypothèse d’un stade phallique.

L’argument de Georg Simmel (Philosophische Kultur) dénonce la domination d’une vision-du-monde : « notre civilisation est une civilisation de l’homme » qui a donné à penser qu’objectivité = virilité. Ce qui a fait que, selon Delius (Vom Erwachen der Frau), « la psychologie de la femme a représenté réellement jusqu’ici le dépôt des désirs et des déceptions de l’homme. » Mais peut-on s’exiler de soi ? de sa culture ?

Ce qui fait que le tableau analytique du développement féminin ne diffère en rien des idées typiques du garçon sur la fille. À la phase phallique, il est imaginé n’exister qu’un sexe.

Les idées du garçon Nos idées sur le développement de la femme
L’affirmation naïve que les filles comme les garçons possèdent un pénis. Pour les deux sexes, seul l’organe génital mâle joue un rôle = il n’y a qu’un sexe.
Prise de conscience de l’absence de pénis. Pénible découverte de l’absence de pénis.
Idée que la fille est un garçon châtré, mutilé. Croyance chez la fille qu’elle a eu une fois un pénis et qu’elle l’a perdu par castration.
Croyance que la fille a subi une punition qui menace le garçon lui-même. La castration est conçue comme un châtiment, ce qui fait destin dans la culpabilité.
La fille est considérée comme un être inférieur. La fille se considère comme inférieure <-> Envie du pénis.
Le garçon est incapable d’imaginer comment la fille pourra surmonter cette perte ou ce désir. La fille ne surmonte jamais le sentiment du manque et de l’infériorité et doit toujours à nouveau maîtriser son désir d’être un homme.
Le garçon a peur du désir de la fille, de son envie. Pendant toute sa vie, la fille désire se venger de l’homme qui possède quelque chose qui lui manque, et de cette injustice.

KH reprend une hypothèse de Simmel : celle de la « possibilité que l’adaptation féminine à la structure mâle se situe à une période aussi précoce et à un degré tel que la nature de la petite fille soit écrasée par elle. » (Hypothèse de Freud aussi : elles participent à quelque chose qu’elles n’ont pas élaboré.) Voir la question de Freud : pourquoi participent-elles à quelque chose qu’elles n’ont pas élaboré ?

Par exemple, c’est la différence génitale entre les sexes qui apparaît comme cardinale alors que rien n’est envisagé du côté de la différence des rôles dans la reproduction (Vieille histoire de refoulement ! Cela redonnerait puissance et pouvoir côté femme (mère)), de même que les théories ne lui accordent pas, refusent, une véritable pulsion au coït (Cela s’entend dans les insultes : salope, pute, etc. leur désir fait peur.) Or son aptitude au coït n’est pas moindre que celle des hommes, elle est juste différente. De plus, l’envie du pénis est expliquée par des rapports biologiques et non pas des facteurs sociaux, biologique qui donnerait raison au sentiment d’être socialement désavantagée !

L’envie du pénis est primitive et est renforcée par des désavantages liés aux investissements prégénitaux évidents chez le garçon en lien avec son érotisme urétral (quoique), scoptophilique et masturbatoire : le voici exhibitionniste-phallique et elle en place de voyeur-castrée.

Un autre élément d’importance est que les filles, non seulement renonce au père comme objet sexuel mais simultanément reculent devant le rôle féminin total : soit une fuite devant la féminité. Car la fillette, lors de ses masturbations, fonde ses fantasmes œdipiens sur des observations (la disproportion de son organe par rapport à celui du père par exemple), ce qui alimente une peur de blessure interne, donc vaginale. Ici, la frigidité peut être considérée comme une tentative de se détourner de ces fantasmes dangereux. Cette angoisse génitale féminine porte aussi des sentiments de culpabilité. D’autant que si le garçon peut se réassurer par l’examen de ses organes visibles, la fillette, non, ce qui alimente son incertitude intérieure.

Sous la pression de ces angoisses, la fille peut se réfugier dans un rôle masculin fantasmé (le garçon dit manqué), ce qui permet d’échapper aux fantasmes libidinaux en rapport avec le père : le désir d’être un homme favorise le refoulement de ces désirs féminins chargés de culpabilité et d’angoisse. Mais cette déviation de son rôle vers une masculinité fictive (par identification au père) vient ensuite alimenter un sentiment d’infériorité. Mais cela reste un pis-aller et donc un bénéfice pour le moi (dans le sens d’un apaisement) que de passer d’un sentiment de culpabilité à un sentiment d’infériorité.

C’est l’obstacle incestueux qui fait régresser au stade précédent, celui de l’envie du pénis.

Quand la femme se réfugie dans un rôle masculin fantasmé, son angoisse génitale féminine est traduite en termes masculins : la phobie de la blessure vaginale suite à un désir actif devient un fantasme de castration subi : c’est pris avec le soulagement suivant, par exemple : « ce n’est pas moi qui ai fait une bêtise, mais quelqu’un qui m’a fait quelque chose ». C’est déculpabilisant.

  1. 1926 « La féminité inhibée »

La thèse virile de l’envie du pénis (In La psychologie de la femme, op. cit., p.66-80) tient à ce que les hommes ont la phobie des femmes. De plus, le désir du garçon de pénétrer sa mère n’est pas naturellement sadique (En opposition, voir la thèse des Cournut). Il n’est donc pas admissible de créer des équations telles que : viril = sadique, féminin = masochiste. Ce sont des théories du ravage.

Au sujet de la frigidité, il y a deux points de vue principaux :

  • l’un qui en fait une maladie au même titre que l’impuissance masculine (ce qui transfère l’idée d’une impuissance dans la frigidité !?) ;
  • si la frigidité est si fréquente, c’est qu’elle est normale et typique de la femme civilisée…

De tels arguments, et peu importe qu’ils soient pour ou contre, renforcent les facteurs sociaux et constitutionnels qui masquent en fait des convictions subjectives.

Pour Horney, une relation amoureuse complète allie corps et âme. Aussi va-t-elle développer la notion de complexe de masculinité chez la femme, en prenant l’exemple clinique de la frigidité :

  • le moi conscient ne présente aucune négation de la féminité ;
  • mais dans l’inconscient, il existe une négation du rôle féminin sous la forme, non d’un refus mais d’une répugnance à assumer un rôle féminin spécifique ;
  • cette aversion devient consciente sous la forme rationnalisée d’une discrimination sociale contre les femmes ou bien des accusations contre les maris ;
  • cela masque un désir de masculinité, d’être homme, ce qui implique la négation du rôle féminin ;
  • comme le désir de l’homme est au premier plan, les effets du complexe s’expriment par un ressentiment contre l’homme qui est pensé privilégié, une amertume intérieure ;
  • cette envie inconsciente la rend aveugle à ses propres qualités et tout est mesuré en fonction du masculin, soit selon un standard qui lui est étranger.

La femme est souvent décrite comme exigeante, toujours mécontente, et expliqué fonction de son insatisfaction sexuelle. Or cette insatisfaction est une conséquence du complexe de masculinité qui produit une frigidité : « je ne jouis pas, donc je ne suis pas une femme, donc je suis un homme ».

Mais en retour, cette frigidité peut intensifier les sentiments d’infériorité quand elle l’éprouve comme incapacité d’aimer, ce qui mène à une jalousie névrotiquement renforcée à l’égard des autres femmes.

Elles n’ont pas accepté leur féminité (ou elles ne l’ont pas trouvé) du fait d’une théorie sexuelle infantile : elles ont été créées comme homme, puis mutilées, détériorées, blessées (par un autre ou par elles-mêmes dans l’onanisme), ce qui fait que leurs organes sont malades, cassés (la menstruation, pour certaines, comme preuve fantasmatique, ce qui renforce les symptomatiques gynécologiques ou menstruelles). Ces problématiques peuvent être aussi déplacées sur d’autres organes ou des fonctions (intellectuelles par exemple), et de là ce stade infantile de l’envie des organes génitaux du garçon, du pénis, ce qui amène à un stade phallique. Mais l’envie rend aveugle : one ne voit plus ses propres capacités.

Le garçon a une envie de maternité qu’il peut sublimer en productions intellectuelles et culturelles (voir Groddeck).

L’envie du pénis n’est donc pas un rejeton direct de cette période phallique, c’est à l’origine une envie narcissique dirigée contre le moi et non contre l’objet. Normalement, l’envie narcissique du pénis est ensuite « submergée » par le désir libidinal objectal pour un homme ou un enfant. Cela dépend du destin de l’Œdipe.

Par exemple, le recul défensif devant son rôle de femme quand elle affronte l’angoisse face au père, ou encore les théories sadiques du coït (papa tape maman, la bat, blesse, etc., donc les femmes, donc moi). Plus le désir pour le père augmente et plus la sensation de danger augmente. Par exemple, la masturbation peut être vécue comme dangereuse car elle est liée au fantasme du désir pour le père et donc suscite le danger. Elle est donc refoulée, et maintenue refoulée par la culpabilité qui renforce ce refoulement (la peur d’avoir un organe cassé maintien cela). Il est moins douloureux de se réfugier dans une masculinité fantasmatique.

Cela produit un cercle vicieux : la fuite du rôle féminin dans le rôle masculin renforce le refus du rôle féminin.

Divers symptômes témoignent de tout cela :

– pratiquer la sexualité mais dans des conditions d’interdit (l’amant par exemple) ;

– ou dans des relations violentes (les femmes battues ?) ;

– ou sans aucun affect, etc.

Ce qui peut être renforcé par certains fonctionnements d’homme :

  • rechercher une femme intellectuelle et frigide ;
  • ou une femme sexuelle mais bête,

selon un jeu de distribution du sensuel et du romanesque.

La fillette grandit donc sous l’influence d’une pensée : l’homme est supérieur.

  1. 1932 « La phobie de la femme »

In La psychologie de la femme, op. cit., p. 135sq.

  1. Les hommes ont forgé bien des expressions pour décrire:
  • l’attrait irrésistible envers la femme ou l’autre :
  • ce qui en fait une phobie: « je suis attirée = la puissance est de son côté ». (Voir les Athéniens et ex pp. 136-137)
  • d’où une lutte pour se débarrasser de cette phobie, c’est-à-dire de cette impuissance (par exemple : « je n’ai pas peur, mais elle est méchante ») ;
  • ou alors garder secrète cette phobie, de la nier devant les autres et à soi-même, en inversant les signes comme dans, par exemple:
    • la glorification de la femme qui est plus ou moins une fétichisation : « je n’ai pas de raison de craindre cet être si beau et si pur, admirable, dévoué et aimant» :
    • ou la dévalorisation par la dépréciation : « je n’ai pas peur de cet être inférieur», ce qui permet en plus d’asseoir une virilité (imaginaire).
  1. Cette phobie (de perdre sa puissance devant l’autre du coup puissant) va être localisée, enclose dans un objet: la femme, mais c’est trop, donc le vagin, petit organe supposé donc dominable car pénétrable (c’est le trajet du refoulement), voire déplacée en phobie du père qui est, elle, plus tangible et moins inquiétante. Cette phobie tire son origine de fantasmes infantiles précoces :

– le garçon ignore son existence, il connaît au mieux la « fente », donc l’aspect externe visible ainsi interprété (le coupé est déplacé de fente à plus de pénis) ;

– l’essence des sensations phalliques selon KH est de « pénétrer » (Est-ce si sûr ? Être tenu, serré, entouré, etc.).

En fait, le mystère le plus inquiétant serait celui de la maternité et du pouvoir de faire des enfants : nous voici du côté mère. Celle-ci tire sans doute son grand pouvoir d’être la première à interdire/cadrer les activités pulsionnelles de l’enfant (voir Winnicott), et aussi du fazit que c’est sur le corps de la mère que s’exercent les premières expériences pulsionnelles sadiques (morsures, cheveux tirés, etc.)

Donc : est-ce que la peur de la femme viendrait recouvrir – et refouler – la peur plus archaïque de la mère qui donne la base du premier surmoi ?

Le vagin ignoré est un vagin dénié à la phase phallique (qui réclame du pénis coupé – ce qui ne fait pas vagin mais fente)

L’angoisse de castration est en partie une réponse au désir du moi d’être une femme.

Si le désir du garçon est de pénétrer, celui de la fille serait de recevoir (biologiquement conditionnée à cela…), de prendre en elle.

Exigences anatomiques :

– l’homme est réellement obligé de continuer à prouver sa virilité face à la femme, il doit : agir ;

– elle peut jouer son rôle juste en : étant ;

– l’idéal d’efficience serait ainsi typiquement féminin :

– une femme qui a la phobie de ses tendances actives parce qu’inconsciemment considéré comme ambition et accomplissant un rôle et des attributs masculins ;

– à conquérir, posséder, comme surcompensation narcissique

– ou avilir l’objet d’amour

Ou rabaisser la dignité de la femme.

La dignité personnelle est toujours précaire chez l’être moyen, ce qui lui fait choisir et encore choisir un type de femme infantile, non maternelle, hystérique, et ce faisant exposer chaque nouvelle génération à l’influence de telles femmes.

  1. 5. 1933 « La négation du vagin»

In La psychologie de la femme, op. cit., p.151-166.

Karen Horney se démarque des thèses de Freud, notamment sur la question de la non connaissance du vagin avant la puberté. D’autant plus que l’observation de jeunes filles montrent que :

  • très tôt, elles peuvent faire montre de traits féminins spécifiques tels qu’une coquetterie ou une sollicitude maternelle (Ce pourrait être le fait d’identifications ?);
  • les faits de masturbation vaginale.

Les fantasmes et angoisses pré-pubertaires en atteste : ceux de viol, d’effraction, cambriolage, etc. ; les hommes armés de fusils ou couteaux, les animaux « troueurs, effracteurs » comme les mites, souris et serpents, etc., autant de représentations sur ce qui se présente comme trou, notion angoissante puisqu’en elle-même, elle suppose que « ça a été produit ». Autant de phobies qui se fondent sur des sensations vaginales ou de pulsions qui y sont liées. C’est-à-dire que les sensations mènent à la découverte du vagin.

La masturbation peut fonctionner comme explication de ce qui a causé ce « trou », et dans ce cas, la stimulation clitoridienne est bien moins dangereuse pour le moi.

Bref, dès le début existe le vagin, et le problème de la frigidité s’inscrit contre le cortège de ces représentations phobogènes. La question n’est pas de savoir comment la sensibilité se transmet au vagin mais bien plutôt comment et pourquoi devient-il anesthésié ? Plusieurs points :

  • la petite fille est terrifiée par la différence de taille et la disproportion des organes, le pénis du père et son petit orifice vaginal ; cela ne peut que terrifier le moi. On le retrouve chez le petit garçon mais pas sur le même mode : « mon pénis est trop petit pour ma mère », alors que la fille est menacée de destruction (et le garçon dans sa virilité, cf. les suites). Donc, la phobie de l’homme face à la femme est génitale-narcissique, celle de la fille face à l’homme est physique (…) ;
  • les menstruations comme renforcement de la thèse des agressions et attaques, des disproportions ;
  • la masturbation vaginale culpabilisée pour expliquer l’orifice vaginal mais la pensée que quelque chose a été ainsi cassé ne peut être vérifié (le garçon le peut). Renforcé par le fait d’éprouver quelques douleurs parfois (par exemple les ruptures infinitésimales de l’hymen).

Bref, la connaissance du vagin est menaçante et cette connaissance est écrasée par un refoulement « implacable ». La fiction de la non existence du vagin est bien rassurante ! mais du coup, derrière l’échec à découvrir le vagin, il y a la négation de son existence. Les patientes en séance maintiennent ce refoulement protecteur.

Dès 1925, la psychanalyste Josine Müller avait émis des réserves concernant la méconnaissance primitive du vagin : ses propres observations cliniques l’avaient en effet amenée à suggérer qu’il devait exister des motions vaginales précoces chez la petite fille. Or Freud pensait que les premières sensations sexuelles éprouvées par l’enfant concernaient le clitoris et non pas le vagin. C’est là une des prémisses sur laquelle le père de la psychanalyse édifiait sa théorie de l’envie du pénis.

En 1933, Karen Horney reprend les idées que Josine Müller et elle-même ont longtemps défendues : cette prétendue ignorance du vagin jusqu’à la puberté n ‘est selon elle que le résultat d’un refoulement extrêmement puissant ; la masturbation clitoridienne serait plus tardive. En raison d’une angoisse fondamentale spécifiquement féminine, la fillette transférerait en effet, sur un mode défensif ses pulsions vaginales à l’organe sexuel externe, le clitoris.

Aussi le problème de la frigidité ultérieure serait-il, dans cette perspective, mal posé, si l’on s’en tient aux vues purement freudiennes du passage des excitations clitoridiennes au vagin : c’est le refoulement des motions vaginales et les craintes féminines touchant à la destruction du corps dans le coït œdipien qu’il faut interroger, si l’on veut découvrir « (le) seul facteur plus contraignant que la volonté de plaisir », notera ici Karen Horney.

Elle rappelle en premier lieu les théories de Freud sur la phase phallique, et leurs conséquences sur sa conception de la sexualité féminine : celle-ci est, en définitive, tout entière fondée sur le ressentiment et le désir de combler un manque essentiel. Cinq ans plus tard, dans Analyse terminée et analyse interminable, Freud réaffirmera ses positions en écrivant : « La négation de la féminité doit être sûrement un fait biologique, une part de la grande énigme du sexe. » Mais, avec Karen Horney et son hypothèse selon laquelle « la petite fille commence d’abord par être femme », c’est une autre ligne de recherches qui se trouve désormais indiquée pour explorer le « continent noir » de la psychanalyse : la sexualité féminine.

Les conclusions fondamentales auxquelles les investigations de Freud sur le caractère spécifique du développement féminin l’ont conduit sont les suivantes :

Premièrement, chez la petite fille, le développement précoce des instincts suit le même cours que chez le garçon, à la fois quant aux zones érogènes (dans les deux sexes un seul organe génital, le pénis, joue un rôle, le vagin demeurant ignoré) et quant au premier choix d’objet (la mère est pour les deux le premier objet d’amour).

Deuxièmement, les grandes différences qui existent néanmoins entre les deux sexes naissent du fait que la similitude de la tendance libidinale ne dépend pas des fondements similaires anatomiques et biologiques.

A partir de cette prémisse, il est logique et inévitable que les filles se sentent insuffisamment équipées pour cette orientation phallique de leur libido et qu’elles ne puissent qu’envier aux garçons leur don supérieur à cet égard.

A ces conflits avec la mère, que la fille partage avec le garçon, elle ajoute un conflit crucial qui lui est propre elle rend sa mère responsable de son manque de pénis. Ce conflit est crucial car c’est précisément ce reproche essentiel qui détourne la fille de sa mère et la fait se tourner vers son père.

Freud a choisi une phrase heureuse pour désigner la période d’épanouissement de la sexualité infantile, période de primauté génitale infantile chez les filles aussi bien que chez les garçons : la phase phallique.

Autres textes

7 : (« Les problèmes du mariage », 1932) l’homme apporte dans le mariage des attitudes résiduelles envers sa mère en tant que sainte femme qui interdit (asexuée donc) et qu’il n’a pu satisfaire. La femme apporte sa frigidité, son refus de l’homme, son angoisse d’être une femme, une épouse, une mère et sa fuite dans un rôle viril désiré ou fantasmé.

Elle différencie la revendication comme souhait de l’exigence névrotique.

8 : (« la phobie de la femme », 1932) : .lLa masturbation clitoridienne est seconde.

11 : (« Conflits maternels », 1933) : l’attraction des sexes est saine, naturelle, biologique.

14 : (« Modifications de la personnalité chez les adolescentes », 1934) : ainsi que le pense Freud, la pathologie n’est pas une exagération du normal, mais autre chose : une maladie.

15 : (« Le besoin névrotique d’amour », 1936) : KH différencie l’amour normal, névrotique et spontané.

Résumés

Karen Horney se différenciera de Mélanie Klein qui liait les angoisses aux conséquences des attaques portées sur le corps de la mère. Pour Karen Horney, la fille fuit, se réfugie dans l’identification au père face à une mère toute puissante. Ce qui reprend la thèse de Freud sur l’identification comme défense et réponse à une déception (Voir, par exemple : « On bat un enfant », « Psychogenèse d’un cas d’homosexualité », « Psychanalyse collective et analyse du moi », etc.), ou qui ressemble à la thèse de Ferenczi, celle de l’identification à l’agresseur : le refus d’amour par le père produit une déception, l’identification au père permet de le conserver comme objet d’amour.

Horney pense donc que c’est l’angoisse importante suscitée par les désirs œdipiens qui fait qu’ils sont refoulés, et sous la culpabilité, la fillette renonce à sa féminité pour devenir alors un petit homme (Encore un bel exemple de méconnaissance ; Horney, Jones et Klein sont d’ailleurs d’accord pour dire que les erreurs ne viennent pas en premier, mais en second.) C’est ici une conception assez différente de celle de Freud qui affirmait qu’au début la petite fille est un garçon du fait de son clitoris phallique, ou du moins, Horney est d’accord mais en postulant une préhistoire. Elle différencie alors deux époques dans l’envie de pénis où la féminité est première ! :

  1. une première envie se focaliserait sur les tendances voyeuristes et exhibitionnistes éprouvées par la fillette dans cette scène : elle envie cela (invida) en tant qu’il y aurait quelque chose de plus à satisfaire, ou une satisfaction de plus, en ayant un pénis (au même titre que le garçon envie d’avoir des seins et des bébés). (Ce qui se maintient quand tout le corps devient pénien, ou phallique comme certains préfèrent (se) le dire (peut-être est-il difficile pour un homme de penser un corps pénien chez certaines femmes, et pourtant…) Nous sommes dans un registre des pensées exhibitionnistes/ voyeuristes ;
  2. ce qui l’amène vers le père, mais là elle rencontre une déception, une nouvelle déception amoureuse (après celle avec la mère) qui entraîne la production d’un nouveau symbole, le pénis comme représentant de la perte d’amour (après celui du sein et de sa perte comme représentant la perte d’amour). N’oublions pas qu’il s’agit ici de pertes fantasmatiques.

C’est parce que cette première phase de la féminité est porteuse d’angoisse (liée aux désirs) que la fillette change pour la mascarade masculine en rejetant sa propre féminité. (Voir : 1926 : « La fuite devant la féminité. Le complexe de masculinité chez la femme vu par l’homme et par la femme », in La psychologie de la femme, op. cit., pp. 48-65 ; 1926 : « La femme inhibée. Contributions psychanalytiques au problème de la frigidité », ibid., pp. 66-80.)

À quelle clinique répond cette thèse ?

L’angoisse serait celle liée à la disparité entre son vagin et le pénis du père (on en trouve le symétrique chez le garçon lui aussi effrayé quand il compare les pénis) : elle pense que si elle réalise son désir œdipien (incestueux, plus exactement), cela entraînera un dommage à ses organes sexuels et produira une « mutilation du vagin », ce qui serait l’angoisse de castration propre aux filles.

(C’est quelque chose qui peut être pensé comme se répétant lorsque, adulte, elle a peur des gros pénis, ou bien est déçue par les petits. Il y a une autre position : le temps organique de l’adaptation du vagin à la taille du pénis, qu’il soit gros ou petit. Voir le doigt qui a troué irrémédiablement, les nombreuses plaintes sur l’irrémédiable de certains attouchements de l’enfance et mes masturbations vaginales à l’aide de divers objets.)

Du coup, la pensée d’un pénis perdu serait seconde et défensive, puisqu’elle vient protéger l’intérieur et les organes génitaux (Thèse assez en accord, en fait, pour ce qui est de la transformation de l’effroi en danger, puis en angoisse, puis en évitement, selon ce que développe Freud dans sa dernière théorie sur l’angoisse, dans Inhibition, symptôme et angoisse.) Donc, et de façon tout à fait symétrique chez les deux sexes, il y aurait une peur d’un dommage réel de la castration en lien avec les tendances actives (et les désirs) qui poussent à ce danger (À ce sujet, voir : Sandór Radó, « La peur de la castration chez la femme », Psychoanalytic Quaterly, 2, 1933, pp. 425-475, traduit in : La documentation Psychanalytique, n° 20 ; et un commentaire critique, celui de Jeanne Lampl de Groot in International Zeitschrift für Psychoanalysis, 21, 1935, pp. 598-605, traduit in : La documentation Psychanalytique, n° 20).

Il y a néanmoins une ambiguïté chez Karen Horney : en 1922, le dommage est pensé comme preuve d’amour (Voir : « De la genèse du concept de castration chez la femme », in Psychologie de la femme, op. cit., pp. 30-47) : « mon père m’a réellement possédée », ce qui fait de la castration une preuve de cet amour puisque le pénis est perdu au cours de cette relation incestueuse avec le père.

(Une version adulte de cette fantasmatique s’entend chez les jeunes femmes et ce qu’elles disent lorsqu’elles ont eu une relation sexuelle avec un homme plus âgé : « il m’a fait femme ». C’est délicat, car il peut aussi y avoir dans ce cas une fantasmatique qui satisfait le désir incestueux tout en protégeant de l’effroi de la castration et de la culpabilité de la faute. De même peut-on faire un lien avec la fantasmatique masturbatoire : « on bat un enfant ». On trouve, inversement, chez le garçon, la fantasmatique qui donne à penser que dans le rapport incestueux au père, en recevant son sperme ou son pénis, cela lui transmettrait sa puissance.)

Donc, la fille désire le pénis non pas pour être un homme mais comme envie post-œdipienne, frustrée dans son désir de possession du père (in Psychologie de la femme, op. cit., pp. 30-47) : le pénis est une partie substitutive du tout [symptôme œdipien ?] Puis le poids de la culture : l’envie du pénis n’est pas dans la nature de la femme, mais une défense : attribuée comme une injustice, une souffrance de ses déficiences, qu’ainsi elle n’interroge pas. La culture la tient à l’écart de la cité, elle se rabat sur l’obsession de l’amour, qui n’est pas la féminité mais un phénomène névrotique.

Karen Horney résumera ses thèses en 1933, avec « La négation du vagin » (in Psychologie de la femme, op. cit., pp. 151-165.) : l’enfant de sexe féminin est d’emblée femme et non à partir de la puberté puisque fantasmes et rêves montrent une connaissance précoce du vagin. Ce qui vient infirmer des thèses comme celle célèbre de Simone de Beauvoir : « on ne naît pas femme, on le devient », à partir de celle d’Érasme (« on ne naît pas homme (au sens général d’être humain), on le devient ») Thèse qui relève d’un effet de refoulement selon la thèse de Horney, puisqu’il s’agit de redevenir femme. Ce qui n’est pas en désaccord avec la théorie de la méconnaissance chez Freud.

Le garçon a le désir d’avoir des enfants et des attributs féminins, ce qui n’exclut pas une attitude conforme à son sexe.

Quant à la frigidité, la question n’est pas : comment passer du clitoris au vagin, mais celle du refoulement de l’excitation vaginale. Soit la question, non pas de l’objet organe sexuel mais du lien entre le clitoris et le vagin. Non pas : ou/ou, mais et/et.

Il existe des craintes spécifiques aux femmes :

– celle de l’atteinte interne du corps, en lien avec les déchirures de l’hymen lors des explorations ;

– la disproportion du gros pénis paternel ou adulte face au petit organe vaginal (de même que le petit garçon a peur d’être ridicule face à la mère), d’où la peur d’être détruite par le coït ;

– crainte des menstruations, accouchements, défloration, avortements, sperme, etc. ;

– difficulté de se réassurer du fait de l’invisibilité de ses organes (Voir le jeu des positions dans le coït).

Face à ces craintes, la défense est le refoulement des excitations vaginales, transférées sur le clitoris. Ajoutons l’angoisse voire la terreur de l’orgasme (la jeune fille de l’escalier et la jeune femme sans limites).

Dans « La peur devant la femme » (in Psychologie de la femme, op. cit., pp. 135-149, 1932), Karen Horney s’intéresse au garçon : la vue de l’autre sexe provoque chez lui une blessure narcissique et de violents désirs agressifs de revanche, en même temps que la projection de son hostilité sur la mère et son vagin, ce qui induit sa peur. Il retire sa libido du vagin (retrait narcissique phallique) et refoule sa connaissance. L’ignorance du vagin n’est que prétendue : elle est donc le résultat de la peur devant la mère en raison des désirs agressifs projetés et de la blessure narcissique liée aux désirs œdipiens. L’organisation phallique avec exclusion de la connaissance du vagin est donc seconde. Pour compenser cette opération, l’homme idéalisera cet objet, soit en évitant les femmes, soit en triomphant du plus grand nombre, soit en méprisant ce sexe ou en rabaissant la femme.

 

 

© Les textes édités sur ce site sont la propriété de leur auteur. Le code de la propriété intellectuelle n’autorise, aux termes de l’article L122-5, que les reproductions strictement destinées à l’usage privé. Tout autre usage impose d’obtenir l’autorisation de l’auteur.

 

Ce contenu a été publié dans Sur la psychanalyse et le psychanalyste, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Merci de taper les caractères de l'image Captcha dans le champ

Please type the characters of this captcha image in the input box

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.