Joël Bernat : « Note sur : Winnicott ou Lacan : leurs écarts théoriques »

Ou bien : les écarts de leurs réalités psychiques dans la conception de la psychanalyse… Extrait de séminaire 2019-2020 (inspiré de Joyce McDougall)

  1. Sur le temps et la durée des séances :
  • Winnicott: pour lui, la relation analytique prend place dans un espace de jeu, c’est-à-dire un continuum d’espace-temps et une forme de vie qu’il nommât : aire transitionnelle. Un support (holding) et un espace contenant  où le changement psychique peut avoir lieu. La tâche du psychanalyste est donc de créer une atmosphère de confiance et de sécurité psychique dans cet espace-temps de la séance afin que l’analysant puisse se construire une existence personnelle, c’est-à-dire trouver, créer son cadre, sa place, d’où il peut parler, penser, élaborer (surtout quand ce sentiment d’identité – d’existence personnelle – n’a pu se consolider pendant l’enfance), soit le to care comme condition permettant le to cure. Et Winnicott mettait aussi l’accent sur l’importance, dans la relation analytique, de l’expression des affects transférentiels négatifs, en partie pour que l’analysant comprenne que sa destructivité ne détruit pas son objet – elle n’est pas réelle ni magique – (comme on le sait, il laissait la place aussi aux affects haineux dans le transfert de l’analyste) afin de perlaborer.
  • Lacan: les séances sont à temps variable : une des raisons principales d’écourter la séance était d’empêcher l’analysant de se sentir détendu et confortable dans la situation analytique. Il ne fallait surtout pas que l’analysant trouve une forme d’existence dans cet espace-temps des séances, ni se laisser aller à entretenir ses états d’âme. Cette conception est un héritage de la psychanalyse française des années cinquante où un des outils principaux était la frustration du patient, voire, l’exploitation de son masochisme… Quoi que l’on en dise, l’interruption des séances crée un psychanalyste omnipotent et supposé savoir le moment venu de l’arrêt.
  1. Sur le langage
  • Lacan: pour lui, « l’inconscient est structuré comme un langage » et « l’inconscient est le discours de l’autre ». C’est-à-dire qu’il réduit l’inconscient au seul refoulé, ce à quoi l’on peut penser à la formule de Freud : l’animal se sert presque exclusivement de son inconscient…
  • Winnicott: si dans le terme du discours est inclus tout ce qui a à faire avec l’environnement premier de la prime enfance, fait, par exemple quant à la personne assurant les soins maternels, de son odeur, son toucher, sa voix, ainsi que sa façon de bercer, chanter, soulager son bébé, c’est-à-dire si l’on admet qu’il existe des signifiants préverbaux, alors l’inconscient peut être considéré comme le « discours de l’Autre », l’Autre étant ici l’inconscient, plus précisément selon la seconde topique, le ça.
  1. Sur le verbe et l’environnement
  • Lacan : le verbe est pensé comme environnement humanisant et nul besoin de se référer aux autres environnements pour comprendre la construction du sujet.
  • Winnicott : l’environnement, contenant, maternant ; il y a un lien entre l’objet transitionnel et le langage. En effet, l’enfant peut lâcher son objet transitionnel au fur et à mesure que les mots deviennent capables de représenter l’objet absent : c’est-à-dire que les mots eux-mêmes ont une fonction transitionnelle et sont des objets transitionnels. Quand l’enfant dans sa solitude peut dire et penser « Maman », il commence à ne plus avoir besoin de sa peluche. Soit ce qu’indiquait Hanna Segal : le symbole permet le déplacement et donc la séparation sans la perte.
  1. Sur la créativité
  • Winnicott: la séance comme temps et lieu de créativité puisqu’elle a à faire avec l’espace de jeu, cet espace étain le seul qui permet qu’une analyse puisse avoir lieu. Il aurait dit que « l’analyste qui ne sait pas jouer ferait mieux de changer de profession »…
  1. Sur le rien le trou et le tout
  • Lacan disait que « la femme n’existe pas » et que la mère elle est un « trou ».
  • Winnicott disait que « le nourrisson n’existe pas » et la mère est un « tout ». Cette mère, good enough mother étrangement traduit en français par « suffisamment bonne », alors que good enough indique que « ce n’est pas très bien, mais ça peut aller », c’est-à-dire qu’elle est : passable. Et Winnicott d’ajouter que la good enough mother est quelqu’un qui « n’est pas trop persécutante pour son bébé » voire, qui ne le tue pas !

Visiblement, chacun n’a pas eu la même mère mais chacun théorise sa mère… Peut-être qu’un jour, les psychanalystes feront la psychanalyse de leurs théories sexuelles infantiles adultes ?

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2 réponses à Joël Bernat : « Note sur : Winnicott ou Lacan : leurs écarts théoriques »

  1. Berthomieu dit :

    « Peut-être qu’un jour, les psychanalystes feront la psychanalyse de leurs théories sexuelles infantiles adultes ? » :)))))!

    Plus sérieusement, mon analyste disait des deux, Winnicott et Lacan, qu’ils n’étaient pas .. »freudiens ». Ainsi, le couperet tombait-il …
    Mais si l’un nous a apporté beaucoup en clinique et pas seulement avec les enfants mais aussi avec les pathologies dites limites …l’autre peut il même être considéré comme « psychanalyste » en raison des profonds remaniements faits sur la théorie et les concepts piliers de la métapsychologie ? J’ajouterai que Winnicott n’a jamais revendiqué son allégeance à la théorie freudienne comme l’a fait et le font encore Lacan et ses « disciples » dont toutes ou presque les sociétés et instituts de formation font référence à Freud (c’est même une façon de savoir si le groupe est lacanien !)

    • Joel Bernat dit :

      Winnicott l’a écrit : pour ce qui en est de la cure des névrosés, il est freudien. Pas pour son apport spécifique. C’est d’ailleurs assez rare qu’il fasse référence de ses emprunts, mais on pet le repérer de temps en temps (il y a même un peu de Nietzsche !)
      Le retour à Freud : c’est un slogan mais qui ne dit pas dans quelle : intention. Lacan a fait une transcription hégélienne d’un Freud ouvertement anti-hégélien, d’autres l’on faite à travers Spinoza, Heidegger, etc.Ce qui n’est pas sans déformer les choses. Et souvent, ce que craignais Freud est arrivé : rejet de la sexualité infantile, rejet des fondements biologiques des processus psychiques, rejet des fondements philosophiques de la psychanalyse, etc.
      C’est pour cela qu’il y aurait à faire une analyse de nos fondements de pensées, cad de nos visions-du-monde, et donc, en dessous, de nos théories sexuelles infantiles.
      Merci de votre commentaire !
      JB

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