Joël Bernat : « Sigmund Freud, Carl-Gustav Jung et Wilhelm Reich face au nazisme, ou la théorie psychanalytique face à l’épreuve de la réalité » 2nde partie : Résumés et citations

Joël Bernat : « Sigmund Freud, Carl-Gustav Jung et Wilhelm Reich face au nazisme, ou la théorie psychanalytique face à l’épreuve de la réalité » 2nde partie : Résumés et citations

Résumé en français[1]

Wilhelm Reich, Sigmund Freud et Carl-Gustav Jung : trois psychanalystes contemporains d’Hitler : deux juifs et un protestant, trois nationalités, trois conceptions de l’individu fondamentalement différentes et trois types de réactions théoriques et affectives différentes.

De fait, leur confrontation personnelle avec le nazisme ne s’est pas faite dans l’unanimité, bien qu’il existe des accords théoriques sur les thèmes du collectif.

Cette situation très particulière qui oppose des systèmes de pensée à des masses en action, permet, dans un processus d’épreuve de la réalité (Realitätsprüfung), d’illustrer la différence, l’écart, entre l’œuvre de pensée et la biographie, entre la théorie et la praxis, entre le logos et le pathos. Il n’y a pas de biographie possible de la pensée ou de la création, seulement une plus externe, celle des agirs et des situations.

Cette collision avec le nazisme montre aussi l’écart entre la réalité externe et la réalité psychique (psychische Realität) individuelle. Il est bien évident que les réactions de ces trois penseurs sont liées à leurs histoires psychiques individuelles respectives, et nous allons tenter rapidement de les décrire.

Joël Bernat : „Der Nazismus als Herausforderung für den Sachgehalt von psychoanalystischen Theorien in Bezug von Individuum und Kollektiven“

Wilhelm Reich, Sigmund Freud und Carl-Gustav Jung – drei Psychoanalytiker, die Hitlers Zeitgenossen gewesen sind: zwei Juden, ein Protestant, drei Nationalitäten, drei radikal unterschiedliche Auffassungen vom Individuum, drei unterschiedliche Modi theoretischer und affektiver Reaktionen.

In der Tat gestalteten sich ihre jeweiligen individuellen Auseinandersetzungen  mit dem Nationalsozialismus keineswegs einheitlich, obwohl theoretische Übereinstimmungen zu Fragen des Kollektivs bestehen).

Diese bemerkenswerte Situation, die Denksysteme und handelnde Massen gegenüberstellt, erlaubt es, aufgrund eines Prozesses der Realitätsprüfung, den Unterschied bzw. den Abstand zwischen wirkendem Denken und Biographie, zwischen Theorie und Praxis, zwischen Logos und Pathos zu veranschaulichen. Das Denken oder das Schöpfen lässt sich nicht biographisch erfassen, sondern nur das Äussere, das auf Handlungen oder Zusammenhänge zurückgeführt wird.

Diese Konfrontation mit dem Nationalsozialismus fördert auch den Abstand zwischen äusserer Wirklichkeit und individueller psychischer Realität zutage. Selbstverständlich hängt die Reaktion dieser drei Denker mit derer jeweiliger psychischer Geschichte zusammen, die synthetisierend erörtert wird.

Citations de Freud

1905 : Le mot d’esprit, Gallimard, 1990, p.197-199 : « l’agressivité est une source de plaisir dont nous prive la civilisation. »

1908 : « Le roman familial des névrosés » : « Que l’individu au cours de sa croissance se détache de l’autorité de ses parents, c’est un des effets les plus nécessaires mais aussi les plus douloureux du développement. Il est tout à fait nécessaire que ce détachement s’accomplisse et l’on peut admettre que chaque humain ayant évolué normalement l’a, dans une certaine mesure, réalisé. En vérité, le progrès de la société repose d’une façon générale sur cette opposition de deux générations. »

Le compromis : déplacer pour ne pas perdre. Là est le leader.

1912 : (Minutes IV, 0 01 1912, p. 162) La loi est faite par le père, la religion est ce qu’a le fils.

1913 : « les névroses elles-mêmes se sont révélées être des tentatives visant à retrouver des solutions individuelles au problème de la compensation des désirs insatisfaits, alors que les institutions cherchent, pour leur part, à fournir des solutions sociales au même problème. » (L’intérêt de la psychanalyse, 1913, 416.)

1915 : (Considérations actuelles sur la guerre et la mort, XVIII, p. 154-155) : « L’ambivalence affective, le désir de meurtre, la non-représentation de notre propre mort et son déni, trouve dans la guerre une occasion de s’exprimer. La guerre pour ces raisons, qui laisse apparaaître ne nous l’homme originel violent, continuera d’exister… »

1916 :Chaque individu qui entre dans une société humaine doit sacrifier ses pulsions pour le bien et laes nécessités de l’ensemble (Intro à la psy 1916-1917, p. 13)

1918 :(corresp Lou Andrea-Salomé, Gallimard, 1970, p. 98) : la bête humaine a besoin d’être domptée, on devient réactionnaire comme ce rebelle de Schiller face à la révolution française.

1926 :Freud, interview Viereck, 1926 : « Ma langue est l’allemand ; ma culture, mon œuvre sont allemandes. Je me suis considéré comme un intellectuel de culture allemande, jusqu’à ce que j’aie remarqué la croissance d’un préjugé antisémite en Allemagne et en Autriche allemande. Depuis, je préfère me dire Juif. »

1927 :(corresp A Zweig, Gallimard 1973, p. 36, 02 12 1927) : « Dans la question de l’antisémitisme, je n’ai guère envie de chercher des explications, je ressens une forte inclination à m’abandonner à mes affects et je me sens renforcé dans ma position totalement non scientifique par le fait que les hommes sont bien, en moyenne et pour une grande art, une misérable canaille. »

1929 :« L’homme n’est pas un être doux, en besoin d’amour, qui serait tout au plus en mesure de se défendre quand il est attaqué, mais qu’au contraire il compte aussi à juste titre parmi ses aptitudes pulsionnelles une très forte part de penchant à l’agression. En conséquence de quoi, le prochain n’est pas seulement pour lui un aide et un objet sexuel possibles, mais aussi une tentation, celle de satisfaire sur lui son agression, d’exploiter sans dédommagement sa force de travail, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ce qu’il possède, de l’humilier, de lui causer des douleurs, de le martyriser et de le tuer. « Homo homini lupus » [l’homme est un loup pour l’homme]; qui donc, d’après toutes les expériences de la vie et de l’histoire, a le courage de contester cette maxime? […]

L’existence de ce penchant à l’agression que nous pouvons ressentir en nous-mêmes, et présupposons à bon droit chez l’autre, est le facteur qui perturbe notre rapport au prochain et oblige la culture à la dépense qui est la sienne. Par suite de cette hostilité primaire des hommes les uns envers les autres, la société de la culture est constamment menacée de désagrégation […]. Il faut que la culture mette tout en œuvre pour assigner des limites aux pulsions d’agression des hommes […]. De là la restriction de la vie sexuelle et de là aussi ce commandement de l’idéal : aimer la prochain comme soi-même, qui se justifie effectivement par le fait que rien d’autre ne va autant à contre-courant de la nature humaine originelle.

Freud, Le Malaise dans la culture (1929)

(Correspondance, Gallimard, 1991, p. 524) « … nous savons bien que le diable a encore des fidèles, que pour beaucoup le soleil continue de tourner autour de la terre et que, d’une façon très générale, on peut dire qu’il n’y a aucune façon de penser – pas même celle de l’âge de pierre – qui ne se soit pas maintenue quelque part au sein d’une masse humaine. »

1930 🙁Malaise dans la civilisation, 1994, XVIII, p. 41) : la culture est édifiée sur le renoncement pulsionnel par répression et refoulement ce qui est une source d’insatisfactions et la cause d’hostilités dans les relations sociales et donc aussi contre la civilisation (p. 29)

A Bullit : « Il n’est pas possible qu’une nation qui a pu produire un Goethe choisisse le mal. » Jones, III, p. 172.

1932 :Freud à Jones, 26 avril 1932, p. 794[2] : « Inutile de dire quoi que ce soit de la situation mondiale générale. Peut-être ne faisons nous que répéter la ridicule opération de sauver une cage d’oiseau tandis que la maison est détruite par l’incendie. Mais aussi téméraire que cela puisse paraître, on ne peut agir qu’en faisant des hypothèses optimistes. »

Freud à Pfister, 15 mai 1932 (au sujet du nazisme) : « Qu’à soixante ans, vous n’ayez pas encore terrassé le dragon de la déraison ne devrait pas vous affliger outre mesure. Moi-même, à soixante-seize ans, je n’ai pas mieux réussi, et il est de taille à résister à bien d’autres assauts. Il est plus fort que nous. »

18/08/1932, Correspondance Sigmund Freud – Arnold Zweig, Gallimard, 1973, p. 80 : « … c’est une folie de croire que l’on doit être allemand. Ne doit-on pas laisser à lui-même ce peuple abandonné de Dieu ? »

1933 :Un analyste hollandais, Westerman Holstjin, crée en septembre 1933, la notion de régression au stade nazistique-narcissique pour qualifier certains de ses collègues dans un pays peu antisémite.

mars 1933, « J’ai en tout cas expliqué que je ne quitterais Vienne en aucun cas – mon âge en est le prétexte. Je voudrais vous donner ce principe : pas de provocation, mais encore moins de concessions. Ils ne pourront pas abattre la psychanalyse, et nos personnes ont moins d’importance  »

16 mars 1933, lettre de Freud à Marie Bonaparte, in Schur, p. 524 : « Comme vous avez de la chance d’être plongée dans votre travail sans avoir à vous préoccuper de toutes les horribles choses qui se passent tout autour. Dans nos milieux, on s’agite déjà beaucoup. Les gens redoutent que les extravagances nationalistes de l’Allemagne ne puissent s’étendre à notre petit pays. On m’a déjà conseillé de fuir en Suisse ou en France. Quelle absurdité ; je ne pense pas qu’il y ait un quelconque danger à Vienne, et s’il devait se produire, je suis fermement résolu à l’attendre ici même. S’ils me tuent, très bien. C’est une façon de mourir comme une autre[3]. Mais il ne s’agit probablement là que d’une vantardise au rabais. » Jones III p. 201.

Le 8 avril, il pense que le mouvement nazi pourra toucher l’Autriche mais sans conduire aux mêmes excès car les Autrichiens ne sont pas aussi brutaux que les Allemands (oubliant qu’Hitler est Autrichien…) et rappelle que des lois protègent les minorités (traités de Versailles et de Saint-Germain qui interdisent aussi un Anschluss).

Autodafé, 10 mai 1933. Henrich Heine énonce que lorsque l’on brûle les livres, on fini par brûler les hommes.

In Jones III, p. 182, Freud lui écrit ceci : « Quel progrès nous faisons. Au Moyen-Âge, ils m’auraient brûlé ; à présent, ils se contentent de brûler mes livres. »

Freud à Ferenczi, 2 avril 1933 : « … le régime hitlérien dominera également l’Autriche. Cela est possible, il est vrai, mais tout le monde croit qu’il n’atteindra pas ici le degré de grossière brutalité qu’il a acquis en Allemagne. » … « Je ne cours pas un danger personnel. » … « A mon avis, la fuite ne serait justifiée que si notre vie était directement menacée. »

Freud à Jones, 7 avril 1933 : « … nous pensons tous que des lois spéciales contre les Juifs sont hors de question en Autriche, en raison des clauses de notre traité de paix qui garantissent expressément les droits des minorités. » … « Quant à la possibilité que l’Autriche s’allie avec l’Allemagne, auquel cas les Juifs perdraient tous leurs droits, la France et ses alliés ne le permettront jamais. »

Même thèse quand il écrit par exemple à Jeanne Lampl-de-Grot[4].

(à Romain Rolland, PUF 1993, p.376, 22 06 1933) : « le monde se transforme en une énorme prison. L’Allemagne est la pire des cellules. »

« Le monde se transforme en une énorme prison. L’Allemagne est la pire de ses cellules. (…) Ils ont commencé avec le bolchevisme comme leur pire ennemi mortel, et ils termineront avec quelque chose qui ne s’en distinguera pas – sauf que le bolchevisme a après tout adapté des idéaux révolutionnaires alors que ceux de l’hitlérisme sont purement médiévaux et réactionnaires. » (Lettre à Marie Bonaparte, 22 juin 1933).

06/12/1933, lettre au poète espagnol Xavier Boveda, cité in Jones, III, p. 211 : « Pour le moment, il semble que l’ignominie allemande nous sera épargnée en Autriche. »

Detlef Berthelsen, La famille Freud au jour le jour. Souvenirs de Paula Fichtl ; PUF, 1991, p. 73 : « Dès l’élection de Hitler à la Chancellerie nationale en janvier 1933, amis et élèves de Freud avaient proposé au savant juif célèbre dans le monde entier d’émigrer vers un pays sûr, la France, l’Angleterre ou les États-Unis. « C’était surtout Mrs. Brunswick qui revenait sans cesse à la charge pendant le dîner, mais Monsieur le Professeur disait seulement : « Je suis déjà presque mort. » Ce faisant, il souriait toujours », se rappelle Paula. »

(Pourquoi la guerre ?, XIX, PUF, 1995, p. 81) « tout ce qui promeut le développement culturel travaille du même coup contre la guerre ? »

1934 :Juillet 1934, Dolfuss est assassiné par les nazis.

Freud à Lou Andreas-Salomé, le 16 mai 1934[5] : « L’ardeur des colères contenues vous use ou use ce qui reste de l’ancien moi. Et ce n’est pas à soixante-dix-huit ans qu’on en recrée un nouveau. »

Max Schur, La mort dans la vie de Freud, Gallimard, Tel, 1975, p. 537 : la « purge de Rohem » en juin 1934 suscita l’espoir d’un rapide effondrement du régime hitlérien (voir correspondance Freud-Zweig).

Freud à Arnold Zweig, 21 février 1936 : « Les perspectives de retrouver l’Allemagne accessible dans quelques années existent vraiment. Parfois, j’espère être en vie à ce moment, en quoi je ne compte pas sur la prolongation de mon existence, mais sur le raccourcissement de la domination nazie. »

1937 : jusqu’ici, Mussolini avait protégé l’Autriche de l’invasion nazie.

A Jones, 7 avril 1933 : « En outre, l’Autriche n’est pas portée sur la brutalité allemande. » …

Freud à Arnold Zweig le 20 décembre 1937 : « On nous serre de plus en plus la gorge, même si on ne nous étrangle pas. »

A Jones, PUF 1998, 02 03 1937, p. 863 : « si notre ville tombe, les barbares prussiens submergent l’Europe. Malheureusement, la puissance qui nous a protégé jusqu’à présent – Mussolini – semble maintenant laisser les mains libres à l’Allemagne. Je voudrais vivre en Angleterre. »

1938 :Freud à Ernst, 22 février 1938 : « L’Eglise catholique est très puissante et elle opposera une forte résistance. »

Peter Gay, p. 386 : « Les hauts dignitaires de l’Eglise autrichienne, gardiens de la conscience catholique, ne firent rien pour mobiliser les forces saines du pays, les gens honnêtes et modérés ; à l’exemple du cardinal Theodor Innitzer, les prêtres célébrèrent en chaire les vertus de Hitler, s’engagèrent à collaborer joyeusement au nouvel ordre des choses, et firent hisser la croix gannée en haut des clochers, aux occasions appropriées. »

  1. 387, en note : « … avant même la fin de l’année, les nazis se plaignèrent des « prêtres politiques ».

Laconique « Finis Austriae » 11 mars 1938 in Chronique.

Puis les bureaux de la revue et de la maison d’édition, et l’appartement des Freud sont pillés, etc. La psychanalyse n’a plus d’avenir à Vienne.

Freud avait des protections : Ernest Jones et ses relations diplomatiques anglaises, la Princesse Bonaparte et William Bullit, ambassadeur des Etats-Unis en France.

Jones a essayé de convaincre Freud de partir, le 15 mars. Il n’y parvint, selon son témoignage, qu’après une longue bataille

Le barbare n’a pas de peine à bien se porter, voire, il n’a pas de névroses – puisqu’il est supposé ne pas refouler. (Abrégé, 1938, 56.)

1939 🙁L’homme Moïse et le monothéisme, Gallimard 1989, pp. 131-132) : « Le peuple italien est lui aussi opprimé au nom du progrès. Le nazisme est préhistorique et ne s’embarrasse pas de progrès. »

Autres auteurs

Texte majeur freudien sur le « collectif » : Totem et tabou, avec son « mythe scientifique » (P-L. Assoun, Freud et les sciences sociales. Psychanalyse et théorie de la culture, Paris, Armand Colin, « Cursus », 1993.) Le politique est bien totémique. Le maître finit parfois par être décapité, mais il est toujours le bouche-trou de ce refoulé originaire. Le grand leader – le seul du « mythe scientifique » freudien –, c’est bien l’Urvater. Et c’est comme « Idéal du moi » collectif qu’il intervient dans le lien sociopolitique : la tête du maître du jour s’y plante pour rendre possible la pratique collective de l’idéal et l’identification latérale subséquente (S. Freud, Psychologie collective et analyse du moi).

Dans son article de 1934, intitulé « La compétence comme but thérapeutique », Schultz-Hencke[6] expose un point de vue très similaire à celui de Müller-Braunschweig sur le rapport des buts de la psychanalyse ou de la psychothérapie à la « totalité » ou à la communauté, bien que, contrairement à lui, il ne laisse pas entendre que ses conclusions découlent simplement du cours d’une cure psychanalytique efficace. Il affirme avec emphase que ce n’est pas la science mais la communauté qui détermine les valeurs et buts de la psychothérapie. « En psychothérapie, le sens de la valeur, la volonté, le sang, la vie déterminent le but ; ce n’est pas la science qui le détermine » (p. 85).

Ernest Jones, La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, T. III, Paris, PUF, 1969, pp ; 182-183.

1931 : Vers la fin du mois, Freud était de nouveau en mesure de fumer et, le 1r juin, il partit pour l’été en emmenant cinq patients. Cette fois hélas, il dut s’arrêter dans la banlieue et, en fait, il ne quitta plus Vienne jusqu’à sa fuite devant les Nazis en 1938. Mais il avait découvert un coin très agréable à Pötzleindorf (Khevenhüllerstrasse, 6, Vienne, XVIII), avec un plaisant petit parc. Son chirurgien vint l’y trouver tous les jours, et Eitingon lui rendit visite le 13 juin. Freud raconta, en juillet, à ce dernier qu’il avait composé dans ses moments de loisir ce qu’il appelait une « liste de haine » où figuraient sept à huit noms (13 juillet 1931). On aimerait bien les connaître, mais le seul qu’il mentionna fut celui de Theodor Lessing qui lui avait récemment dédié « un livre abject, La haine de soi du juif, portant la dédicace : « D’un ennemi, avec ferveur. »

Quelques années plus tard, les motifs de cette haine se firent jour. En 1936, Kurt Hiller composa un essai biographique sur Theodor Lessing, essai qu’il incorpora plus tard dans un livre (Kurt Hiller, Köpfe und Tröfe, Profile ans einem Vierteljahrhundert, Hambourg, Rowohlt, 1950). Il envoya cet essai à Freud qui lui répondit longuement. Voici un extrait de cette lettre, datée du 9 février 1936.

« J’ai lu votre essai sur Th. Lessing avec un grand intérêt, et je pense avec compréhension. J’ai réussi à deviner la raison pour laquelle vous le traitez avec tant d’indulgence. En ce qui me concerne, je ressens pour lui une violente antipathie. Il y a bien des années, longtemps avant la guerre, il m’arriva une curieuse aventure. C’était l’époque où chaque jour qui passait, chaque semaine pour le moins, m’apportait un article injurieux pour ma psychanalyse. Un jour, je reçus un article de journal qui ridiculisait celle-ci de la manière la plus détestable comme une élucubration de l’esprit juif. Il était signé par un certain Theodor Lessing qui m’était alors parfaitement inconnu, dans mon innocence, j’assumais qu’il devait appartenir à la famille du «and classique, aussi, bien qu’autrement je n’eusse pas l’habitude de réagir à de telles attaques, lui écrivis-je une lettre pour lui rappeler la mémoire de son respecté ancêtre. Il m’apprit à mon étonnement qu’il était lui-même juif et mentionna même le prénom de sa fille emprunté à l’Ancien Testament. Vous savez — ajoutait-il — que de nombreuses familles juives ont, par respect pour Lessing, Schiller et d’autres, adopté leurs noms. Je me détournai de lui avec dégoût. »

Pour terminer, Freud discutait en termes généraux dans sa lettre des circonstances dans lesquelles apparaît la haine de soi. « Cela peut se produire lorsqu’un individu hait son père de façon intense et s’identifie néanmoins à lui ; il en résulte une haine de soi et un clivage de la personnalité. » Il ajoutait : « Ne croyez-vous pas que la haine de soi telle que la dépeint Th. Lessing soit un phénomène typiquement juif ? Je pense réellement que c’est le cas » (Op. cit., p. 307-308). O ironie, Lessing mourut plus tard aux mains des Nazis.

Il s’agit du philosophe juif allemand qui créa le concept de « Jüdische Selbsthaß » qui donne le titre de son écrit de 1930 publié trois ans avant son assassinat par la Gestapo à Marienbad, et republié chez Matthes & Seitz, Berlin, 2004 ; traduit et présenté en français par M.-R. Hayoun, La haine de soi ou le refus d’être juif, Berg International, 1990. Un exemple extrême est d’aller jusqu’au suicide comme Otto Weininger.

Un échec de la théorie freudienne de la sublimation ?

– La sublimation est couteuse pour le sujet commun car elle exige des renoncements à certains plaisirs, à des satisfactions libidinales pour sublimer cette libido insatisfaite en culture et civilisation. Visiblement, cela tient tant qu’il ne se passe rien.

– Pour l’artiste, producteur de culture et donc créateur d’objets de sublimation, il n’y a pas de renoncement : il jouit sans vergognes, mène une vie dite dissolue, etc. (voir Goethe)

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Notes :

[1] Confrontations au national-socialisme (CNS) : hommes politiques, journalistes, publicistes, experts et intellectuels dans l’Europe francophone et germanophone (1919-1949).

[2] Sigmund Freud – Ernest Jones, Correspondance complète (1908-1939), PUF 1998.

[3] Freud souffrait de son cancer de la mâchoire.

[4] Eva Weissweiler, Les Freud. Une famille viennoise, Plon, 2006, p. 348 : « Nous sommes sur la voie d’une dictature des partis de droite, qui s’allieront aux nazis. Mais le traité interdit expréssement… des lois d’exception visant une minorité. Les États vainqueurs n’autoriseront jamais un rattachement à l’Allemagne et notre populace est un peu moins brutale que ses cousins allemands. » Ou encore la lettre à Ferenczi du 2 avril 1933, p. 512 in Sigmund Freud – Sandor Ferenczi, Tomme III, Correspondance 1920 – 1933, Les années douloureuses, Calmann-Lévy, 2000.

[5] Correspondance Freud-Lou Andreas-Salomé, p. 250. Freud/Salomé p. 220.

[6] Schultz-Hencke H. (1934), „Die Tüchtigkeit als Psychotherapeutisches Ziel“, Zentralblatt für Psychotherapie und ihre Grenzgebiete, no7, 84-97.

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