Joël Bernat: « Une clinique des fantasmes »

Joël Bernat : « Une clinique des fantasmes »

(Extrait de cours 2006 et séminaire 2010)

I.                   Introduction

« Il y a dans la vie de tout homme, une « minute de trop », qu’il cherche à racheter à la réalité, quelque soit le prix à payer. Et ainsi, ce « surplus » de réel se transforme en cauchemar. » Paul Valery[1]

« Nous sommes en présence d’une des principales causes de la confusion philosophique : essayer derrière le substantif, de trouver la substance. » Ludwig Wittgenstein[2]

Dans les écrits de Freud, il y a des récits de têtes coupées. Entre autres, celle du messager qui apporte au roi Boabdil la nouvelle de la chute de Grenade[3] : Freud fait de cet acte une représentation du déni, car cette nouvelle, Boabdil « ne veut pas la tenir pour vraie ». Ailleurs, il y a la décapitation de Gorgô par Persée : mais là, Freud n’en fait pas la représentation d’un déni[4]

Gorgô – ou Méduse – est une figure de l’effroi qu’il ne faut pas regarder au risque de mourir pétrifié. Ainsi que Vernant l’indiquait[5], Gorgô a pour principale particularité de montrer et de ne point nommer, de ne rien dire à l’homme de ce qu’elle montre[6]. L’on sait bien que l’effroi a cette particularité de pétrifier le langage, et ailleurs, Freud nous a montré les nécessaires transformations, par élaborations secondaires successives, de l’effroi en peur, de la peur en angoisse et de l’angoisse en évitement. Et de fait, la peur de perdre l’objet est une élaboration secondaire qui protège d’un effroi, celui de perdre la perception de l’objet.[7] Un des bénéfices de cette opération, on le sait, est d’oublier que l’on n’a jamais possédé cet objet.

Persée décapite l’effroi[8] et transforme ainsi la tête de Gorgô en symbole, un symbole qui maîtrise l’effroi. Freud fait de cette décapitation par le garçon un acte de castration de l’organe génital féminin, « au fond, celui de la mère »[9], acte qui lui évite l’effroi du visible.

Il y aurait donc, dans la vie de l’humain, des figures de l’effroi, figures que le langage, s’il ne les dénie pas, maintient pour le moins à une certaine distance, notamment par le travail de nomination et de symbolisation[10]. De plus, le personnage de Persée incarne assez bien la position du garçon face à l’effroi d’une différence : nommer, interpréter et supprimer, plutôt qu’admettre le perçu en soi. Mais qu’en dit la fillette ?

« L’exhibition des organes génitaux est un acte apotropaïque. Ce qui, pour soi-même, excite l’horreur, produira aussi le même effet sur l’ennemi qu’il faut repousser. » (Chez Rabelais, encore, le diable prend la fuite après que la femme lui ait montré sa vulve.)

Mais il y a aussi une indication d’un mode de défense :

« Le membre viril érigé sert lui aussi d’apotropaïon mais en vertu d’un autre mécanisme. L’exhibition du pénis – et de tous ses succédanés – veut dire : je n’ai pas peur de toi, je te défie, j’ai un pénis. »[11] Mais est-ce un acte de castration ou une parole de déni ?

Il y a là une forme de circulation de la rigidité : l’effroi rigidifie le spectateur, mais l’érection rigide renverse les choses puisqu’elle est supposée effacer l’effroi en inversant les places – ou le reprojette. C’est en tous cas la conviction de l’exhibitionniste face à sa victime. Mais cela trace aussi une autre tension : l’effroi défait le langage, et le langage à son tour vise à défaire l’effroi, ce qui nous donne les éléments d’un conflit fondamental, dont un des échos s’entend dans une autre opposition de base, entre attraction et répulsion.

II.                De l’horreur au déni de l’autre

« Car la beauté commence comme la terreur : à peine supportable. »

  1. M. Rilke[12]

1 – Dans Inhibition, symptôme et angoisse, Freud reprend un distinguo déjà énoncé des années auparavant dans les Minutes[13]. Il y a à différencier deux types d’angoisse :

– une angoisse réelle, face à un danger externe ;

– une angoisse névrotique, face à un danger interne, le pulsionnel[14].

Ce dernier type d’angoisse n’est pas spécifiquement névrotique : que l’on pense au moment de décompensation du psychotique, classiquement au moment où il affronte le rapport sexuel, ou encore chez le pervers chez qui le clivage fait qu’une partie dénie la castration alors qu’une autre en jouit.

Il y aurait donc un danger premier, qui, en un temps plus ou moins mythique, produirait une scène où le moi « prendrait conscience », en étant « saisi », de l’existence d’un corps étranger en lui et de ses effets (au pire de dépersonnalisation), de sa puissance : le pulsionnel. Cela ne se produit pas d’un coup (même si nous en avons une scène privilégiée pour représenter cette saisie) : que l’on pense à ce que décrit Winnicott[15] avec l’enfant ruthless et les réponses de la mère, calme ou excitée, les humères selon le bon mot de Pontalis[16].

Cette saisie s’inscrit évidemment dans le mouvement de différenciation moi – non moi, elle en est même un des moteurs principaux.

2 – Face à cet étranger éprouvé comme interne, le moi va se défendre selon un mouvement, souvent le même, qui éloigne le danger, du plus interne vers le plus externe.

(Ex : Nous observons cela avec le rêve : de son vécu à son souvenir, puis à son récit et sa réception par l’analyste : l’objet du rêve est à chaque étape de plus en plus éloigné.)

(Ou encore, le déplacement de l’imago paternelle : du père au Père Noël, puis le professeur, le maître, Dieu, etc.)

Le système défensif tente ainsi de faire du danger interne une menace externe, c’est-à-dire un danger « réel » au sens de la réalité psychique, selon le principe que le moi est bien plus équipé pour lutter contre ce qui lui vient du dehors que contre ce qui lui vient du dedans, « dans son dos » …

Le mécanisme essentiel de ce mouvement est donc la projection, et les projections vont ainsi investir et créer des objets, figurants, portants et contenants le danger pulsionnel (ou l’objet fantasmatique inconscient) afin de lui donner une forme : ainsi passons-nous d’un objet fantasmatique inconscient à un objet « réel » « conscient » « externe » qu’il n’y a plus, selon une illusion, qu’à tenter de maîtriser ou d’étudier[17].

L’horreur ou l’effroi sont ainsi déplacés, transférés, et d’objets en objets, de l’autre en soi à (l’illusion de) l’autre tout court. Mais, remarquons-le, ce qui ne change pas est le mode de relation (fantasmatique) à l’autre qui, lui, se perpétue.[18]

Mais alors, l’objet serait-il un mode de défense, du moins, dans certains cas ? Défense en ce qu’il permet de mettre hors de soi ?[19]

(Ex : le loup condense en un seul objet toutes les menaces pulsionnelles partielles, et c’est pour cela que l’enfant y tient. Si le lien à cet objet répète l’effrayant, cela offre néanmoins deux dimensions :

  • cela permet une élaboration, mais déplacée, car elle porte sur l’objet, dans l’illusion qu’en maîtrisant l’objet on maîtrise le lien, ou qu’on le refoule (en fait, il sera déplacé) ;
  • mais cet objet offre aussi quelque chose d’important : s’il permet de localiser, donner lieu ou encore d’« assigner à résidence » (Pierre Fédida) le danger pulsionnel, cela permet aussi en contre partie de me localiser ; de tracer mon espace face à. Ainsi qu’un enfant me le demandait : « pourquoi le loup ne saute jamais dans mon lit ? » Parce que, en fait, le lit est mon lieu sécure, celui du moi.)

Puis, sans doute parce que cela ne traite pas réellement le lien, toujours dans l’illusion, l’on passe d’objet en objet (c’est le souci du moi que de trouver un bon objet contenant) : du loup au gendarme, etc. Ces déplacements successifs ont un avantage : ils me permettent d’augmenter mes connaissances, etc.)

(Cela s’observe continuellement dans l’Histoire, sans cesse. Par exemple :

  • Les terribles Érinyes seront transformées (« dépulsionnalisées » ou désexualisées) lorsqu’elles entrent dans la Cité athénienne et deviennent protectrices sous le nom d’Euménides ;
  • les mères archaïques (grecques mais aussi Lilith voire Ève) seront, elles aussi, dépulsionnalisées et refoulées pour devenir le modèle de la Sainte Vierge ;
  • Yahvé, dieu sanguinaire des ténèbres sera lui aussi « civilisé » afin d’être intégré. Etc.)

Avec ce mouvement (de refoulement), l’archaïque semble perdre progressivement son caractère de danger : mais seulement en apparence, car il n’est que maintenu au loin. Car il ne cesse de faire retour (voir la littérature fantastique ou les cauchemars, etc.) On croit décapiter Gorgô, c’est-à-dire le pulsionnel, mais on ne fait que le refouler et le déplacer.

(Par exemple, dans notre culture, le pulsionnel fut figuré par le diable et la possession diabolique (qui répète notre vécu quand le pulsionnel nous saisit), puis incarné par les sorcières, jeteuses de sort maléfiques (mais avec qui on pouvait négocier un peu plus qu’avec le diable) ; une fois éliminées, cela fit retour dans la notion de double personnalité de l’hystérique (voir les étranges photos de la Salpêtrière), que l’on pensait maîtriser par des traitements.)

Or, les patients nous invitent ( ?), nous demandent ( ?) à faire le chemin inverse, ou bien c’est nous qui les y invitons ; invite à défaire les coûteux déplacements défensifs, afin de retrouver le danger pulsionnel et de le traiter autrement. Cela ne se fait ni sans risque ni sans résistances…

3 – La projection et le déplacement vont créer des scènes successives dont une des plus importantes est celle de la différence des sexes. Ici, l’on passe de l’angoisse face à la pulsion interne comme autre à une angoisse devant l’autre : l’écart et le lien se répète. L’on pourrait dire ainsi :

– moi / non moi devient : moi / toi ;

– l’altérité interne devient l’altérité externe, la différence ou plutôt le différent.

Le danger pulsionnel se représente ou se figure par l’autre sexe – où il est projeté – et de là va se développer un mouvement : traiter l’autre sexe en croyant traiter le pulsionnel (le mien), le cadrer en cadrant l’autre, etc.

Le problème de cette scène particulière est qu’elle est très chargée culturellement, ce qui veut dire que là on l’on croit penser nous sommes souvent prédéterminés. La différence des sexes est héritière d’une longue histoire, une sorte de phylogenèse. Des routes de pensées sont d’avance tracées, donc des évitements sont pré-inscrits et fonctionnent à notre insu, et l’ensemble oriente mes perceptions et mes représentations. La culture offre des défenses toutes faites.

Pour preuve, lorsque l’on questionne ces prédéterminations, cela suscite souvent des réactions assez vives.

4 – Nous connaissons le paradigme freudien de l’horreur de la différence des sexes, mais nous savons aussi que là où elle est le plus sensible n’est pas forcément dans la découverte sur le corps d’un alter-ego, qui, le plus souvent, est un compagnon de jeux (touche-pipi) et d’exploration curieuse : et rare sont les récits qui conjoignent à ces jeux (car ils sont présentés comme « jeux ») des sentiments d’horreur ou d’effroi. Mais ce sont en effet des lieux privilégiés pour des théorisations et quelques théories sexuelles infantiles.

En revanche, s’il est un point sensible, c’est bien plus dans la découverte de cette différence dans une différence de génération : sur les corps des parents ou d’adultes[20]. Là, il y a de l’énigmatique, bien sûr, mais avec une connotation au moins inquiétante : « qui est cette femme qui se cache derrière ma mère, cet homme derrière mon père ? » Ou encore, les sentiments d’étrangeté lorsque l’enfant est saisi par les transformations[21] de ses parents, lorsque par exemple ceux-ci sont excités.

Si la découverte de la différence anatomique du corps d’un autre enfant est source d’excitation et de satisfaction de la curiosité infantile (et le jeu offre une scène « maîtrisée » du pulsionnel[22]), celle qui s’opère sur le corps de l’adulte produit très souvent une rupture dans le continuum de la vie de l’enfant, dont une trace élaborée (très ?) secondairement se dit parfois en termes de : déception. Celle, par exemple, de ne plus pouvoir aller sur les genoux de ses parents, car désormais, il y a du sexuel[23], il y a aussi du pulsionnel chez les parents (et l’on passe dans le discours de maman / papa à mère / père ?).

L’on peut penser que dans certains cas cette horreur renvoie à une plus ancienne, qu’elle répète pour en poursuivre l’élaboration, un temps de découverte du sexuel en soi, son irruption, que ce soit sa pulsionnalité, sa satisfaction ou sa fantasmatique : découverte d’une altérité interne, d’un étranger en soi, de l’Autre, etc. venant rompre un sentiment d’intégrité ou d’unité de soi, et source de cauchemars, phobies, etc. Cet éprouvé de division interne (Spaltung) peut renvoyer à de plus anciens (la différenciation moi / non-moi par exemple), venant en répéter le vécu.

Cela nous donne deux lignes :

  • l’horreur face à cet autre monde (du pulsionnel), étranger puissant et interne, face auquel il est difficile de se réassurer ou ne serait-ce que de l’intégrer Autre monde que l’analyste peut incarner pour certains patients comme pour d’autre il peut en figurer la maîtrise ;
  • et, par la suite, la découverte d’une dimension étrangère chez nos parents qui vient en partie rompre ou mettre à mal leur fonction protectrice ou de réassurance (voir la possibilité de répétition en cure lorsque l’analyste est tenu pour n’être qu’une fonction, désincarnée = dépulsionnalisée. Ce qui est parfois un temps nécessaire).

Ces lignes vont bien sûr recevoir des élaborations, notamment par le lien fait à des objets spécifiques afin de pouvoir s’en accommoder.

Ceci nous amène à une question fondamentale :

  • s’agit-il de libérer la sexualité,
  • ou de s’en libérer ?

L’effroi est-il celui du moi face à l’excitation sexuelle, bien plus que face à la différence ?

Mais l’effroi circule…

Si l’on prend les choses selon un autre point de vue, nous pourrions dire qu’il y a eut de tous temps une grande lutte contre l’excitation sexuelle, à l’intérieur de soi comme à l’extérieur – où le conflit se projette) : pensons au projet de Socrate, « se libérer de la folie du corps » source de tous les mots[24]. Cette folie, cette excès, sources du sentiment d’horreur ou d’effroi, sont incarnés dans l’histoire humaine, tantôt par les femmes, tantôt par l’onanisme, etc. au point d’avoir suscité bien des opérations effrayantes, dont certaines, si elles ne sont plus pratiquées, n’en sont pas moins devenues « morales ».

Une question :

  • le féminin désignerait-il pour les deux sexes les moments où l’on est pris, soumis, saisi, emporté, par le pulsionnel, le sien comme celui de l’autre (« se lâcher, laisser aller, etc. ») ;
  • le masculin, quand on agit le pulsionnel, quand on le saisit, sur soi ou sur l’autre ?

III.             1. La formation du fantasme et les formules de négation

Fantasme, en allemand Phantasie, c’est le terme pour désigner l’imagination, non pas tant la « faculté d’imaginer » (l’Einbildungskraft des philosophes) que le monde imaginaire et ses contenus, les « imaginations » ou « fantasmes » dans lesquels se retranche volontiers le névrosé ou le poète.

Dans son œuvre, Freud utilise très tôt la notion de phantasie[25] pour désigner différentes formes de l’activité imaginaire consciente ou préconsciente, telles que rêves diurnes et rêveries, dans le sens médical classique du XIXe.

La conception de Freud du monde des fantasmes semble se situer tout entier dans le cadre de l’opposition entre le subjectif et l’objectif, entre un monde intérieur qui tend à la satisfaction par l’illusion et un monde extérieur imposant progressivement au sujet, par la médiation du système perceptif, le principe de réalité. « Avec l’introduction du principe de réalité une forme d’activité de pensée se trouve séparée par clivage ; elle reste indépendante de l’épreuve de réalité et soumise uniquement au principe de plaisir. C’est là ce qu’on nomme la création de fantasmes. » Pour les processus inconscients « l’épreuve de réalité n’est pas valable, la réalité de pensée équivaut à la réalité extérieure, le désir à son accomplissement, à l’événement ».

Il y a ainsi trois sortes de phénomènes psychiques (ou de réalités au sens le plus large) :

– la réalité matérielle,

– la réalité des « pensées de liaison » ou du psychologique,

– la réalité du désir inconscient et de son « expression la plus vraie », le fantasme.

Le fantasme est composé de trois termes :

  • une action représentée par un verbe, pivot autour duquel se distribue deux places,
  • la place de l’objet, position passive subissant l’action d’un sujet,
  • et celle d’un sujet acteur ou actant (la décharge motrice).

Le fantasme constitue un Wunsch[26], c’est-à-dire un désir organisé selon un scénario, celui d’un verbe articulant un sujet et un objet[27].

Il est le résultat de mécanismes de défense du moi contre les pulsions[28], notamment :

  • le renversement dans le contraire, qui porte sur le verbe d’action, sur l’agir ;
  • le retournement sur la personne propre, qui porte sur les places de sujet et d’objet ;
  • le refoulement et la sublimation.

Mais ce sont les deux premiers mécanismes qui ont un rôle important dans la formation du symptôme.

Il y a donc deux processus différents dans la formation du fantasme :

a : Renversement dans le contraire

Soit le renversement du contenu des buts : ici, un seul cas, d’aimer à haïr.

b : Retournement sur la personne propre

Soit le retournement de la pulsion d’activité en passivité. Ainsi :

  • Le plaisir de « regarder » devient celui de s’exhiber (« être vu ») ; l’exhibitionnisme inclut aussi « regarder le corps propre, se regarder » et la jouissance de la dénudation ;
  • Le but actif, « tourmenter » devient un but passif, « être tourmenté » ; le masochisme est l’exemple du retournement du sadisme sur la personne propre ; le masochiste partage aussi la jouissance de la fureur exercée sur lui.

Donc le but pulsionnel de satisfaction reste, seul l’objet change.

Cela signifie aussi que la pulsion inconsciente (au niveau du ça – sauf à être refoulée) est toujours active, et que ce n’est que par et dans le moi qu’elle est passive (c’est-à-dire que sa forme, sa représentation est transformée), c’est-à-dire éprouvée, vécue sur ce mode.

De là avons-nous trois positions simultanées ou successives du sujet avec l’objet, dans le fantasme, qui permettent ainsi la satisfaction :

  • position active (regarder, tourmenter) ;
  • position passive (renversement sur la personne propre : être regardé, être tourmenté) ;
  • position « moyenne réfléchie », c’est-à-dire narcissique : se regarder, s’infliger de la douleur – se masturber.

Sujet actif[29] : Je, Verbe d’action, faire (forme)
retournement sur la personne propre

De « je » à « moi »

renversement dans le contraire : d’« aimer » à « haïr »
Objet passif[30] : Tu, toi, autre, on, (je), me fais, être  

Notons que a & b coïncident souvent et que renversement et retournement n’opèrent jamais sur la totalité de la pulsion et qu’ainsi la direction pulsionnelle active, la plus ancienne, subsiste à côté de la plus jeune, passive. On peut alors décomposer la vie de toute pulsion en vagues isolées, séparées dans le temps (image des irruptions successives d’un volcan). Ce qui vient éclairer la notion d’ambivalence.

Toute pulsion est en soi active, c’est le but sexuel qui est « souple » et peut subir des modifications notamment par le mécanisme du retournement de l’activité vers la passivité.

c : Rôle du narcissisme

Nous avons vu que c’est une phase précoce du développement du moi, où les pulsions se satisfont autoérotiquement. Par exemple, la pulsion de regarder passive maintient l’objet narcissique, de même que la mutation de sadisme en masochisme signifierait un retour à l’objet narcissique alors que dans les deux cas, le sujet narcissique est échangé par identification avec un autre moi, étranger.

Ainsi le destin des pulsions porte en lui les moments d’organisations narcissiques, et il est peut-être aussi une tentative de défense contre elles.

Le retournement de la pulsion protège l’appareil psychique : elle est opérée par la dimension narcissique du moi. Par exemple, l’organisation interne du sado-masochisme (emprise, sadisme, masochisme originaire et secondaire) protégerait le psychisme par la liaison de la pulsion de mort (« problème économique du masochisme » 1924).

d : Amour, haine et ambivalence des sentiments

Il y a trois oppositions à aimer selon que l’objet ou le sujet se trouve échangé contre un objet ou un sujet étranger :

  • haïr,
  • être aimé, par retournement de l’activité en passivité : ce qui est un retour à la situation narcissique originaire, s’aimer soi-même ;
  • indifférence aimer – haïr.

Ces termes sont réservés à la relation du moi total à ses objets (et non des pulsions aux objets).

Donc, nous avons trois polarités dominant la vie psychique :

  • 1 : sujet (moi) – objet (monde extérieur) : cette opposition s’impose par l’expérience de faire taire les stimuli externes par l’activité musculaire et son échec face aux stimuli internes. Cette opposition est souveraine dans l’activité intellectuelle ;
  • 2 : plaisir – déplaisir, qui appartient à l’ordre de la sensation ;

3 : actif – passif : le moi se comporte passivement vis-à-vis du monde extérieur (il en reçoit les stimuli) et activement par rapport aux pulsions après les avoir subies. Cette opposition fusionne plus tard avec masculin – féminin qui n’avait aucune signification psychologique jusqu’alors. Activité / passivité est la première des « trois grandes polarités dominant la vie de l’âme » C’est dans la phase sadique-anale que cette polarité apparaît clairement (pour Freud, et non dans la précédente, la phase cannibale) ; « l’élément actif semble lié à la musculature ; l’organe dont le but sexuel est passif sera représenté par la muqueuse intestinale érogène ».

Freud utilise cette opposition en clinique : homosexualité, sado-masochisme, voyeurisme-exhibitionnisme. Mais aussi dans la régression des désirs passifs vers les désirs masochistes et féminins chez Wolf.

Quant à la compulsion de répétition, elle a cette visée de liaison comme dans le jeu où elle fait passer de la passivité à l’activité pour lier et maîtriser psychiquement. 1920 : le moi passif face au ça, masochiste et féminin devant un surmoi sadique (« Dostoïevski » 1928).

On l’entrevoit : le fantasme est le résultat d’une opération défensive du moi contre une motion pulsionnelle. Ainsi, il y a un premier temps, celui de l’émergence pulsionnelle, suivit de deux autres temps qui sont liés au travail défensif du moi, à ses opérations successives de négation afin de maîtriser et de cadrer cette motion pulsionnelle dans cette forme très organisée qu’est le fantasme, quitte, par la suite, soit à le refouler (et il devient un fantasme inconscient au sens de refoulé[31]), au à l’élaborer de plus en plus (au point d’en faire une théorisation rationnelle).

Nous avons donc une matrice de base quant à la formation du fantasme, une matrice se composant de trois temps :

temps 1 : le moi perçoit une motion pulsionnelle (qu’elle soit nouvelle, ou jusqu’ici inconsciente, ou encore déjà refoulée[32]), qu’il juge aussitôt inadmissible ; interviennent alors des mécanismes de défense. L’exemple freudien connu est, par exemple : « Moi, un homme, je l’aime, lui, un homme » ;

temps 2 : la première défense, sous forme de négation, va porter sur le sujet de cette pensée : une négation par projection, ce qui produit une inversion[33], c’est-à-dire un retournement : « ce n’est pas moi, c’est lui », c’est-à-dire que le moi nie le je pour affirmer un il : « c’est moi qu’il aime » soit la négation du sujet « je », projeté et retourné sur un autre. Le résultat de cette réfutation, cette nouvelle représentation (au sens de remplacement, vertreten, et non plus la Vorstellung du temps 1), du fait que cette opération est inconsciente, est perçue comme si c’était une nouvelle perception[34] : « ce n’est pas moi qui l’aime, c’est lui qui m’aime » ; Freud écrit que cette phase est strictement inconsciente et ne peut être retrouvée par l’analyse alors que la première l’est. Qu’est-ce à dire ? Ceci est lié au fait qu’ici nous sommes en présence d’un temps où interviennent les mécanismes de défense du moi, qui sont des processus (mécaniques) totalement inconscients et vides de contenus psychiques. On ne peut donc qu’en repérer les effets et n’en produire qu’une « reconstruction » dans la cure ;

temps 3 : cette nouvelle perception et sa représentation de remplacement ne sont pas suffisantes pour apaiser le moi, ou bien restent inadmissibles pour lui : il faut donc une nouvelle opération psychique de réfutation, de négation (un nouveau refoulement ou son renforcement) qui va porter non plus sur le sujet mais sur le type d’action, sur le verbe : « non pas aimer, mais haïr », soit le mécanisme (inconscient) de renversement en son contraire. Dès lors, la nouvelle représentation (de remplacement) peut accéder à la conscience avec une force de conviction propre au visuel (le fantasme est très visuel, un comme si  c’était une perception), déterminant une « réalité psychique ». Le fantasme est dès lors formé : « il ne m’aime pas, il me haït, me bat, etc. »[35]

Nous verrons que ceci est la première forme d’élaboration du fantasme, et qu’il y en a d’autres, c’est-à-dire qu’un fantasme peut très bien être sans cesse élaboré, de façon de plus en plus complexe, toute une vie.

Notons aussi que lorsque « il me haït », ce que je pense, cela vient satisfaire le temps 1 (totalement inconscient et refoulé), ou que c’est ce temps 1 qui apporte la satisfaction dans la réalisation du temps 3.[36]

Mais il y a aussi une autre dimension à relever ici : si le sujet est actif dans sa quête de l’avoir, celui qui est en place d’objet « passif » dans le fantasme – malgré sa plainte – est en position d’être – ce qui s’entend justement dans sa plainte : « je suis et ne suis que dans ma plainte… ». Ce qui permet d’entrevoir une dimension essentielle de la passivité dans la fabrique du sentiment d’être (être ceci ou cela, etc. : être quelqu’un mais pour qui ?) ce qui n’exclut pas l’autre versant, celui du se sentir être dans l’action.

IV.              Les formes de fantasmes et leur mouvement élaboratif

Rappels :

1°) Deux thèses opposées par rapport à la sexualité :

  • la thèse de Freud : la sexualité est première (voir la dialectique du soma et du germen) et le sujet, pourrait-on dire, en est un appendice. Thèse qui produit une blessure narcissique ;
  • la thèse inverse de Jung : la sexualité n’est qu’un des appendices du sujet. Pour lui, le sexuel érotise après-coup (voir le Zurüchsphantasieren) le non-érotique : ce qui est en partie vrai mais la systématisation de l’argument à pour but de faire du sexuel un élément à éliminer.

2°) Dès la Traumdeutung, Freud différencie trois registres de la réalité :

  • une réalité matérielle[37];
  • la réalité des pensées de liaison, des liens de causalité ;
  • la réalité du désir inconscient et son « expression la plus vraie », le fantasme inconscient.

       Les deux dernières créent un ensemble particulier, la « réalité psychique »[38].

3°) Le fantasme est biface (comme toute représentation) :

  • il est la réalisation hallucinatoire d’un désir, d’où son effet d’auto-hypnose[39];
  • et une élaboration défensive contre ce désir[40].

       C’est en ce sens qu’il est la source de la formation du symptôme.

Fantasmes originaires (Urphantasien)

C’est en 1915 qu’apparaît la notion de fantasmes originaires[41] en ce qu’ils sont communs à l’humanité (c’est-à-dire retrouvés en chaque individu, quelle que soit sa culture[42]).

L’effet Honegger.[43]

Ce que Freud met en avant dans ce texte est un fantasme d’écoute (les bruits de la scène originaire) par opposition au fantasme de voir tel qu’il le présente l’année précédente dans le cas de l’Homme aux Loups (notons que le vu et l’entendu sont les deux éléments déterminants dans la castration lorsqu’ils sont conjoints).

Cet ensemble regroupe :

  1. le fantasme de séduction – ou incestueux ;
  2. la scène dite primitive ou originaire ;
  3. le fantasme de castration[44].

Remarquons que les deux premiers représentent l’irruption de la sexualité adulte dans la vie sexuelle infantile, produisant ou relevant d’une confusion des langues, selon un cours qui irait du traumatisme (de l’irruption) à son élaboration[45], parfois infinie.

Les fantasmes de séduction et de castration sont binaires par opposition à la scène primitive (et donc œdipienne) qui est d’abord binaire (inceste) puis ternaire.

Ces fantasmes originaires ont des particularités :

– ils ont une fonction défensive (de recouvrement) et refoulante ;

– mais ils ont cette particularité d’être des organisateurs psychiques, c’est-à-dire, par opposition aux autres fantasmes qui sont des modes hallucinatoires de mise en scène de désirs, les fantasmes originaires ont un destin psychique important, qui, via les théories sexuelles infantiles, vont forger de véritables identités conditionnant des modes de vie et de pensée ;

– ils ont aussi pour fonction de résoudre ou de tenter de résoudre chacun une énigme (et c’est en cela qu’ils sont une source centrale de la pensée, fut-elle la plus abstraite[46]) : notons que ce sont des questions que le moi pose sur le monde extérieur, en termes d’origines ; les fantasmes originaires tentent de répondre aux questions fondamentales de l’enfant :

  • le fantasme de séduction représente une origine de la sexualité en tant que, le plus souvent, « externe » ;
  • la scène originaire représente une origine du sujet, sa fabrication (comment fait-on les bébés ? D’où viennent-ils ?) et une question (narcissique) : y a-t-il une intention à ma conception ? ;
  • le fantasme de castration répond à la question de la différence des sexes.

– enfin, leur nombre est limité – car les grandes énigmes le sont, elles aussi – et connu :

V.                 Annexe : L’effet Honegger

Les 30 & 31 mars 1910 : c’est « l’effet Honegger », à Nuremberg, où se tient le second congrès privé de psychanalyse ; car c’est par lui que la question devient clinique.

Congrès connu et cité pour ses conséquences sur l’histoire du mouvement psychanalytique[47] : élection de Karl Gustav Jung à la présidence de l’Association, création de trois groupes locaux et nomination de leurs présidents (Karl Abraham pour Berlin, Alfred Adler à Vienne et C. G. Jung à Zurich) et fondation de la Zentralblatt für psychoanalyse dirigée par Adler et Stekel.

Mais, de ce congrès, c’est tout autre chose qui fit, pour Freud, « une impression profonde » en un « moment mémorable »[48], dont nous allons mesurer l’impact sur son élaboration théorique au cours des années suivantes : « Je me rappelle l’impression profonde que ressentirent les membres d’un congrès psychanalytique en entendant un élève de Jung faire ressortir les analogies qui existent entre les formations imaginaires des schizophrènes et les cosmogonies des peuples et des époques primitifs. »[49]

L’élève en question était Johann Jakob Honegger Jr., psychiatre zurichois[50], élève de Jung, et son exposé sur « La formation paranoïde du délire » montrait comment « (…) les formations fantasmatiques de certains malades mentaux (dementia praecox) s’accordaient de manière extrêmement frappante avec les cosmogonies mythologiques de peuples anciens sur lesquels il était impossible que les malades dépourvus d’instruction aient eu une information scientifique. (…) l’accent était aussi très fortement mis sur l’importance que revêtait le parallélisme entre évolution ontogénétique et évolution phylogénétique également pour la vie psychique. »[51]

Honegger avait rédigé un compte-rendu de sa communication pour le Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathlogische Forschungen [52] : dans le délire d’une démence paranoïde d’un patient d’éducation scolaire simple, on trouve donc de nouvelles créations de très anciennes représentations mythologiques et philosophiques. De plus, « Nous pouvons constater essentiellement deux formes de pensée :

– une forme symboliquement mythologique, le mode de pensée du rêve ;

– une forme dialectique, qu’il faut concevoir comme un exercice de pensée venant en compensation d’un mode symbolique de pensée.

La renaissance autochtone des mythes antiques, des représentations philosophiques et des conceptions du monde, se présente comme une formation qui ne remonte pas seulement jusqu’à l’enfance de l’individu, mais également jusqu’à celle de la race entière. On peut la comparer, dans le domaine anatomique, à des déformations qui présentent un atavisme ontogénétique à des stades primaires de la phylogenèse. » Il se suicide un an plus tard, le 28-III-1911, s’empoisonnant à la morphine à la clinique Reinan ; « Honegger, en qui j’avais mis beaucoup d’espoir (…) »[53], s’était présenté à Freud avec un essai sur lui[54].

La réception de cette conférence fut amplifiée par le fait que, depuis un an, la transmission était à l’étude sur le terrain avec la rencontre des médiums, étude qui venait se relier aux questions du phylogénétique. Mais avec Honegger, un nouveau lien se crée : la question arrive dans le champ de la clinique avec celle de la transmission des fantasmes, et donc rejoint l’étude plus ancienne du fantasme et la question ouverte par le proton pseudos. C’est une rencontre, un nœud ferroviaire, dont naîtra peut-être ou sans doute, peu après, Totem et tabou, une fantaisie phylogénétique qui conjoint et la phylogenèse, et le fantasme, et la clinique. Dès lors n’est-il point étonnant que Freud quitte le terrain des médiums puisqu’une scène est au quotidien chez lui : ses cures.

Aussi, à partir de Nuremberg quelque chose insiste dans les écrits de Freud, selon deux directions majeures : les travaux autour de la phylogenèse, et les recherches confidentielles sur la transmission avec Ferenczi sur les médiums. En tout cas, l’effet Honegger est de mettre en lien transmission de pensée et phylogenèse, via le fantasme, cosmogonie et psychose.

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[1] Paul Valery, Analecta, Gallimard, 1935.

[2] Ludwig Wittgenstein, Le cahier bleu et le Cahier Brun, (25), Tel, Gallimard, 2004.

[3] Sigmund Freud, « Lettre à Romain Rolland. Un trouble du souvenir sur l’Acropole », in OCF-P. XIX, P.U.F. 1995, p. 336 sq.

[4] Sigmund Freud, « La tête de Méduse » in OCF-P XVI, PUF 1991, pp. 163-164.

[5] J.-P. Vernant, La mort dans les yeux, Hachette, 1985, p. 36.

[6] Les références ne manquent pas chez les Grecs antiques : pensons à l’insistance de Zeus quant à la jouissance de son épouse, Héra, qui montre mais n’en dit mot. C’est Tirésias qui répondra à sa place pour avoir connu les deux sexes, mais à quel prix !

[7] Sigmund Freud, « Supplément B : complément à l’angoisse » in Inhibition, symptôme et angoisse, OCF-P, XVII, pp. 279 sq. L’objet dont il s’agit est celui du fantasme inconscient. Pensons à Œdipe qui se crève les yeux dans l’illusion d’en perdre ainsi la perception.

[8] En décapitant Gorgô, Persée lui supprime tout phallique, ce qui fait d’elle une femme. Mais ce phallique était, dans un premier temps, projeté sur elle par Persée (et les autres hommes).

[9] Sigmund Freud, « La tête de Méduse », op. cit. Texte où Freud met en circulation la rigidité : l’effroi rigidifie le spectateur, mais l’érection rigide renverse les choses puisqu’elle est supposée effacer l’effroi en inversant les places – ou le reprojette. C’est en tous cas la conviction de l’exhibitionniste face à sa victime. Mais cela trace aussi une autre tension : l’effroi défait le langage, et le langage à son tour vise à défaire l’effroi, ce qui nous donne les éléments d’un conflit fondamental, dont un des échos s’entend dans une autre opposition de base, entre attraction et répulsion.

[10] Yves Bonnefoy a montré comment et combien le langage défait la perception, celle-ci étant selon son expression, lorsqu’elle reste pure, un indéfait. C’est toute la difficulté que tente de dépasser l’écriture poétique : éviter que le mot ne soit le meurtre de la chose.

[11] Sigmund Freud, « La tête de Méduse » in OCF-P XVI, PUF 1991, pp. 163-164.

[12] Rainer Maria Rilke, « première élégie », in Élégies de Duino (Duineser Elegien), in Œuvres poétiques et théâtrales, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997.

[13] Voir Minutes III, p.309.

[14] Ibid.

[15] Voir Winnicott D.W., « La position dépressive dans le développement affectif normal », in De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1971.

[16] Cf. La force d’attraction, Seuil, 1990.

[17] Voir les enfants effrayés par le loup qui se documentent et étudient les animaux à grandes dents, ce que les parents ne comprennent pas toujours…

[18] Je peux croire me débarrasser de Dieu grâce à Freud mais l’on observe chez certains un rapport religieux à Freud, ou Lacan, ce qui maintient la croyance, voire en se convaincant qu’ils ont ainsi passés d’un objet religieux à un objet profane…

[19] Ce qui est une extraordinaire expression ! Voire « je suis hors de moi » quand en fait je suis en colère, c’est-à-dire au contact de mon pulsionnel… Je serais hors lorsque je ne me contrôle plus…

[20] Freud nous en donne un bel exemple avec le fameux matrem nudam que certains relièrent à sa phobie du train par la suite. Le latin revient chez Freud, outre les termes des positions sexuelles – ce qui est l’usage classique de l’époque -, lors de ses mésaventures romaines dans le quartier des prostituées par exemple (voir par exemple le récit de Lydia Flemm, L’homme Freud, Seuil 1991). Notons que Freud n’écrit pas matrem nudam lors de son récit à Fliess mais seulement matrem. C’est Starobinsky qui a créé cette formulation. Voir Starobinsky Jean, préface à Hamlet et Œdipe d’Ernest Jones, coll. Tel, Gallimard 1989.

[21] Il nous faut souligner cette dimension de la transformation de l’adulte (lorsqu’il passe d’une humeur calme à une humeur excitée) : il la redoute et l’étudie (voir le grand succès des robots transformers).

[22] Pas toujours, bien sûr. Voir à ce sujet une notion de Winnicott qui n’a pas eut grand succès, celle d’ « orgasme du moi » pour désigner un jeu réussi lorsque le moi a réussi à traiter un élément pulsionnel, par opposition au jeu raté où l’enfant est envahi et débordé par ce pulsionnel (et donc angoissé) au point qu’il est requis un tiers pour y mettre fin – d’une claque ou d’une fessée- : c’est-à-dire qu’ici, l’action psychique que le moi n’a pu produire est demandée à un tiers.

[23]  Ici peu importe qu’il soit d’origine interne ou externe.

[24] Platon, Phédon. XI (66a-67 a), in Apologie de Socrate Criton Phédon, Garnier-Flammarion, 1965 (pp. 115-116). Socrate opère une dévalorisation du corps pour une survalorisation de la raison.

[25] Du grec comme du latin, phantasma, « vision », puis en français : 1190, « illusion », XIVe, « fantôme », 1836, méd. « hallucination ».

Introduit, ou réintroduit, dans le français contemporain par les traducteurs de Freud, le mot fantasme est censé rendre le terme allemand Phantasie, c’est-à-dire l’idée de productions de l’imagination par lesquelles le moi tente d’échapper à l’emprise de la réalité (tels les rêves diurnes) et qui souvent s’organisent dans un rapport étroit avec l’inconscient.

Dans la langue populaire du latin phantasma, transcrit tardivement du mot grec doté de la même graphie, qui avait le sens d’image offerte à l’esprit par un phénomène extraordinaire et qui restait lié à phantasia, terme désignant d’abord l’opération mentale accompagnant une telle image et ensuite seulement « ombre » ou « fantôme ». Or le phantasma s’imposa, dans le parler de l’Empire, sous la forme de fantauma, issu du grec ionien phantagma et du grec massaliote phantôma. Ce fantauma méridional se retrouvera, dès le XIIe siècle, dans le français fantosme, avec le sens de « vision d’une personne de l’autre monde » ou de « fantôme », puis d’« illusion » et de « rêverie ». Dans les langues romanes, l’italien et l’espagnol fantasma gardèrent très clairement ce double sens d’abord de spectre puis d’image mentale, tandis qu’en français les deux termes médiévaux fantosme et fantasie se maintinrent longtemps pour désigner, le premier, une vision extraordinaire, le second, le pouvoir d’imaginer.

On retrouve ces deux derniers vocables dans la langue allemande sous la forme de Phantom (fantôme et, par extension, image trompeuse, illusion) et de Phantasie (imagination). C’est l’emploi privilégié par Freud de Phantasie qui a amené les premiers psychanalystes français à traduire un tel terme par le mot – nouveau ou nouvellement réhabilité dans leur langue – de fantasme. On notera cependant que Phantasie désigne moins le pouvoir d’imaginer (Einbildungskraft) que le monde imaginaire et l’ensemble de ses contenus, l’activité créatrice de rêves, d’images et de visions à laquelle l’esprit se livre et qui s’exprime par le verbe fantasieren (substantifié sous la forme das Fantasieren). Si bien que, comme le font remarquer Laplanche et Pontalis dans le Vocabulaire de la psychanalyse, le français fantasme « ne correspond pas exactement au terme allemand [die Phantasie] puisque son extension est plus étroite. Il désigne telle formation imaginaire particulière et non le monde des fantasmes, l’activité imaginaire en général ». Toutefois, si c’est la psychanalyse qui a donné véritablement droit de cité au français fantasme – mais en lui assignant alors un sens plus restreint que Phantasie -, le concept correspondant s’est étendu, à l’intérieur de la discipline, à de multiples niveaux ou modalités (fantasme originaire, fantasme de séduction, fantasme conscient, fantasme inconscient, « roman familial », etc.) — qu’ils nous viennent de Freud, de Jung, de Lacan ou de Melanie Klein. Mais l’usage de fantasme déborde aujourd’hui largement le champ de la psychanalyse au sein duquel il est né au début du XXe siècle.

Il reste qu’en français, mais surtout en anglais, fantasme ou fantasy s’écrivent parfois avec la graphie phantasme ou phantasy, l’école kleinienne y voyant un moyen de distinguer fantasme inconscient (phantasy) et fantasme conscient (fantasy). Indépendamment de cette interprétation, les éditeurs britanniques des œuvres complètes de Freud, qui ont opté d’une manière générale pour phantasy, justifient, en ces termes quelque peu embarrassés, la distinction entre les deux orthographes : Phantasy est adopté ici sur la base d’une discussion dans l’Oxford Dictionary, qui aboutit à cette conclusion : « Dans l’usage moderne, les termes fantasy et phantasy, en dépit de leur identité phonique et de leur étymologie, tendent à être appréhendés comme étant distincts, le sens prédominant du premier étant “ caprice, lubie, comportement fantasque ”, tandis que le second est “ imagination ou représentation hallucinée ”. En conséquence, phantasy sera entendu ici avec le sens technique de phénomène intéressant le psychisme. Mais fantasy peut être usité aussi dans certaines occurrences appropriées » (Standard Edition, I, p. XXIV).

Ainsi, à la différence de leurs collègues français (pour lesquels phantasme et fantasme ont des sens équivalents), mais aussi italiens (qui utilisent fantasia ou fantasma) et espagnols (avec fantasia), les psychanalystes anglo-saxons semblent tenir à poser une distinction réelle entre fantasy et phantasy, ce dernier terme étant jugé plus proche, par sa graphie, de l’allemand Phantasie et marquant, à leurs yeux, une dépendance spécifique, par rapport au vocabulaire freudien, du concept qui est censé lui correspondre.

[26] Les traductions françaises ont un peu trop tendance à tout traduire par le terme « désir ». Chez Freud, l’on trouve au moins trois termes différents :

Wunsch : souhait, voeu, sans idée de convoitise ou de reconnaissance, qui tend à s’accomplir plutôt qu’à se satisfaire, lié à des traces mnésiques internes, à des signes ; du verbe Wünschen : quelque chose qui porte sur un scénario (avec un sujet, verbe, complément direct ou indirect) dont on souhaite la réalisation (comme le fantasme). Vise la possession, la présence. Freud parle de Wunschphantasie, soit une représentation d’un désir articulé en un discours, résultant des formes de contradiction. Le souhait résulte de l’élaboration secondaire et des formules de contradiction qu’il représente. Soit le résultat d’une élaboration secondaire de la Begierde par exemple.

Begierde : désir, convoitise, désir violent d’appropriation par consommation de l’objet. Terme repris à Hegel: appétit, concupiscence par où s’exprime la relation de soi à la conscience. La conscience reconnaît l’autre en tant qu’elle s’y retrouve, d’où la relation à l’autre passe par la Begierde dans un rapport négatif, inversé (voir miroir). Son mouvement tend à la constitution de soi, de la conscience et de la satisfaction. Elle origine le choix d’objet, l’avoir. Et c’est ce désir que frappe la négation, afin de maintenir la projection sur l’autre. Begierde est l’exposition (Darstellung) du Lust mais non élaborée.

Lust : plaisir, passion, penchant, que Freud utilise pour le principe de plaisir (Lustprinzip) ; désir qui vise le plaisir en tant qu’action vers un but plus qu’un objet et dénué de concupiscence ; soit l’envie. L’objet est indifférent, nous sommes côté ça et pulsion, côté exigence interne, la Triebanspruch. La Begierde en est une élaboration imaginaire, une présentation (Darstellung). Lust n’est pas élaboré.

[27] Cf. Laplanche J. & Pontalis J.-B., Fantasme originaire, fantasme des origines, origines des fantasmes, Hachette, collection des Textes du XXes, 1985, p.82 note 55.

[28] 1915 : « Pulsions et destin des pulsions », OCF-P XIII (p. 170 sq.) ; cela exclut une « grammaire de l’inconscient » comme certains ont pu le penser, à moins qu’il ne s’agisse de la partie inconsciente du moi, ce qui n’a jamais été précisé (les conséquences sur la conduite de la cure sont immenses…) Car la dimension sujet / objet est aussi importante que celle de l’agir.

[29] Ou « masculin » suite à la phase phallique.

[30] Ou « féminin » suite à la phase phallique.

[31] Ici, il y a à relever une confusion : l’accession à la conscience d’un fantasme inconscient, c’est-à-dire qui était refoulé, a pu donner à penser les choses dans un sens où il fut accorder au ça des capacités moïques (par exemple, l’inconscient structuré comme un langage – mais la formule n’a jamais précisé de quel inconscient il s’agissait).

[32] Le désir peut être, par exemple, interdit, coupable ou refoulé, et fait donc retour sous une forme passive, « subie » (comme sa saisie par le moi), déculpabilisée. Voir l’Homme aux Loups.

[33] Ici, avec cette notion de projection qui inverse, il y a de quoi repenser le discours de Lacan sur le scopique.

[34] Voir la lettre à Jung (Annexe 1).

[35] Il y a ici toute une série de questions à se poser : 1°) la pensée du temps 1 est aussitôt refoulée et poursuit-elle son destin pulsionnel indépendamment des pensées forgées aux autres temps ? 2°) Ou est-ce sa trace dans le moi qui est modifiée, le moi ne travaillant que sur sa représentation verbalisée ? 3°) Ou bien est-ce la poussée qui est peu à peu liée à des représentations de déformation pour en modifier le but ? 4°) Ces trois temps créent-ils trois courants indépendants dans leurs destins propres dans la psyché ?

[36] Pensons aux enfants et femmes battus qui ne dénoncent pas et qui aiment celui qui donne les coups.

[37] En lien avec l’agir et la motricité : une table existe parce que je m’y cogne (voir le bébé).

[38] Certains tentent de donner une réalité matérielle à la réalité psychique par la seule force de la Raison et le déni de la fantasmatique inconsciente. Voir Lacan ou Socrate : « se débarrasser de la folie du corps » grâce au Logos. Succès du cognitivisme. Échec de la philosophie : éradiquer l’imaginaire par la raison. Mais ce serait éradiquer toute une partie de la vie psychique, source de créations. Etc.

[39] Voir le « théâtre privé » d’Anna O.

[40] Dans le sens où l’élaboration éloigne sans cesse du pulsionnel, allant du plus interne au plus externe.

[41] Freud S., « Communication d’un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie psychanalytique », OCF-P XIII, PUF 1988.

[42] Voir Honegger, Roheim, etc. Ur est à entendre en tant que originaire et non pas primitif qui est ambigu en français.

[43] Cf. Annexe.

[44] Voir la logique phallique.

[45] Voir BA : d’avoir vu le sexe de sa mère alors qu’elle bronzait nue dans son jardin, fera destin. Une obsession de voir des sexes de femmes, de les photographier, étudier, tout en restant protégé de tout contact par l’utilisation systématique de préservatif car sinon, le contact est une insupportable brûlure. Cette « préservation » s’interdit à toute le vie psychique.

[46] Il est évident qu’ici il y a à se garder de tout jugement de valeur : si l’enfant se questionne sur son origine ou celle des bébés, et que, devenu grand, il se questionne sur l’origine de la vie ou de l’univers, cela n’hypothèque en rien sa quête : l’important est ce qui va faire destin au niveau de la réponse donnée à la question première, si elle fut satisfaisante ou bien si il y a eu échec ou incessante rumination, car c’est cela qui fera destin dans la quête scientifique (voir le Vinci).

[47] Freud S., « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », in Cinq leçons de psychanalyse, Payot 1984, pp. 120-124.

[48] Voir l’introduction de l’article paru dans Imago, Freud S., L’ « Horreur de l’inceste », cité dans Totem et Tabou, Gallimard 1993, note 1, p. 325.

[49] Freud S., « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », op. cit., p. 111.

[50] 1885-1911, fils de Johann Jakob Honegger Sr., 1851-1896, psychiatre et anatomiste du cerveau et maître d’Adolf Meyer.

[51] Freud S., Introduction à « L’horreur de l’inceste », citée dans Totem et Tabou, Gallimard 1993, p. 325, note 1.

[52] Honegger, Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathlogische Forschungen (1910, vol. II, part. I, rapporté dans Unebévue, 6, EPEL 1995, p. 152-153.).

[53] Voir la lettre du 2-IV-1911 de Freud à Ferenczi, in Correspondance Freud-Ferenczi, Calmann-Lévy 1992, p. 279.

[54] Voir les lettres de Freud à Jung du 02-II-1910 et à Pfister du 12-VII-1909, op. cit.

 

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