Joël Bernat : « La cession altruiste selon Anna Freud »

A partir d’Anna Freud, Le moi et les mécanismes de défense, § X : « Une forme d’altruisme », PUF, 1969, pp. 112-124.

1- Le mécanisme de la projection détruit le lien qui existe entre la représentation pulsionnelle (ou son représentant comme on l’indique de nos jours) et le moi afin d’empêcher le devenir conscient de cette représentation, ainsi que le fait le processus de refoulement. La projection est donc un mécanisme de défense.

2- La cession altruiste consiste ainsi en la projection et puis l’attribution de pulsions à autrui (à l’inverse de l’identification hystérique par exemple).

3- Exemple clinique :

  • un enfant désire posséder tout ce que les autres ont ;
  • devenu adulte, il n’exige rien pour lui suite à un renoncement pulsionnel sous l’effet d’un surmoi rigoureux;
  • ses désirs sont refoulés et deviennent du coup inconscients ;
  • puis ils sont remplacés dans le moi par des formations réactionnelles (qui inversent les signes : ce qui fut bon devient mauvais, etc. Voir le conte de Peau d’Âne) ;
  • enfin, ces désirs refoulés ont été déplacés par projection sur autrui et reconnus inconsciemment comme tels ;
  • alors le sujet désire ses désirs via les autres et pour eux, et pour cela les aide à les réaliser hallucinatoirement, ce qui réalise par procuration ses désirs propres (ce qui n’est qu’une pensée magique) ; ce sujet va même exiger de l’autre qu’il réalise ses désirs, voire, il fera tout pour que ces autres y parviennent (« soit mon héros à ma place, moi qui me rêvait héros ») ;
  • c’est-à-dire que les tendances actives sont refoulées et donc compensées par la satisfaction chez les autres, ce qui donne un altruisme.

La cession altruiste est donc une défense qui permet de contourner la culpabilité via un tiers et ainsi, par exemple, le désir incestueux devient « innocent » (au niveau conscient).

4- un exemple chez la fillette selon Anna Freud :

– son désir de posséder un pénis, c’est-à-dire l’envie d’avoir quelque chose à montrer comme les garçons, devient un fantasme viril d’ambition ; (et/ou être regardée, désirée, plaire, etc.) ;

– ce qui devient des désirs « féminins » de plaire et d’avoir des enfants. (Est-ce si différent ? en tout cas curieux classement…) Voir par exemple les familles où la réussite de l’homme dédommage les femmes de leurs renoncements, ou encore les parents qui délèguent à leur enfant de réaliser leurs plans de vie, ou enfin les cas aussi dans l’homosexualité envers le plus jeune des deux via les soins.

Pour illustration de cette cession altruiste, voici le poème préféré d’Anna Freud (selon Elisabeth Young-Bruehl, in Anna Freud, Payot, 1991), qui nous indique un autre aspect de la cession altruiste qu’elle ne met pas en avant dans ses définitions : l’effet dépouillant de la cession que décrit Rainer Maria Rilke avec « Le poète » (in Nouveaux poèmes I, Œuvres poétiques et théâtrales, La Pléiade, Gallimard, 1997, p. 384) :

« Je n’ai ni amante ni maison // « Aucun lieu où je puisse vivre. // « Les choses, à qui je me donne // « S’enrichissent et me dépensent. »

Nota : on peut mettre en rapport la cession altruiste avec la notion du désir de perdre (voir sur le site).

 

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