Joël Bernat : « La dépression fondamentale de l’être humain. De l’âme ou de la finitude » 2ème partie

Colloque « L’âme, une promesse d’immortalité ? », Notre-Dame Saint Sigisbert, Nancy, le mardi 8 Mars 2022, Salle Canopé. Suite et fin.

III : Les pensées antidépressives

Pour produire une pensée antidépressive, l’ingrédient premier est celui d’une affirmation fondamentale : « la mort n’est pas une fin ! ». Elle devient seulement une étape vers un ailleurs, un passage, etc. Il n’y aurait plus de finitude, et nous serions ainsi guéris. Ouf ! Me voici au mieux infini comme l’univers !

Cela repose sur un déni fondamental, celui du témoignage des sens. Cette pensée est donc à visée thérapeutique et va s’organiser selon un principe général :

  • Face à l’expérience vécue de la finitude et son éprouvé écrasant, déprimant, ce qui en fait une épreuve d’impuissance et donc de faillite narcissique ;
  • S’oppose la pensée qui est en elle-même infinie (ce qui tombe bien !) et c’est cet aspect qui donne à croire en sa puissance, ce qui produit alors un effet antidépressif : la pensée est un médicament contre les affects et le sensoriel (selon une antique opposition …) puisqu’elle donne à croire en des réponses qu’elle peut produire à l’infini (les bibliothèques en sont pleines …) et ainsi donner à croire en une puissance via l’impression de connaître, comprendre et maîtriser l’univers. Ce qui fit dire un jour à un savant ministre, Marcelin Berthelot (professeur à l’École supérieure de pharmacie en 1859 et au Collège de France en 1865, ministre de l’Instruction publique de 1886 à 1887 et ministre des Affaires publiques de 1895 à 1896, qui réfutait l’existence de l’atome) :

« Le monde est désormais sans mystère ; l’univers entier est revendiqué par la science et personne n’ose s’opposer à cette revendication. »

Passons … Donc nous allons maintenant :

  • Quitter les mondes corporel et sensoriel et leurs éprouvés déprimants dès lors qu’ils sont figures de finitude,
  • Pour entrer dans le monde de la pensée, supposée et posée comme hors corps. Si l’on y réfléchit un peu, c’est là une affirmation extravagante, qui signe qu’il y a une opération strictement imaginaire à visée pseudo-médicale : je ne serais pas que corps… et donc pas que finitude ! Ouf…

Les solutions que permet la pensée peuvent s’organiser selon deux extrêmes :

  • Au plus simple : refouler la pensée de la finitude avec un : « je n’en veux rien savoir », « passons à autre chose », voire : « ne pensons pas à cela – ou ne pensons plus du tout », et comme disait Pascal, « divertissons-nous ! » ;
  • Ou bien l’invention de pensées, de théories, de visions-du-monde et de croyances qui peuvent être personnelles ou partagées par un grand nombre, ou encore empruntées aux cultures, religions ou sciences, etc., et dont le but premier est d’être anxiolytiques et antidépressives du fait de leur affirmation princeps, fondatrice : la finitude, la nôtre, n’existe pas !

C’est ce dernier point que je vais aborder maintenant.

  • Le grand clivage corps / esprit

On a dit que c’est Platon (-428 / -348) qui a séparé l’âme et le corps. Non, cela existait déjà chez les Égyptiens, mais dans leur religion (voir le rite de la pesée des âmes dans une sorte de purgatoire). Platon a introduit cette coupure dans sa philosophie centrée sur l’élévation de l’esprit par rapport au corps, ce qui sera repris par les Pères de l’Église. Mais avant lui, en Grèce, il y a eu Pythagore (-580/-495) qui apparemment est le premier penseur Grec à promouvoir l’idée d’une âme afin de faire tenir sa théorie de l’immortalité selon le principe de la migration de l’âme après la mort, migration vers un autre être vivant : ce qui fait que :

« mon existence actuelle a peu d’importance ! j’en ai d’autres ! ouf … »

Cette séparation a pour effet de m’identifier à mon âme et ainsi de réaliser le projet Socrate – Platon d’être « débarrassé de la folie du corps » (Platon, Phédon, partie XI )[1]. Mais le corps résiste ! Par exemple, au quotidien, les gens disent quand même des choses comme : « j’ai un corps », comme on possède des objets. « J’ai un corps, une voiture, etc. » Et du coup, ce corps mis à l’extérieur par la seule pensée va être la source de préoccupations : « je ne sais pas pourquoi, mais depuis ce matin mon genou me fait mal » … voilà le corps qui fait retour, de lui-même, sous forme de menace ou juste pour nous ennuyer ? ou pour dire à la pensée qu’il existe et n’est pas séparé d’elle ?

  • L’invention de l’âme

Ainsi donc, la première chose à faire pour contrer la finitude imposée par la réalité corporelle est, en toute logique, de lui opposer quelque chose d’autre qui serait infini : c’est ici qu’apparaît la notion d’âme, création permise par la seule pensée.

L’âme va être conçue sur une double base principale :

  • Étant un enfant de la pensée, elle est à son image : invisible, élévatrice, éclairante, apaisante ou tourmentante, etc. Elle a les qualités de sa « mère » ;
  • Un autre composant essentiel à sa conception naît d’une observation fondamentale : le corps ne vit pas sans le souffle ; que ce soit à la naissance où le premier souffle met en vie, ou à la mort où le dernier souffle quitte le corps et le laisse mort.

Dès lors :

  • Le souffle (pneuma en grec) est léger et aérien et donc sera en lien avec les cieux au même titre que la fumée, souffle du feu, monte vers le ciel. Ce souffle céleste sera une qualité de l’âme ;
  • De plus, il est invisible, voici une autre qualité de l’âme ;
  • Il est la force qui met en mouvement et pour cela sera nommé anima en latin, c’est-à-dire ce qui anime les corps de la naissance à la mort. Anima a donné le terme d’âme en français ; c’est donc la raison de la vie : l’âme met en mouvement de par son souffle (voir par exemple le roman de Gustav Meyrink, Le Golem.) ;
  • De même que le souffle, l’âme va hériter d’une autre qualité : le souffle ne pourrit pas, il est invariant, donc éternel comme l’air qui nous entoure … ainsi en va-t-il pour l’âme.

Si le corps est tout à l’inverse et tombe à terre quand le souffle de l’âme le quitte, ce qui fait du corps une dimension de terre, que l’on enterre ensuite dans une obscurité souterraine, l’âme en revanche est air, céleste, et appartient au ciel comme l’air et pour cela y revient.

L’âme est donc devenue le facteur qui donne la vie.

  • Le poids de l’âme

Certains sceptiques et savants se sont donnés pour tâche de prouver son existence réelle, et pour ce faire y a-t’il besoin de quelque chose de mesurable et chiffrable, c’est-à-dire de lui donner une réalité autre que verbale. Une piste est celle de son poids. En effet, lors d’un décès, le corps perd instantanément plusieurs dizaines de grammes, ce qui serait le « poids de l’âme » et donc une preuve de son existence. Mais il y a discussion sur son poids exact : 21 ou 45 grammes ?

En fait, ce poids que perd un corps lors du dernier souffle serait le poids de l’air qui s’échappe des poumons … Mais là il n’y a pas de quoi convaincre un croyant.

  • Preuves mystiques

Autre exemple : peser le corps des personnes qui sont supposées faire un voyage astral hors de leurs corps : on le pèse avant puis pendant le voyage et la différence donne le poids de l’âme puisque c’est elle qui voyage, et cela surtout prouverait son existence… (Voir les « travaux »de l’Institut suisse des sciences noétiques à Genève, et les dossiers du Centre catholique des médias Cath-Info.)

Le terme d’out of body experience (expérience hors du corps : OBE) a été pour la première fois utilisé par le mathématicien et parapsychologue George N. M. Tyrrell, en 1943. L’OBE est étroitement associée aux expériences de mort imminente (EMI). Elle constitue l’une des premières phases typiques de ce genre d’expériences. La plupart des OBE sont cependant vécues sans que la vie de la personne soit menacée, souvent lors de séances de méditation, d’épisodes de grand stress ou de grande émotion. Selon les spécialistes de cette chose (Sylvie Dethiollaz et Claude Charles Fourrier par exemple), il serait admis qu’un individu sur dix a déjà vécu cette expérience une ou plusieurs fois au cours de sa vie…

  • Ernest Hemingway

Voyage qu’aurait fait Ernest Hemingway selon ce qu’il rapporte dans L’Adieu aux armes (1929). Après avoir subi une blessure, lors de la Première Guerre mondiale, l’écrivain explique qu’il a senti son âme sortir de son corps « comme quand vous tirez un mouchoir de soie de votre poche ». Son âme se serait ensuite « déployée » autour de lui avant de réintégrer son enveloppe charnelle.

On retrouve ce genre de récit aussi bien dans le Livre des morts des anciens égyptiens, les témoignages d’évanouissement, d’entrée et de sortie du coma, et plus communément avec les images hypnagogiques de l’endormissement ou du réveil.

De telles croyances ne sont possibles que si l’on ignore farouchement la vie psychique humaine et l’étendue de sas capacités.

  • En philosophie

Il n’empêche que, même chez des auteurs agnostiques, la conception de l’âme est présente mais pas sous ce terme : sa définition sous-tend celle de la pensée. Nous pourrions dire que la pensée est parfois la version athée de l’âme religieuse lorsqu’elle est définie comme souffle invisible, infini et éternel, etc., et que l’âme fait un retour à sa source, la pensée mais en la déformant. Voici ce qu’en dit le philosophe Alain, au siècle dernier, dans un raisonnement pour le moins clos sur lui-même :

« si moi qui pense, j’étais corps, je ne pourrais point être assuré de ma propre existence ; or j’en suis absolument assuré ; donc, moi qui pense, je ne suis point corps ; donc, ce qui doute, nie, affirme, conçoit et décide, n’est point corps. Le corps est étendue et n’est rien qu’étendue. » (Alain : Abrégés pour les aveugles. Portraits et doctrines de philosophes anciens et modernes (1942), Paul Hartman, Éditeur, 1943.)

  • Avoir une âme ne suffit pas

Le fait d’être désormais équipé d’une âme devrait suffire à nous rassurer quant à notre immortalité. Mais non, cela ne suffit pas : il faut en prendre soin, et cela dans deux directions au moins :

  • Par rapport à elle-même : une âme, cela s’entretient, se cultive et doit être développée selon des principes moraux de purgation et purification … (tout comme la pensée) ;
  • Par rapport au corps : une des idées fondamentales est que l’âme est une forme d’enveloppe immortelle d’un corps mortel. Ce qui veut dire qu’elle peut être influencée par la qualité du corps : s’il est sain ou malsain, cela va donc contaminer l’âme et faire courir le risque qu’elle en perde sa qualité première : sa pureté, c’est-à-dire son immortalité.
  • L’entretien de l’âme

Il y a d’abord eu des guides pour cela dont les plus connus sont les textes dits Sacrés[2] et plus précisément, ceux en rapport au voyage de l’âme :

  • Le Livre des morts des anciens égyptiens (Rassemblé par Grégoire Kolpaktchy chez Omnium littéraire, Paris, 1954), qui défend l’idée que tout ce qui est perçu ici-bas ou dans l’au-delà est une réalité réelle et du coup les démons sont réels ;
  • Le Bardo Thödol, livre des morts tibétains (Publié par la Librairie d’Amérique et d’Orient, Paris, 1975), qui défend l’idée inverse : ce que nous percevons est une illusion cosmique, un océan d’hallucinations sans contenu réel.

Donc des formes de mode d’emploi et de guide pour accéder à une bonne éternité, bonne oui, parce qu’il y a aussi une mauvaise, celle de l’Enfer. Cette invention d’un lieu de damnation éternelle et souterraine (lieu du corps) – et non pas céleste (lieu des bonnes âmes) – vient renforcer l’idée d’entretenir son âme et que, finalement, l’éternité, cela se mérite…

Et puis, il y a eu des philosophes qui ont tenu un discours un peu semblable mais avec des termes moins mystiques, apparemment plus « scientifiques » mais qui servent le mythe de l’élévation (purification et apothéose du sujet) :

  • Soit via des réincarnations comme chez Pythagore (ce qui reprend la métempsychose hindoue) ; il invente la migration de l’âme après la mort, migration vers un autre être vivant : ce qui fait que mon existence actuelle a peu d’importance ! ouf ! j’en ai d’autres…
  • Soit durant son existence : grimper dans la hiérarchie humaine, morale, religieuse, imaginaire, etc. comme chez Platon, puis dans les monothéismes.

Pour les Grecs, la vie n’avait pas de sens, et donc pas de but tel que tendre vers un mieux. Les mythes grecs plongeaient les êtres dans leur finitude, puisqu’ils avaient perdu leur infinitude par leur faute (voir l’histoire de Prométhée et Pandore.)

La mythologie comme explication et source de signification de l’univers et de l’existence disparaît à partir de Platon au –Ve siècle quand il introduisit la notion de finalité : l’homme tend vers quelque chose de perfectible et il est au sommet de la création, mais il se doit de poursuivre ce mouvement de perfection par l’élévation de soi (en passant par exemple de la doxa à l’hyperdoxa), ce qui donne un sens à la vie, un projet et un mode d’emploi : s’élever du plus terrestre et animal, c’est-à-dire du plus corporel et fini, au plus élevé, divin et céleste, infini …

Ceci en opposition aux Présocratiques pour lesquels tout était changement perpétuel et instable. Cette pensée présocratique fut de nouveau refoulée au Moyen-Âge par la religion qui a privilégiée Platon et Socrate, voire Aristote en ce qu’ils furent les créateurs et les promulgateurs de l’existence de l’âme et de l’idée d’un démiurge créateur

  • L’entretien du corps

Un problème est le fait que corps et âme sont en contact… le raisonnement est simple, logique :

  • L’âme est immortelle et pure parce qu’elle est d’origine divine, donc le reflet d’un esprit immortel et pur ;
  • L’âme véhicule vers l’humain les qualités des dieux : omnipotence, omniscience, immortalité, infinitude ;
  • Mais elle est salie par le corps du fait de sa dimension terrestre et animale, à l’image des excréments qu’il produit ;
  • Il faut donc connaître son corps, ce qui est aussi une façon de comprendre la création divine ;
  • Connaissance nécessaire à la purification permanente du corps,
  • Afin de ne plus contaminer l’âme et de devenir pur et de profiter des qualités divines (apothéose de l’être).

Il faut donc des cures et des préventions à base de purges des trop-pleins, de compensation du sec par l’humide et du chaud par le froid, et vice versa. Il s’agit de boire et manger en modération, en fonction du climat et de l’exercice ; de pratiquer une activité physique, mais toujours avec modération ; d’éviter les saignées en été, ou après un bain, ou chez les très jeunes ou les très vieux ; d’assurer une purge par vomissement par mois, mais pas plus, et ainsi de suite.

Via les Pères de l’Église, la notion d’âme a hérité des fonctions aristotéliciennes :

  • Une fonction appétitive dans le foie, moteur de la reproduction et de l’appétit vital : pour une « âme vaillante » ;
  • Une fonction sensible dans le cœur, animale, elle sous-tend la perception et la sensation : pour une « âme sensible » ;
  • Une fonction intellective dans le cerveau, propriété de l’animal pensant, de l’humain qui contemple le divin. Si certains animaux participent du monde de la rationalité, nul autre que l’humain ne contemple l’éternité : c’est une « âme bien faite ».

Les sentiments de finitude, de fragilité et de petitesse éprouvés face à l’immensité insensée du monde et de l’existence vont donc être contrés par l’invention de l’âme qui offre une infinitude sous forme d’éternité, une grandeur à conquérir et une solidité à toute épreuve, ensemble qui va se justifier encore plus avec l’invention des dieux.

  • L’invention des dieux

Car l’âme seule ne suffit pas à donner un effet antidépresseur, d’autant qu’une question s’impose (sous l’effet de la pensée qui questionne : sans fin ! elle, elle est vraiment infinie…) :

« Si l’âme est un souffle de vie, d’où vient ce souffle et que devient-il ensuite ? »

Pour répondre à cette question, qui porte sur l’intention, c’est-à-dire « ce qui est derrière tout cela », il y eut besoin d’inventer un esprit ou plusieurs, c’est-à-dire un démiurge, un créateur du monde, puis une religion, c’est-à-dire une histoire et un corpus qui donnent une base, une source à l’âme, l’infinitude et l’éternité. Cet esprit doit faire montre d’infini, d’omnipotence, d’omniscience et d’éternité, puisqu’il serait le créateur des âmes. Alain en a donné une définition :

« Il ne pense pas tout et ne sait pas tout ; mais sa moindre démarche pensante enferme qu’il y a une perfection de toutes les pensées ; par exemple il y a une vérité des nombres, même non encore nombrés, et une solution de tous les problèmes, même non encore posés. Cette pensée, élevée à la perfection, est Dieu. Et tel est le sens des arguments théologiques ; c’est parce que la pensée est, que la perfection est. »

Notons que pour qu’il y ait une religion, il est requis :

  • Une entité surnaturelle, c’est-à-dire non terrestre puisque cela marquerait une finitude ; donc un esprit, un être invisible, infini dans l’espace (ainsi omniprésent) comme l’air et dans le temps (ainsi éternel), qui est avant et après moi ;
  • Des récits d’actions qui servent de fondement à l’idée, puis à la croyance religieuse, en cette entité ;
  • Des intermédiaires entre ces entités et les humains, des passeurs et des traducteurs du message divin ;
  • Des êtres en quête de croyance, c’est-à-dire de réassurance et de pensées antidépressives qu’ils ne peuvent créer eux-mêmes et qui, en adhérant à la croyance, viennent la conforter, l’assurer.

Dans notre culture dite judéo-chrétienne, ce démiurge crée le monde d’un souffle mais dans un temps fini : en effet, il est bordé par la Création et l’Apocalypse, c’est un temps binaire en fait à l’image de la vie humaine : naissance et mort. Car le dieu est pensé par des humains, c’est-à-dire qu’il est à leur image et non l’inverse. Par exemple, Anaximandre (VIe siècle avant J. -C.) se moquait ainsi de cet anthropomorphisme :

« Si les bœufs et les lions avaient des mains et pouvaient peindre comme le font les hommes, ils donneraient aux dieux qu’ils dessineraient des corps tout pareils aux leurs, les chevaux les mettant sous la figure de chevaux, les bœufs sous la figure de bœufs. » (Cité par Xénophane, frag. 14, 15 et 16.)

Ce temps binaire est un temps corporel. Comme cela est déprimant, il fut ajouté à l’Apocalypse une résurrection générale, et ce dernier jour est le premier d’un nouveau monde qui est, lui, infini et éternel. Puis fut inventé un Paradis, qui outre d’offrir l’immortalité au mort, fait vivre ce mort parmi nous, les vivants : il est invisible mais présent, de par son âme, ce qui donne à croire qu’il y a donc une vie après la mort, d’où le culte des morts. Mais ce sont les vivants qui le maintiennent en vie dans leur esprit…

Selon les textes, l’humain fut créé en dernier, histoire de faire entendre qu’il est la plus achevée des créations, puisqu’il est la dernière : donc les autres créatures lui sont inférieures.

Néanmoins resta longtemps la pensée que ce monde chrétien est un monde fini, et pendant longtemps les savants tentèrent de calculer la date de fin du monde ou le nombre de générations. Il faut attendre l’invention de la notion de progrès à partir du XVIIe :

  • Avec Buffon (Les Époques de la Nature, 1780)[3]: le temps de la Nature crée une évolution et du coup le monde est ouvert, et de nouveau sans fin… ;
  • Et Condorcet qui définit un temps psychique du progrès (Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet (1743-1794) : Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1795).

L’éternité s’est déplacée, de l’âme eu monde. L’idée de progrès vient des sciences des Lumières contre la religion (l’obscurantisme), chaque progrès faisant reculer les croyances religieuses (en principe…)

  • Des Anti-dieux

Je me contenterai de faire un rapide point sur des penseurs qui se passèrent des dieux sans sombrer dans une sinistrose. Car il y eut des penseurs non dépressifs ou angoissés qui acceptèrent la brièveté de l’existence en reconnaissant l’éternité des formes de vie, celle des atomes qui nous composent. Ces penseurs furent dénommés atomistes et forment un courant très ancien puisqu’on en suppose l’origine chez le physiologue ou philosophe naturel (proto-philosophe) Mochus le Phénicien, que certains situent vers le XIIIe siècle av. J.-C. et d’autres vers -588 ou 500 av. J.-C. Puis un autre phénicien, Sanchoniathon, qui est considéré comme le premier penseur matérialiste de l’histoire de la pensée (Tort Patrick, Qu’est-ce que le matérialisme ? 2016, p.341). Leur pensée se transmit plus tard chez les Grecs avec Leucippe (vers 440 av JC) puis Démocrite (-460, -370) et enfin Épicure (-342/-270) (voir par exemple Walter F. Otto, Épicure, Allia, 2021, et surtout Nietzsche) rendu célèbre par le poète latin Lucrèce (-98/-55 ?) qui fit le constat suivant :

« La vie humaine, spectacle répugnant, gisant sur la terre écrasée sous le poids de la religion » (Lucrèce, De la nature des choses.)

La thèse de l’Atomisme est que tous les êtres vivants et toute la matière sont formés de particules élémentaires invisibles et communes : les atomes. Ce qui déjà nous destitue de notre statut de création supérieure et parfaite en nous mettant à égalité avec les natures animale, végétale et minérale, nous faisant frères et sœurs, selon le hasard de la vie, c’est-à-dire selon le jeu de combinaisons des atomes. On retrouve ici la pensée des présocratiques pour lesquels les origines de l’humain sont multiples (nous pouvons avoir des ancêtres animaux, divins, végétaux, etc.), pensée qui permet d’accueillir la diversité.

Tout ce qui a existé, existe et existera n’est qu’un assemblage d’atomes en nombre et en combinaisons infinis, sans plan préconçu, que ce soit une planète, un corps humain ou un insecte, ce qui sous-entend qu’il n’y a pas de dieux et donc pas de dieux à craindre et en redouter colères et punitions, ni superstitions à avoir, ni, du coup, d’après vie à redouter ou mériter.

Cela s’oppose à la conviction que la complexité de l’univers réclame un plan ou le prouve, qu’il y aurait une intelligence, un esprit architecte invisible, une intention.

Dès lors, pour Épicure, la source de tous les maux des humains est de tenir pour nécessaire les biens extérieurs car ils ont rassurants (je crois exister par mes avoirs et non pas par l’être), ce qui implique sacrifices, abnégation et souffrances en lieu et place du plaisir de vivre comme but suprême, c’est-à-dire le plaisir d’être et non d’avoir.

Ses ennemis l’ont raillé en s’emparant de cette notion de plaisir pour faire d’Épicure un simple sybarite débauché.

En fait, les Atomistes renversent le courant de pensée antidépresseur qui remplace le sensoriel par la Raison en réinstaurant ce sensoriel comme seul vrai antidépresseur. Ainsi tout n’est que corps.

  • Le besoin de dieu comme Nebenmensch et l’âme comme résidence

Un mot rapide pour tenter de comprendre pourquoi certains ont besoin de croire en une puissance supérieure et donc en son prolongement sous la forme de l’âme, un mot pour parler un peu quand même de Freud…

En naissant, nous ne sommes pas équipés pour subvenir à nos besoins, donc incapables de survivre par nous-mêmes (à l’inverse des poussins par exemple). Notre survie dépend de ce que Freud nomma Nebenmensch, c’est-à-dire un « autre qui est à côté ». C’est une présence éprouvée, un environnement premier, avant que n’émerge progressivement la figure maternelle (ou la personne faisant office de fonction maternelle[4]), première figure de protection, de soins et d’autorité toute-puissante car on en dépend totalement pour vivre. Ma survie dépend de cette dépendance.

Une grande partie de ma vie consiste à chercher de nouveaux Nebenmensch, que ce soit mes amis imaginaires, l’ami d’enfance ou l’âme sœur, un être aimé, un chef, etc.

Les dieux offrent une version transportable de ce Nebenmensch car c’est une version mentalisée : la dépendance n’est plus physique, réclamant une présence externe réelle, elle est intériorisée tout en répétant les mêmes qualités (secours, aides, soins, protections, etc.)

Bref, disons que l’âme est un représentant de cette présence première, qui sait, qui protège tout comme un dieu l’est aussi.

À moins de devenir progressivement notre propre Nebenmensch. C’est-à-dire devenir soi-même.

« Le « Dieu juste » et la « bienveillante nature » ne sont que les plus nobles sublimations de notre complexe parental, et notre détresse infantile est source ultime de toute religion.

« Ce que nous voyons dans la vie ne donne guère l’impression qu’il y a un ordre moral de l’Univers. Mais cela est indépendant de la psychanalyse ; on peut, indifféremment, y greffer la religion ; par principe, j’aimerais qu’elle ne soit pas mise au service d’une doctrine spécifique. » (Sigmund Freud, Lettre de Freud à Putnam du 10/03/1910, in Introduction de la psychanalyse aux États-Unis. Autour de James Jackson Putnam, Gallimard, 1978, pp. 122-123.)

2a- Inachèvement

À l’opposé de biens des animaux et comme beaucoup de mammifères, l’être humain est à sa naissance un être inachevé et donc immature. Cet inachèvement[5] le plonge dans une dépendance absolue et des états de détresse (Hilflosigkeit). De ce fait, sa survie dépend totalement de la personne mature (Hilfreich) qui sera à ses côtés pour le nourrir, soigner, protéger, etc., et ce, jusqu’à ce qu’il atteigne son autonomie. Nous naissons donc sous tutelle.

Il nous en reste une trace, celle d’une quête de protection et de soins, ce qui, sur son envers, nous ramène à un état de dépendance et donc de soumission, source du pire des sentiments, celui de notre impuissance. Nous retrouvons là un double effet de la tutelle : la garde et la coupe.

Le dégagement de cette tutelle est long, passe par différentes phases dont la plus audible est celle si mal nommée « crise d’adolescence » où le terme crise est celui employé par des parents désireux de maintenir sous leur coupe leurs adolescents contre ses souhaits d’autonomisation.

Cet être là, à côté, Freud l’a une fois nommé Nebenmensch, le définissant comme étant un autre préhistorique, autre qui garde et protège contre les vécus de détresse et ceux d’impuissance totale[6] du nourrisson. Sinon, si la détresse reste sans réponse, ce qui fait surgit une excitation mortifère : « une douleur qui laisse derrière elle des frayages à la manière d’un coup de foudre »[7]. Cette expérience de l’impuissance constitutive du vivant et donc ce besoin impératif d’une personne capable de s’intercaler entre bébé et angoisse va créer une sorte de paysage préhistorique où chaque « moi » se construira selon des « frayages » historiques et déterminants son rapport au monde.

2b- Nebenmensch ou la présence tutélaire sans figure

Ce Nebenmensch est préhistorique, c’est-à-dire premier et avant toute conscience qui permettrait la construction d’une histoire. En ce sens-là, il est sans figure, c’est une présence éprouvée, un environnement premier, et serait donc l’origine de la relation de tutelle. Plus tard, Freud décrira avec les termes d’identifications premières, un état d’indifférenciation des parents[8] avant que n’émerge progressivement la figure maternelle (ou la personne faisant office de fonction maternelle[9]), première figure de protection, de soins et d’autorité toute-puissante car on en dépend totalement pour vivre. Elle serait la première figure consciente de tutelle et de sa double dimension, la garde et la coupe.

2c- La tutelle comme longue histoire de déplacements ou de destins

Le mode de relation vécu à cette période fera destin dans les figurations suivantes car, au cours de notre développement, ce Nebenmensch ne va cesser d’être quêté et déplacé[10] sur d’autres figures et donc d’autres formes de tutelle à condition qu’elles en conservent les qualités premières :

  • la garde, comme source de l’éprouvé interne de protection et de réassurance ;
  • et la coupe, c’est-à-dire l’aspect de dépendance ou de soumission comme « prix à payer », coupe tantôt redoutée, tantôt recherchée.

Déplacements métonymiques qui se font le plus souvent par refoulements, mécanisme qui va du plus interne, du plus intime, du plus affecté, vers le plus externe, impersonnel, désaffecté. Voici quelques exemples de déplacements progressifs :

  • la première tutelle éprouvée mais sans figure trouve une première forme avec l’imago maternelle ;
  • cette figure de tutelle maternelle sera déplacée, entre autres, de la mère au père, sur une grande sœur, Pallas, la Sainte Vierge ou la Nature, les animaux domestiques, poupées et peluches, confidents et âme sœur, attente amoureuse, maîtres et maîtresses, des personnages illustres (Père Noël, chef, Dieu, Goethe ou Freud, etc.) ;
  • et ensuite dans des formes désincarnées : concepts, théories ou croyances, etc. ou des sociétés, des institutions car elles offrent une forme de protection à condition de se mettre sous leur coupe : par exemple un état se pose en protecteur et source de soin (pensons à la « mère patrie », formule épatante d’un amalgame parental[11]) ;
  • déplacement aussi d’un type d’affect entant que vestige de cette histoire première, par exemple dans la relation amoureuse qui peut dès lors répéter les particularités de la première relation d’amour ;
  • les dieux offrent une version transportable du Nebenmensch car c’est une version mentalisée : la dépendance n’est plus physique, réclamant une présence externe réelle, elle est intériorisée tout en répétant les mêmes qualités (secours, aides, soins, protections, etc.) en passant par un moment de symbolisations : le symbole permet le passage de la réalité psychique à la réalité extérieure et vice versa, c’est-à-dire qu’il se situe entre la présence externe réelle et la forme psychique interne. Tels sont les signes religieux, amulettes et gris-gris. Mais aussi le langage. La définition des dieux quelles que soient les religions est très souvent la même que celle du Nebenmensch.[12]

À chaque déplacement nous gagnons en autonomie jusqu’à idéalement devenir soi-même, c’est-à-dire notre propre Nebenmensch.

Ce qui est important de repérer ici est, non pas le changement d’objets, mais que dans ces différents déplacements, c’est toujours le même mode de lien, de relation qui est déplacé et répété, que l’objet soit profane ou sacré.

De cette période première, il en reste, pour Freud, une trace psychique qui fait destin sous la forme de ce qu’il a nommé Idéal du moi (Ichideal)[13], soit une instance psychique qui constitue un modèle auquel on cherche à se conformer :

« … les effets des premières identifications, qui ont lieu généralement au tout premier âge, garderont un caractère général et durable. Cela nous ramène à l’apparition de l’idéal du Moi, car derrière lui se cache la première et la plus significative identification de l’individu, celle avec le père de la préhistoire personnelle. »

Or il ajoute en note :

« Peut-être serait-il plus prudent de dire avec les parents, car père et mère, avant la connaissance sûre de la différence des sexes (…) ne se voient pas attribuer valeur distincte. »[14]

Évidemment cela diffère d’un être à l’autre selon l’histoire de ses rencontres, c’est-à-dire l’aspect ontologique[15], en opposition à ce que l’on pourrait poser comme aspect phylogénétique, lié à l’effet d’un environnement, d’une culture, soit en ce cas des figures tutélaires parfois sans figures.[16]

Donc deux grands axes de déterminations de ces figures tutélaires.

Le but final de ce trajet historique dans le champ des figures tutélaires serait de devenir son propre Nebenmensch, but en général atteint par un long parcours et de nombreuses étapes.

2d- Devenir soi-même

Dans l’idéal, ces déplacements éloignent peu à peu des tutelles vers une autonomie, soit le fameux projet pindarique : « Devenir soi-même ». Ce qu’indiquent aussi bien Goethe, Kant, Nietzsche, Einstein, Freud et bien d’autres, ce qu’Hamlet ne réussit pas, ou que Faust ne réalise pas puisqu’il s’en remet à Méphistophélès, figure de guide et de maître, de garde et de coupe, qui lui indiquera un nouveau chemin en l’enjoignant de retrouver le monde des mères…, mais au prix de l’aliénation de son âme : Méphistophélès est un super Nebenmensch ! Quant à Goethe, l’on peut dire que sa vie même incarne ce projet surtout dans son aspect scientifique de lutte contre « les arguments d’autorité »[17]. À l’inverse, Sartre déclare Marx : indépassable…[18]

S’individuer, c’est-à-dire se dégager des tutelles, projet ancien auquel Freud a toujours tenu. En témoigne ce qu’il écrit à son ami Eduard Silberstein (il a dix-sept ans) :

« Tu oublies que l’homme doit être ‘soi-même’. »[19]

Citation que Freud a pu faire en référence à la parole de Suleika dans le Divan Occidental :

« Le bonheur suprême des enfants de la terre / Ne consiste que dans la personnalité. / Quelle que soit la vie, on peut la vivre, / Tant qu’on se connaît bien soi-même ; / Rien n’est perdu / Tant qu’on reste ce qu’on est. »[20]

C’est la conjonction de la notion de Nebenmensch et du projet pindarique qui va donner à Freud le soubassement principal de la psychanalyse telle qu’il l’a pensée. Il l’énonce ainsi[21] en 1896 :

« Tout est imputé à l’autre, mais le plus souvent à cet autre préhistorique et inoubliable, qu’aucun plus tard n’arrivera à égaler. »

Alors le sol du travail analytique sera de permettre à un sujet de sortir de cette logique d’imputation[22] (« tout est imputé à l’autre ») pour entrer dans une logique d’implication afin de s’individuer comme auteur de son existence : la situation où je me trouve, c’est la situation où je me mets.[23]

La psychanalyse ne peut et ne doit être une philosophie de la vie ou une post-éducation[24], c’est-à-dire une mise sous la coupe, mais une sorte de maïeutique afin d’aider quelqu’un à advenir à lui-même, d’être pour ainsi dire en accord avec sa « nature », épurée si possible du poids impersonnel de la « morale civilisée »[25].

Et il y donc une conjonction entre l’invention de cette maïeutique pindarique que fut sa conception de la psychanalyse et la conduite de sa vie même, non seulement en tant qu’homme, mais surtout au niveau de son fonctionnement scientifique et intellectuel, comme nous allons le voir, ce qui ne fut pas si facile que cela.

  • Le risque d’aliénation

Devenir soi-même pour ne pas être aliéné à une pensée quand même perverse selon une certaine utilisation. Par exemple :

  • « Tu peux donner ta vie pour l’église ou l’état, ce n’est pas grave puisque tu auras après ta mort une vie meilleure, toute de félicité et sans souffrance », etc.
  • Ou bien : « consacre ta vie à mon service jusqu’à l’épuisement, ensuite tu auras le repos éternel ! » en récompense ;
  • « Avec ta vie, je pourrais satisfaire mes ambitions de conquêtes, de guerres, et de servitude. Pour cela dois-je maintenir les vivants inféodés et vivants dans des conditions misérables. Leur malheur facilite leur adhésion au mythe de l’infinitude de la vie… » On peut donc souffrir sur terre, cette vallée de larmes…

Si l’invention du paradis fut une pensée d’abord antidépressive, elle devient dans les mains de leaders une des pires pensées perverses puisqu’elle dispense de vivre : étant immortels, nous vivrons plus tard. Nous sommes alors morts avant d’être morts…

C’est peut-être aussi une raison de l’échec de l’écologie : on se moque de la mort de la planète puisque, parait-il, 90% des humains sont religieux et donc immortels… La planète ne serait qu’un corps fut-il céleste.

Conclusions

Face à la question, ma question d’être humain pensant, sur la finitude, ma finitude, plusieurs positionnements psychiques sont possibles :

  • soit je subis cette conscience de la finitude et j’entre :
    • ou en dépression voire en sinistrose, et si cette conscience se maintient, j’en viens au suicide pour cesser de penser cette impuissance radicale ;
    • ou bien j’adhère à un « bof ! à quoi bon lutter » et me laisse vivre passivement en une sorte de laisser-aller généralisé ;
  • soit je cesse de penser pour vivre simplement et jouir de divertissements, de détournements, en une sorte de fuite, en m’étourdissant avec de multiples produits toxiques ou magiques ;
  • soit j’adhère à des croyances antidépressives qui m’aident à fuir la finitude, croyance renforcée par les adhésions de masse ;
  • soit je quête une perspective, un sens, une sorte de Graal, qui me guide dans mon existence.

Toutes ces solutions sont du côté du cogito et du futur ou du passé. Reste la dimension du sensoriel, de l’éprouvé, qui, seul, et seulement lui, me donne une sensation d’être, d’exister réellement, pleinement, sensation certes fugitive mais réelle et dans le présent, hic et nunc ou le fameux Carpe diem, tel qu’on l’éprouve dans l’énamoration par exemple..

L’éprouvé de plaisir est un authentique anti-dépresseur et anxiolytique naturel, et c’est pour cela qu’il est si interdit et condamné dans nos morales afin que nous nous rabattions sur les croyances qui nous promettent une félicité post-mortem, ou sur le recours à des médicaments qui effacent la pensée.

Nous sommes face à une oscillation fondamentale : la vie est maniaco-dépressive :

  • Dépressive sous l’influence des éprouvés de petitesse, finitude, de déchéance physique, donc de souffrances narcissiques ;
  • Maniaque grâce à la pensée magique et les croyances, l’âme, autant d’éléments promettant une infinitude à l’échelle de l’univers.

En résumé :

  • Un être humain conscient de sa finitude, de son ignorance, de sa fragilité, de sa petitesse et donc de sa mortalité,
  • Qui, pour l’oublier, s’imagine et se veut omnipotent, omniscient, éternel et infini, et lutte pour cela,
  • Ou qui quête ce qui pourrait incarner de telles choses non humaines, et s’y soumettre,
  • Au lieu de profiter de son temps de vie, en paix. La vie est courte, il y a urgence à la vivre pleinement.

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[1] Platon, Phédon, partie XI. Socrate parle : « Tant que nous serons en vie, le meilleur moyen, semble-t-il, d’approcher de la connaissance, c’est de n’avoir, autant que possible, aucun commerce ni communion avec le corps, sauf en cas d’absolue nécessité, de ne point nous laisser contaminer de sa nature, et de rester purs de ses souillures, jusqu’à ce que Dieu nous en délivre. Quand nous nous serons ainsi purifiés, en nous débarrassant de la folie du corps, nous serons vraisemblablement en contact avec les choses pures et nous connaîtrons par nous-mêmes tout ce qui est sans mélange, et c’est en cela sûrement que consiste le vrai ; pour l’impur, il ne lui est pas permis d’atteindre le pur. Voilà, j’imagine, Simmias, ce que doivent penser et se dire entre eux tous les vrais amis du savoir. »

[2] Bible, Coran, Torah, Zabur, Avesta, Véda, Tao Tö King, Entretiens de Confucius, Livre de Mormon, Guru Granth Sahib, Kitab-i-Aqdas, l’Edda Poétique, Tripitaka. Le plus vieux texte religieux connu est l’hymne au temple de Kesh, tablette d’argile sumérienne qui date de 2600 av. J.C : Jeremy Black, Graham Cunningham, Eleanor Robson et Gábor Zólyomi, The Literature of Ancient Sumer, Oxford University Press, 2006, p. 325.

[3] Buffon, Georges Louis Leclerc, comte de, 1707-1788 : Les Époques de la Nature, 1780. « Mais comme il s’agit ici de percer la nuit des temps ; de reconnaître par l’inspection des choses actuelles l’ancienne existence des choses anéanties, & de remonter par la seule force des faits subsistans à la vérité historique des faits ensévelis ; comme il s’agit en un mot de juger, non seulement le passé moderne, mais le passé le plus ancien, par le seul présent, & que pour nous élever jusqu’à ce point de vue, nous avons besoin de toutes nos forces réunies, nous emploîrons trois grands moyens : 1° Les faits qui peuvent nous rapprocher de l’origine de la Nature ; 2° les monumens qu’on doit regarder comme les témoins de ses premiers âges ; 3° les traditions qui peuvent nous donner quelqu’idée des âges subséquens ; après quoi nous tâcherons de lier le tout par des analogies, & de former une chaîne qui, du sommet de l’échelle du temps, descendra jusqu’à nous. ».

[4] Voir les travaux de Konrad Lorenz et de l’éthologie. Par exemple Essais sur le comportement animal et humain, Seuil, 1970.

[5] Voir Louis Bolk, « Le problème de la genèse humaine », Georges Lapassade trad., in Revue française de psychanalyse, vol. 25, n° 2, 1961.

[6] Voir M.-C. d’Unrug : « Lapassade Georges, L’entrée dans la vie. Essai sur l’inachèvement de l’homme », in Revue française de sociologie, 1964, 5-4. pp. 463-465. La thèse de G. Lapassade est que « l’homme n’entre pas une fois et définitivement, à tel moment de son histoire dans un statut fixe et stabilisé qui serait celui d’un adulte… son existence est faite d’entrées successives qui jalonnent le chemin de sa vie ». Ce livre décrit toutes les « naissances » de l’homme, sur le plan génétique et sur le plan historique, et aboutit à la conclusion qu’il est temps pour l’homme d’assumer son inachèvement. L’auteur propose le terme d’entrisme pour désigner « le mouvement permanent par lequel l’homme s’efforce, jusqu’au terme de son existence, d’entrer dans la vie ».

[7] « als wenn der Blitz eingeschlagen hätte ». S. Freud, « Esquisse d’une psychologie scientifique » (1895), in La naissance de la psychanalyse, Paris, P.U.F., 1991, p. 327. « Entwurf einer Psychologie“, in Briefe an Wilhelm Fliess, Abhandlungen und Notizen aus den Jahren 1887-1902, Frankfurt, S. Fisher Verlag, 1975, p. 316.

[8] Voir Sigmund Freud, Un souvenir d’enfance de Leonard de Vinci, Gallimard, 1987.

[9] Voir les travaux de Konrad Lorenz et de l’éthologie. Par exemple Essais sur le comportement animal et humain, Seuil, 1970.

[10] Par exemple, j’ai besoin de croire qu’il existe une intention et une pensée qui ont présidé à ma conception comme à celle du monde, besoin d’une explication raisonnable, qui me permet de croire avoir le contrôle sur les choses de la vie contre les détresses originaires. Une sorte de quête du Graal.

[11] Par exemple la formule de Melanie Klein : « les parents combinés ».

[12] « À partir des psychanalyses de personnes individuelles nous avons appris que leurs impressions les plus précoces, enregistrées à une époque où l’enfant était encore à peine capable de parler, manifestent à un moment quelconque des effets à caractère de contrainte, dans que ces impressions elles-mêmes soient consciemment remémorées. Nous nous tenons pour justifiés de supposer la même chose pour les expériences vécues les plus précoces de l’humanité tout entière. Un de ces effets serait l’émergence de l’idée d’un grand dieu unique dans laquelle il nous faut reconnaître un souvenir certes déformé, mais tout à fait justifié. Une telle idée a un caractère de contrainte, elle doit nécessairement emporter la croyance ? Compte tenu de la déformation, on est en droit de la qualifier de délire ; dans la mesure où elle amène le retour de ce qui est passé, on doit nécessairement l’appeler vérité. Même le délire psychiatrique connaît une parcelle de vérité et, à partir de cette vérité, la conviction du malade déborde sur le voile du délire. » Sigmund Freud, « L’homme Moïse », in OCPF XX, p. 209.

[13] Le Moi idéal (Idealich) représente le moi inorganisé d’avant toute différenciation moi / non moi, ce qui produit une séparation, une perte. Nous laissons derrière nous cet état idéal narcissique, tout en aspirant à le retrouver ou y retourner. C’est le lieu du sentiment de toute-puissance et des pouvoirs magiques, et il est la source de fantasmes tel le « retour dans le ventre maternel », « Être-Un-dans-le-Tout », qui figurent une réalisation hallucinée de cet état antérieur et perdu, cet état de Un de la fusion mère – enfant. C’est une dimension surtout imaginaire.

L’Idéal du moi (Ichideal) résulte de la convergence du narcissisme (idéalisation du moi) et des identifications aux parents, à leurs substituts et aux idéaux collectifs, ce qui constitue un modèle auquel le sujet cherche à se conformer et s’y soumet par amour le plus souvent. Donc une instance plus tardive et moins imaginaire.

[14] Sigmund Freud, « Le moi et le ça », in OCFP XVI, PUF 1991, p.275.

[15] Qui reste en partie prédéterminé par les quêtes psychiques de retrouvaille des relations premières.

[16] Voir l’histoire de la nostalgie et du ranz des vaches par exemple in Joël Bernat, « Cheminant, d’appartenances à identité », Migrations et identités, colloque du CIERA 2006, Presse Universitaires du Septentrion, 2009.

[17] Voir l’histoire de l’os intermaxillaire in Joël Bernat, « Sigmund Freud et la ‘fonction Goethe’ » (Comment, et pourquoi, être faustien et goethéen ?), in Revue Internationale de philosophie, Goethe, Librairie philosophique Vrin, 3-2009, volume 63, n°249, pp. 295-323.

[18] Mise en apothéose de Marx : J.-P. Sartre, Critique de la raison dialectique, Gallimard, 1960.

[19] Lettre du 6. VIII. 1873 in S. Freud, Lettres de jeunesse, Gallimard 1990.

[20] Goethe, Divan Occidental – Oriental, cité par Freud in Introduction à la psychanalyse, Petite bibliothèque Payot, n° 6, 1969, p. 395. Soit un énoncé du « projet pindarique », référence, entre autres à un « Éloge amoureux dédié à Théoxène » dans le troisième épode de la troisième Phytique de Pindare (Œuvres complètes, La Différence, 1990, p.177) : « Non, chère âme, à la vie immortelle / n’aspire, mais épuise le champ du possible ». Repris par Albert Camus et Paul Valéry ; voir aussi Margueritte Yourcenar, La couronne et la lyre, Paris, Poésie / Gallimard, 1979 p. 160. Il est à remarquer que ce principe est accordé à Pindare, à Thalès, à la Pythie de Delphes, et fut repris par Socrate, etc.

[21] Sigmund Freud, Lettres à Wilhelm Fliess, lettre 112 du 6 décembre 1896, pp. 263-273 PUF, 2006.

[22] Cela fait penser au portrait que donne Nietzsche de l’homme du ressentiment : c’est un être de réaction avec une morale d’esclave et donc non créatif.

[23] Voir par exemple Mercedes Allendesalazar : « Hallucination et Nebenmensch : Goya et Thérèse d’Avila » in Champ psychosomatique, 2007/2 n° 46, pp. 147 – 159, L’Esprit du temps.

[24] Voir, par exemple, Freud, in Correspondance avec le pasteur Pfister, Gallimard 1966, pp. 169 sq.

[25] Voir Sigmund Freud, « La morale sexuelle civilisée et la « maladie nerveuse » des temps modernes (Die « kulturelle » Sexualmoral und die moderne Nervosität) », in La vie sexuelle, P.U.F. 1969, 28-46.

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